Maraîchage

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 22 janvier 2013

N° de pourvoi : 12-80734

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

SCP Gadiou et Chevallier, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :

 M. Rolf X...,

 La société Fruits et légumes Rolf X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 9 décembre 2011, qui, pour travail dissimulé, non-déclaration de l’affectation d’un local à l’hébergement collectif et emploi d’un travailleur étranger sans s’être assuré de l’existence d’une autorisation de travail, a condamné le premier, à un an d’emprisonnement, 10 000 euros d’amende et quarante-quatre amendes de 50 euros, la seconde, à 50 000 euros d’amende, quarante-quatre amendes de 70 euros, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8224-1, L. 8224-3 et L. 8224-4 du code du travail, R. 5224-1, alinéa 1, R. 2222-1-8, R. 5221-1, R. 5121-3 du code du travail, 4 de la loi 73-548 du 27 juin 1973, 2 du décret 75-59 du 20 janvier 1975, 4 et 8-1 de la loi 75-548 du 27 juin 1973, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... et la société Fruits et légumes Rolf X... coupables des infractions suivantes :

 exécution d’un travail dissimulé, du 9 mai au 27 mai 2009,

 emploi de 44 travailleurs étrangers de nationalité roumaine sans s’être assuré de l’existence d’une autorisation de travail, du 9 mai au 27 mai 2009,

 non-déclaration de l’affectation d’un local à l’hébergement collectif, du 9 mai au 27 mai 2009, condamné M. X... à une peine d’emprisonnement d’un an et à une amende délictuelle de 10 000 euros, et la société Fruits et légumes Rolf X... à une amende délictuelle de 50 000 euros, pour exécution d’un travail dissimulé et non déclaration de l’affectation d’un local à l’hébergement collectif, condamné M. X... à quarante-quatre amendes de 50 euros chacune et la société Fruits et légumes Rolf X... à quarante-quatre amendes de 70 euros chacune, du chef d’emploi de quarante-quatre étrangers, de nationalité roumaine, sans s’être assuré de l’existence d’une autorisation de travail ;

