Fausse sous-traitance - faux détachement

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 23 janvier 2018

N° de pourvoi : 16-86973

ECLI:FR:CCASS:2018:CR03285

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 

M. Alberto X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de RIOM, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 2016, qui, pour travail dissimulé, l’a condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 28 novembre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Talabardon, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire TALABARDON, les observations de la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LEMOINE ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme partiellement et des pièces de procédure que M. X... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de travail dissimulé pour avoir, en sa qualité de président de la société Vériferme, exploitant une entreprise de plâtrerie, employé, sous le couvert d’une sous-traitance avec la société de droit portugais Tempo indeterminado qui les mettait à sa disposition, quinze salariés détachés, sans procéder à leur déclaration nominative préalable à l’embauche et leur remettre un bulletin de paie ; que les juges du premier degré l’ont déclaré coupable des faits et condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à une amende de 10 000 euros ; que le prévenu, à titre principal, et le ministère public, à titre incident, ont relevé appel de la décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 1262-1, L. 8224-1, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4 L. 8221-5 et L. 8221-6 du code du travail, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt a déclaré M. Alberto X... coupable de travail dissimulé, l’a condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis et au versement d’une amende de 10 000 euros, l’a condamné à payer à l’Urssaf d’Auvergne la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts, l’a condamné à payer à l’Union Syndicale de la Construction du Bois et de l’Ameublement CGT les sommes de 1 000 euros à titre de dommages et intérêt et l’a condamné à payer à la Fédération du Bâtiment et des travaux publics du Puy de Dôme la somme d’un euro à titre de dommages et intérêts ;

”aux motifs que dans ses conclusions M. X... sollicite sa relaxe et le déboutement des parties civiles ; qu’il fait valoir que les éléments propres à sa culpabilité ne sont pas réunis : - il ne peut être retenu de subordination juridique car les salariés de Tempo Indeterminado n’ont pas travaillé sous la subordination juridique de Veriferme et le fait qu’il a été dirigeant des deux sociétés n’implique nullement qu’il avait un pouvoir de direction sur les salariés portugais ; - la société Veriferme disposait des formulaires A1 conformes lui permettant d’avoir recours au détachement de salariés de la société Tempo Interminado ; - la société Tempo Indeterminado n’est pas sous la subordination de Vériferme et le montant de son chiffre d’affaires est indépendant du travail dissimulé ; que la cour constate cependant, comme le premier juge, que les critères de la sous-traitance ne sont pas remplies en effet, si le chiffre d’affaires réalisé par Tempo Indeterminado en France n’a pas d’incidence sur la qualification de l’infraction, il résulte de la procédure que sur le chantier de rénovation de la poste à Clermont-Ferrand les critères de licéité de la sous-traitance ne sont pas réunis en effet : - les salariés de Tempo Inderminado étaient sous les ordres du chef de chantier de Veriferme, le chef de chantier de Tempo n’étant présent que par intermittence, et pleinement intégré aux équipes de Vériferme et à son planning ; - les matériaux et matériels utilisés sur le chantier par les salariés de Tempo Indeterminado sont fournis par Veriferme, seul quelques équipements de protection individuelle sont procurés par Indeterminado ; - les salariés de Tempo Indeterminado n’apportent pas sur le chantier une compétence particulière distincte des autres salariés travaillant sur les chantiers mais apparaissent comme de simples exécutant : que par ailleurs, il ressort des investigations que certains salariés ont été recrutés par Tempo Indeterminado dans le but d’être détachés en France et que le maître de l’ouvrage ignorait l’activité de salariés de cette entreprise sur son chantier ; qu’ainsi, l’absence de sous-traitance est établie et M. X... ne peut soutenir qu’il ne possédait pas de pouvoir de direction sur la salariés de Tempo Indeterminado, entreprise écran, qui lui a permis d’omettre de déclarer les salariés auprès des services de l’Urssaf et de ne pas établir de bulletins de salaires ; que la possession de formulaires A1 conformes ne pouvant être considéré comme l’exonérant de ses obligations car elle n’est qu’un élément visant à dissimuler la situation juridique réelle de ces salariés ; que par ailleurs, la présence de six salariés sur le territoire français depuis plus de vingt-quatre mois fait preuve de ce que M. X... ne s’est en rien préoccupé de la législation applicable ; que le jugement entrepris sera confirmé sur la culpabilité ; que la cour considère que ces actes, recours à une fausse sous-traintance, ont manifestement pour but de réaliser des économies sur la masse salariale ce que M. X... évoque en parlant de « gagner en souplesse et obtenir des chantiers » ce qui, dans les faits, comme l’a noté la Dirrecte, « induit des distorsions dans la concurrence avec des entreprises du secteur qui respectent la réglementation » et principalement, au préjudice des salariés embauchés dans ces conditions qui n’ont pas bénéficié des conditions légales protectrices, doivent être rigoureusement sanctionnés, et, infirmant le jugement entrepris, condamne M. X..., qui, au moyen d’une fausse sous-traitance, a mis en place un système lui permettant de contourner la législation sur le travail au profit de l’entreprise qu’il gérait et s’est, consciemment placé hors la loi aux fins d’en tirer les bénéfices illicites, à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à celle de 10 000 euros d’amende ;

