Walltopia - validité du détachement sécurité sociale - antériorité d’affiliation dans l’Etat et non pas antériorité d’emploi - points 34 et suivants

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

25 octobre 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 12, paragraphe 1 – Règlement (CE) no 987/2009 – Article 14, paragraphe 1 – Travailleurs détachés – Législation applicable – Certificat A 1 – Soumission du salarié à la législation de l’État membre dans lequel est établi l’employeur – Conditions »

Dans l’affaire C‑451/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (tribunal administratif de Veliko Tarnovo, Bulgarie), par décision du 19 juillet 2017, parvenue à la Cour le 27 juillet 2017, dans la procédure

« Walltopia » AD

contre

Direktor na Teritorialna direktsia na Natsionalnata agentsia za prihodite – Veliko Tarnovo,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. J.-C Bonichot, président de la première chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. E. Regan (rapporteur) et C. G. Fernlund, juges

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le Direktor na Teritorialna direktsia na Natsionalnata agentsia za prihodite – Veliko Tarnovo, par Mme D. Boneva, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par M. D. Martin et Mme N. Nikolova, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, sous j) et l), et de l’article 12, paragraphe 1, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci-après le « règlement no 883/2004), ainsi que de l’article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « Walltopia » AD au Direktor na Teritorialna direktsia na Natsionalnata agentsia za prihodite – Veliko Tarnovo (directeur de la direction territoriale de l’agence nationale des recettes publiques de Veliko Tarnovo, Bulgarie), au sujet de la légalité d’une décision de refus de délivrance d’un certificat indiquant la législation applicable à un employé de Walltopia.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 883/2004

3 L’article 1er du règlement no 883/2004, intitulé « Définitions », qui figure au titre Ide ce dernier règlement, lui-même intitulé « Dispositions générales », prévoit :

« Aux fins du présent règlement :

[...]

c) le terme “personne assurée” désigne, par rapport aux différentes branches de sécurité sociale visées au titre III, chapitres 1 et 3, toute personne qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État membre compétent en vertu du titre II pour avoir droit aux prestations, compte tenu des dispositions du présent règlement ;

[...]

j) le terme “résidence” désigne le lieu où une personne réside habituellement ;

[...]

l) le terme “législation” désigne, pour chaque État membre, les lois, règlements et autres dispositions légales et toutes autres mesures d’application qui concernent les branches de sécurité sociale visées à l’article 3, paragraphe 1.

[...] »

4 Aux termes de l’article 2, intitulé « Champ d’application personnel », qui figure également au titre I de ce règlement :

« 1. Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants.

2. En outre, le présent règlement s’applique aux survivants des personnes qui ont été soumises à la législation d’un ou de plusieurs États membres, quelle que soit la nationalité de ces personnes, lorsque leurs survivants sont des ressortissants de l’un des États membres ou bien des apatrides ou des réfugiés résidant dans l’un des États membres. »

5 L’article 11 dudit règlement, intitulé « Règles générales », qui figure au titre II de celui-ci, lui-même intitulé « Détermination de la législation applicable », dispose :

« 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.

2. Pour l’application du présent titre, les personnes auxquelles est servie une prestation en espèces du fait ou à la suite de l’exercice de son activité salariée ou non salariée sont considérées comme exerçant cette activité. Cela ne s’applique pas aux pensions d’invalidité, de vieillesse ou de survivant, ni aux rentes pour accident de travail ou maladie professionnelle, ni aux prestations de maladie en espèces couvrant des soins à durée illimitée.

3. Sous réserve des articles 12 à 16 :

a) la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;

b) les fonctionnaires sont soumis à la législation de l’État membre dont relève l’administration qui les emploie ;

c) la personne qui bénéficie de prestations de chômage conformément aux dispositions de l’article 65, en vertu de la législation de l’État membre de résidence, est soumise à la législation de cet État membre ;

d) la personne appelée ou rappelée sous les drapeaux ou pour effectuer le service civil dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;

e) les personnes autres que celles visées aux points a) à d) sont soumises à la législation de l’État membre de résidence, sans préjudice d’autres dispositions du présent règlement qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres États membres.

