Donneur d’ordre employeur de fait

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 10 juin 1997

N° de pourvoi : 96-82199

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de Me ROGER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général le FOYER de COSTIL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" A... René, contre l’arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES, 8ème chambre, en date du 21 mars 1996, qui, pour participation à une opération de prêt de main-d’oeuvre illicite, marchandage et emploi d’étrangers non munis de titre de travail, l’a condamné à 4 mois d’emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d’amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1, L. 125-2 et L. 152-3 du Code du travail, 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré René A... coupable du délit de fourniture illégale de main-d’oeuvre à but lucratif et de marchandage, l’a, en conséquence, condamné à la peine de 4 mois d’emprisonnement avec sursis et à celle de 30 000 francs d’amende ;

”aux motifs qu’il ressort des déclarations de Francis Z... et d’Abdel X..., recueillies par l’inspecteur du travail, que le premier était régulièrement présent sur le chantier, assistait seul aux réunions de chantier, assurait le contrôle de la bonne exécution des travaux, vérifiait les besoins en matériels et matériaux et donnait les instructions nécessaires à l’accomplissement du travail ; qu’il ressort suffisamment de l’ensemble de ces éléments d’appréciation, et notamment des déclarations des personnes entendues, de la fourniture des matériels et matériaux par la société Chaynes, des modalités de facturation des prestations de l’entreprise Alexandrie, des explications évolutives du prévenu, de l’établissement de documents de régularisation pour donner crédit à ces allégations, et des conditions d’exécution du travail par les salariés de l’entreprise Alexandrie, placés sous l’autorité du représentant de la société Chaynes, que ce personnel, sans autonomie et en situation de subordination vis-à-vis de cette dernière entreprise, exécutait des travaux pour le compte de celle-ci dans le cadre d’une opération exclusive de mise à disposition de main-d’oeuvre et non dans le cadre d’un contrat de sous-traitance ;

”alors, d’une part, que, si le prêt de main-d’oeuvre à but lucratif résulte de la mise à disposition de l’utilisateur d’un certain nombre de salariés, pour une durée déterminée, leur rémunération étant calculée en fonction de cette durée, du nombre et de la qualification des travailleurs détachés, qui sont placés sous l’autorité de la seule entreprise utilisatrice, en revanche, le contrat d’entreprise a pour objet l’exécution d’une tâche objective définie et rémunérée de façon forfaitaire, le sous-entrepreneur conservant son autorité sur le personnel ; qu’il appartient aux juges du fond, saisis de poursuite contre un employeur du chef d’opération à but exclusivement lucratif de fourniture de main-d’oeuvre, en violation des dispositions du Code du travail, de rechercher, par l’analyse des éléments de la cause, la véritable nature de la convention intervenue entre les parties ; qu’en déclarant que les termes de la convention invoquée par René A... ne sauraient faire preuve, et en statuant par des motifs généraux, la cour d’appel, qui devait déterminer la véritable nature de la convention intervenue, ne permet pas, par absence de précisions, l’exercice d’un contrôle ;

”alors, d’autre part, que le caractère de la rémunération étant un élément essentiel permettant de distinguer le prêt de main-d’oeuvre à but lucratif du contrat de sous-traitance, la cour d’appel, qui n’a procédé à aucune analyse de la rémunération versée, a entaché sa décision d’un manque de base légale” ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1, L. 125-2 et L. 152-3 du Code du travail, 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré René A... coupable du délit de fourniture illégale de main-d’oeuvre à but lucratif et de marchandage, l’a, en conséquence, condamné à la peine de 4 mois d’emprisonnement avec sursis et à celle de 30 000 francs d’amende ;

”aux motifs que le demandeur ne rapporte pas la preuve qu’en fait Francis Y... disposait et avait l’exercice effectif des pouvoirs, de l’autorité et des moyens nécessaires dans le domaine prétendument délégué ; qu’à cet égard, l’ancienneté et le niveau de rémunération de ce salarié ne constituent pas la preuve suffisante de telles prérogatives qu’il conteste ; que sa présence sur le chantier et son rôle de surveillance de l’exécution des travaux ne sauraient, en dehors d’une délégation régulière qui n’est pas établie, dispenser René A... de ses obligations personnelles découlant de sa qualité de président-directeur général ;