”1°) alors que le délit de travail dissimulé suppose l’existence d’un lien de subordination entre le prévenu et les prétendus salariés ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements ; qu’en se bornant à juger, pour condamner M. X... du chef de travail dissimulé, que les salariés de la société X... étaient sous les ordres du chef de chantier de la société Vériferme, qu’ils utilisaient des matériaux fournis par cette dernière et qu’il n’apportaient sur le chantier aucune compétence particulière et alors qu’elle constatait elle-même que les salariés de la société Tempo Inderminado avaient leur propre chef de chantier, la cour d’appel n’a pas caractérisé d’existence d’un lien de subordination entre la société Vériferme et les salariés de la société Tempo Indeterminado et n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

”2°) alors que la charge de la preuve pèse sur la partie poursuivante ; qu’en jugeant qu’en l’absence de sous-traitance « M. X... Alberto ne [pouvait] soutenir qu’il ne possédait pas de pouvoir de direction sur les salariés Tempo Indeterminado », la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation des textes susvisés ;

”3°) alors que le délit de travail dissimulé suppose l’existence d’une intention coupable ; qu’en se bornant à relever que la possession de formulaires A1 « conformes » ne pouvait être considéré comme exonérant l’employeur de ses obligations de déclaration préalable et de remise d’un bulletin de salaire « car elle n’était qu’un élément visant à dissimuler la situation juridique réelle » des salariés de la société Tempo Indeterminado sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si la société Vériferme et ses dirigeants ne pouvaient pas légitimement penser au vu des formulaires A1 mis à leur disposition par la société Tempo Indeterminado que les salariés étaient régulièrement détachés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés” ;

Attendu que, pour confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, exemptes d’insuffisance, contradiction ou inversion de la charge de la preuve de la culpabilité du prévenu, et procédant de l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, d’où il résulte que les salariés oeuvrant pour le compte de la société Vériferme, sous le couvert d’une sous-traitance avec la société Tempo indeterminado, se trouvaient en réalité dans un lien de subordination directe par rapport au prévenu, et dès lors que les juges ont nécessairement entendu écarter l’argumentation de l’intéressé, selon laquelle l’affiliation de ces salariés au régime portugais de la sécurité sociale était de nature à établir sa bonne foi, la cour d’appel, qui a caractérisé le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié en tous ses éléments constitutifs, tant matériel qu’intentionnel, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, 132-1, 132-20 du code pénal, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt a condamné M. X... au versement d’une amende de 10 000 Euros ;

”aux motifs que M. X... est né le [...] à Poiares au Portugal ; qu’il est français, marié, le couple a trois enfants ; qu’il est dirigeant de société et a estimé ses revenus à 5 000 euros ; [

] ; que la cour considère que ces actes, recours à une fausse sous-traitance, ont manifestement pour but de réaliser des économies sur la masse salariale ce que M. X... évoque en parlant de « gagner en souplesse et obtenir des chantiers » ce qui, dans les faits, comme l’a noté la Dirrecte, « induit des distorsions dans la concurrence avec des entreprises du secteur qui respectent la réglementation » et principalement, au préjudice des salariés embauchés dans ces conditions qui n’ont pas bénéficié des conditions légales protectrices, doivent être rigoureusement sanctionnés, et, infirmant le jugement entrepris, condamne M. X..., qui, au moyen d’une fausse sous-traitance, a mis en place un système lui permettant de contourner la législation sur le travail au profit de l’entreprise qu’il gérait et s’est, consciemment placé hors la loi aux fins d’en tirer les bénéfices illicites, à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à celle de 10 000 euros d’amende ;

”alors qu’en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; qu’en motivant une peine d’amende au regard de la seule gravité des faits et des revenus du prévenu sans s’expliquer sur les charges de ce dernier qu’elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Attendu que, pour confirmer le jugement sur le prononcé d’une peine d’amende de 10 000 euros, l’arrêt statue par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui répondent à l’exigence résultant des articles 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal, 485 et 593 du code de procédure pénale, selon laquelle, en matière correctionnelle, la peine d’amende doit être motivée au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges, et dès lors qu’il ne ressort ni des conclusions déposées par le prévenu devant la cour d’appel, ni des énonciations de l’arrêt, que l’intéressé se soit prévalu devant la juridiction du second degré du caractère disproportionné, au regard de ses charges, de l’amende prononcée par les premiers juges, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois janvier deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Riom , du 10 novembre 2016