[...] »

6 L’article 12 de ce même règlement, intitulé « Règles particulières », figurant également au titre II de celui-ci, énonce, à son paragraphe 1 :

« La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas 24 mois et que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée. »

Le règlement no 987/2009

7 L’article 14 du règlement no 987/2009, intitulé « Précisions relatives aux articles 12 et 13 du [règlement no 883/2004] », qui figure au titre II de ce premier règlement, lui-même intitulé « Détermination de la législation applicable », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de l’application de l’article 12, paragraphe 1, du [règlement no 883/2004], une “personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache dans un autre État membre” peut être une personne recrutée en vue de son détachement dans un autre État membre, à condition qu’elle soit, juste avant le début de son activité salariée, déjà soumise à la législation de l’État membre dans lequel est établi son employeur. »

Le droit bulgare

La Constitution de la République de Bulgarie

8 Selon l’article 51, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Bulgarie, « [l]es citoyens ont droit à la sécurité sociale et à l’aide sociale ».

9 Conformément à l’article 51, paragraphe 2, de cette Constitution :

« Les personnes privées provisoirement d’emploi bénéficient de la sécurité sociale dans des conditions et suivant des modalités établies par la loi. »

10 Aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de ladite Constitution :

« Les citoyens ont droit à une assurance maladie garantissant une aide médicale accessible et à des soins médicaux gratuits conformément aux conditions et à la procédure prévues par la loi. »

Le code du travail

11 L’article 121, paragraphe 1, du Kodeks na truda (code du travail) est libellé comme suit :

« Si les besoins de l’entreprise le nécessitent, l’employeur peut détacher le travailleur ou l’employé, pour l’exercice des obligations de travail, hors de son lieu de travail pendant une durée qui ne peut dépasser 30 jours calendrier successifs. »

Le code de la sécurité sociale

12 L’article 4, paragraphe 1, point 1, du Kodeks za sotsialno osiguriavane (code de la sécurité sociale) dispose :

« Sont obligatoirement couverts au titre des maladies habituelles et de la maternité, de l’invalidité résultant d’une maladie habituelle, de la vieillesse ou du décès, des accidents du travail, des maladies professionnelles et du chômage en vertu du présent code, les travailleurs et les employés, quelle que soit la nature de leur travail, leur mode de rémunération et la source des revenus, à l’exception des personnes visées à l’article 4a, paragraphe 1 ; les personnes relevant des programmes d’assistance maternelle et d’aide à l’emploi ne sont pas couvertes par l’assurance chômage si le programme pertinent le prévoit. »

13 L’article 9, paragraphe 2, point 4, de ce code prévoit :

« Est considérée comme période assurée, sans versement de cotisations sociales, la durée pendant laquelle la personne a perçu des indemnités de chômage. »

La loi sur l’assurance maladie

14 Il ressort de l’article 33, paragraphe 1, point 1, du Zakon za zdravnoto osiguriavane (loi sur l’assurance maladie) que tout ressortissant bulgare qui n’est pas également ressortissant d’un autre pays est obligatoirement couvert par le système national d’assurance maladie.

15 Aux termes de l’article 40, paragraphe 1, de cette loi :

« Les cotisations d’assurance santé de l’assuré, calculées conformément à l’article 29, paragraphe 3, sont fixées au regard des revenus suivants et prélevées de la manière suivante :

[...]

8. pour les personnes percevant des indemnités de chômage – le montant des indemnités versées ; les cotisations sont prélevés du budget de l’État et sont prélevées au plus tard le 10 du mois qui suit celui auquel elles se réfèrent.

[...] »

16 L’article 40, paragraphe 5, de ladite loi, prévoit, notamment, que toute personne qui n’est pas soumise à affiliation en vertu des paragraphes 1, 2 et 3 est tenue de verser des contributions sociales.

L’ordonnance sur le détachement des employés et les stages de spécialisation à l’étranger

17 L’article 2, paragraphe 1, de la Naredba za sluzhebnite komandirovki i spetsializatsii v chuzhbina (ordonnance sur le détachement des employés et les stages de spécialisation à l’étranger) est libellé comme suit :

« Le détachement à l’étranger est l’envoi d’une personne à l’étranger pour réaliser un travail concret sur ordre de l’organe détachant la personne. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18 Le 15 septembre 2016, Walltopia, établie en Bulgarie, a conclu un contrat de travail avec M. Petyo Stefanov Punchev, ressortissant bulgare, portant sur des prestations à accomplir à Sofia (Bulgarie) à compter du 16 septembre 2016. Le contrat prévoyait une période d’essai de six mois.

