Fausse sous-traitance

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 octobre 2020, 19-84.947, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 19-84.947
ECLI:FR:CCASS:2020:CR01692
Non publié au bulletin
Solution : Cassation partielle

Audience publique du mardi 13 octobre 2020
Décision attaquée : Cour d’appel de Metz, du 04 avril 2019

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
Me Haas, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° B 19-84.947 F-D

N° 1692

CK
13 OCTOBRE 2020

REJET
CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 OCTOBRE 2020

MM. M... U... et H... V... ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 4 avril 2019, qui, pour recours au travail dissimulé, les a condamnés ainsi que la société Finax consulting, pour le premier à un an d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende, pour le second à neuf mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende et pour la dernière à 100 000 euros d’amende avec sursis, et a statué sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de M. H... V..., de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. M... U..., les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’URSSAF Lorraine, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 1er septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. En novembre 2013, des inspecteurs de l’URSSAF Lorraine ont opéré un contrôle d’assiette au sein de la société Finax consulting ayant pour activité le développement de réseaux de téléphonie pour le compte de grands sous-traitants de la téléphonie et des opérateurs de téléphonie, dont M. U... a été, entre 2011 et 2013, le gérant, associé à 80 % et M. V..., salarié et associé à 20 %.

3. Les investigations ont permis de mettre en évidence que la société Finax consulting faisait appel à des consultants qui, bien que domiciliés en France, lui étaient facturés par des entreprises situées au Luxembourg (Evolys) ou à Chypre (Hecuba), sans que ces consultants ne cotisent ni en France, ni au Luxembourg, ni à Chypre. Ils étaient ensuite refacturés par la société Finax consulting à ses clients.

4. Au vu de ces éléments, l’URSSAF Lorraine a porté plainte et s’est constituée partie civile. Le procureur de la République a décidé de l’ouverture d’une information judiciaire, le 24 avril 2014, du chef d’exécution d’un travail dissimulé par dissimulation de salariés. L’enquête a permis de démontrer l’existence d’un montage juridique international ayant, notamment, pour but de contourner la législation sociale française par l’embauche de salariés sous couvert de contrats de sous-traitance.

5. Sur décision du juge d’instruction, la société Finax consulting, M. U..., et M. V... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.

6. Le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus. Le ministère public et l’URSSAF ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour M. U...

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a, infirmant le jugement entrepris, déclaré M. M... U... coupable du chef de recours au travail dissimulé et l’a condamné à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende alors :

1°/ « que l’infraction de recours direct ou indirect aux services de celui qui exerce un travail dissimulé suppose que ce dernier ait une relation de travail avec les salariés mis à disposition du prévenu ; qu’en relevant pour requalifier les faits, que les sociétés étrangères « n’avaient aucun contact avec leurs prétendus salariés mis à disposition de la SARL Finax consulting », de sorte qu’aucune relation de travail ne pouvait être caractérisée, tout en déclarant M. U... coupable de ce délit, la cour d’appel a méconnu les articles L. 8221-1 et L. 8224-1 du code du travail ;

2°/ qu’en outre, l’infraction de recours direct ou indirect aux services de celui qui exerce un travail dissimulé suppose qu’il soit établi que ce dernier ait commis l’infraction de travail dissimulé au regard des obligations déclaratives qui s’applique à sa situation, qu’en se bornant à relever que les sociétés étrangères « ne remplissaient aucune de leurs obligations déclaratives en matière sociale tant dans leur pays d’origine qu’en France alors qu’elles étaient censées employer des salariés de nationalité française (
) » sans s’expliquer sur les éléments permettant de déclarer les sociétés étrangères coupables de travail dissimulé au regard de la législation applicable à celles-ci, la cour d’appel a privé sa décision de base légale, au regard des articles L. 8221-1, L. 8224-1 du code du travail et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu’enfin, il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ; que le fait de recourir sciemment à une personne exerçant un travail dissimulé est une infraction d’action ; que la cour d’appel ne pouvait déclarer M. U... coupable de ce délit sans dire en quoi celui-ci, représentant la société Finax consulting, avait eu recours en toute connaissance de cause de la situation de travail dissimulé, aux entreprises étrangères FDT, Hecuba et Evolys ; qu’elle a ainsi violé les articles L. 8221-1 du code du travail, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour déclarer M. U... coupable du chef de recours au travail dissimulé, l’arrêt attaqué énonce que la société Finax consulting a eu recours à des consultants exerçant, notamment, en qualité de salariés de sociétés de droit étranger dont l’instruction a démontré que celles-ci, soit étaient des coquilles vides (FDT), soit exerçaient dans un domaine sans lien avec l’activité de la société Finax consulting (Hecuba), qu’elles n’avaient aucun contact avec leurs prétendus salariés mis à disposition de la société Finax consulting, et qu’elles ne remplissaient aucune de leurs obligations déclaratives en matière sociale, tant dans leur pays d’origine qu’en France, alors qu’elles étaient censées employer des salariés de nationalité française, recrutés en France, domiciliés en France et y exécutant principalement leur prestation de travail pour le compte de sociétés françaises ou de filiales françaises de sociétés étrangères, de sorte que l’intervention d’Hecuba, Evolys et FDT se limitait à de la facturation de main d’oeuvre dans le cadre d’un montage permettant de faire travailler des intervenants en franchise de cotisations sociales.

