Salarié intérimaire détaché - solidarité financière oui

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 novembre 2020, 18-25.596, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale

N° de pourvoi : 18-25.596
ECLI:FR:CCASS:2020:SO00993
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mercredi 04 novembre 2020
Décision attaquée : Cour d’appel de Caen, du 26 juillet 2018

Président
M. Cathala (président)
Avocat(s)
SCP Foussard et Froger, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Spinosi et Sureau
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

IK

COUR DE CASSATION


Audience publique du 4 novembre 2020

Rejet

M. CATHALA, président

Arrêt n° 993 FS-D

Pourvoi n° U 18-25.596

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. R....
Admission du bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 9 août 2019.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 NOVEMBRE 2020

La société Welbond armatures, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° U 18-25.596 contre l’arrêt rendu le 26 juillet 2018 par la cour d’appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Atlanco Limited, dont le siège est [...],

2°/ à M. E... R..., domicilié au cabinet de M. I... H..., [...] ,

3°/ à la société Bouygues travaux publics, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Welbond armatures, de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. R..., de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société Bouygues travaux publics, et l’avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l’audience publique du 16 septembre 2020 où étaient présents M. Cathala, président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Pécaut-Rivolier, Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Joly, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Caen, 26 juillet 2018), M. R..., de nationalité polonaise et domicilié en Pologne, a, avec d’autres salariés, été mis à disposition de la société Welbond armatures par la société de travail temporaire Atlanco Limited, entreprise de droit chypriote (la société Atlanco), entre le mois de mars 2010 et le mois de juin 2011, pour exercer une activité salariée sur le chantier de construction d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération sur le site de Flamanville.

2. L’institution compétente de l’État chypriote, sur le territoire duquel est situé le siège de l’employeur, a retiré les certificats E101 et A1 qu’elle avait précédemment délivrés pour les salariés.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Welbond armatures fait grief à l’arrêt d’allouer au salarié une indemnité forfaitaire de travail dissimulé, de dire que la solidarité financière des sociétés utilisatrices est engagée au titre du travail dissimulé et de la condamner in solidum avec la société Atlanco et la société Bouygues travaux publics à payer au salarié l’indemnité pour travail dissimulé, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ni rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que pour justifier de la régularité de l’affiliation auprès des organismes de sécurité sociale chypriotes faite par la société Atlanco des salariés qu’elle avait mis à disposition de la société Welbond armatures en France, cette dernière faisait valoir qu’en application de l’article 13 § 1 du règlement CE n° 883/2004, les salariés dont l’activité est exercée de manière alternante dans deux ou plusieurs États membres sont rattachés à la législation de sécurité sociale de l’État où son employeur a son siège social ; que pour établir que les salariés étaient en situation d’alternance, elle se prévalait des stipulations du contrat de travail liant les salariés à la société Atlanco qu’elle versait aux débats, qui prévoyait que pendant la relation de travail, l’employé peut être amené à travailler sur des sites de différents clients d’Atlanco dans l’Union européenne ; qu’en affirmant que la société utilisatrice est dans l’incapacité de faire la preuve du travail en alternance des travailleurs polonais dans d’autres pays de l’Union européenne, sans examiner ni même viser les clauses du contrat de travail conclu entre la société Atlanco et ces salariés, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Les dispositions du titre II du règlement (CEE) n° 1408/71, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CE) n° 592/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, et du titre II du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale constituent un système complet et uniforme de règles de conflit de lois dont le but est de soumettre les travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union européenne au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités (CJCE, 24 mars 1994, Van Poucke/Rijksinstituut voor de Sociale Verzekeringen der Zelfstandigen e.a., C-71/93, point 22 ; CJCE, 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 20).

6. Ce système repose sur le principe de coopération loyale qui impose à l’institution de sécurité sociale compétente de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents pour l’application des règles relatives à la détermination de la législation applicable et, partant de garantir l’exactitude des mentions figurant dans le certificat délivré (CJCE, 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 51).

7. Ce principe implique également celui de confiance mutuelle (CJUE, 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, point 40).

8. Selon les articles 13 § 2, sous a), du règlement n° 1408/71 et 11 § 3, sous a), du règlement n° 883/2004, la règle générale est celle de l’application de la législation de l’État d’exercice de l’activité salariée.

9. Il résulte de l’article 14, point 1, sous a), et point 2, du règlement n° 1408/71 et des articles 12 § 1 et 13 § 1 du règlement n° 883/2004 que font exception à cette règle, les situations de travail détaché et d’exercice normal d’une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres.

10. Conformément à l’article 14, point 1, sous a) du règlement n° 1408/71, aux articles 11 § 1 et 12 bis, point 1, sous b), du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71, tel que modifié par le règlement (CE) n° 120/2009 de la Commission, du 9 février 2009, à l’article 12 §1 du règlement n° 883/2004, aux articles 15 § 1 et 16 § 2 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004, l’institution désignée vérifie si une situation de détachement est caractérisée en sorte que la législation applicable est celle de l’État membre de cette institution ou détermine, dans une situation d’exercice d’une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres, quelle est la législation applicable.

11. Cette institution est, dans le cas d’une situation de détachement, celle de l’État où l’employeur exerce normalement son activité.

12. Dans le cas d’une situation d’exercice d’une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres, ladite institution est celle de l’État membre de résidence de la personne concernée.

13. Selon les articles 11 § 1, 12 bis, points 2 et 4, du règlement n° 574/72, l’article 19 § 2 du règlement n° 987/2009, à la demande de la personne concernée ou de l’employeur, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable atteste, par la délivrance de certificats E101/A1, que cette législation est applicable.

14. Il résulte des textes précités que la caractérisation de situations de détachement ou d’exercice d’une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres au sens des règlements de coordination ressort uniquement à la compétence soit de l’institution compétente de l’État membre dans lequel l’employeur exerce normalement son activité, dans le cas où une situation de détachement est alléguée, soit, dans le second cas, de l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre de résidence.

15. Le système complet et uniforme de conflit de lois ainsi institué par les titres II des règlements de coordination, en l’absence de fraude et lorsque État membre de résidence et État membre où est exercée l’activité salariée ne coïncident pas, ne confère aux institutions compétentes de ce dernier État ou à ses juridictions nationales aucune compétence pour procéder à une telle caractérisation afin de retenir l’application d’une loi autre que celle de cet État.

16. Dès lors, en l’absence de certificat E101/A1 résultant d’un refus de délivrance ou d’un retrait par l’institution compétente, seule trouve à s’appliquer la législation de l’État membre où est exercée l’activité salariée.

17. Il en résulte que, après avoir constaté que le salarié employé par la société Atlanco et mis à disposition de la société Welbond armatures exerçait une activité salariée sur le territoire français, à Flamanville, et que les certificats A1/E101 délivrés par l’institution compétente chypriote avaient été retirés, la cour d’appel a exactement retenu que ce salarié était soumis à la législation française.