19 Auparavant, M. Punchev avait travaillé pour plusieurs employeurs, la dernière relation de travail ayant pris fin le 1er mars 2015.

20 M. Punchev a été détaché par Walltopia au Royaume-Uni entre le 26 septembre et le 6 octobre 2016.

21 Le 25 octobre 2016, Walltopia a licencié M. Punchev.

22 Le 13 janvier 2017, Walltopia a demandé à la Teritorialna direktsia na Natsionalnata agentsia za prihodite – Veliko Tarnovo (direction territoriale de l’agence nationale des recettes publiques de Veliko Tarnovo) (ci-après l’« autorité nationale en cause ») la délivrance du certificat A 1 attestant que la législation bulgare était applicable à M. Punchev lors de son détachement. Dans sa demande, Walltopia précisait, notamment, les données de l’entreprise auprès de laquelle M. Punchev avait été détaché ainsi que la durée du détachement. Elle mentionnait également que l’intéressé avait été recruté en vue de ce détachement et que, pendant celui-ci, il était demeuré salarié de Walltopia et rémunéré par cette dernière et qu’il avait bénéficié d’une assurance sociale couvrant les risques en matière de santé.

23 Par décision du 27 janvier 2017, l’inspecteur supérieur des recettes publiques de l’autorité nationale en cause a refusé de délivrer le certificat demandé, au motif que l’exigence relative à la soumission du salarié à la législation bulgare depuis au moins un mois avant le détachement n’était pas remplie. En effet, n’ayant pas perçu d’indemnités de chômage pendant cette période, M. Punchev ne pouvait être regardé comme ayant la qualité d’assuré.

24 À la suite d’un recours administratif introduit contre cette décision, celle-ci a été confirmée le 27 février 2017 par une décision du directeur de cette même autorité.

25 La juridiction de renvoi, saisie d’un recours juridictionnel contre ce refus, fait observer que, selon l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, une personne détachée ne demeure soumise à la législation de l’État membre dans lequel son employeur exerce normalement ses activités que lorsque certaines conditions sont satisfaites, à savoir que le détachement n’excède pas 24 mois et que la personne n’est pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée. Selon cette juridiction, il est constant que ces conditions sont remplies dans le litige au principal.

26 En revanche, la juridiction de renvoi se demande si la position de l’autorité nationale en cause, selon laquelle M. Punchev n’était pas soumis, avant le début de son activité salariée auprès de Walltopia, à la législation bulgare, est conforme à l’objectif et au sens de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, en liaison avec l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.

27 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, conformément aux dispositions de la loi sur l’assurance maladie, une personne est tenue de verser les contributions sociales obligatoires, qu’elle ait ou non exercé une activité. Le non-versement de ces contributions la priverait du droit à une couverture sociale.

28 La juridiction de renvoi éprouve par ailleurs des hésitations sur le point de savoir si elle doit tenir compte de la nationalité de la personne concernée lorsque celle-ci est un ressortissant d’un État membre, ou de la résidence habituelle de cette personne, au sens de l’article 1er, sous j), du règlement no 883/2004. Au cas où ni la nationalité ni la résidence habituelle ne seraient des éléments d’interprétation pertinents, ladite juridiction s’interroge sur les éléments à prendre en considération afin d’interpréter l’expression « soumise à la législation » figurant à l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, en liaison avec l’expression “soumise à la législation” visée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.

29 Dans ces conditions, l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (tribunal administratif de Veliko Tarnovo, Bulgarie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les dispositions combinées de l’article 14, paragraphe 1, du règlement [no 987/2009] et de l’article 12, paragraphe 1, du règlement [no 883/2004] doivent-elles être interprétées en ce sens que le salarié y visé n’est pas soumis à la législation de l’État membre d’établissement de son employeur, eu égard à la circonstance que, en vertu de la législation nationale visée à l’article 1er, sous l), du règlement [no 883/2004], dans cet État membre, cette personne n’avait pas la qualité d’assuré juste avant le début de ses activités en tant que salarié ?

