Vrai salarié détaché - compétence juridiction française

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 29 mai 2013

N° de pourvoi : 12-15966

ECLI:FR:CCASS:2013:SO00998

Non publié au bulletin

Rejet

M. Bailly (conseiller doyen faisant fonction de président), président

Me Haas, SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Paris, 12 janvier 2012, statuant en référé) que M. X... a été engagé le 1er octobre 2007 par la société de droit américain Call In Europe LLC, qui a son siège social dans l’Etat du Connecticut, par contrat de travail à durée indéterminée régi par les lois applicables dans cet Etat, en qualité de responsable du développement commercial ; qu’il a été détaché au mois de mai 2009, en qualité de directeur business développement auprès de la société Call In Europe qui a son siège en France ; que la société Call In Europe LLC a mis fin aux relations contractuelles par lettre du 3 mars 2010 ;

Attendu que les sociétés font grief à l’arrêt de rejeter l’exception d’incompétence territoriale alors, selon le moyen que lorsqu’un employeur et un salarié ont, dans un pays étranger où s’exécutait la relation de travail, convenu, pour l’exécution d’une convention de détachement du salarié en France, que le contrat de travail qui les liait restait régi par la loi étrangère même après le détachement et que les juridictions du pays étranger resteraient seules compétentes pour le règlement des litiges nés de l’exécution du contrat de travail, une telle clause attributive de compétence, qui n’est pas contraire à la conception française de l’ordre public international, est opposable au salarié ; qu’en jugeant inopposable au salarié la clause attribuant compétence aux juridictions américaines pour statuer sur les difficultés d’exécution de la convention de détachement en France emportant modification du contrat de travail, soumis au droit américain, initialement conclu entre la société Call In Europe LLC et M. X... pour être exécuté aux Etats-Unis, la cour d’appel a faussement appliqué les articles R. 1412-1 et R. 1412-4 du code du travail et violé l’article 3 du code civil ensemble les principes généraux du droit international privé, entachant ainsi sa décision d’un excès de pouvoir ;

Mais attendu qu’ ayant constaté qu’en exécution de la convention de détachement conclue pour une durée de cinq années, le salarié, qui était domicilié en France, exécutait son travail dans ce pays jusqu’à ce que l’employeur mette fin aux relations contractuelles, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la juridiction dans le ressort de laquelle s’exécutait le travail était compétente en application de l’article R. 1412-4 du code du travail, applicable dans l’ordre international, et que la clause de la convention de détachement invoquée par l’employeur et dérogeant à cette règle ne pouvait lui être opposée ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Call In Europe et Call In Europe LLC aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des sociétés Call In Europe et Call In Europe LLC ; les condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Call In Europe et la société Call In Europe LLC

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt confirmatif attaqué d’AVOIR rejeté l’exception d’incompétence territoriale soulevée par les sociétés CALL IN EUROPE LLC et CALL IN EUROPE SAS ;