” aux motifs que les femmes roumaines ont clairement désigné M. X... comme étant leur patron ; qu’elles ont précisé que le premier groupe parti de Roumanie le 9 mai 2009 avait dans un premier temps été conduit à Betra en RFA, soit le lieu du siège de la société familiale de droit allemand, Fam Walter X... und Z... Gmbh, dont le sus-nommé est le gérant et y avait rencontré M. R. X... avant d’être acheminé à Geudertheim, pour y travailler sur les terres exploitées en fermage par la société Fruits et légumes Rolf X..., également gérée par l’intéressé ; que le second groupe de femmes, qui quittait la Roumanie le 12 mai 2009, était conduit en bus jusqu’à Karlsruhe (RFA), il lui avait été indiqué que le travail s’effectuerait en France où “ le patron avait une grande surface de terre “ ; que cinq d’entre elles finissaient leur voyage en train bénéficiant d’un billet de groupe dont M. X... avait sollicité l’obtention pour le compte de ses collaborateurs auprès de la compagnie ferroviaire allemande, la Bundesbahn ; que, selon la version des femmes susvisées, M. X... les avait rassemblées dès le lendemain de leur arrivée et leur avait annoncé des conditions financières nettement moins favorables que celles initialement prévues ; que, confirmant l’information qui leur avit été donnée par celle-ci, M. X... leur avait précisé que Mme Y... était leur chef d’équipe et qu’elles devaient lui obéir ; que cette dernière a, de manière contradictoire, au cours de son audition, successivement soutenu qu’il appartenait aux travailleuses indépendantes de choisir la champ dans lequel elles intervenaient et le volume à ramasser puis affirmé qu’elle déterminait elle-même le champ arrivé à maturité et la vatiété à récolter ; qu’elle ajoutait noter les quantités récoltées et dresser des listes qu’elle transmettait quotidiennement à la ferme en Allemagne, soit la société Fam Walter X... und Z... Gmbh, sise à Horb, laquelle, selon les déclarations de M. X..., rachetait l’intégralité des récoltes ; que Mme Y... précisait que, s’il se rendait une fois par semaine sur place, M. X... se contentait de décider du début des récoltes et de vérifier l’éventuelle nécessité de traitement des champs et qu’il ne prenait pas de décisions quant aux déroulements des récoltes, rôle qui lui revenait ; qu’il n’est pas contesté que la société Fruits et légumes Rolf X... fournissait le matériel nécessaire aux récoltes ; qu’il importe de relever que Mme Y... signalait systématiquement toute difficulté à M. X..., rixe, vol, opposition du groupe à effectuer le travail... ; que, lors du mouvement de révolte des travailleuses roumaines du 24 mai 2008, ces dernières revendiquaient d’ailleurs la venue de leur patron, M. X..., pour que celui-ci assure leur rapatriement en Roumanie ; que Mme Y... se présentait alors aux gendarmes comme responsable du site, travaillant pour M. X..., qu’elle contactait à leur demande ; que, sur place, ce dernier indiquait ne pouvoir procéder à ce rapatriement avant plusieurs jours ; qu’au delà du montage ci-dessus dépeint comportant l’intervention de sociétés systématiquements liées à la famille X... et tendant de manière factice, et en particulier à l’insu des intéressées, à faire apparaître les femmes roumaines procédant aux récoltes des champs exploités en fermage par la la société Fruits et légumes Rolf X... comme étant des travailleuses indépendantes, l’existence d’un lien de subordination entre celles-ci et M. X... intervenant en sa qualité de gérant de la SARL est suffisamment caractérisée au vu de l’ensemble des éléments ci-dessus énoncés ; qu’il ressort, en effet, que M. X..., gérant de la la société Fruits et légumes Rolf X..., se comportait comme étant l’employeur de ces travailleuses roumaines qui le considéraient comme tel et qu’elles étaient dans une situation de dépendance à son égard ; qu’ainsi, elles ne bénéficiaient d’aucun pouvoir de décision, devant exécuter les instructions qui leur étaient données par Mme Y..., en qualité de chef d’équipe désignée comme telle par M. X... ; qu’elles n’avaient nullement la maîtrise du coût des prestations effectuées et se sont au contraire trouvées uniformément confrontées à la modification unilatérale et en leur défaveur des conditions de rémunération et des avantages prévus, le prix du kilogramme de fraises ramassés étant réduit de moitié, l’argent de poche annoncé devenant une avance ultérieurement soustraite de la somme qui leur était remise tandis que les coûts du transport depuis la Roumanie et de l’hébergement, théoriquement pris en charge, leur étaient finalement déduits et ce respectivement à hauteur de 160 euros et d’une somme mensuelle de 35 euros ; que, nonobstant le système de facturation dont il se prévaut, qui aurait dû aller de pair avec une rémunération des travailleuses roumaines par la société polonaise, M. X... a admis, notamment à l’audience de première instance, avoir remis lui-même de l’argent en espèce à chacune des indépendantes ; que les déclarations de Mme Y..., selon lesquelles elle transmettait les listes des quantités quotidiennement récoltées “ à la ferme en Allemagne “ et non à la société polonaise pourtant censée établir des factures en fonction des dites quantités confirment le caractère factice de l’intervention de cette entité ; que la présentation fallacieuse des ouvrières roumaines, effectuant les récoltes exclusivement sur les terres exploitées par la la société Fruits et légumes Rolf X..., comme des travailleuses indépendantes, alors qu’elles avaient en réalité un statut de salariées, permettait à M. X..., gérant de cette société, de s’affranchir de l’ensemble des obligations incombant à un employeur, dont celles de déclaration préalable à l’embauche et de vérification de l’existence d’une autorisation de travail d’un travailleur étranger et tendait à cette fin ; que ces éléments suffisent à caractériser l’élément intentionnel ; que n’ayant de surcroît procéder à aucune déclaration auprès de la préfecture de l’affectation de locaux à l’hébergement collectif, l’intéressé a logé cinquante-quatre personnes dans des Algeco, mal chauffés, comportant des installations sanitaires en nombre largement insuffisant au regard des normes en vigueur ; que M. X... n’a pas contesté l’absence de toute déclaration de cet hébergement collectif soutenant qu’il ignorait cette obligation et trouvait surprenant d’y être tenu alors qu’il n’était à son sens pas l’employeur des personnes hébergées sur le site d’exploitation ;