2) Au cas où la réponse à la première question serait négative, aux fins de l’interprétation de la teneur et du sens de l’expression “soumise à la législation” visée à l’article 14, paragraphe 1, du règlement [no 987/2009] en liaison avec l’expression “soumise à la législation” visée à l’article 12, paragraphe 1, du règlement [no 883/2004], la juridiction nationale peut-elle tenir compte de la circonstance que la personne possède la nationalité d’un État membre étant donné que le salarié, du seul fait de sa nationalité, a été en tout état de cause soumis à la réglementation nationale ?

3) Au cas où il serait également répondu par la négative à la précédente question, aux fins de l’application des notions mentionnées dans ces questions, la juridiction nationale peut-elle tenir compte de la résidence habituelle et continue de la personne au sens de l’article 1er, sous j), du règlement [no 883/2004] ?

4) Au cas où la réponse à la troisième question serait négative, quels éléments d’interprétation doivent être utilisés par la juridiction nationale afin de déterminer la teneur de l’expression “soumise à la législation” [figurant à] l’article 12, paragraphe 1, du règlement [no 883/2004] et de l’expression “soumise à la législation” [figurant à] l’article 14, paragraphe 1, du règlement [no 987/2009], en vue de l’application du sens exact de ces dispositions ? »

Sur les questions préjudicielles

30 Par ses quatre questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, lu en combinaison avec l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, doit être interprété en ce sens qu’un salarié recruté en vue de son détachement dans un autre État membre doit être considéré comme ayant été, « juste avant le début de son activité salariée, déjà soumis à la législation de l’État membre dans lequel est établi son employeur », au sens de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, lorsque, juste avant le début de son activité salariée, et alors même qu’il n’avait pas la qualité d’assuré au titre de cette législation, ce salarié avait la nationalité dudit État membre et que sa résidence, au sens de l’article 1er, sous j), du règlement no 883/2004, se trouvait dans ce même État membre.

31 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que M. Punchev, ressortissant bulgare, a été engagé par Walltopia en vue de son détachement au Royaume-Uni. Par la suite, l’autorité nationale en cause a refusé de délivrer à Walltopia un certificat A 1 attestant que la législation bulgare était applicable à M. Punchev, au motif que ce dernier n’était pas soumis à ladite législation depuis au moins un mois avant son détachement.

32 Il convient, d’emblée, de rappeler que, selon l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, la personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas 24 mois et que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée.

33 De son côté, l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 précise qu’une personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache dans un autre État membre, au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, « peut être une personne recrutée en vue de son détachement dans un autre État membre, à condition qu’elle soit, juste avant le début de son activité salariée, déjà soumise à la législation de l’État membre dans lequel est établi son employeur ».

34 Il découle ainsi du libellé même de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 que la circonstance qu’une personne est recrutée en vue de son détachement dans un autre État membre ne fait pas obstacle à ce qu’elle puisse être considérée comme étant une « personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre », au sens de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, de telle sorte que, lorsque tel est le cas, sous réserve du respect des autres conditions prévues par cette dernière disposition, lesquelles ne font pas l’objet du présent renvoi préjudiciel, cette personne demeure soumise à la législation de l’État membre dans lequel son employeur exerce normalement ses activités, en vertu de cette dernière disposition.

35 S’il n’est ainsi pas exigé, aux fins de l’application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, qu’une personne recrutée en vue de son détachement dans un autre État membre ait exercé, dans l’État membre dans lequel son employeur exerce normalement ses activités, une activité salariée pour le compte de celui-ci avant son détachement, il ressort néanmoins du libellé de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, que cette personne doit avoir été, juste avant le début de son détachement, déjà soumise à la législation de l’État membre dans lequel est établi son employeur.

36 Cette lecture de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 se concilie avec l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, lequel prévoit, ainsi qu’il a été rappelé au point 32 du présent arrêt, que, si toutes les conditions prévues par cette dernière disposition sont remplies, la personne concernée « demeure soumise » à la législation de l’État membre dans lequel l’employeur qui le détache est établi, ce qui confirme que cette personne doit déjà être soumise à cette législation avant son détachement.