AUX MOTIFS QUE « sur la compétence territoriale, les sociétés CALL IN EUROPE LLC et CALL IN EUROPE SAS demandent à la Cour de se déclarer incompétente territorialement, au profit de la Connecticut State Court, USA ; que Monsieur Lionel X... demande à la Cour de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence territoriale ; que la lettre de détachement, rédigée en français par la société CALL IN EUROPE LLC a prévu que Monsieur Lionel X... serait détaché sur le territoire français « pour une période de cinq ans prenant effet au plus tard le 4 mai 2009 » et que, pendant cette période, il dépendrait toujours hiérarchiquement de la société américaine, serait payé par celle-ci et resterait rattaché au régime de sécurité sociale et de retraite américain ; que cette lettre a également prévu que le contrat de travail resterait soumis au droit américain, à l’exception des règles françaises en vigueur présentant un caractère d’ordre public, et que les juridictions américaines resteraient compétentes, en cas de contestation sur l’exécution ou la rupture du contrat ; que cette lettre de détachement temporaire du salarié en France, qui est signée par celui-ci et qui mentionne qu’il restera subordonné au Président de CALL IN EUROPE LLC et que « son contrat de travail restera soumis au droit américain » fait, ainsi, expressément référence au contrat de travail initial de droit américain, dont il est indissociable et dont il constitue un avenant ; que le contrat de travail, ainsi modifié, a nécessairement le caractère d’un contrat international ; qu’il n’est pas contesté qu’il n’existe, en l’espèce, en matière de compétence juridictionnelle, ni traité, ni convention, ni accord, régulièrement ratifié ou approuvé et publié ; que, dès lors, il y a lieu d’apprécier la clause contractuelle attributive de compétence aux juridictions américaines au regard de la loi française qui détermine les règles de compétence pour un litige relatif à un contrat de travail de droit américain devant être exécuté en France, dans le cadre d’un détachement temporaire de cinq ans sur le territoire national ; que, tout d’abord, l’article L.1262-3 du code du travail prévoit qu’un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement d’un salarié lorsque son activité comporte la recherche et la prospection d’une clientèle sur le territoire national et que, dans cette situation, il est assujetti aux dispositions du code du travail applicables aux entreprises établies sur le territoire national ; que l’article R.1412-5 du même code ne s’applique qu’en cas de détachement temporaire d’un salarié sur le territoire national par une entreprise établie dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ; que Monsieur Lionel X... a été détaché à Paris afin de développer l’activité de la société américaine CALL IN EUROPE LLC en France, et plus généralement en Europe, notamment vis-à-vis « des fournisseurs, des clients et des partenaires » ; qu’en conséquence, aucune disposition légale ou réglementaire relative au détachement ne peut s’appliquer au présent litige ; que, par ailleurs, l’article R.1412-1 du même code prévoit que l’employeur et le salarié portent leurs litiges devant le conseil de prud’hommes territorialement compétent et que ce conseil est, soit celui du ressort duquel est situé l’établissement où est accompli le travail, soit, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel est situé de domicile du salarié ; que l’article R.1412-4 précise que toute clause d’un contrat, qui déroge à ces dispositions relatives aux règles de compétence territoriale des conseils de prud’hommes, est réputée non écrite ; qu’en exécution de l’avenant de détachement conclu pour une durée de cinq ans, Monsieur Lionel X..., domicilié à Paris, a exécuté sa prestation de travail dans les locaux parisiens de la SAS CALL IN EUROPE, jusqu’à ce qu’il soit mis fin, de manière anticipée, à son détachement en France par l’employeur ; que la référence à la loi américaine, pour l’exécution du contrat de travail, est sans incidence quant à la détermination de la juridiction territorialement compétente, contrairement à ce qu’affirme l’employeur ; qu’il résulte de ce qui précède que, conformément à l’article R.1412-4 précité, applicable dans l’ordre international, il n’existe aucune contestation sérieuse sur la compétence territoriale du conseil de prud’hommes parisien ; qu’en conséquence, la clause invoquée par l’employeur pour déroger à cette règle de compétence territoriale n’est pas opposable au salarié ; qu’il y a lieu de débouter les sociétés CALL IN EUROPE LLC et CALL IN EUROPE SAS et de confirmer l’ordonnance de départage sur ce point » ;

ALORS QUE lorsqu’un employeur et un salarié ont, dans un pays étranger où s’exécutait la relation de travail, convenu, pour l’exécution d’une convention de détachement du salarié en FRANCE, que le contrat de travail qui les liait restait régi par la loi étrangère même après le détachement et que les juridictions du pays étranger resteraient seules compétentes pour le règlement des litiges nés de l’exécution du contrat de travail, une telle clause attributive de compétence, qui n’est pas contraire à la conception française de l’ordre public international, est opposable au salarié ; qu’en jugeant inopposable au salarié la clause attribuant compétence aux juridictions américaines pour statuer sur les difficultés d’exécution de la convention de détachement en FRANCE emportant modification du contrat de travail, soumis au droit américain, initialement conclu entre la société CALL IN EUROPE LLC et Monsieur X... pour être exécuté aux ETATS-UNIS, la Cour d’appel a faussement appliqué les articles R. 1412-1 et R. 1412-4 du Code du travail et violé l’article 3 du Code civil ensemble les principes généraux du droit international privé, entachant ainsi sa décision d’un excès de pouvoir.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 12 janvier 2012