” alors que la cour d’appel s’est bornée, pour affirmer qu’un lien de subordination existerait entre les travailleuses roumaines et la société Fruits et légumes Rolf X..., à énoncer que ces travailleuses ont désigné M. X... comme leur patron, relaté que celui-ci leur avait précisé que Mme Y... était leur chef d’équipe et qu’elles devaient lui obéir, que Mme Y... signalait systématiquement toute difficulté à M. X..., que les travailleuses avaient procédé à des récoltes dans des champs exploités en fermage par la société Fruits et Légumes Rolf X..., que les travailleuses ne disposaient d’aucun pouvoir de décision, devant exécuter les instructions qui leur étaient données par Mme Y..., en qualité de chef d’équipe, et n’avaient nullement la maîtrise du coût des prestations effectuées, et que Mme Y... avait déclaré transmettre les listes des quantités quotidiennement récoltées à la société Fam Walter X... und Z... ; que la cour d’appel, qui a constaté que Mme Y... est enregistrée en qualité d’entrepreneur individuel proposant des prestations de services en matière agricole et ne retient aucun lien de subordination entre Mme Y..., d’une part, et la société Fruits et légumes Rolf X..., d’autre part, ne caractérise en aucune façon un lien de subordination entre les travailleuses roumaines et la société Fruits et légumes Rolf X..., plutôt que l’existence d’un contrat de fourniture de prestation de service conclu entre cette dernière et une société polonaise, qui avait eu recours à des travailleuses indépendantes “ ;

Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’à la suite de plaintes formulées auprès de la gendarmerie par des ouvrières agricoles, de nationalité roumaine, venues sur le territoire national pour participer à la cueillette de fruits sur des terres maraîchères appartenant à la société Fruits et légumes Rolf X..., dirigées par M. X..., il est apparu que ces personnes avaient été conduites en Allemagne au siège social d’une société gérée par M. X..., puis sur le site de la société à Geudertheim (Bas-Rhin) où un logement était mis à leur disposition moyennant un loyer, et qu’elles avaient oeuvré sous les directives de Mme Y..., qui intervenait par procuration au nom de chacune des ouvrières, présentées comme des travailleuses indépendantes immatriculées en Allemagne ; qu’à la suite de ces faits, la société Fruits et légumes Rolf X... et M. X... ont été cités devant le tribunal correctionnel sous la prévention de travail dissimulé et de non-déclaration de l’affectation de locaux à un hébergement collectif ainsi que de contraventions au code du travail ; que les premiers juges ayant déclaré la prévention établie, les prévenus et le ministère public ont interjeté appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris sur la culpabilité, à l’exception d’une des contraventions poursuivies, l’arrêt retient que M. X... s’est comporté comme l’employeur des ouvrières agricoles qui exécutaient ses instructions, transmises par Mme Y..., et se trouvaient dans une situation de dépendance à son égard ; que les juges ajoutent que lesdites ouvrières n’avaient nullement la maîtrise du coût des prestations effectuées et qu’au contraire, elles se sont trouvées confrontées à la modification unilatérale de leurs conditions de travail et à la baisse de leur rémunération qui leur ont été imposées par le prévenu ; qu’ils précisent enfin que Mme Y..., bien que qualifiée d’entrepreneur individuel, rendait compte systématiquement à M. X... ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, exempts d’insuffisance comme de contradiction, qui établissent l’existence d’un lien de subordination entre les ouvrières agricoles concernées, leur chef d’équipe, et la société poursuivie, la cour d’appel a justifié sa décision, sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Straehli conseiller rapporteur, Mme Guirimand conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Colmar , du 9 décembre 2011