37 De même, l’interprétation selon laquelle une personne recrutée en vue de son détachement dans un autre État membre doit déjà avoir été soumise à la législation de l’État membre de l’employeur qui le détache pour que sa situation relève de l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, cette disposition dérogeant à la règle générale prévue à l’article 11, paragraphe 3, sous a), de ce règlement, se trouve également confortée par les objectifs poursuivis par l’article 12, paragraphe 1, dudit règlement.

38 En effet, cette dernière disposition a notamment pour objet de promouvoir la libre prestation des services au bénéfice des entreprises qui en font usage en envoyant des travailleurs dans d’autres États membres que celui dans lequel elles sont établies. Une telle disposition vise ainsi à surmonter les obstacles susceptibles d’entraver la libre circulation des travailleurs et également à favoriser l’interpénétration économique en évitant les complications administratives, en particulier pour les travailleurs et les entreprises (voir, par analogie, arrêt du 10 février 2000, FTS, C‑202/97, EU:C:2000:75, point 28 et jurisprudence citée).

39 En particulier, afin d’éviter qu’une entreprise établie sur le territoire d’un État membre ne soit obligée d’affilier ses travailleurs, soumis normalement à la législation de sécurité sociale de cet État, au régime de sécurité sociale d’un autre État membre où ils seraient envoyés pour accomplir des travaux d’une durée limitée dans le temps – ce qui rendrait plus compliqué l’exercice de la libre prestation des services – l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 permet à l’entreprise de conserver l’affiliation de ses travailleurs au régime de sécurité sociale du premier État membre dans la mesure où cette entreprise respecte les conditions régissant cette liberté de prestation des services (voir, par analogie, arrêt du 10 février 2000, FTS, C‑202/97, EU:C:2000:75, point 29 et jurisprudence citée).

40 Il convient donc d’examiner si une personne recrutée en vue de son détachement dans un autre État membre et se trouvant dans une situation telle que celle de M. Punchev doit être considérée comme ayant été, « juste avant le début de son activité salariée, déjà soumise à la législation de l’État membre dans lequel est établi son employeur », au sens de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009.

41 À cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que les dispositions du titre II du règlement no 883/2004, dont font partie les articles 11 à 16 de celui-ci, constituent un système complet et uniforme de règles de conflits de loi. Ces dispositions ont pour but non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter, mais également d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application de ce règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable (voir, par analogie, arrêt du 1er février 2017, Tolley, C‑430/15, EU:C:2017:74, point 58 et jurisprudence citée).

42 Ainsi, dès lors qu’une personne relève du champ d’application personnel du règlement no 883/2004, tel qu’il est défini à l’article 2 de ce dernier, la règle d’unicité énoncée à l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement est en principe applicable et la législation nationale applicable est déterminée conformément aux dispositions du titre II dudit règlement (voir, par analogie, arrêt du 1er février 2017, Tolley, C‑430/15, EU:C:2017:74, point 59 et jurisprudence citée).

43 En ce qui concerne l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 883/2004, celui-ci a pour seul objet de déterminer, sous réserve des articles 12 à 16 de ce règlement,la législation nationale applicable aux personnes se trouvant dans l’une des situations visées aux points a) à e) de cette disposition (voir, par analogie, arrêt du 1er février 2017, Tolley, C‑430/15, EU:C:2017:74, point 60 et jurisprudence citée).

44 En l’occurence, la juridiction de renvoi semble estimer que la situation de M. Punchev juste avant le début de son activité salariée auprès de Walltopia ne relevait d’aucune des hypothèses visées à l’article 11, paragraphe 3, sous a) à d), du règlement no 883/2004, ce qu’il revient à cette juridiction de vérifier.

45 Si tel devait être le cas, il résulte de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004 que la législation bulgare était, en tout état de cause, applicable à M. Punchev juste avant le début de son activité salariée auprès de Walltopia. En effet, selon cette dernière disposition, les personnes autres que celles visées à l’article 11, paragraphe 3, sous a) à d), de ce règlement sont soumises à la législation de l’État membre de résidence, sans préjudice d’autres dispositions dudit règlement qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres États membres. Or, il ressort du dossier dont dispose la Cour que M. Punchev avait sa résidence, au sens de l’article 1er, sous j), du règlement no 883/2004, en Bulgarie juste avant le début de cette activité.

