Subordination juridique en France - mobilité intragroupe - détachement non

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 20 janvier 2010

N° de pourvoi : 08-44480

Non publié au bulletin

Cassation

Mme Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Coutard, Mayer et Munier-Apaire, SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a été recruté par la société Takeuchi Manufactoring Co Ltd le 26 avril 2000 et affecté en mai 2000 au sein de la filiale française du groupe Y... France, en qualité de directeur administratif ; qu’il a été licencié par lettre du 13 juillet 2004 pour refus de retourner au Japon, absence pour maladie prolongée causant des perturbations dans l’entreprise et exigeant son remplacement, utilisation frauduleuse d’un véhicule appartenant à la société et abonnement à un journal à titre privé aux frais de la société ; que s’estimant salarié de la société Y... France, il l’a faite convoquer devant le conseil de prud’hommes pour obtenir le paiement de diverses sommes et indemnités notamment au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que la société mère Y... Manufactoring Co Ltd est intervenue volontairement à l’instance ;

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 1221-1 du code du travail ;

Attendu que pour dire que M. X... était le salarié de la société mère, de droit japonais, et que son licenciement prononcé au motif de son refus de retourner au Japon était fondé sur une cause réelle et sérieuse, l’arrêt énonce qu’un curriculum vitae du salarié établi le 1er décembre 1999 mentionnant une adresse au Japon est produit sans que la possession d’une carte de résident obtenue antérieurement par celui-ci ou d’autres éléments démentent la réalité de cette adresse, que le salarié a signé un engagement d’honneur auprès de la société Takeuchi Manufactoring Co Ltd de respecter le règlement interne de l’entreprise, qu’aucun contrat de travail écrit n’a été conclu entre le salarié et la société Y... France et que le salarié précise qu’il rendait compte de ses activités à la société mère ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs pour partie inopérants alors qu’il lui appartenait de rechercher concrètement si, dans l’exercice de ses fonctions, le salarié n’était pas dans un lien de subordination à l’égard de la société filiale, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

Sur le deuxième moyen :

Vu l’article L. 1152-1 du code du travail ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l’arrêt énonce que compte tenu du conflit né entre les parties quant au départ du salarié au Japon, il ne peut être reproché à l’employeur les courriers adressés à celui-ci dans ce cadre dès lors que chacune des parties défendait sa position ; qu’il n’est pas établi de faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans s’expliquer sur le nombre et la teneur des courriers qu’elle visait, la cour d’appel n’a pas mis en mesure la Cour de cassation d’exercer son contrôle ;

Sur le troisième moyen :

Vu l’article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande en rectification sous astreinte de ses bulletins de salaires, l’arrêt énonce qu’au vu des pièces produites et des explications des parties, il apparaît que les bulletins de salaire fournis au salarié étaient conformes au montant des sommes versées et qui lui étaient dues ;

Qu’en statuant ainsi, sans répondre au moyen des conclusions du salarié qui faisait valoir qu’à compter du mois de décembre 2003, ses bulletins de salaire ne mentionnaient plus le montant de l’avantage en espèces consistant en la prise en charge par son employeur de ses loyers d’habitation et que cette omission avait des incidences sur ses droits, notamment au regard de l’indemnisation au titre du chômage ou de la retraite, la cour d’appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 mai 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;

