CJUE Mazzoleni - salaire minimal y compris pour les salariés frontaliers

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

15 mars 2001 (1)

« Libre prestation des services - Affectation temporaire de travailleurs pour l’exécution d’un contrat - Directive 96/71/CE - Salaire minimal garanti »

Dans l’affaire C-165/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Tribunal correctionnel d’Arlon (Belgique), et tendant à obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre

André Mazzoleni,

et

Inter Surveillance Assistance SARL, civilement responsable,

en présence de :

Éric Guillaume e.a.,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), ainsi que des articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. D. A. O. Edward (rapporteur), faisant fonction de président de la cinquième chambre, J.-P. Puissochet et L. Sevón, juges,

avocat général : M. S. Alber,

greffier : M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées :

 pour le ministère public (auditorat du travail), par M. P. Nazé, substitut,

 pour le gouvernement belge, par M. J. Devadder, en qualité d’agent, assisté de Me B. van de Walle de Ghelcke, avocat,

 pour le gouvernement allemand, par M. E. Röder, en qualité d’agent,

 pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger et M. C. Chavance, en qualité d’agents,

 pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, en qualité d’agent,

 pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

 pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Gouloussis, en qualité d’agent,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de M. Mazzoleni et d’Inter Surveillance Assistance SARL, représentés par Me M. Gamelon, avocat, du gouvernement belge, représenté par Me B. van de Walle de Ghelcke, du gouvernement français, représenté par Mme C. Bergeot, en qualité d’agent, et de la Commission, représentée par M. D. Gouloussis, à l’audience du 3 juin 1999,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 septembre 1999,

rend le présent

Arrêt

1.
Par jugement du 2 avril 1998, parvenu à la Cour le 29 avril suivant, le Tribunal correctionnel d’Arlon a posé, en vertu de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles sur l’interprétation de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1, ci-après la « directive »), ainsi que des articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE).

2.
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’une procédure pénale contre M. Mazzoleni, en sa qualité de gérant de la société de droit français Inter Surveillance Assistance SARL (ci-après « ISA »), et ISA elle-même, en sa qualité de civilement responsable, pour ne pas avoir respecté les dispositions du droit belge relatives aux salaires minimaux.

La réglementation nationale

3.
La convention collective de travail du 14 juin 1993, conclue au sein de la commission paritaire pour les services de garde, concernant la promotion de l’emploi et la fixation de certaines conditions de travail des ouvriers effectuant du gardiennage dans le secteur privé (ci-après la « CCT »), a été rendue obligatoire par l’arrêté royal du 1er mars 1995 (Moniteur belge du 4 mai 1995, p. 11923).

4.
Selon son article 1er, paragraphe 2, la CCT s’applique à toutes les entreprises de gardiennage exerçant une activité quelconque sur le territoire belge, qu’elles aient leur siège en Belgique ou à l’étranger.

5.
Aux termes de l’article 2 de la CCT, les ouvriers occupés dans les entreprises de services de garde pour le compte de tiers sont classés en neuf catégories en tenant compte de la nature des travaux effectués, de la capacité professionnelle et du degré d’autonomie et de responsabilité dans l’exécution des tâches qui leur sont confiées.

6.
L’article 3 de la CCT fixe, pour chaque catégorie d’ouvriers, le salaire horaire minimal ainsi que le montant de diverses primes et indemnités.

7.
L’article 56 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires (Moniteur belge du 15 janvier 1969) prévoit, notamment,que l’infraction à une convention collective de travail rendue obligatoire est passible d’une sanction pénale. Cette loi fait partie des lois de police et de sûreté au sens de l’article 3 du code civil belge et, en tant que telle, oblige tous ceux qui agissent sur le territoire belge.

Le litige au principal

8.
Pendant la période allant du 1er janvier 1996 au 14 juillet 1997, ISA, établie à Mont-Saint-Martin (France), a occupé treize travailleurs au gardiennage et à la surveillance d’une galerie marchande à Messancy (Belgique).