18. D’où il suit que le moyen n’est pas fondé.

Sur le troisième moyen

Énoncé du moyen

19. La société Welbond armatures fait grief à l’arrêt de dire que la solidarité financière des sociétés utilisatrices est engagée au titre du travail dissimulé et de la condamner, ainsi que la société Bouygues travaux publics, in solidum avec la société Atlanco, à payer au salarié l’indemnité pour travail dissimulé, alors :

« 1°/ que, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, l’article L. 8222-5 du code du travail qui disposait que ’’[l]e maître de l’ouvrage ou le donneur d’ordre, informé par écrit par un agent de contrôle mentionné à l’article L. 8271-7 ou par un syndicat ou une association professionnels ou une institution représentative du personnel, de l’intervention d’un sous-traitant ou d’un subdélégataire en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 enjoint aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai cette situation. A défaut, il est tenu solidairement avec son cocontractant au paiement des impôts, taxes, cotisations, rémunérations et charges mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 8222-2, dans les conditions fixées à l’article L. 8222-3’’, ne visait que l’hypothèse de la sous-traitance dans laquelle un sous-traitant est en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, imposant au donneur d’ordre de mettre en demeure son co-contractant direct de faire cesser cette situation ; qu’en jugeant ce texte applicable dans le cas où une entreprise de travaux a recours aux services d’une entreprise de travail temporaire en situation irrégulière au regard de ces textes, la cour d’appel a violé l’article L. 8222-5 du code du travail dans sa version applicable aux faits de l’espèce, par fausse application ;

2°/ que l’article L. 8222-5 du code du travail impose au donneur d’ordre, informé par écrit par un agent de contrôle de l’intervention d’un sous-traitant ou d’un subdélégataire en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5, d’enjoindre aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai cette situation, à défaut de quoi il est tenu solidairement avec son cocontractant du paiement des impôts, taxes, cotisations, rémunérations et charges mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 8222-2, dans les conditions fixées à l’article L. 8222-3 ; qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt que suite au courrier de l’ASN du 25 mai 2011 interpellant la société utilisatrice Welbond armatures sur l’absence de déclaration de détachement pour certains salariés mis à sa disposition par la société Atlanco et sur les formulaires intitulés E101, E102 ou A1 qui étaient, soit échus et non renouvelés, soit n’avaient jamais été délivrés, la société Welbond armatures avait aussitôt, par courrier du 31 mai 2011, sommé la société d’intérim Atlanco de lui communiquer par retour de courrier, à peine de suspension de la relation contractuelle, les formulaires E101 ou A1 lorsqu’il s’agissait de renouvellement ainsi que la copie de déclaration de détachement auprès de la DDTEP ; qu’en déclarant néanmoins la société Welbond armatures solidairement tenue des condamnations prononcées à l’encontre de la société Atlanco reconnue l’auteur de travail dissimulé sur le fondement de l’article L. 8222-5 du code du travail au motif qu’elle avait continué à faire travailler les salariés jusqu’au 24 juin 2011 malgré l’injonction de l’ASN du 25 mai 2011 et sa vaine sommation adressée le 31 mai 2011 à la société Atlanco, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l’article L. 8222-5 du code du travail par fausse application ;

3°/ que, en affirmant que la société Welbond armatures avait fait appel à une société basée à Chypre dont le taux de cotisation patronale était bien en-deçà de celui pratiqué en France, la cour d’appel s’est fondée sur un motif radicalement inopérant, impropre à justifier sa solidarité financière avec la société Atlanco, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article L. 8222-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

20. Aux termes de l’article L. 8222-5, alinéas 1 et 2, du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, le maître de l’ouvrage ou le donneur d’ordre, informé par écrit par un agent de contrôle mentionné à l’article L. 8271-7 ou par un syndicat ou une association professionnels ou une institution représentative du personnel, de l’intervention d’un sous-traitant ou d’un subdélégataire en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 enjoint aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai cette situation. À défaut, il est tenu solidairement avec son cocontractant au paiement des impôts, taxes, cotisations, rémunérations et charges mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 8222-2, dans les conditions fixées à l’article L. 8222-3.

21. Sont mentionnées, à l’article L. 8222-2, 3°, du code du travail les rémunérations, les indemnités et les charges dues par celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, à raison de l’emploi de salariés n’ayant pas fait l’objet de l’une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche, et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie.

22. Ces articles L. 8222-2 et L. 8222-5 du code du travail figurent dans le chapitre de ce code intitulé « Obligations et solidarité financière des donneurs d’ordre et des maître d’ouvrage » qui instaure, par les dispositions qu’il prévoit, au bénéfice du Trésor, des organismes de sécurité sociale et des salariés, une garantie de l’ensemble des créances dues par l’employeur qui exerce un travail dissimulé à la charge des personnes qui recourent aux services de celui-ci afin de prémunir ces créanciers du risque d’insolvabilité du débiteur principal.

23. Il résulte de l’objet et de l’économie desdites dispositions que ce mécanisme de garantie est applicable aux créances indemnitaires pour travail dissimulé des salariés employés par des entreprises de travail temporaire.

24. Aussi, les articles L. 8222-2, 3°, et L. 8222-5, alinéas 1 et 2, du code du travail, doivent être interprétés en ce sens qu’il appartient à l’entreprise utilisatrice, informée de l’intervention de salariés, employés par une entreprise de travail temporaire, en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 de ce code, d’enjoindre aussitôt à celle-ci de faire cesser sans délai cette situation. À défaut, elle est tenue solidairement avec l’entreprise de travail temporaire au paiement des indemnités pour travail dissimulé.

25. Après avoir constaté que la société Welbond armatures, informée le 25 mai 2011 de l’intervention de la société Atlanco en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, s’est abstenue, en l’absence de certificats A1/E101, de lui enjoindre aussitôt de faire cesser cette situation en accomplissant les formalités prescrites par ces articles, la cour d’appel a exactement retenu que la société Welbond armatures était solidairement tenue, avec la société Atlanco, au paiement au salarié de l’indemnité pour travail dissimulé.

26. D’où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche qui critique des motifs surabondants, n’est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Welbond armatures aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Welbond armatures

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la société Atlanco avait effectué du travail dissimulé à l’encontre de M. E... R... et lui a alloué une indemnité forfaitaire de travail dissimulé, d’AVOIR, infirmant le jugement entrepris, dit que la solidarité financière des sociétés utilisatrices est engagée au titre du travail dissimulé et condamné la société Atlanco, la société Bouygues Travaux Publics et la société Welbond Armatures in solidum avec la société Atlanco à payer à M. E... R... l’indemnité pour travail dissimulé ainsi qu’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel

AUX MOTIFS PROPRES QUE « La société de travail temporaire, dénommée Atlanco Limited, qui a fixé son siège social à Chypre (étant précisé ici que la société holding éponyme est en Irlande) a mis, par des contrats de mission, des salariés de nationalité polonaise, à la disposition de deux sociétés françaises qui intervenaient pour le compte du maître d’ouvrage EDF, sur le chantier du réacteur nucléaire de type EPR de Flamanville, dans la Manche soit :
 16 salariés pour la société Bouygues Travaux Publics SA, filiale du groupe spécialisé dans le génie civil ;
 46 salariés pour la société Welbond Armatures SAS, spécialisée dans la pose et le coffrage d’armatures métalliques pour béton armé dont le demandeur ; ce, à compter de mars 2010 jusqu’à fin juin 2011.
En mai 201l, un conflit social a éclaté sur la situation de ces salariés qui, avec le soutien de divers syndicats, ont fait part de leurs inquiétudes concernant leur couverture sociale et de déductions inexpliquées sur leurs bulletins de paie, ce qui a conduit à des contrôles de la part de :
 l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) qui fait fonction d’inspection du travail sur le site qui, a interpellé, par courrier des 25 mai réitéré le 20 juin 2011, la société d’intérim et les sociétés utilisatrices sur l’absence de déclarations de détachement pour certains salariés et sur les formulaires intitulés E l01, E 102 ou Al qui étaient, soit échus et non renouvelés, soit n’avaient jamais été délivrés ;
 L’URSSAF, qui par courrier du 20 juin 2011, a sommé, également les sociétés utilisatrices de régulariser la situation de travail illégal au risque d’engager leur solidarité financière.
Chaque société utilisatrice, le 31 mai 201l pour la société Welbond Armatures, a sommé par courrier réitéré la société intérim de lui communiquer une liste de documents administratifs dans un délai impératif à peine de suspension de la relation contractuelle, le 25 juin 2011.
A l’issue d’échanges écrits, les sociétés utilisatrices ont rompu la relation contractuelle à la fin du mois de juin 2011 et les salariés ont été renvoyés dans leur pays d’origine »

