Contrat d’intégration

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 19 décembre 2000

N° de pourvoi : 00-82708

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf décembre deux mille, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de Me Le PRADO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de E... ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Jean-François,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AGEN, chambre correctionnelle, en date du 27 mars 2000, qui l’a condamné, pour travail clandestin par dissimulation de salariés, à une amende de 20 000 francs et la publication de la décision ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11 et L. 362-3 du Code du travail, de l’article 122-3 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-François X... coupable de travail dissimulé ;

”après avoir retenu que les trois gaveurs concernés par les faits de la cause (c’est-à-dire Mario C... A..., Eusebio G... Z... Alfredo B... Silva) se sont, certes, inscrits à la Mutualité Sociale Agricole du Lot et Garonne (respectivement les le 1er janvier 1995, 15 février 1995 et 15 février 1997) en qualité d’exploitant agricole exerçant une activité de gaveurs de canards ;

qu’il est établi que les susnommés, de nationalité portugaise (qui ne peuvent ni lire, ni écrire le français qu’Alfredo B... Silva ne sait pas parler) ont été reçus, à leur arrivée, par Jacques Y... avec lequel ils ont discuté des conditions de location du logement d’habitation, du hangar de la ferme ainsi que du matériel de gavage et qui les a conseillés dans le cadre de leur affiliation à la MSA et des formalités à accomplir pour bénéficier du statut d’exploitant agricole ; qu’il n’est pas contesté que les gaveurs, qui ne disposaient d’aucun contrat de location écrit, étaient logés à la ferme de Saint Salvy, utilisaient les bâtiments d’élevage ainsi que le matériel nécessaire au gavage et au transport des animaux et ne payaient directement aucun loyer ni aucune facture relative aux dépenses d’énergie ou encore à l’acquisition, à l’entretien et au transport des animaux ; que ces gaveurs étaient rémunérés en fonction d’une grille de prix déterminé et discuté par la société La Ferme de Pech Redon ; qu’une partie de cette grille (27 francs par canard en moyenne) correspondait au prix des locations tant privées que professionnelles, à la consommation en eau et en électricité, au coût des aliments et des frais vétérinaires à l’utilisation du matériel de gavage et au transport des animaux (le tout étant réglé par la société La Ferme de Pech Redon) tandis que l’autre partie (6 à 7 francs par canard en moyenne) représentait la rémunération des gaveurs, étant relevé qu’aucun contrat écrit n’a été régularisé entre France Y... (en sa qualité de prestataire de service) et la société La Ferme de Pech Redon ; que la facturation à cette dernière

société était établie et rédigée par Jacques Y... sur des imprimés à en tête de France Y..., que les canards étaient fournis prêts à gaver par la société La Ferme de Pech Redon et étaient abattus, après engraissement, à l’abattoir de la SICA Gascogne Palmipèdes et que l’alimentation ainsi que les produits vétérinaires destinés à ces animaux étaient inclus dans les prestations facturées à la société La Ferme de Pech Redon au nom de France Y..., précision étant faite que les gaveurs ne s’occupaient aucunement de ces acquisitions ; qu’il n’est pas indifférent de relever qu’un technicien de la société La Ferme de Pech Redon se déplaçait chaque semaine à la ferme de Saint Salvy pour assurer les contrôles et s’entretenait essentiellement avec Jacques Y..., que les gaveurs n’avaient aucun contact personnel avec ladite société (dont l’interlocuteur privilégié était Jacques Y...) ainsi que l’a déclaré Mme F..., secrétaire de direction de cette société et que les gaveurs étaient en relation avec Jacques Y... ; qu’au demeurant, l’un des gaveurs a indiqué qu’il n’avait pas l’impression d’être un travailleur indépendant (tandis que l’un des deux autres gaveurs a reconnu qu’il était incapable de gérer seul son exploitation) et que l’expert judiciaire (commis dans le cadre de la procédure d’information) a conclu que les facturations des gaveurs ne correspondaient qu’à des prestations de main-d’oeuvre ; qu’en l’état de ces énonciations, les premiers juges ont, à bon droit et en des motifs pertinents qui seront adoptés, retenu l’état de subordination juridique des gaveurs à l’égard de Jacques Y... qui s’est volontairement soustrait à l’accomplissement des formalités légales qui résultent de l’existence de contrats de travail ;