Condamne la société Y... France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, signé et prononcé par Mme Mazars, président et Mme Bringard, greffier de chambre présente lors de la mise à disposition de l’arrêt, en l’audience publique du vingt janvier deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils pour M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit le licenciement de Monsieur X... fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l’AVOIR débouté en conséquence de l’ensemble de ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE : « M. X... explique que la Société Y... au Japon recrutait le personnel de la filiale qu’elle entendait créer et que c’est dans ce contexte qu’il s’est déplacé au siège de cette société pour passer un entretien afin d’être embauché en FRANCE ; que la dite société souhaitait recruter pour sa filiale un salarié qui serait directement embauché en FRANCE ; qu’il a ainsi été embauché par cette filiale le 1er juin 2000 ; qu’il est produit un curriculum vitae du salarié établi le 1er décembre 1999 mentionnant une adresse au Japon de l’intéressé, sans que la possession d’une carte de résident obtenue antérieurement par celui-ci ou d’autres éléments démentent la réalité de cette adresse ; que M. X... a signé un engagement d’honneur auprès de la Société TAKEUCHI MANUFACTORING CO.LTD mais que comme il se prévaut de sa qualité de salarié de la Société Y... FRANCE, le licenciement est prononcé par les deux sociétés en cause ; que cette formule de précaution ne peut impliquer un lien de subordination de M. X... à l’égard de la Société Y... FRANCE ; que si des bulletins de salaire étaient établis par la Société Y... FRANCE, ils ne sauraient démontrer, pas plus que le certificat de travail dont se prévaut l’appelant, l’existence d’un contrat de travail à défaut d’éléments pertinents justifiant de ce que M. X... exerçait son activité sous l’autorité, le contrôle et selon les instructions de cette société ; qu’au vu de ces éléments et de l’ensemble des pièces du dossier, la cour doit constater que M. X... avait la qualité de salarié à l’égard de la seule société TAKEUCHI MANUFACTORING CO.LTD ; que l’employeur indique qu’il a appliqué la législation française en ce qui concerne le licenciement ; qu’il ne revendique pas à cet égard aujourd’hui devant la cour l’application d’une autre législation pas plus que le salarié ne le fait ; qu’il convient donc d’apprécier le bien-fondé du licenciement au regard du droit français, que l’employeur, qui est la Société TAKEUCHI MANUFACTORING CO.LTD selon les constatations qui précèdent, invoque tout à la fois des fautes du salarié et les perturbations occasionnées par l’absence du salarié dans le fonctionnement normal de l’entreprise et nécessitant le remplacement définitif de l’intéressé ; que si l’employeur revendique l’application du droit japonais en ce qui concerne l’exécution du contrat de travail, il ne résulte pas des explications du salarié que celui-ci se prévaut à ce titre de la loi japonaise ; qu’en tout état de cause, à supposer que la loi française s’applique aux conditions d’exercice du contrat de travail, il n’apparaît pas que l’employeur ait abusé de son pouvoir de direction en demandant au salarié de retourner au Japon afin d‘y occuper un nouveau poste ; que les pièces produites ne permettent pas de dire que ce nouveau poste était inexistant comme le prétend M. X... et que l’employeur souhaitait en fait le remplacer dans ses fonctions par un autre salarié ; qu’il n’est pas utilement contesté que les fonctions de M. X... étaient de mettre en place les structures de la filiale française ; que l’employeur pouvait légitimement estimer que sa présence n’était plus utile à cette fin après 4 années de présence en FRANCE mais qu’elle était nécessaire au Japon pour y remplir les fonctions qui sont détaillées dans la lettre de licenciement ; qu’il n’est pas prétendu que ces fonctions ne correspondaient pas à la qualification et au niveau de responsabilité de M. X... ; que le salarié n’était pas dans ces conditions fondé à refuser d’exécuter les instructions de l’employeur ; que le licenciement apparaît donc reposer sur une cause réelle et sérieuse ; que les explications de l’employeur selon lesquelles un traducteur était présent lors de l’entretien préalable ne sont pas utilement démenties par le salarié ; qu’il n’est pas établi une irrégularité de la procédure de licenciement au regard de la loi française ; qu’il convient donc de rejeter les demandes d’indemnités de rupture du salarié formé du chef du licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’infirmer sur ce point la décision déférée ; qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la production d’une attestation destinée à l’ASSEDIC et d’un certificat de travail rectifiés concernant la désignation de l’employeur compte tenu de ce qui précède ; que les bulletins de salaire ne peuvent être établis qu’à l’époque du versement des salaires par l’employeur ; que si des arriérés de salaire sont dus, l’employeur n’est tenu qu’à l’établissement d’un bulletin récapitulatif à hauteur des sommes qu’il doit verser à ce titre, à la date de leur versement ; que le salarié fait état d’une retenue indue de 994, 623 € au titre de la remise en état d’un véhicule, de sommes figurant sur les bulletins de salaire et qui ne lui auraient pas été versées contrairement à ce que prétend l’employeur ainsi que d’un avantage en nature qui ne figurerait plus sur les bulletins de salaire ; qu’il ne demande pas toutefois le paiement par l’employeur d’arriérés de salaire à ce titre, sa réclamation afin de remise par l’employeur de bulletins de paie rectifiés ne pouvant être analysée en ce sens ; que l’appelant invoque également une demande d’explication de l’administration fiscale mais n’allègue pas un préjudice à cet égard ; qu’en tout état de cause, au vu des pièces produites et des explications des parties, étant précisé que la traduction des pièces par un traducteur juré n’est pas une obligation à peine d’irrecevabilité des documents en cause, il apparaît que les bulletins de salaire fournis au salarié étaient conformes au montant des sommes versées et qui lui étaient dues ; qu’il convient donc de rejeter les demandes formées de ce chef par le salarié » (arrêt, p.7, 8 et 9) ;

ALORS 1°) QUE : le détachement d’un salarié suppose que l’employeur ait préalablement conclu avec ce dernier un contrat de travail et que ce pouvoir de contrôle et de direction persiste durant cette période ; qu’en se bornant à relever, pour dire que la Société TAKEUCHI MANUFACTORING CO. LTD est l’employeur de Monsieur Z..., qui a été détaché en FRANCE auprès de sa filiale, la Société Y... FRANCE, et dire bien fondé le licenciement pour refus de rentrer au Japon, que le curriculum vitae du salarié établi le 1er décembre 1999 mentionne une adresse au Japon, qu’il a signé un engagement d’honneur auprès de la société mère et qu’il lui a rendu compte de ses activités, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’existence d’un contrat de travail avant le prétendu détachement de Monsieur Z..., ni a fortiori la persistance d’une telle relation durant la période de détachement, a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 121-1 alinéa 1er du code du travail (devenu l’article L.1221-1) ;

ALORS 2°) QUE : le contrat de travail à durée indéterminée peut être verbal ; qu’en relevant, pour dire que seule la Société TAKEUCHI MANUFACTORING CO. LTD est l’employeur de Monsieur Z..., que ce dernier n’a pas conclu de contrat écrit avec la Société Y... FRANCE, la cour d’appel a derechef violé l’article L. 121-1 alinéa 1er du code du travail (devenu l’article L.1221-1).