”alors, d’une part, que le chef d’entreprise est exonéré de toute responsabilité lorsqu’il prouve que le fait poursuivi relève d’un de ses préposés, la responsabilité pénale de ces derniers pouvant être engagée à moins qu’ils n’aient subi une contrainte irrésistible ; qu’en retenant que c’est en connaissance de cause que René A... a fait habituellement conclure par son commis, Francis Z..., ce genre de convention, sans rechercher si celui-ci n’avait pas librement agi dans le cadre d’une délégation générale reçue de l’employeur, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

”alors, d’autre part, que René A... avait fait valoir dans ses conclusions qu’iI ne pouvait être, en aucune manière, considéré comme l’auteur de l’infraction mais le seul signataire du contrat de sous-traitance, que les commis de la société Chaynes bénéficiaient d’une délégation de pouvoirs qui leur permettait de conclure valablement de tels marchés ; que seuls ceux-ci pouvaient engager leur responsabilité pénale ; qu’on ne saurait faire supporter au chef d’entreprise la responsabilité pénale d’un contrat qu’il n’a pas conclu, et dont le cadre général était exclusif de tout délit ; qu’en se bornant à relever que l’ancienneté et le niveau de rémunération de ces salariés ne constituaient pas une preuve suffisante de cette délégation, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés par le moyen” ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l’article 6 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles L. 364-2-1, L. 341-6, R. 341-1, R. 341-7, L. 364-2-1 du Code du travail, 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré René A... coupable du délit d’emploi d’étrangers non muni d’une autorisation de travail salarié, l’a, en conséquence, condamné à la peine de 4 mois d’emprisonnement avec sursis et à celle de 30 000 francs d’amende ;

”aux motifs qu’en sa qualité de président-directeur général, il incombait à ce dernier de s’assurer que les salariés, dont il connaissait la nationalité étrangère, mis à sa disposition par l’entreprise Alexandrie, courant 1993, et effectuant un travail pour le compte de sa société, se trouvaient en situation régulière au regard de la législation sur l’emploi de travailleurs étrangers, notamment en procédant lui-même ou en donnant des instructions précises pour faire procéder aux vérifications nécessaires par la production des documents appropriés ;

”alors, d’une part, qu’il incombe aux parties poursuivantes, conformément aux principes généraux qui régissent la charge de la preuve, d’établir que l’infraction a été commise par le prévenu et non à ce dernier de prouver son innocence ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui s’appuie sur le procès-verbal établi par les contrôleurs du travail et l’enquête effectuée par les services de police, se borne à énoncer de façon lapidaire que René A... connaissait la nationalité étrangère des travailleurs mis à sa disposition, n’a pas légalement justifié sa décision ;

”alors, d’autre part, que le fait d’engager ou de conserver à son service un étranger non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France est une infraction intentionnelle qui suppose, pour être constituée, la connaissance par l’employeur de la qualité d’étranger du salarié ; qu’en l’espèce, la cour d’appel qui n’établit pas que René A... savait que les travailleurs en cause étaient étrangers et qui n’indique, a fortiori, pas leur nationalité, n’a pas légalement justifié sa décision ;

”alors, enfin, que cette affirmation péremptoire est contredite par les constatations opérées par les services enquêteurs ; qu’en effet, il résulte du procès-verbal en date du 27 septembre 1993 qu’il n’est pas formellement établi que la société Chaynes avait une claire connaissance de la situation irrégulière de l’entreprise Alexandrie et donc de la nationalité et de la situation de ses employés ; que ces constatations sur lesquelles s’appuie l’arrêt attaqué sont en contradiction avec la motivation retenue par les juges d’appel ; qu’ainsi la Cour a entaché sa décision d’une contradiction de motifs” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance ou de contradiction, et répondant aux articulations essentielles des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré René A... coupable ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Guerder, Pinsseau, Joly, Mme Chanet conseillers de la chambre, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ;

Avocat général : M. le Foyer de Costil ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Versailles, 8ème chambre du 21 mars 1996