ET AUX MOTIFS PROPRES QUE « Les salariés appelants reprochent à la société Atlanco de n’avoir pas respecté la législation européenne sur le détachement des travailleurs intérimaires, de s’être soustraite à son obligation de s’immatriculer en France malgré l’ activité permanente, habituelle et essentielle qu’elle y déployait et demandent à la cour de dire que c’est la législation française qui était applicable, que la société Atlanco s’est rendue coupable de travail dissimulé, que le montage juridique par lequel la société Atlanco a mis son personnel polonais à disposition des sociétés utilisatrices sur le site de Flamanville constitue une opération de prêt de main d’oeuvre illicite et un délit de marchandage et que les sociétés utilisatrices sont solidairement responsables de ces trois infractions.
Les sociétés utilisatrices plaident pour l’essentiel que les salariés polonais ne relèvent pas des règles régissant le détachement d’un salarié par un Etat membre de la Communauté européenne avec assujettissement au régime de sécurité sociale du lieu de travail soit la France mais de celles relatives aux salariés exerçant des activités alternantes dans au moins deux Etats membres de sorte que c’est la législation de l’Etat membre chypriote sur lequel la société Atlanco a son siège qui s’applique tout comme au regard du droit du travail eu tant que loi du pays où est situé le siège. Par ailleurs, les sociétés utilisatrice estiment avoir accompli toutes les obligations liées à leur devoir de vigilance.
Relevant que la condamnation pénale des sociétés utilisatrices n’est pas définitive et n’a donc pas autorité de la chose jugée du pénal sur le civil, la cour estime qu’il n’est pas pertinent de s’attacher à l’argumentation développée par les salariés sur ce terrain, étant ajouté que la démarche probatoire diffère, le ministère public étant tenu de caractériser les infractions imputées aux personnes morales poursuivies alors qu’il incombe, en matière prud’homale, aux salariés appelants de faire la preuve tant en droit qu’en fait de leurs demandes indemnitaires.
Sur le travail dissimulé
Le code du travail prohibe le travail dissimulé par :
 dissimulation d’activité de l’article L. 8221-3 qui réprime l’exercice à but lucratif d’une activité de transformation ou de prestation de services sans immatriculation volontaire au registre du commerce ou sans déclaration aux organismes de protection sociale ;
 par dissimulation d’emploi salarié de I’ article L. 8221-5 par soustraction intentionnelle à l’une des formalités telle que la déclaration préalable à l’embauche.
Pour déterminer le cadre régissant les relations des parties, la cour se réfère au contrat d’emploi signé avec la société Atlanco, le 10 septembre 2009 par la société Welbond Armatures et le 31 mars 2010 par la société Bouygues T.P, en des termes quasi-identiques.
La société Atlanco, qui se présente comme une agence internationale d’intérim dont le siège social est situé à Chypre et dont l’activité consiste à engager des travailleurs et à les mettre à disposition de clients sur différents projets dans l’Union européenne, a donc conclu un contrat d’emploi de personnel intérimaire pour faire face à un accroissement temporaire d’activité, étant précisé que le motif de recours à un contrat d’intérim n’est pas en litige.
Ces contrats d’emploi qui fixent très précisément les droits et obligations respectives des parties indiquent très clairement que les salariés sont en détachement, en définissant cette notion dans l’en-tête du contrat et en annexant un modèle type du contrat souhaité ce qui éclaire d’un tout autre jour voire rend vaines les protestations des salariés, consultation juridique à l’appui, du détachement des salariés.
L’article 6 du contrat commercial stipule que "concomitamment par Atlanco du contrat de détachement et en tout état de cause, avant qu’un travailleur intérimaire puisse rentrer sur le site de Flamanville, Atlanco fournira les documents suivants :" au nombre desquels figurent une copie et sa traduction de la demande de protection sociale (formulaire E 101-formulaire de demande) avec accusé de réception des autorités légales, auprès desquelles elle aura été déposée, devra être fournie à la société utilisatrice, ainsi qu’une copie de la demande acceptée dudit formulaire dès réception par la société intérimaire.
La société utilisatrice exige expressément de la société intérimaire qu’elle lui fournisse une information écrite et motivée, à défaut de réception dans un délai de 4 semaines de la demande de protection sociale acceptée par les autorités légales concernées. La société utilisatrice rappelle à la société d’intérim qu’en cas de non-respect d’une des conditions, le contrat de détachement ne sera pas signé par la société utilisatrice et elle indique plus loin que l’entreprise de travail intérimaire devra lui remettre les documents nécessaires à l’exercice légal de l’activité des salariés eu France sur simple demande.
Il est constant que la société Atlanco a choisi de solliciter des autorités chypriotes des certificats E 101 sur la base de l’article 14.2.b du Règlement CEE n°1408/171 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté.
Il est admis que l’opposabilité de ces certificats E 101 empêche de contester leur validité et donc le rattachement des travailleurs concernés à la législation ou au régime de protection du pays d’envoi.
Mais il ressort des contrôles conjoints de l’ASN et de l’URSSAF concernant les salariés appelants, et en particulier le procès-verbal dressé par l’ASN le 22 décembre 201l, que soit il n’y avait jamais eu de délivrance de formulaires soit lesdits formulaires étaient périmés, alors que les missions avaient été prolongées.