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Monsieur X... de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

AUX MOTIFS ADOPTES QU’ : « aucun des éléments avancés par le demandeur n’est de nature à faire présumer l’existence de faits de harcèlement qui ne sauraient se déduire de la circonstance que la SAS Y... France ait décidé de révoquer l’ordre de virement pour le règlement du loyer du domicile français du salarié en considération du départ vers le Japon qu’elle et la société mère entendaient lui imposer ; que Monsieur X... sera donc débouté de sa demande à ce titre » (jugement, p.6 et 7) ;

ET AUX MOTIFS PROPRES QUE : « le salarié fait état de multiplication des correspondances de l’employeur à son encontre pour maintenir une pression, en faisant feu de toute part ; qu’il a dû être soigné pour une dépression et que son épouse a également souffert de cette situation ; que le harcèlement dont il a été victime avec sa famille est caractérisé ; qu’il convient de relever que la cour doit s’en tenir à l’examen de la situation du salarié à cet égard au regard des dispositions des articles 1152-1 et 1152-2 du code du travail ; que compte tenu du conflit né entre les parties quant au départ du salarié au Japon, il ne peut être reproché à l’employeur les courriers adressés à celui-ci dans ce cadre dès lors que chacune des parties défendait sa position ; qu’au vu de l’ensemble des éléments produits, il n’est pas établi des faits qui permettre de présumer l’existence d’un harcèlement, conformément aux dispositions de l’article L.1154-1 du code du travail » (arrêt, p.7) ;

ALORS 1°) QUE : la cour d’appel a expressément relevé que le harcèlement dont Monsieur Z... a été victime avec sa famille est caractérisé (arrêt, p.7, 2ème paragraphe) ; qu’en le déboutant de sa demande de dommages-intérêts, la cour d’appel a violé les articles L. 122-49 alinéa 1er et L.122-52 du code du travail devenus les articles L.1152-1 et L.1154-1 du même code ;

ALORS 2°) QUE : le conflit opposant un salarié à son employeur n’exonère pas ce dernier de la responsabilité qu’il encourt à raison des faits de harcèlement moral qu’il a commis à l’égard de ce salarié ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L 122-49 du code du travail, devenu l’article L 1152-1 du même code.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Monsieur X... de sa demande en rectification de ses bulletins de salaires, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

AUX MOTIFS QUE : « il n’y a pas lieu d’ordonner la production d’une attestation destinée à l’Assedic et d’un certificat de travail rectifiés concernant la désignation de l’employeur compte tenu de ce qui précède ; que les bulletins de salaire ne peuvent être établis qu’à l’époque du versement des salaires par l’employeur ; que si des arriérés de salaire sont dus, l’employeur n’est tenu qu’à l’établissement d’un bulletin récapitulatif à hauteur des sommes qu’il doit verser à ce titre, à la date de leur versement ; que le salarié fait état d’une retenue indue de 994, 623 euros au titre de la remise en état d’un véhicule de sommes figurant sur les bulletins de salaire et qui ne lui auraient pas été versées contrairement à ce que prétend l’employeur ainsi que d’un avantage en nature qui ne figurait plus sur les bulletins de salaire ; qu’il ne demande pas toutefois le paiement par l’employeur d’arriérés de salaire à ce titre, sa réclamation afin de remise par l’employeur de bulletins de paie rectifiés ne pouvant être analysée en ce sens ; que l’appelant invoque également une demande d’explication de l’administration fiscale mais n’allègue pas un préjudice à cet égard, qu’en tout état de cause, au vu des pièces produites et des explications des parties, étant précisé que la traduction des pièces par un traducteur juré n’est pas une obligation à peine d’irrecevabilité des documents en cause, il apparaît que les bulletins de salaire fournis au salarié étaient conformes au montant des sommes versées et qui lui étaient dues » (arrêt, p.9) ;

ALORS QUE dans ses écritures délaissées (conclusions d’appel, p.13), Monsieur Z... expliquait qu’à compter du mois de décembre 2003, ses bulletins de salaire ne mentionnaient plus le montant de l’avantage en espèces consistant en la prise en charge par son employeur de ses loyers d’habitation ; qu’il en déduisait exactement que cette omission avait des incidences sur ses droits, notamment au regard de l’indemnisation au titre du chômage ou de la retraite ; qu’en affirmant que ses bulletins de salaires étaient conformes aux sommes versées sans répondre à ce moyen péremptoire, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 21 mai 2008