9.
Parmi ces travailleurs, les uns étaient occupés à temps plein en Belgique, alors que les autres n’y étaient occupés qu’une partie du temps et effectuaient aussi, par ailleurs, des prestations de travail en France.

10.
Lors d’un contrôle effectué le 21 mars 1997, les services de l’inspection des lois sociales belges ont sollicité de M. Mazzoleni la production de divers documents prévus par la législation belge, notamment des fiches de paie. Leur examen a révélé que le salaire de base mensuel d’un travailleur d’ISA occupé en Belgique était, pour 169 heures de travail, de 6 692 FRF, soit environ 40 152 BEF, ce qui représentait un salaire horaire d’environ 237,59 BEF, alors que le salaire horaire minimal prévu par la CCT était de 356,68 BEF.

11.
Pour ne pas avoir respecté l’obligation de verser un salaire qui ne soit pas inférieur au salaire horaire minimal fixé par la CCT, M. Mazzoleni et ISA ont été poursuivis devant le Tribunal correctionnel d’Arlon. M. Guillaume et quatre autres des treize travailleurs concernés se sont constitués parties civiles.

12.
Devant le Tribunal correctionnel d’Arlon, ISA a affirmé que, en matière de salaire minimal, elle n’était tenue qu’au seul respect de la loi française.

13.
Elle a fait valoir, d’une part, que la spécificité de l’activité de surveillance impliquait un roulement du personnel pour éviter qu’il ne soit trop facilement identifié par la clientèle et que ses salariés travaillaient donc « à temps partiel » en Belgique, en ce sens qu’un salarié pouvait être amené à effectuer dans la journée, dans la semaine ou dans le mois une partie de son service sur un territoire limitrophe. Selon ISA, la directive ne s’appliquerait pas à de telles situations de travail « à temps partiel ».

14.
D’autre part, ISA a soutenu que les treize travailleurs concernés bénéficiaient, en vertu de la réglementation française, de la même protection ou d’une protection essentiellement comparable à celle prévue par la réglementation belge. Les salaires minimaux français seraient certes inférieurs, mais il serait nécessaire, aux fins de la comparaison, de prendre en compte la situation des travailleurs dans son ensemble, en y incluant l’incidence de la fiscalité, qui, selon ISA, est plus favorable en France, et la protection sociale.

15.
Considérant qu’il avait besoin de l’interprétation du droit communautaire pour statuer, le Tribunal correctionnel d’Arlon a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1) La directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, englobe-t-elle, sous la notion de ’période de détachement‘, celle du temps partiel, aléatoire ou non, d’un travailleur frontalier, provenant d’une entreprise d’un État membre, passant au fil des jours, des semaines, ou du mois une partie de son service de prestations sur le ou les territoires limitrophes d’un ou de plusieurs autres États membres ?

2) Les articles 59 et 60 du traité [CE] doivent-ils être interprétés dans le sens que constitue une violation de ces articles le fait pour un État membre d’imposer, pour des raisons impérieuses d’intérêt général, le respect de sa législation ou de conventions collectives de travail nationales relatives aux salaires minimaux, à toute entreprise d’un autre État membre faisant prester, même temporairement, à des personnes un travail salarié sur le territoire du premier État, alors que cet intérêt est déjà assuré par les règles de l’État où le prestataire est établi, et que les travailleurs y sont dans une situation comparable ou similaire, sur base, non de la seule réglementation relative aux salaires minimaux, mais de la situation d’ensemble (incidence fiscale, protection sociale relative à la maladie, y compris au titre de l’assurance complémentaire obligatoire en France, aux accidents de travail, au veuvage, au chômage, à la retraite, au décès) ?

