Btp - hébergement indigne - main d’oeuvre étrangère

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 7 mai 2018

N° de pourvoi : 16-83994

ECLI:FR:CCASS:2018:CR00917

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Didier et Pinet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-"

M. Boris X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de METZ, chambre correctionnelle, en date du 19 mai 2016, qui, pour travail dissimulé, emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail, prêt illicite de main-d’oeuvre, marchandage, soumission de plusieurs personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes et non-déclaration d’un local à hébergement collectif, l’a condamné à neuf mois d’emprisonnement avec sursis, à 6 000 euros d’amende, à cinq ans d’interdiction de gérer une entreprise commerciale et a ordonné une mesure de confiscation ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 27 mars 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Ricard, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de M. le conseiller RICARD, les observations de la société civile professionnelle DIDIER et PINET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 53, 56, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt a rejeté l’exception de nullité soulevée in limine litis, confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur la culpabilité et sur les peines sauf en ce qui concerne l’affichage de la décision, prononcé à l’encontre de M. X... une interdiction pendant cinq ans de diriger, administrer, gérer ou contrôler, à un titre quelconque, directement ou par personne interposée une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale, infirmé le jugement en ce qu’il a ordonné la restitution du véhicule BMW [...]

et débouté M. X... de ses prétentions sur ce point, confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur la confiscation des scellés pour le surplus ;

”aux motifs que, sur l’exception de nullité développée devant la cour in limine litis dans des conclusions déposées le 24 mars 2016, le jugement entrepris ne statue pas sur ce moyen alors même qu’il résulte des conclusions déposées à l’audience du tribunal du 23 juin 2014 et de la note d’audience qu’il a été soulevé avant tout débat au fond à l’audience du 4 novembre 2014, l’incident étant joint au fond ; que le moyen à nouveau soutenu devant la cour est recevable et il y a donc lieu de statuer sur ce point ; qu’en l’espèce, il résulte des procès-verbaux établis que la gendarmerie sur la base de renseignements anonymes a procédé à des opérations de surveillance qui ont permis de localiser différents chantiers pris en charge par la société, chantier où travaillaient des ouvriers de nationalité bulgare manifestement hébergés par la société où son gérant et véhiculés par des véhicules de la société ou de son gérant entre les lieux d’hébergement et le lieu de travail ; que M. D... A... , né le [...] à Sofia, logé dans un abri de jardin situé derrière le bâtiment de la société et empruntant l’un ou l’autre des véhicules immatriculés au nom de la société et se rendant sur un chantier à Amnéville était contrôlé par la gendarmerie ; que dès lors, agissant en flagrant délit de suspicion de délit de travail dissimulé, non pas sur la base de simples rumeurs mais à partir d’un renseignement vérifié par des constatations matérielles, les enquêteurs ont pu intervenir et procédaient aux saisies des biens intéressant l’enquête ; que le moyen de nullité soulevé est donc écarté ;