Il est également acquis que le CLEISS, autorité officielle habilitée à diligenter les procédures de retrait des formulaires, a fait une démarche en ce sens le 5 juillet 201l auprès des autorités chypriotes qui a abouti à un retrait de tous les certificats ab initio ce qui met à néant les déclarations effectuées.
La défaillance de la société Atlanco devant la cour d’appel ne lui permet plus de défendre et de justifier de la régularité de son rattachement au droit de la sécurité sociale chypriote notamment par la justification du travail en alternance des travailleurs polonais dans d’autres pays de l’Union Européenne, les sociétés utilisatrices étant dans l’incapacité de faire cette preuve.
Par voie de conséquence, faute de justifier du rattachement des travailleurs intérimaires à Chypre, la société Atlanco se devait de respecter la législation française exigeant son immatriculation au registre du commerce français, la déclaration par l’employeur des salariés auprès des organismes de protection sociale, le défaut d’accomplissement de ces diligences, avéré en l’espèce, étant constitutif du travail dissimulé.
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que la société d’intérim était en situation de travail dissimulé et l’a condamnée à payer à chaque salarié concerné l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire, prévue en la matière.
 Sur la solidarité financière
Les sociétés utilisatrices ne peuvent pas remettre en cause les constatations des agents de l’ASN qui se sont déplacés sur le site les 10 et 11 mai 2011 qui ont relevé le défaut de formulaire E 101 en cours de validité.
La cour relève qu’à la suite d’un précédent contrôle le 28 avril 2009 concernant une autre société d’intérim, la société Bouygues s’était engagée à tenir un tableau de suivi des formulaires E 101, E 102 ou A 1. La société Welbond Armatures avait été tenue informée du problème.
Force est de constater qu’en contravention avec les stipulations des contrats d’emploi sur l’exigence de demandes de tels formulaires avant l’entrée sur le site et de leur acceptation au plus tard 4 semaines après, les sociétés utilisatrices ont continué à faire intervenir les salariés sur le chantier jusqu’à la rupture du 24 juin 2011 alors que leur situation n’était pas régularisée malgré l’injonction de l’ASN donnée dès le 25 mai 2011 de le faire "dans les plus brefs délais" et malgré la vaine sommation adressée le 31 mai 2011 à la société Atlanco de lui adresser par retour de courrier les formulaires E l01 ou A1 lorsqu’il s’agissait de renouvellement ainsi que la copie de la déclaration de détachement auprès de la DDTEP.
Ce n’est qu’à réception du courrier de l’ASN leur rappelant à la fois, son contrôle des 10 et 11 mai, son courrier du 25 mai et son nouveau contrôle conjoint avec l’URSSAF du 7 juin 2011, lequel a mis à jour de nouvelles irrégularités à savoir le fait que les salariés employés par Atlanco présents sur le chantier ne possédaient ni contrats de mission ni formulaire E 101 E 102 ou Al en cours de validité et dire la situation de travail dissimulé avérée.

La cour ne porte pas de jugement sur la réalité des efforts faits par les deux sociétés utilisatrices pour recruter du personnel qualifié en France mais constate qu’elles ont fait appel à une société basée à Chypre dont le taux de cotisation patronale était bien en-deçà de celui pratiqué en France.
Ces circonstances conduisent à retenir la solidarité financière des sociétés utilisatrices prévue par
L’article L 8222-5 du code du travail et à infirmer le jugement de ce chef »

ET AUX MOTIFS A LES SUPPOSER ADOPTES QUE « La société ATLANCO LTD est bien une entreprise de travail temporaire exerçant sur le territoire Chypriote, détachant des salariés sur différents chantiers dans différents pays Européens. Elle a régulièrement inscrit ses salariés aux organismes de sécurité sociale Chypriote et en a payé régulièrement les cotisations sociales à ces mêmes autorités.
Le règlement CE n °88312004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de Sécurité Sociale stipule notamment :
Article 12-1 : la personne qui exerce une activité salariée dans un Etat membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre Etat membre, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne.
Article 13-1 b) : la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l’Etat membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur qui l’emploie à son siège ou son domicile, si la personne n’exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l’Etat membre de résidence.
Article 14-2 : aux fins de l’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement de base, les termes « y exerçant normalement ses activités » désignent un employeur qui exerce généralement des activités substantielles autres que des activités de pure administration interne sur le territoire de l’Etat membre dans lequel il est établi. Ce point est déterminé en tenant compte de tous les facteurs caractérisant les activités de l’entreprise en question ; les facteurs pertinents doivent être adaptés aux caractéristiques propres de chaque employeur et la nature réelle des activités exercées.
Ensuite le règlement CEE n°1408/171 du Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS), mise à jour en juillet 2008, stipule notamment :
Article 14-1 a) : la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise
sur le territoire d’un autre Etat membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement.
Ce règlement CLEISS est repris dans le règlement CE n°987 /2009 du Parlement Européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement CE n° 883/2004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de Sécurité Sociale stipule notamment :
Art 14-10 : Pour déterminer la législation applicable au titre des paragraphes 7 et 8, les institutions concernées tiennent compte de la situation future prévue pour les 12 mois civils à venir.
Art 97 : le présent règlement est publié au journal officiel de l’Union Européenne. Il entre en vigueur le 1er mai 2010.
Selon l’article L. 8221-5 du code du travail : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : au 3° alinéa : « soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assisses sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales ».
Dans le cas de travailleurs étrangers, la société ATLANCO LTD, devait fournir un formulaire E101 concernant le demandeur pour toute la durée de l’exécution de son contrat de travail. Or ce document a bien été fourni pour la période du 5/10/2010 au 4/10/2010, mais pas pour celle du 05/10/2009 au 14/11/10, alors qu’eu égard aux articles du droit Européen qui précèdent rien ne s’y opposait dans le principe.
En conséquence, l’intéressé n’a pu bénéficier d’une couverture sociale liée au document E101 sur la période du 5/10/2010 au 25/06/2011, quand bien même les cotisations sociales furent réglées aux organismes de sécurité sociale Chypriotes. Donc, à défaut, il aurait dû être déclaré à l’URSSAF en France pour cette même période. Sur ce dernier point précis, la législation Européenne n’a donc pas été respectée.
En conséquence ce non-respect constitue, au titre du droit français (paragraphe précédent), un travail dissimulé avéré pour ladite période »

ALORS QU’est un salarié détaché au sens de la Directive n° 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, tout salarié d’un employeur régulièrement établi et exerçant son activité hors de France et qui, travaillant habituellement pour le compte de celui-ci hors du territoire national, exécute son travail à la demande de cet employeur pendant une durée limitée sur le territoire national dans les conditions définies aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 du code du travail ; que la société Welbond faisait valoir que les salariés polonais mis à sa disposition par la société d’intérim Atlanco établie à Chypre n’étaient pas détachés au sens de la Directive dans la mesure où ils ne travaillaient pas habituellement sur le territoire d’un autre Etat-membre puisque leur activité est exercée dans toute l’Europe pour le compte des divers clients de la société Atlanco (conclusions d’appel de l’exposante p 24) ; qu’en se bornant à constater que le contrat d’emploi de personnel intérimaire conclu entre la société Atlanco et la société Welbond Armatures faisait état du « détachement » des salariés et définissait cette notion, lorsque le contrat se bornait à définir le « contrat de détachement » comme le « contrat conclu entre Atlanco et Welbond par lequel un travailleur intérimaire spécifique est détaché par Atlanco à Welbond pour exercer une tache afférente au métier de Welbond, sous la supervision et les instructions de Welbond » sans faire aucune référence à la Directive, la cour d’appel qui n’a pas caractérisé que les salariés étaient en détachement au sens de la Directive n° 96/71/CE du 16 décembre 1996, a privé sa décision de base légale au regard des articles L 1261-3 et L 1262-4 du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la société Atlanco avait effectué du travail dissimulé à l’encontre de M. E... R... et lui a alloué une indemnité forfaitaire de travail dissimulé, et d’AVOIR, infirmant le jugement entrepris, dit que la solidarité financière des sociétés utilisatrices est engagée au titre du travail dissimulé et condamné la société Atlanco, la société Bouygues Travaux Publics et la société Welbond Armatures in solidum avec la société Atlanco à payer à M. E... R... l’indemnité pour travail dissimulé ainsi qu’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel

