Co responsabilité avec gérant de fait oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 22 août 2018

N° de pourvoi : 17-83966

ECLI:FR:CCASS:2018:CR01784

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Jean-Philippe Caston, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 

Mme Sylviane X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 29 mai 2017, qui, pour travail dissimulé, l’a condamnée à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 19 juin 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Y..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Y..., les observations de la société civile professionnelle JEAN-PHILIPPE CASTON, de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général Z... ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-1 du code pénal, L. 8221-1, L. 8224-1 et L. 8224-3 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Mme X... coupable d’exécution de travail dissimulé et l’a condamnée à une peine de quatre mois d’emprisonnement assortie du sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

”aux motifs que Mme X... était la gérante de droit de la société World Constructions ; qu’elle ne discute pas la matérialité des infractions relevées par l’URSSAF et pour lesquelles elle est poursuivie, mais se retranche derrière la délégation de pouvoirs tacite qu’elle aurait donnée à son époux ; que toutefois Mme X... a accepté la gérance de cette société en toute connaissance de l’impossibilité pour son mari, qui avait fait l’objet d’une interdiction de gérer pendant 15 ans prononcée par le tribunal de commerce de Paris le 17 juillet 2001, d’occuper une telle fonction ; qu’aussi, elle ne peut aujourd’hui se retrancher derrière le fait qu’elle n’exerçait aucune activité, ni aucun contrôle à la tête de cette société dont M. A... était le véritable animateur ; qu’en effet, nonobstant la plainte qu’elle a déposée le 5 novembre 2009 contre son mari, elle a reconnu lors de son audition du 26 avril 2012 dans le cadre de cette affaire, qu’elle était bien un « prête-nom » à la tête de cette société et en avait accepté la gérance de droit ; qu’elle ne saurait aujourd’hui échapper à la responsabilité qui en découle et se prévaloir du système frauduleux mis en place avec sa complicité pour permettre à son mari de poursuivre une activité qui lui était interdite ; qu’il ne peut y avoir l’espèce de délégation de pouvoirs puisque, pour être valable, une telle délégation ne peut être faite qu’au profit d’un salarié de la société, statut que manifestement M. A... n’avait pas, et ayant les moyens d’exercer les pouvoirs délégués, ce qui là encore est exclu du fait de l’interdiction de gérer qui le frappait ; qu’aussi Mme X... s’est bien rendue coupable des infractions qui lui sont reprochées et le jugement doit être confirmé sur la déclaration de culpabilité ; qu’il doit l’être également sur les peines prononcées à son encontre, adaptées à la gravité des infractions, aux préjudices causés et à la personnalité de Mme X... qui ne fournit aucun élément actualisé sur sa situation financière ; que s’agissant des condamnations civiles, le tribunal a fait une exacte appréciation du préjudice moral subi par M. B... qui a été licencié sans indemnité et sur la somme qui lui a été allouée sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, sauf à dire que cette condamnation n’est pas solidaire mais in solidum avec M. A... ; qu’en ce qui concerne l’URSSAF PACA, celle-ci a correctement évalué son préjudice au titre des cotisations éludées pour 14 salariés pendant la période visée à la prévention ; que sa demande est justifiée et le jugement qui y a fait droit pour la somme réclamée de 253 450 euros doit être confirmé ;

”1°) alors que hors le cas où la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ; qu’en affirmant, pour déclarer Mme X... coupable d’exécution de travail dissimulé, qu’il ne pouvait y avoir de délégation de pouvoirs de l’intéressée au profit de M. A..., puisque pour être valable une telle délégation ne pouvait être faite qu’au profit d’un salarié de la société, statut que manifestement M. A... n’avait pas, quand la délégation de pouvoirs pouvait être donnée à une personne occupant les fonctions d’un gérant de fait, tel M. A..., la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”2°) alors que hors le cas où la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ; qu’en ajoutant que la délégation de pouvoirs de Mme X... à M. A... n’était pas valable en ce que M. A... n’avait plus les moyens d’exercer les pouvoirs délégués dès lors qu’il avait fait l’objet d’une interdiction de gérer, outre que Mme X... avait accepté la gérance de cette société en toute connaissance de l’impossibilité pour son mari d’occuper une telle fonction du fait de son interdiction de gérer, sans rechercher si, en dépit de cette interdiction de gérer, M. A... n’avait pas effectivement géré seul la société World Constructions dans le cadre d’une délégation de pouvoirs, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

”3°) alors que hors le cas où la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ; qu’au demeurant, en affirmant qu’il ne pouvait y avoir de délégation de pouvoirs de Mme X... au profit de M. A... dès lors que celui-ci n’avait pas le statut de salarié et était sous le coup d’une interdiction de gérer, sans s’expliquer sur le jugement rendu le 6 juillet 2015 par le tribunal correctionnel de Nice, qui avait relaxé Mme X... des chefs de blessures involontaires et d’infraction à la réglementation générale sur l’hygiène et la sécurité du travail eu égard à son absence de rôle dans le fonctionnement de la société World Constructions, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

”4°) alors que hors le cas où la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ; qu’au demeurant enfin, en affirmant comme elle l’a fait qu’il ne pouvait y avoir de délégation de pouvoirs de Mme X... au profit de M. A... dès lors que celui-ci n’avait pas le statut de salarié et était sous le coup d’une interdiction de gérer, sans également s’expliquer sur la plainte déposée par Mme X... à l’encontre de son époux le 5 novembre 2009 des chefs de faux et usage de faux au titre de ses prétendues fonctions de gérante de la société World Constructions, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de procédure qu’à la suite d’un contrôle inopiné, au mois d’août 2009, de deux chantiers conduits par la société World Constructions, lors duquel les inspecteurs de l’URSSAF ont constaté que les ouvriers employés n’avaient fait l’objet ni d’une déclaration préalable à l’embauche, ni d’une déclaration aux organismes de protection sociale, Mme Sylviane X..., gérante de droit de la société, qu’elle avait constituée au mois d’avril 2008 avec un tiers, et M. Patrick A..., son époux, gérant de fait en dépit d’une interdiction de gérer, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef d’exécution d’un travail dissimulé ; que les juges du premier degré les ont retenus dans les liens de la prévention et condamnés solidairement à réparer les préjudices subis par un des salariés, constitué partie civile, ainsi que par l’URSSAF Provence-Alpes-Côte d’Azur ; que Mme X..., à titre principal, et le ministère public, à titre incident, ont relevé appel de la décision ;

Attendu que, pour écarter l’argumentation de la prévenue, qui sollicitait sa relaxe en invoquant la délégation de l’intégralité de ses pouvoirs de gestion à son époux, et confirmer le jugement entrepris, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors qu’une personne qui fait l’objet d’une mesure d’interdiction de gérer ne peut, ni statutairement ni par délégation de pouvoirs, accomplir des actes de gestion d’une société, la cour d’appel, qui en a exactement déduit que Mme X... n’avait pu, en tout état de cause, valablement déléguer ses pouvoirs de gestion à son époux, qui était sous le coup d’une telle interdiction, a justifié sa décision de retenir l’intéressée dans les liens de la prévention en sa qualité de gérante de droit, conjointement à ce dernier, gérant de fait ;

D’où il suit que le moyen, inopérant en ses deux dernières branches, doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que Mme X... devra payer à l’URSSAF Provence-Alpes-Côte d’Azur au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux août deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 29 mai 2017