”alors que pour être caractérisé, l’état de flagrance nécessite que des indices apparents d’un comportement délictueux révèlent l’existence d’une infraction commise ou en train de se commettre ; qu’en se fondant, d’une part, sur la circonstance que la gendarmerie avait localisé différents chantiers pris en charge par la société, chantier où travaillaient des ouvriers de nationalité bulgare manifestement hébergés par la société où son gérant et véhiculés par des véhicules de la société ou de son gérant entre les lieux d’hébergement et le lieu de travail et d’autre part, la circonstance que M. A... né le [...] à Sofia, logé dans un abri de jardin situé derrière le bâtiment de la société et empruntant l’un ou l’autre des véhicules immatriculés au nom de la société et se rendant sur un chantier à Amnéville ait été contrôlé par la gendarmerie, quand ces circonstances étaient impropres à caractériser une situation de flagrance, la cour d’appel a violé l’article 53 du code de procédure pénale” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du procès-verbal de l’inspection du travail, base des poursuites, et des autres pièces de procédure que M. Boris X... a été poursuivi des chefs susvisés, d’une part, pour avoir, entre février 2011 et mars 2013, exercé une activité de maçonnerie, de construction et de démantèlement en mentionnant sur le bulletin de salaire de onze salariés identifiés, notamment de nationalité bulgare, un nombre d’heures inférieur à celui réellement effectué, pour avoir employé vingt-deux salariés de nationalité étrangère sans que ces derniers aient bénéficié d’une autorisation de travail en France, et pour avoir soumis plusieurs de ces ouvriers, notamment treize d’entre eux, alors qu’il s’agissait de personnes dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance lui était connu, à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, ainsi que pour n’avoir pas déclaré un local qu’il avait affecté à l’hébergement collectif, d’autre part, entre le 1er et le 11 mars 2013, en ayant recours à la société Bobati, dont il assurait la gestion, mis six de ces travailleurs à la disposition d’une société tierce, réalisant une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre en dehors des dispositions relatives au travail temporaire et sans permettre à ces salariés de bénéficier ni d’une rémunération équivalente au SMIC, ni de la convention collective du BTP ; que, cité par le procureur de la République devant le tribunal correctionnel de ces chefs, M. X... a régulièrement excipé de la nullité d’une perquisition réalisée le 11 mars 2013, des saisies en résultant, ainsi que de celles de deux véhicules, au motif que ces opérations ne reposaient sur l’existence d’aucun indice apparent, préalable à leur réalisation, laissant présumer la commission d’une infraction flagrante ;

Attendu que pour rejeter l’exception de nullité, l’arrêt attaqué prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui établissent l’existence d’indices apparents d’un comportement délictueux autorisant les

gendarmes à procéder aux perquisitions et saisies nécessaires, dès lors que les enquêteurs, en possession d’un renseignement anonyme et ayant poursuivi leurs investigations, avaient, d’une part, constaté l’existence de chantiers, réalisés sous la direction de la société gérée par le prévenu, dans lesquels étaient employés des travailleurs de nationalité bulgare, de même que l’hébergement et le transport de ces derniers par ladite société ou son gérant entre le lieu de leur résidence et ceux où ils exerçaient leurs activités, d’autre part, contrôlé un de ces travailleurs, démuni d’autorisation de travail en France, à l’occasion d’un déplacement entre un desdits chantiers et le logement que celui-ci occupait dans un abri de jardin, à proximité d’un bâtiment de la société, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 225-14 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt a confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré M. X... coupable de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d’hébergement indignes, statué sur la culpabilité et sur les peines sauf en ce qui concerne l’affichage de la décision, prononcé à l’encontre de M. X... une interdiction pendant 5 ans de diriger, administrer, gérer ou contrôler, à un titre quelconque, directement ou par personne interposée une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale, infirmé le jugement en ce qu’il a ordonné la restitution du véhicule BMW [...] et débouté M. X... de ses prétentions sur ce point, confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur la confiscation des scellés pour le surplus ;