9. Les juges ajoutent qu’il ressort des déclarations des protagonistes que cette situation était non seulement parfaitement connue de M. U... mais surtout sciemment utilisée par lui pour faciliter le recrutement de personnes recherchées dans le monde du travail sur leur domaine de compétence et ayant de fortes prétentions en matière de rémunération.

10. Ils relèvent que le recours à des sociétés défaillantes dans leurs déclarations sociales et fiscales permettait à la société Finax consulting de répondre aux exigences pécuniaires des consultants en leur proposant des rémunérations nettes d’autant plus élevées qu’elles étaient exemptes de toute cotisation sociale, M. U... admettant que les prestations des consultants pouvaient jusqu’à doubler en facturant leur activité par l’intermédiaire de sociétés à l’étranger.

11. Ils retiennent que la société Finax consulting, par l’intermédiaire de son représentant légal, a sciemment eu recours aux services des sociétés Evolys Hecuba et FDT, employeurs dissimulant l’emploi de leurs salariés, M. U... ne pouvant voir sa responsabilité pénale écartée au seul motif qu’il n’a fait que répondre aux exigences de ses interlocuteurs.

12. Les juges concluent qu’il appartenait au prévenu, en sa qualité de chef d’entreprise, de se conformer à la loi et non d’adhérer à un système destiné à la contourner.

13. En l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision.

14.En effet, d’une part, les juges ont souverainement relevé que les sociétés étrangères auxquelles avaient recours les prévenus ont manqué à leurs obligations déclaratives des salariés qu’elles prétendaient employer.

15. D’autre part, commet le délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé celui qui sciemment participe à la mise en place d’un montage visant à éluder les cotisations sociales quand il est tenu par les articles L. 8222-1 et D. 8222-7 du code du travail s’agissant de sociétés établies à l’étranger, de vérifier la régularité, au regard des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 dudit code, de la situation des entreprises dont il utilise les services.

16. Le moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen proposé pour M. U...

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a, infirmant le jugement entrepris, déclaré M. M... U... coupable du chef de recours au travail dissimulé et l’a condamné à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende alors « que la peine d’amende privant la personne condamnée d’une partie de son patrimoine, doit être motivée au regard de ressources et charges du prévenu ; qu’en se bornant à se référer au seul patrimoine immobilier de M. U... sans dire en quoi, au cas d’espèce, au regard des ressources et des charges du prévenu, la nécessité des peines et le principe de proportion commandaient une peine d’amende de 15 000 euros, peine qui affecte tant la situation matérielle que familiale de M. U..., les juges du fond ont privé leur décision de base au regard des articles 132-1 et 132-20, du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

18. Pour condamner M. U... à un an d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende, l’arrêt attaqué énonce que les faits ont été commis de façon réitérée durant une période de temps significative et, tant par leur nature, leur durée que leurs conséquences ont porté atteinte à des principes d’ordre public protecteurs des salariés et à des dispositions mettant en oeuvre des objectifs de solidarité nationale.

19. Les juges relèvent que ces circonstances justifient le prononcé d’un avertissement solennel sous la forme d’une peine d’un an d’emprisonnement intégralement assortie du sursis.