AUX MOTIFS PROPRES QUE « La société de travail temporaire, dénommée Atlanco Limited, qui a fixé son siège social à Chypre (étant précisé ici que la société holding éponyme est en Irlande) a mis, par des contrats de mission, des salariés de nationalité polonaise, à la disposition de deux sociétés françaises qui intervenaient pour le compte du maître d’ouvrage EDF, sur le chantier du réacteur nucléaire de type EPR de Flamanville, dans la Manche soit :
 16 salariés pour la société Bouygues Travaux Publics SA, filiale du groupe spécialisé dans le génie civil ;
 46 salariés pour la société Welbond Armatures SAS, spécialisée dans la pose et le coffrage d’armatures métalliques pour béton armé dont le demandeur ; ce, à compter de mars 2010 jusqu’à fin juin 2011.
En mai 201l, un conflit social a éclaté sur la situation de ces salariés qui, avec le soutien de divers syndicats, ont fait part de leurs inquiétudes concernant leur couverture sociale et de déductions inexpliquées sur leurs bulletins de paie, ce qui a conduit à des contrôles de la part de :
 l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) qui fait fonction d’inspection du travail sur le site qui, a interpellé, par courrier des 25 mai réitéré le 20 juin 2011, la société d’intérim et les sociétés utilisatrices sur l’absence de déclarations de détachement pour certains salariés et sur les formulaires intitulés E l01, E 102 ou Al qui étaient, soit échus et non renouvelés, soit n’avaient jamais été délivrés ;
 L’URSSAF, qui par courrier du 20 juin 2011, a sommé, également les sociétés utilisatrices de régulariser la situation de travail illégal au risque d’engager leur solidarité financière.
Chaque société utilisatrice, le 31 mai 201l pour la société Welbond Armatures, a sommé par courrier réitéré la société intérim de lui communiquer une liste de documents administratifs dans un délai impératif à peine de suspension de la relation contractuelle, le 25 juin 2011.
A l’issue d’échanges écrits, les sociétés utilisatrices ont rompu la relation contractuelle à la fin du mois de juin 2011 et les salariés ont été renvoyés dans leur pays d’origine »

ET AUX MOTIFS PROPRES QUE « Les salariés appelants reprochent à la société Atlanco de n’avoir pas respecté la législation européenne sur le détachement des travailleurs intérimaires, de s’être soustraite à son obligation de s’immatriculer en France malgré l’ activité permanente, habituelle et essentielle qu’elle y déployait et demandent à la cour de dire que c’est la législation française qui était applicable, que la société Atlanco s’est rendue coupable de travail dissimulé, que le montage juridique par lequel la société Atlanco a mis son personnel polonais à disposition des sociétés utilisatrices sur le site de Flamanville constitue une opération de prêt de main d’oeuvre illicite et un délit de marchandage et que les sociétés utilisatrices sont solidairement responsables de ces trois infractions.
Les sociétés utilisatrices plaident pour l’essentiel que les salariés polonais ne relèvent pas des règles régissant le détachement d’un salarié par un Etat membre de la Communauté européenne avec assujettissement au régime de sécurité sociale du lieu de travail soit la France mais de celles relatives aux salariés exerçant des activités alternantes dans au moins deux Etats membres de sorte que c’est la législation de l’Etat membre chypriote sur lequel la société Atlanco a son siège qui s’applique tout comme au regard du droit du travail eu tant que loi du pays où est situé le siège. Par ailleurs, les sociétés utilisatrices estiment avoir accompli toutes les obligations liées à leur devoir de vigilance.
Relevant que la condamnation pénale des sociétés utilisatrices n’est pas définitive et n’a donc pas autorité de la chose jugée du pénal sur le civil, la cour estime qu’il n’est pas pertinent de s’attacher à l’argumentation développée par les salariés sur ce terrain, étant ajouté que la démarche probatoire diffère, le ministère public étant tenu de caractériser les infractions imputées aux personnes morales poursuivies alors qu’il incombe, en matière prud’homale, aux salariés appelants de faire la preuve tant en droit qu’en fait de leurs demandes indemnitaires.
Sur le travail dissimulé
Le code du travail prohibe le travail dissimulé par :

 dissimulation d’activité de l’article L. 8221-3 qui réprime l’exercice à but lucratif d’une activité de transformation ou de prestation de services sans immatriculation volontaire au registre du commerce ou sans déclaration aux organismes de protection sociale ;
 par dissimulation d’emploi salarié de I’ article L. 8221-5 par soustraction intentionnelle à l’une des formalités telle que la déclaration préalable à l’embauche.
Pour déterminer le cadre régissant les relations des parties, la cour se réfère au contrat d’emploi signé avec la société Atlanco, le 10 septembre 2009 par la société Welbond Armatures et le 31 mars 2010 par la société Bouygues T.P, en des termes quasi-identiques.
La société Atlanco, qui se présente comme une agence internationale d’intérim dont le siège social est situé à Chypre et dont l’activité consiste à engager des travailleurs et à les mettre à disposition de clients sur différents projets dans l’Union européenne, a donc conclu un contrat d’emploi de personnel intérimaire pour faire face à un accroissement temporaire d’activité, étant précisé que le motif de recours à un contrat d’intérim n’est pas en litige.
Ces contrats d’emploi qui fixent très précisément les droits et obligations respectives des parties indiquent très clairement que les salariés sont en détachement, en définissant cette notion dans l’en-tête du contrat et en annexant un modèle type du contrat souhaité ce qui éclaire d’un tout autre jour voire rend vaines les protestations des salariés, consultation juridique à l’appui, du détachement des salariés.
L’article 6 du contrat commercial stipule que "concomitamment par Atlanco du contrat de détachement et en tout état de cause, avant qu’un travailleur intérimaire puisse rentrer sur le site de Flamanville, Atlanco fournira les documents suivants " au nombre desquels figurent une copie et sa traduction de la demande de protection sociale (formulaire E 101-formulaire de demande) avec accusé de réception des autorités légales, auprès desquelles elle aura été déposée, devra être fournie à la société utilisatrice, ainsi qu’une copie de la demande acceptée dudit formulaire dès réception par la société intérimaire.
La société utilisatrice exige expressément de la société intérimaire qu’elle lui fournisse une information écrite et motivée, à défaut de réception dans un délai de 4 semaines de la demande de protection sociale acceptée par les autorités légales concernées. La société utilisatrice rappelle à la société d’intérim qu’en cas de non-respect d’une des conditions, le contrat de détachement ne sera pas signé par la société utilisatrice et elle indique plus loin que l’entreprise de travail intérimaire devra lui remettre les documents nécessaires à l’exercice légal de l’activité des salariés eu France sur simple demande.
Il est constant que la société Atlanco a choisi de solliciter des autorités chypriotes des certificats E 101 sur la base de l’article 14.2.b du Règlement CEE n°1408/171 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté.