”aux motifs que sous le bénéfice des précédentes constatations, il apparaît, notamment, que les gaveurs travaillaient exclusivement pour l’entreprise dirigée par le susnommé, laquelle fournissait les canards prêts à gaver ainsi que leur alimentation (avant que d’être abattus dans les locaux de la SICA Gascogne Palmipèdes) les réglait périodiquement (de manière non forfaitaire et dans les conditions ci-dessus rappelées) et que leur travail était contrôlé par un technicien de la société La Ferme de Pech Redon qui en vérifiait la bonne exécution ; que ces constatations et celles plus amples ci-avant développées caractérisent l’état de subordination juridique et économique des gaveurs à l’égard de Jean-François X... révélant l’existence de contrats de travail ; que la responsabilité pénale du prévenu sera retenue dès lors que le caractère intentionnel du délit résulte, en la cause, des manquements constatés qui démontrent la volonté de dissimuler l’existence de salariés ; que Jean-François X... s’est, donc, bien rendu coupable des faits qui lui sont reprochés et qu’il y a lieu de le retenir dans les liens de la prévention ;

”alors que, d’une part, ayant constaté qu’il existait un état de subordination juridique entre les gaveurs de canard, Mario C... A..., Eusebio G... Z... Alfredo B... Silva et M. Y... et que ce dernier s’était volontairement soustrait à l’accomplissement des formalités légales résultent de l’existence de contrats de travail, la cour d’appel ne pouvait, sans se contredire, affirmer ensuite que les gaveurs travaillaient exclusivement pour la société La Ferme de Pech Redon pour en déduire que Jean-François X..., qui dirigeait cette entreprise, avait omis de procéder à l’accomplissement des formalités requises par l’article L. 324-10 du Code du travail, commettant ainsi le délit de travail dissimulé ;

”alors que, d’autre part, il a été établi par l’information que le maïs était fourni aux gaveurs par M. D..., un concurrent de la société Provendes Viallet (côte D 75 page 4) et que Jean-François X... était totalement étranger à la fourniture des aliments ; que la cour d’appel a, d’ailleurs, elle-même, constaté que la rémunération des gaveurs était fonction d’une grille de prix dont une partie correspondait au coût des aliments, d’où il s’évince que ceux-ci n’étaient pas fournis par la société dirigée par Jean-François X... ; qu’ en retenant que l’entreprise la société La Ferme de Pech Redon fournissait l’alimentation des canards prêts à gaver, la cour d’appel a entaché sa décision d’une nouvelle contradiction ;

”alors que, encore, ni la fourniture de canards prêts à gaver à des gaveurs indépendants inscrits à la MSA, qui est une pratique courante, ni le règlement périodique mais non forfaitaire de ces gaveurs, ni le fait qu’un technicien commercial de la société La Ferme de Pech Redon se rende sur les lieux de gavage, dès lors qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt attaqué que ce technicien s’entretenait essentiellement avec M. Y..., ne sont de nature à caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique et économique entre les gaveurs de canards et Jean-François X... ;

qu’en affirmant le contraire, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen ;

”alors que, en outre, seule l’inobservation intentionnelle des formalités énumérées à l’article L. 324-10 du Code du travail caractérise le délit de travail clandestin prévu à l’article L. 324-9 du même Code ; qu’en se contentant de constater l’élément matériel du délit de travail clandestin pour en déduire l’existence de l’élément intentionnel, sans rechercher ni constater que Jean-François X... avait sciemment omis d’accomplir les formalités sociales requises, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen ;

”alors que, enfin, la cour d’appel ne s’est pas expliquée sur l’application de l’article 122-3 du Code pénal, invoqué par Jean-François X... dans ses écritures d’appel et qu’elle a, ainsi, entaché sa décision de défaut de motifs” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Karsenty conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. De Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel d’AGEN, chambre correctionnelle du 27 mars 2000