20. Ils ajoutent que l’optimisation des profits manifestement poursuivie par le prévenu justifie le prononcé d’une peine de 15 000 euros d’amende, ce montant étant adapté aux ressources et charges de l’intéressé, l’instruction ayant établi que M. U... est propriétaire d’un immeuble estimé au moment de l’instruction à 348 000 euros pour un capital emprunté restant dû de 197 814,28 euros, d’un autre bien immobilier estimé à 162 000 euros pour un capital emprunté restant dû de 44 561,97 euros et de parts majoritaires ou à égalité dans quatre SCI.

21. En prononçant ainsi, et dès lors qu’il résulte de l’arrêt que les juges se sont prononcés au regard des revenus et des charges du prévenu, selon les indications qui ont pu apparaître au cours des débats, l’intéressé n’alléguant pas avoir fourni des éléments qui n’auraient pas été pris en compte, la cour d’appel a justifié sa décision.

22. Dès lors, le moyen n’est pas fondé.

Mais sur le premier moyen proposé pour M. V...

Enoncé du moyen

23 Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. V... coupable d’avoir été complice du délit de recours au travail dissimulé commis par la société Finax Consulting et M. U... alors « que s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; qu’en retenant la culpabilité de M. V... sans qu’il ne résulte d’aucune mention de l’arrêt ni d’aucune pièce de procédure que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la qualification de complicité du délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé commis par la société Finax Consulting et M. U..., retenue pour la première fois en cause d’appel, les observations des parties n’ayant été sollicitées que sur la qualification de coauteur de ce délit, la cour d’appel a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire, 388 et 512 du code de procédure pénale ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 6 , § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, 388 et préliminaire du code de procédure pénale :

24. Il résulte de ces textes que s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée.

25. Il ressort de l’arrêt attaqué et de la procédure que M. V... a été poursuivi pour avoir omis intentionnellement de procéder à la déclaration nominative à l’embauche de consultants notamment sous couvert de statut libéral ou d’auto-entrepreneur ou par l’intermédiaire de sociétés française ou de sociétés off-shore étrangères et qu’au cours du rapport, la cour d’appel, le prévenu étant assisté par son conseil, a mis dans le débat la requalification des faits poursuivis en recours au travail dissimulé.

26. Pour déclarer M. V... coupable de complicité de recours au travail dissimulé, l’arrêt attaqué énonce que le prévenu a porté aide et assistance à la société Finax consulting et à M. U... en dirigeant les consultants désirant travailler pour cette société vers les sociétés étrangères défaillantes en matière de déclarations sociales, soit sur instructions de M. U..., soit de sa propre initiative, en rédigeant les contrats de sous-traitance et en les faisant signer par la société de droit étranger, la société Finax consulting et le consultant.

27. Les juges ajoutent que la participation active et en toute conscience de M. V... au système destiné à éluder les cotisations sociales ne permet pas au prévenu de s’exonérer lui-même de sa responsabilité pénale engagée par ses agissements personnels, en arguant qu’il n’était qu’un simple salarié, qu’il ne maîtrisait pas le contenu des contrats qu’il ne lui appartenait pas de lire et que tout cela ne le concernait pas.

28. Ils relèvent que le prévenu sera déclaré coupable d’avoir été complice du délit de recours au travail dissimulé commis par la société Finax consulting et M. U... en les aidant ou en les assistant sciemment dans sa préparation ou sa consommation, en l’espèce, en dirigeant des postulants à des missions de prestation de service auprès de ladite société vers des sociétés de droit étranger défaillantes dans leurs obligations déclaratives et de paiement en matière de cotisations sociales, en rédigeant des contrats de sous-traitance avec ces sociétés, et en faisant signer et en signant lui-même ces contrats.

29. Ils concluent que la requalification à hauteur de cour ne heurte pas le principe du double degré de juridiction en ce qu’elle porte sur des faits contradictoirement débattus devant le tribunal correctionnel.

30. En statuant ainsi, alors qu’il ne résulte pas de l’arrêt que le prévenu, seulement informé d’une éventuelle requalification en recours au travail dissimulé, ait été invité à se défendre sur les faits de complicité de ce même délit, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

31. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les deuxième et troisième moyens proposés pour M. V..., la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. M... U... :

LE REJETTE ;

Sur le pourvoi formé par M. V... :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Metz, en date du 4 avril 2019, mais en ses seules dispositions relatives à la condamnation de M. V..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT que M. U... devra payer la somme de 2 500 euros à l’URSSAF de Lorraine en application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize octobre deux mille vingt.