Il est admis que l’opposabilité de ces certificats E 101 empêche de contester leur validité et donc le rattachement des travailleurs concernés à la législation ou au régime de protection du pays d’envoi.
Mais il ressort des contrôles conjoints de l’ASN et de l’URSSAF concernant les salariés appelants, et en particulier le procès-verbal dressé par l’ASN le 22 décembre 201l, que soit il n’y avait jamais eu de délivrance de formulaires soit lesdits formulaires étaient périmés, alors que les missions avaient été prolongées.
Il est également acquis que le CLEISS, autorité officielle habilitée à diligenter les procédures de retrait des formulaires, a fait une démarche en ce sens le 5 juillet 201l auprès des autorités chypriotes qui a abouti à un retrait de tous les certificats ab initio ce qui met à néant les déclarations effectuées.
La défaillance de la société Atlanco devant la cour d’appel ne lui permet plus de défendre et de justifier de la régularité de son rattachement au droit de la sécurité sociale chypriote notamment par la justification du travail en alternance des travailleurs polonais dans d’autres pays de l’Union Européenne, les sociétés utilisatrices étant dans l’incapacité de faire cette preuve.
Par voie de conséquence, faute de justifier du rattachement des travailleurs intérimaires à Chypre, la société Atlanco se devait de respecter la législation française exigeant son immatriculation au registre du commerce français, la déclaration par l’employeur des salariés auprès des organismes de protection sociale, le défaut d’accomplissement de ces diligences, avéré en l’espèce, étant constitutif du travail dissimulé.
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que la société d’intérim était en situation de travail dissimulé et l’a condamnée à payer à chaque salarié concerné l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire, prévue en la matière.
 Sur la solidarité financière
Les sociétés utilisatrices ne peuvent pas remettre en cause les constatations des agents de l’ASN qui se sont déplacés sur le site les 10 et 11 mai 2011 qui ont relevé le défaut de formulaire E 101 en cours de validité.
La cour relève qu’à la suite d’un précédent contrôle le 28 avril 2009 concernant une autre société d’intérim, la société Bouygues s’était engagée à tenir un tableau de suivi des formulaires E 101, E 102 ou A 1. La société Welbond Armatures avait été tenue informée du problème.
Force est de constater qu’en contravention avec les stipulations des contrats d’emploi sur l’exigence de demandes de tels formulaires avant l’entrée sur le site et de leur acceptation au plus tard 4 semaines après, les sociétés utilisatrices ont continué à faire intervenir les salariés sur le chantier jusqu’à la rupture du 24 juin 2011 alors que leur situation n’était pas régularisée malgré l’injonction de l’ASN donnée dès le 25 mai 2011 de le faire "dans les plus brefs délais" et malgré la vaine sommation adressée le 31 mai 2011 à la société Atlanco de lui adresser par retour de courrier les formulaires E l01 ou A1 lorsqu’il s’agissait de renouvellement ainsi que la copie de la déclaration de détachement auprès de la DDTEP.

Ce n’est qu’à réception du courrier de l’ASN leur rappelant à la fois, son contrôle des 10 et 11 mai, son courrier du 25 mai et son nouveau contrôle conjoint avec l’URSSAF du 7 juin 2011, lequel a mis à jour de nouvelles irrégularités à savoir le fait que les salariés employés par Atlanco présents sur le chantier ne possédaient ni contrats de mission ni formulaire E 101 E 102 ou Al en cours de validité et dire la situation de travail dissimulé avérée.
La cour ne porte pas de jugement sur la réalité des efforts faits par les deux sociétés utilisatrices pour recruter du personnel qualifié en France mais constate qu’elles ont fait appel à une société basée à Chypre dont le taux de cotisation patronale était bien en-deçà de celui pratiqué en France.
Ces circonstances conduisent à retenir la solidarité financière des sociétés utilisatrices prévue par
L’article L 8222-5 du code du travail et à infirmer le jugement de ce chef »

ET AUX MOTIFS A LES SUPPOSER ADOPTES QUE « La société ATLANCO LTD est bien une entreprise de travail temporaire exerçant sur le territoire Chypriote, détachant des salariés sur différents chantiers dans différents pays Européens. Elle a régulièrement inscrit ses salariés aux organismes de sécurité sociale Chypriote et en a payé régulièrement les cotisations sociales à ces mêmes autorités.
Le règlement CE n °88312004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de Sécurité Sociale stipule notamment :
Article 12-1 : la personne qui exerce une activité salariée dans un Etat membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre Etat membre, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne.
Article 13-1 b) : la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l’Etat membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur qui l’emploie à son siège ou son domicile, si la personne n’exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l’Etat membre de résidence.
Article 14-2 : aux fins de l’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement de base, les termes « y exerçant normalement ses activités » désignent un employeur qui exerce généralement des activités substantielles autres que des activités de pure administration interne sur le territoire de l’Etat membre dans lequel il est établi. Ce point est déterminé en tenant compte de tous les facteurs caractérisant les activités de l’entreprise en question ; les facteurs pertinents doivent être adaptés aux caractéristiques propres de chaque employeur et la nature réelle des activités exercées.

Ensuite le règlement CEE n°1408/171 du Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS), mise à jour en juillet 2008, stipule notamment :
Article 14-1 a) : la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise
sur le territoire d’un autre Etat membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement.
Ce règlement CLEISS est repris dans le règlement CE n°987 /2009 du Parlement Européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement CE n° 883/2004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de Sécurité Sociale stipule notamment :
Art 14-10 : Pour déterminer la législation applicable au titre des paragraphes 7 et 8, les institutions concernées tiennent compte de la situation future prévue pour les 12 mois civils à venir.
Art 97 : le présent règlement est publié au journal officiel de l’Union Européenne. Il entre en vigueur le 1er mai 2010.
Selon l’article L. 8221-5 du code du travail : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : au 3° alinéa : « soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assisses sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales ».
Dans le cas de travailleurs étrangers, la société ATLANCO LTD, devait fournir un formulaire E101 concernant le demandeur pour toute la durée de l’exécution de son contrat de travail. Or ce document a bien été fourni pour la période du 5/10/2009 au 4/1012010, mais pas pour celle du 05/10/2009 au 25/06/2011, alors qu’eu égard aux articles du droit Européen qui précèdent rien ne s’y opposait dans le principe.
En conséquence, l’intéressé n’a pu bénéficier d’une couverture sociale liée au document E101 sur la période du 5/10/2010 au 25/06/2011, quand bien même les cotisations sociales furent réglées aux organismes de sécurité sociale Chypriotes. Donc, à défaut, il aurait dû être déclaré à l’URSSAF en France pour cette même période. Sur ce dernier point précis, la législation Européenne n’a donc pas été respectée.
En conséquence ce non-respect constitue, au titre du droit français (paragraphe précédent), un travail dissimulé avéré pour ladite période »

1/ ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ni rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que pour justifier de la régularité de l’affiliation auprès des organismes de sécurité sociale chypriotes faite par la société Atlanco des salariés qu’elle avait mis à disposition de la société Welbond Armatures en France, cette dernière faisait valoir qu’en application de l’article 13 § 1 du règlement CE n° 883/2004, les salariés dont l’activité est exercée de manière alternante dans deux ou plusieurs Etats membres sont rattachés à la législation de sécurité sociale de l’Etat où son employeur a son siège social (conclusions d’appel de l’exposante p 16-17) ; que pour établir que les salariés étaient en situation d’alternance, elle se prévalait des stipulations du contrat de travail liant les salariés à la société Atlanco qu’elle versait aux débats, qui prévoyait que pendant la relation de travail, l’employé peut être amené à travailler sur des sites de différents clients d’Atlanco dans l’Union Européenne (pièce d’appel n° 26) ; qu’en affirmant que la société utilisatrice est dans l’incapacité de faire la preuve du travail en alternance des travailleurs polonais dans d’autres pays de l’Union Européenne, sans examiner ni même viser les clauses du contrat de travail conclu entre la société Atlanco et ces salariés, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

