Obligation de vérification par donneur d’ordre - QPC posée par Conseil d’Etat

Conseil d’État

N° 389745

ECLI:FR:CESSR:2015:389745.20151023

Inédit au recueil Lebon

1ère / 6ème SSR

M. Yannick Faure, rapporteur

M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public

SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR, avocat(s)

lecture du vendredi 23 octobre 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par des mémoires, enregistrés les 24 juillet et 2 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération des promoteurs immobiliers demande au Conseil d’Etat, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de sa requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2015-364 du 30 mars 2015 relatif à la lutte contre les fraudes au détachement de travailleurs et à la lutte contre le travail illégal, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 4231-1 et L. 8281-1 du code du travail.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

"-" la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1.

"-" l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

"-" les articles L. 4231-1 et L. 8281-1 du code du travail ;

"-" la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 ;

"-" le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

"-" le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,

"-" les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la Fédération des promoteurs immobiliers ;

1. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : “ Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (...) “ ; qu’il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

En ce qui concerne l’article L. 4231-1 du code du travail :

2. Considérant que cet article, introduit dans le code du travail par l’article 4 de la loi du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, dispose que : “ Tout maître d’ouvrage ou tout donneur d’ordre, informé par écrit, par un agent de contrôle mentionné à l’article L. 8271-1-2 du présent code, du fait que des salariés de son cocontractant ou d’une entreprise sous-traitante directe ou indirecte sont soumis à des conditions d’hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine, mentionnées à l’article 225-14 du code pénal, lui enjoint aussitôt, par écrit, de faire cesser sans délai cette situation. / A défaut de régularisation de la situation signalée, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre est tenu de prendre à sa charge l’hébergement collectif des salariés, dans des conditions respectant les normes prises en application de l’article L. 4111-6 du présent code (...) “ ;

3. Considérant que ces dispositions sont applicables au litige ; qu’elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu’ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

En ce qui concerne l’article L. 8281-1 du code du travail :

4. Considérant que cet article, également issu de l’article 4 de la loi du 10 juillet 2014, prévoit notamment que le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre, informé par un agent de contrôle d’une infraction aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles applicables au salarié d’un sous-traitant direct ou indirect dans certaines matières, “ enjoint aussitôt, par écrit, à ce sous-traitant de faire cesser sans délai cette situation “ et, en l’absence de réponse de ce dernier à cette injonction, “ informe aussitôt l’agent de contrôle “ ; que le dernier alinéa de cet article dispose que : “ Pour tout manquement à ses obligations d’injonction et d’information mentionnées au présent article, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre est passible d’une sanction prévue par décret en Conseil d’Etat “ ; que la Fédération des promoteurs immobiliers soutient qu’en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer la nature de cette sanction, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence et ainsi porté atteinte au principe de nécessité des peines ;

5. Considérant, toutefois, qu’en se bornant ainsi à prévoir que la sanction d’une méconnaissance de l’obligation qu’il fait peser sur le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre sera déterminée par le pouvoir réglementaire, le législateur ne peut qu’être regardé comme ayant entendu que la sanction en cause soit de la nature de celles que le pouvoir réglementaire a entièrement compétence pour instituer et n’a nullement habilité ce même pouvoir réglementaire à établir une sanction qui relèverait du domaine de la loi ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence en procédant à un renvoi au pouvoir réglementaire insuffisamment encadré ne peut qu’être écarté ; que, par ailleurs, les dispositions des articles R. 8281-1, R. 8281-3 et R. 8282-1 du code du travail, qui présentent un caractère réglementaire, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité ; qu’ainsi, sans qu’il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article L. 8281-1 du code du travail portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

D E C I D E :

Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération des promoteurs immobiliers en tant qu’elle est dirigée contre l’article L. 8281-1 du code du travail.

Article 2 : La question de la conformité à la Constitution de l’article L. 4231-1 du code du travail est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de la Fédération des promoteurs immobiliers jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des promoteurs immobiliers et à la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera adressée au Premier ministre.