46 Ensuite, si la nationalité d’une personne peut, le cas échéant, s’avérer pertinente aux fins de déterminer si celle-ci relève du champ d’application personnel du règlement no 883/2004, tel que défini à l’article 2 de celui-ci, elle ne compte pas en tant que telle, pour autant, parmi les critères énoncés par les règles de conflit figurant au titre II de ce règlement, de telle sorte que, en l’occurrence, le fait que M. Punchev possède la nationalité bulgare ne saurait, en tout état de cause, à lui seul, être déterminant aux fins de l’application desdites règles.

47 Enfin, s’agissant de la circonstance selon laquelle l’autorité nationale en cause au principal a considéré que, étant donné que M. Punchev n’avait plus de droits en matière d’assurance santé et n’était pas un « assuré » en droit bulgare, la législation bulgare ne lui était pas applicable, il y a lieu de rappeler que, certes, les dispositions du titre II du règlement no 883/2004 ont pour seul objet de déterminer la législation nationale applicable aux personnes relevant du champ d’application de ce règlement. En tant que telles, elles n’ont pas pour objet de déterminer les conditions de l’existence du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale ou à telle ou telle branche de pareil régime. Ainsi que la Cour l’a indiqué à plusieurs reprises, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer ces conditions (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 1990, Kits van Heijningen, C‑2/89, EU:C:1990:183, point 19 et jurisprudence citée).

48 Toutefois, en fixant les conditions de l’existence du droit de s’affilier à un régime de sécurité sociale, les États membres sont tenus de respecter les dispositions du droit de l’Union en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 1990, Kits van Heijningen, C‑2/89, EU:C:1990:183, point 20 et jurisprudence citée). En particulier, les règles de conflit prévues par le règlement no 883/2004 s’imposent de manière impérative aux États membres et ces derniers ne disposent donc pas de la faculté de déterminer dans quelle mesure est applicable leur propre législation ou celle d’un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 1982, Kuijpers, 276/81, EU:C:1982:317, point 14 ; du 12 juin 1986, Ten Holder, 302/84, EU:C:1986:242, point 21 ; du 14 octobre 2010, van Delft e.a., C‑345/09, EU:C:2010:610, points 51 et 52, ainsi que du 13 juillet 2017, Szoja, C‑89/16, EU:C:2017:538, point 42).

49 Les conditions de l’existence du droit de s’affilier à un régime de sécurité sociale ne peuvent donc avoir pour effet d’exclure du champ d’application de la législation en cause les personnes auxquelles, en vertu du règlement no 883/2004, cette législation est applicable (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 1990, Kits van Heijningen, C‑2/89, EU:C:1990:183, point 20 et jurisprudence citée). En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 41 du présent arrêt, les dispositions du titre II de ce règlement ont pour but, notamment, d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application de ce règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable.

50 Or, en l’occurrence, il ne découle pas du dossier soumis à la Cour qu’une législation d’un État membre autre que la République de Bulgarie aurait été applicable à M. Punchev juste avant le début de son activité salariée auprès de Walltopia, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

51 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, lu en combinaison avec l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, doit être interprété en ce sens qu’un salarié recruté en vue de son détachement dans un autre État membre doit être considéré comme ayant été, « juste avant le début de son activité salariée, déjà soumis à la législation de l’État membre dans lequel est établi son employeur », au sens de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, alors même que ce salarié n’avait pas la qualité d’assuré en application de la législation de cet État membre juste avant le début de son activité salariée, dès lors que le salarié avait à ce moment sa résidence dans ledit État membre, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, lu en combinaison avec l’article 12, paragraphe 1, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, doit être interprété en ce sens qu’un salarié recruté en vue de son détachement dans un autre État membre doit être considéré comme ayant été, « juste avant le début de son activité salariée, déjà soumis à la législation de l’État membre dans lequel est établi son employeur », au sens de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, alors même que ce salarié n’avait pas la qualité d’assuré en application de la législation de cet État membre juste avant le début de son activité salariée, dès lors que le salarié avait à ce moment sa résidence dans ledit État membre, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.