2/ ALORS QU’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié « le fait de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales » ; qu’il appartient aux juges du fond de précisément caractériser cet élément intentionnel ; qu’il résulte des propres constatations des juges du fond que la société de travail temporaire Atlanco établie à Chypre qui avait mis à disposition de la société Welbond Armatures des salariés polonais pour effectuer une mission en France, avait affilié ces derniers auprès des organismes de sécurité sociale chypriote pendant tout le temps de leur mission et régulièrement payé des cotisations sociales à ces organismes, en application du règlement CE n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ; que dès lors, en se bornant à constater que faute d’avoir fourni des certificats E 101 à compter du 5 avril 2010 permettant de faire la preuve de cette affiliation, la société Atlanco aurait dû affilier ses salariés auprès des organismes de sécurité sociale français et qu’à défaut elle s’était rendue coupable de travail dissimulé, sans cependant caractériser l’intention de la société Atlanco de dissimuler l’emploi de ses salariés, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L 8221-5 3° du Code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’AVOIR, infirmant le jugement entrepris, dit que la solidarité financière des sociétés utilisatrices est engagée au titre du travail dissimulé et condamné la société Atlanco, la société Bouygues Travaux Publics et la société Welbond Armatures in solidum avec la société Atlanco à payer à M. E... R... l’indemnité pour travail dissimulé ainsi qu’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel

AUX MOTIFS QUE « La société de travail temporaire, dénommée Atlanco Limited, qui a fixé son siège social à Chypre (étant précisé ici que la société holding éponyme est en Irlande) a mis, par des contrats de mission, des salariés de nationalité polonaise, à la disposition de deux sociétés françaises qui intervenaient pour le compte du maître d’ouvrage EDF, sur le chantier du réacteur nucléaire de type EPR de Flamanville, dans la Manche soit :
 16 salariés pour la société Bouygues Travaux Publics SA, filiale du groupe spécialisé dans le génie civil ;
 46 salariés pour la société Welbond Armatures SAS, spécialisée dans la pose et le coffrage d’armatures métalliques pour béton armé dont le demandeur ; ce, à compter de mars 2010 jusqu’à fin juin 2011.
En mai 201l, un conflit social a éclaté sur la situation de ces salariés qui, avec le soutien de divers syndicats, ont fait part de leurs inquiétudes concernant leur couverture sociale et de déductions inexpliquées sur leurs bulletins de paie, ce qui a conduit à des contrôles de la part de :
 l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) qui fait fonction d’inspection du travail sur le site qui, a interpellé, par courrier des 25 mai réitéré le 20 juin 2011, la société d’intérim et les sociétés utilisatrices sur l’absence de déclarations de détachement pour certains salariés et sur les formulaires intitulés E l01, E 102 ou Al qui étaient, soit échus et non renouvelés, soit n’avaient jamais été délivrés ;
 L’URSSAF, qui par courrier du 20 juin 2011, a sommé, également les sociétés utilisatrices de régulariser la situation de travail illégal au risque d’engager leur solidarité financière.
Chaque société utilisatrice, le 31 mai 201l pour la société Welbond Armatures, a sommé par courrier réitéré la société intérim de lui communiquer une liste de documents administratifs dans un délai impératif à peine de suspension de la relation contractuelle, le 25 juin 2011.
A l’issue d’échanges écrits, les sociétés utilisatrices ont rompu la relation contractuelle à la fin du mois de juin 2011 et les salariés ont été renvoyés dans leur pays d’origine »

ET AUX MOTIFS QUE « Les salariés appelants reprochent à la société Atlanco de n’avoir pas respecté la législation européenne sur le détachement des travailleurs intérimaires, de s’être soustraite à son obligation de s’immatriculer en France malgré l’ activité permanente, habituelle et essentielle qu’elle y déployait et demandent à la cour de dire que c’est la législation française qui était applicable, que la société Atlanco s’est rendue coupable de travail dissimulé, que le montage juridique par lequel la société Atlanco a mis son personnel polonais à disposition des sociétés utilisatrices sur le site de Flamanville constitue une opération de prêt de main d’oeuvre illicite et un délit de marchandage et que les sociétés utilisatrices sont solidairement responsables de ces trois infractions.

Les sociétés utilisatrices plaident pour l’essentiel que les salariés polonais ne relèvent pas des règles régissant le détachement d’un salarié par un Etat membre de la Communauté européenne avec assujettissement au régime de sécurité sociale du lieu de travail soit la France mais de celles relatives aux salariés exerçant des activités alternantes dans au moins deux Etats membres de sorte que c’est la législation de l’Etat membre chypriote sur lequel la société Atlanco a son siège qui s’applique tout comme au regard du droit du travail eu tant que loi du pays où est situé le siège. Par ailleurs, les sociétés utilisatrice estiment avoir accompli toutes les obligations liées à leur devoir de vigilance.
Relevant que la condamnation pénale des sociétés utilisatrices n’est pas définitive et n’a donc pas autorité de la chose jugée du pénal sur le civil, la cour estime qu’il n’est pas pertinent de s’attacher à l’argumentation développée par les salariés sur ce terrain, étant ajouté que la démarche probatoire diffère, le ministère public étant tenu de caractériser les infractions imputées aux personnes morales poursuivies alors qu’il incombe, en matière prud’homale, aux salariés appelants de faire la preuve tant en droit qu’en fait de leurs demandes indemnitaires.
Sur le travail dissimulé
Le code du travail prohibe le travail dissimulé par :
 dissimulation d’activité de l’article L. 8221-3 qui réprime l’exercice à but lucratif d’une activité de transformation ou de prestation de services sans immatriculation volontaire au registre du commerce ou sans déclaration aux organismes de protection sociale ;
 par dissimulation d’emploi salarié de I’ article L. 8221-5 par soustraction intentionnelle à l’une des formalités telle que la déclaration préalable à l’embauche.
Pour déterminer le cadre régissant les relations des parties, la cour se réfère au contrat d’emploi signé avec la société Atlanco, le 10 septembre 2009 par la société Welbond Armatures et le 31 mars 2010 par la société Bouygues T.P, en des termes quasi-identiques.
La société Atlanco, qui se présente comme une agence internationale d’intérim dont le siège social est situé à Chypre et dont l’activité consiste à engager des travailleurs et à les mettre à disposition de clients sur différents projets dans l’Union européenne, a donc conclu un contrat d’emploi de personnel intérimaire pour faire face à un accroissement temporaire d’activité, étant précisé que le motif de recours à un contrat d’intérim n’est pas en litige.
Ces contrats d’emploi qui fixent très précisément les droits et obligations respectives des parties indiquent très clairement que les salariés sont en détachement, en définissant cette notion dans l’en- tête du contrat et en annexant un modèle type du contrat souhaité ce qui éclaire d’un tout autre jour voire rend vaines les protestations des salariés, consultation juridique à l’appui, du détachement des salariés.