Dans le même cadre, en d’autres termes : les sujétions nationales transitoires imposées à un salarié doivent-elles s’entendre du seul taux de paiement du salaire minimal horaire sans appréciation de la situation de protection sociale d’ensemble dont bénéficie le salarié amené à travailler d’un État à un autre ? »

Sur la première question préjudicielle

16.
Les gouvernements allemand, français et néerlandais expriment des doutes sur la recevabilité de cette question. Ils relèvent que le délai de transposition de la directive n’a expiré que le 16 décembre 1999 et que les faits au principal se situent avant cette date. Selon eux, un particulier ne pouvait invoquer aucun droit tiré de la directive avant l’expiration de son délai de transposition. En conséquence, étant donné que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour n’est compétente que pour répondre aux questions qui présentent un intérêt pour l’issue du litige au principal, la première question serait irrecevable.

17.
Le délai de transposition de la directive n’étant en effet pas expiré et la directive n’ayant pas été transposée en droit national au moment des faits au principal, il n’y a pas lieu de procéder à une interprétation de ses termes aux fins de la procédure au principal.

18.
Toutefois, les hypothèses factuelles figurant dans la première question préjudicielle doivent être prises en compte aux fins de l’examen de la seconde question préjudicielle.

Sur la seconde question préjudicielle

19.
La seconde question préjudicielle, lue à la lumière de la première question, doit être comprise comme cherchant en substance à savoir si une entreprise établie dans une région frontalière dont certains des salariés peuvent être amenés à effectuer à temps partiel et pendant de brèves périodes une partie de leur prestation de services sur le territoire limitrophe d’un autre État membre que celui d’établissement de l’entreprise est tenue de respecter les règles nationales de l’État membre d’accueil relatives aux salaires minimaux lorsque lesdits travailleurs bénéficient dans l’État membre d’établissement d’une protection globale comparable bien que le salaire minimal y soit inférieur.

20.
Étant établie en France et exerçant des activités à caractère temporaire dans un État membre autre que celui de son établissement, en l’espèce la Belgique, ISA est une société prestataire de services au sens des articles 59 et 60 du traité.

21.
Ces dispositions du traité revêtent une importance particulière pour les prestataires de services établis dans une zone frontalière qui exercent régulièrement leurs activités dans plusieurs États membres.

22.
Il est de jurisprudence constante que l’article 59 du traité exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (voir arrêts du 25 juillet 1991, Säger, C-76/90, Rec. p. I-4221, point 12 ; du 9 août 1994, Vander Elst, C-43/93, Rec. p. I-3803, point 14 ; du 28 mars 1996, Guiot, C-272/94, Rec. p. I-1905, point 10, et du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369/96 et C-376/96, Rec. p. I-8453, point 33).

23.
En particulier, un État membre ne peut subordonner la réalisation de la prestation de services sur son territoire à l’observation de toutes les conditions requises pour un établissement, sous peine de priver de tout effet utile les dispositions du traité destinées précisément à assurer la libre prestation des services (voir arrêt Säger, précité, point 13).

24.
À cet égard, l’application des réglementations nationales de l’État membre d’accueil aux prestataires de services est susceptible de prohiber, gêner ou rendre moins attrayantes les prestations de services dans la mesure où elle entraîne des frais ainsi que des charges administratives et économiques supplémentaires.

25.
La libre prestation des services en tant que principe fondamental du traité ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général et s’appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’État membre d’accueil, dans la mesure où cet intérêt n’est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi (voir, notamment, arrêts du 17 décembre 1981, Webb, 279/80, Rec. p. 3305, point 17 ; Säger, précité, point 15 ; Vander Elst, précité, point 16 ; Guiot, précité, point 11, et Arblade e.a., précité, point 34).

26.
L’application des réglementations nationales d’un État membre aux prestataires établis dans d’autres États membres doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir, notamment, arrêts précités Guiot, points 11 et 13, et Arblade e.a., point 35).

27.
Parmi les raisons impérieuses d’intérêt général déjà reconnues par la Cour figure la protection des travailleurs (voir, notamment, arrêts précités Webb, point 19, et Arblade e.a., point 36).

28.
En ce qui concerne plus spécifiquement les dispositions nationales relatives aux salaires minimaux, telles celles en cause au principal, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que les États membres étendent leur législation ou les conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux, relatives aux salaires minimaux, à toute personne effectuant un travail salarié, même à caractère temporaire, sur leur territoire, quel que soit le pays d’établissement de l’employeur (arrêts du 3 février 1982, Seco et Desquenne & Giral, 62/81 et 63/81, Rec. p. 223, point 14 ; Guiot, précité, point 12, et Arblade e.a., précité, point 41). Il s’ensuit que les dispositions de la législation ou des conventions collectives de travail d’un État membre garantissant un taux de salaire minimal peuvent, en principe, être appliquées aux employeurs effectuant une prestation de services sur le territoire de cet État, quel que soit leur pays d’établissement (arrêt Arblade e.a., précité, point 42).

29.
Il s’ensuit que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose à une entreprise établie dans un autre État membre qui effectue une prestation de services sur le territoire du premier État membre de payer à ses travailleurs la rémunération minimale fixée par les règles nationales de cet État.

30.
Toutefois, il ne peut être exclu qu’il y ait des circonstances dans lesquelles l’application de telles règles ne serait ni nécessaire ni proportionnée par rapport au but recherché, à savoir la protection des travailleurs concernés.

31.
En effet, alors que les affaires citées au point 28 du présent arrêt concernaient des travailleurs employés dans le secteur de la construction qui ont été effectivement déplacés, pendant une période plus ou moins longue, de l’État membre d’établissement de leur employeur afin de réaliser un projet défini dans un autre État membre, il s’agit, dans l’affaire au principal, d’une entreprise établie dans une région frontalière dont certains des salariés peuvent être amenés, aux fins d’une prestation de services par l’entreprise, à effectuer à temps partiel et pendant de brèves périodes une partie de leur travail sur le territoire limitrophe d’un État membre autre que celui d’établissement de l’entreprise.

32.
À cet égard, ISA relève que la spécificité de la mission de surveillance effectuée par ses soins implique un changement du personnel qui y est affecté pour éviter qu’il ne soit trop facilement reconnu.

33.
En outre, s’il est vrai que le salaire minimal prévu par la réglementation française est inférieur à celui prévu par la réglementation belge, ISA demande que soit prise en compte la situation d’ensemble, c’est-à-dire non seulement la rémunération, mais aussi l’incidence fiscale et celle des cotisations sociales. Elle prétend que les salariés soumis au droit social français et à la fiscalité française sont dans une situation similaire, voire plus favorable que celle dans laquelle ils seraient s’ils étaient soumis à la réglementation belge.

34.
Dans de telles conditions, s’il convient d’admettre qu’une réglementation de l’État membre d’accueil imposant un salaire minimal a pour objectif légitime de protéger les travailleurs, il importe que les autorités nationales de l’État membre d’accueil, avant de l’appliquer à un prestataire de services établi dans une région limitrophe d’un autre État membre, s’interrogent pour savoir si l’application de cette réglementation est nécessaire et proportionnée aux fins de la protection des travailleurs concernés.

35.
En effet, l’objectif de l’État membre d’accueil d’assurer aux employés de tels prestataires de services le même niveau de protection sociale que celui s’appliquant sur son territoire aux travailleurs du même secteur peut être considéré comme étant réalisé si tous les travailleurs concernés bénéficient d’une situation équivalente dans son ensemble au regard des rémunérations, de la fiscalité et des charges sociales dans l’État membre d’accueil et dans l’État membre d’établissement.