L’article 6 du contrat commercial stipule que "concomitamment par Atlanco du contrat de détachement et en tout état de cause, avant qu’un travailleur intérimaire puisse rentrer sur le site de Flamanville, Atlanco fournira les documents suivants :" au nombre desquels figurent une copie et sa traduction de la demande de protection sociale (formulaire E 101-formulaire de demande) avec accusé de réception des autorités légales, auprès desquelles elle aura été déposée, devra être fournie à la société utilisatrice, ainsi qu’une copie de la demande acceptée dudit formulaire dès réception par la société intérimaire.
La société utilisatrice exige expressément de la société intérimaire qu’elle lui fournisse une information écrite et motivée, à défaut de réception dans un délai de 4 semaines de la demande de protection sociale acceptée par les autorités légales concernées. La société utilisatrice rappelle à la société d’intérim qu’en cas de non-respect d’une des conditions, le contrat de détachement ne sera pas signé par la société utilisatrice et elle indique plus loin que l’entreprise de travail intérimaire devra lui remettre les documents nécessaires à l’exercice légal de l’activité des salariés eu France sur simple demande.
Il est constant que la société Atlanco a choisi de solliciter des autorités chypriotes des certificats E 101 sur la base de l’article 14.2.b du Règlement CEE n°1408/171 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté.
Il est admis que l’opposabilité de ces certificats E 101 empêche de contester leur validité et donc le rattachement des travailleurs concernés à la législation ou au régime de protection du pays d’envoi.
Mais il ressort des contrôles conjoints de l’ASN et de l’URSSAF concernant les salariés appelants, et en particulier le procès-verbal dressé par l’ASN le 22 décembre 201l, que soit il n’y avait jamais eu de délivrance de formulaires soit lesdits formulaires étaient périmés, alors que les missions avaient été prolongées.
Il est également acquis que le CLEISS, autorité officielle habilitée à diligenter les procédures de retrait des formulaires, a fait une démarche en ce sens le 5 juillet 201l auprès des autorités chypriotes qui a abouti à un retrait de tous les certificats ab initio ce qui met à néant les déclarations effectuées.
La défaillance de la société Atlanco devant la cour d’appel ne lui permet plus de défendre et de justifier de la régularité de son rattachement au droit de la sécurité sociale chypriote notamment par la justification du travail en alternance des travailleurs polonais dans d’autres pays de l’Union Européenne, les sociétés utilisatrices étant dans l’incapacité de faire cette preuve.
Par voie de conséquence, faute de justifier du rattachement des travailleurs intérimaires à Chypre, la société Atlanco se devait de respecter la législation française exigeant son immatriculation au registre du commerce français, la déclaration par l’employeur des salariés auprès des organismes de protection sociale, le défaut d’accomplissement de ces diligences, avéré en l’espèce, étant constitutif du travail dissimulé.

Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que la société d’intérim était en situation de travail dissimulé et l’a condamnée à payer à chaque salarié concerné l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire, prévue en la matière.
 Sur la solidarité financière
Les sociétés utilisatrices ne peuvent pas remettre en cause les constatations des agents de l’ASN qui se sont déplacés sur le site les 10 et 11 mai 2011 qui ont relevé le défaut de formulaire E 101 en cours de validité.
La cour relève qu’à la suite d’un précédent contrôle le 28 avril 2009 concernant une autre société d’intérim, la société Bouygues s’était engagée à tenir un tableau de suivi des formulaires E 101, E 102 ou A 1. La société Welbond Armatures avait été tenue informée du problème.
Force est de constater qu’en contravention avec les stipulations des contrats d’emploi sur l’exigence de demandes de tels formulaires avant l’entrée sur le site et de leur acceptation au plus tard 4 semaines après, les sociétés utilisatrices ont continué à faire intervenir les salariés sur le chantier jusqu’à la rupture du 24 juin 2011 alors que leur situation n’était pas régularisée malgré l’injonction de l’ASN donnée dès le 25 mai 2011 de le faire "dans les plus brefs délais" et malgré la vaine sommation adressée le 31 mai 2011 à la société Atlanco de lui adresser par retour de courrier les formulaires E l01 ou A1 lorsqu’il s’agissait de renouvellement ainsi que la copie de la déclaration de détachement auprès de la DDTEP.
Ce n’est qu’à réception du courrier de l’ASN leur rappelant à la fois, son contrôle des 10 et 11 mai, son courrier du 25 mai et son nouveau contrôle conjoint avec l’URSSAF du 7 juin 2011, lequel a mis à jour de nouvelles irrégularités à savoir le fait que les salariés employés par Atlanco présents sur le chantier ne possédaient ni contrats de mission ni formulaire E 101 E 102 ou Al en cours de validité et dire la situation de travail dissimulé avérée.
La cour ne porte pas de jugement sur la réalité des efforts faits par les deux sociétés utilisatrices pour recruter du personnel qualifié en France mais constate qu’elles ont fait appel à une société basée à Chypre dont le taux de cotisation patronale était bien en-deçà de celui pratiqué en France.
Ces circonstances conduisent à retenir la solidarité financière des sociétés utilisatrices prévue par
L’article L 8222-5 du code du travail et à infirmer le jugement de ce chef »

1/ ALORS QUE dans sa version applicable aux faits de l’espèce, l’article L 8222-5 du code du travail qui disposait que « Le maître de l’ouvrage ou le donneur d’ordre, informé par écrit par un agent de contrôle mentionné à l’article L. 8271-7 ou par un syndicat ou une association professionnels ou une institution représentative du personnel, de l’intervention d’un sous-traitant ou d’un subdélégataire en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 enjoint aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai cette situation. A défaut, il est tenu solidairement avec son cocontractant au paiement des impôts, taxes, cotisations, rémunérations et charges mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 8222-2, dans les conditions fixées à l’article L. 8222-3 », ne visait que l’hypothèse de la sous-traitance dans laquelle un sous-traitant est en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, imposant au donneur d’ordre de mettre en demeure son co-contractant direct de faire cesser cette situation ; qu’en jugeant ce texte applicable dans le cas où une entreprise de travaux a recours aux services d’une entreprise de travail temporaire en situation irrégulière au regard de ces textes, la cour d’appel a violé l’article L 8222-5 du code du travail dans sa version applicable aux faits de l’espèce, par fausse application ;

2/ ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE l’article L 8222-5 du code du travail impose au donneur d’ordre, informé par écrit par un agent de contrôle de l’intervention d’un sous-traitant ou d’un subdélégataire en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5, d’enjoindre aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai cette situation, à défaut de quoi il est tenu solidairement avec son cocontractant du paiement des impôts, taxes, cotisations, rémunérations et charges mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 8222-2, dans les conditions fixées à l’article L. 8222-3 ; qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt que suite au courrier de l’ASN du 25 mai 2011 interpellant la société utilisatrice Welbond Armatures sur l’absence de déclaration de détachement pour certains salariés mis à sa disposition par la société Atlanco et sur les formulaires intitulés E 101, E 102 ou A1 qui étaient, soit échus et non renouvelés, soit n’avaient jamais été délivrés, la société Welbond Armatures avait aussitôt, par courrier du 31 mai 2011, sommé la société d’intérim Atlanco de lui communiquer par retour de courrier, à peine de suspension de la relation contractuelle, les formulaires E 101 ou A1 lorsqu’il s’agissait de renouvellement ainsi que la copie de déclaration de détachement auprès de la DDTEP (arrêt p 2, p 5) ; qu’en déclarant néanmoins la société Welbond Armatures solidairement tenue des condamnations prononcées à l’encontre de la société Atlanco reconnue l’auteur de travail dissimulé sur le fondement de l’article L 8222-5 du code du travail au motif qu’elle avait continué à faire travailler les salariés jusqu’au 24 juin 2011 malgré l’injonction de l’ASN du 25 mai 2011 et sa vaine sommation adressée le 31 mai 2011 à la société Atlanco, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l’article L 8222-5 du code du travail par fausse application ;

3/ ALORS QU’en affirmant que la société Welbond Armatures avait fait appel à une société basée à Chypre dont le taux de cotisation patronale était bien en-deçà de celui pratiqué en France, la cour d’appel s’est fondée sur un motif radicalement inopérant, impropre à justifier sa solidarité financière avec la société Atlanco, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l’article L 8222-5 du code du travail.