36.
En outre, l’application des règles nationales de l’État membre d’accueil relatives aux salaires minimaux aux prestataires de services établis dans une région d’un autre État membre frontalière de l’État membre d’accueil peut entraîner, d’une part, des charges administratives supplémentaires disproportionnées comportant, le cas échéant, le calcul, heure par heure, de la rémunération appropriée de chaque salarié selon qu’il a ou non, au cours de son travail, franchi la frontière d’un autre État membre et, d’autre part, le paiement de différents niveaux de salaires aux salariés, tous rattachés à la même base d’opérations, qui effectuent un travail identique. Cette dernière conséquence pourrait, à son tour, entraîner des tensions entre les salariés et même menacer lacohérence des conventions collectives de travail qui s’appliquent dans l’État membre d’établissement.

37.
Dans un cas tel que celui en cause au principal, il incombe donc aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil, afin de déterminer si l’application de sa réglementation imposant un salaire minimal est nécessaire et proportionnée, d’évaluer tous les éléments pertinents.

38.
Cette évaluation implique, d’une part, qu’elles tiennent compte, notamment, de la durée des prestations de services, de leur prévisibilité, du fait que les employés ont été effectivement déplacés vers l’État membre d’accueil ou qu’ils continuent d’être rattachés à la base d’opérations de leur employeur dans son État membre d’établissement.

39.
D’autre part, afin de s’assurer que la protection dont jouissent les employés dans l’État membre d’établissement est équivalente, elles doivent en particulier prendre en considération les éléments liés au montant de la rémunération, la durée du travail à laquelle ce montant se rapporte ainsi que le montant des cotisations sociales et l’incidence de la fiscalité.

40.
Dans l’affaire au principal, étant donné que les autorités compétentes belges ont poursuivi ISA au pénal pour ne pas avoir respecté la réglementation belge imposant un salaire minimal, il incombe à la juridiction saisie de déterminer si l’application de ladite réglementation à ISA était effectivement nécessaire et proportionnée à l’atteinte portée aux libertés consacrées par les articles 59 et 60 du traité.

41.
Dès lors, il convient de répondre à la seconde question préjudicielle que les articles 59 et 60 du traité ne s’opposent pas à ce qu’un État membre impose à une entreprise établie dans un autre État membre qui effectue une prestation de services sur le territoire du premier État membre de payer à ses travailleurs la rémunération minimale fixée par les règles nationales de cet État. L’application de telles règles pourrait cependant s’avérer disproportionnée lorsqu’il s’agit de salariés d’une entreprise établie dans une région frontalière qui sont amenés à effectuer, à temps partiel et pendant de brèves périodes, une partie de leur travail sur le territoire d’un, voire de plusieurs États membres autres que celui d’établissement de l’entreprise. Il incombe, en conséquence, aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil d’établir si, et dans quelle mesure, l’application d’une réglementation nationale imposant un salaire minimal à une telle entreprise est nécessaire et proportionnée pour assurer la protection des travailleurs concernés.

Sur les dépens

42.
Les frais exposés par les gouvernements belge, allemand, français, néerlandais et autrichien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour,ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal correctionnel d’Arlon, par jugement du 2 avril 1998, dit pour droit :

Les articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) et 60 du traité CE (devenu article 50 CE) ne s’opposent pas à ce qu’un État membre impose à une entreprise établie dans un autre État membre qui effectue une prestation de services sur le territoire du premier État membre de payer à ses travailleurs la rémunération minimale fixée par les règles nationales de cet État. L’application de telles règles pourrait cependant s’avérer disproportionnée lorsqu’il s’agit de salariés d’une entreprise établie dans une région frontalière qui sont amenés à effectuer, à temps partiel et pendant de brèves périodes, une partie de leur travail sur le territoire d’un, voire de plusieurs États membres autres que celui d’établissement de l’entreprise. Il incombe, en conséquence, aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil d’établir si, et dans quelle mesure, l’application d’une réglementation nationale imposant un salaire minimal à une telle entreprise est nécessaire et proportionnée pour assurer la protection des travailleurs concernés.

Edward

Puissochet
Sevón

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 mars 2001.

Le greffier

Le président de la cinquième chambre

R. Grass

A. La Pergola