”aux motifs propres que, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte expressément que le tribunal a statué sur la culpabilité, le revirement du prévenu dans ses déclarations prétendant qu’il ne peut produire les pièces justifiant qu’il, réglait régulièrement les salariés conformément au contrat de travail établi sous le prétexte qu’il n’a plus les documents compte tenu de la liquidation de la société étant inopérantes, ces pièces n’ayant pas été produites lors de l’enquête alors que la société était toujours in bonis et qu’au contraire les pièces figurant dans la procédure conforte les poursuites ; qu’il suffit de rappeler que : les statuts de la SARL Bobati, associé unique et gérant M. X... sont, en date du 20 décembre 2010 ; que son capital est de 1 000 euros et son siège social [...] , domicile de M. X... ; que la société a pour objet la maçonnerie, gros oeuvre, sanitaire, chape, carrelage, plâtrerie, pose de portes et fenêtres et plus généralement tous travaux du bâtiment ; que les statuts ont été déposés au greffe du tribunal d’instance le 17 janvier 2011 ; que précédemment, M. X... exerçait son activité en nom propre, la raison sociale étant le gros oeuvre et travaux de maçonnerie plâtrerie ; qu’entre juin et septembre 2010, il avait effectué la déclaration préalable à l’emploi de six personnes ; que la société a été déclarée en liquidation judiciaire depuis le 26 mars 2015 ; que courant 2013, les militaires de la gendarmerie d’Uckange, sur la base d’un renseignement anonyme, s’intéressaient aux activités de la société Bobati, gérée par M. X... qui était suspectée de se livrer à du travail dissimulé et à l’hébergement d’employés bulgares ; que les opérations de surveillance permettaient de localiser différents chantiers sur lesquels travaillaient des employés de la société et notamment un chantier à Amnéville où ils étaient véhiculés dans des véhicules appartenant à la société jusqu’au 7 mars 2013 ainsi que sur un chantier de démantèlement des câbles électriques des sous-sols dans l’usine Arcelormittal ; que les employés concernés quittaient les lieux de leur habitation entre 7 heures et 8 heures du matin et regagnaient leur domicile vers 18 heures ; que, sur les infractions reprochées à M. X... s’agissant de l’hébergement, les investigations réalisées de janvier à mars 2013 ont permis de déterminer les endroits où les employés de l’intéressé étaient logés par lui sans qu’il en est fait la déclaration à la préfecture d’hébergement collectif, ce qui le mettait en principe à l’abri d’un éventuel contrôle : [...] domicile du prévenu : deux ouvriers étaient hébergés dans un cabanon d’une superficie de moins de 20 m², rénové et équipé à l’intérieur d’un coin cuisine équipé d’un évier, d’un petit plan de travail avec un petit four et une plaque de cuisson ainsi qu’un réfrigérateur et d’une petite salle d’eau avec douche lavabo et cabinet de toilette dans un angle ; que le reste du cabanon était équipé de deux lits côte à côte, d’une petite table avec une chaise et un écran de télévision ; qu’il n’existait aucun autre élément mobilier et le linge était présent sur un étendoir au milieu du cabanon ; que divers objets étaient rangés sous les lits ou sur des étagères ; que, [...] : il s’agit d’une maison d’habitation individuelle d’une surface d’environ 70 m² entourée d’un petit terrain ; qu’elle est constituée de deux pièces servant de chambre à trois ouvriers pour chacune d’elles ; que la cuisine comprend un chauffe-eau une machine à laver un mini four électrique une friteuse et un petit réchaud électrique a deux plaques, un évier et un petit frigo ; que les meubles de cuisine sont constitués de planches assemblées sommairement ; que l’ensemble est couvert de graisse et les aliments sont éparpillés ; que le salon a été aménagé en chambre ; que trois lits se trouvent sur place ainsi qu’une table et une petite télé ; que des traces d’humidité et de moisissures sont visibles sur les murs et le plafond qui est craquelé ; que les fenêtres sont isolées à l’aide de scotch orange ; que des traces de graisse sont omniprésentes y compris sur l’unique ampoule pendant du plafond ; que les lits sont d’anciens modèles métalliques type armée revêtus de maigres matelas en mousse ; que les affaires personnelles sont éparpillées ; que la chambre est dans le même état que le salon ; que trois lits s’y trouvent également dont l’un est constitué d’une planche de bois faisant fonction de sommier ; que la salle de bains est constituée d’une douche et d’un lavabo ; que les moisissures sont omniprésentes ; qu’un WC et un cellier constituent le reste de l’habitation ; que [...] : il s’agit d’un appartement de type F3 situé au premier étage d’un immeuble collectif ; qu’il est constitué de deux chambres servant à héberger respectivement quatre et trois ouvriers ; que chaque emplacement disponible sert à accueillir un lit ce qui ne permet pas la présence de meubles de rangement ; que les ouvriers disposent leurs affaires dans des valises ou directement sur les fils tendus au travers des pièces ; que l’humidité ambiante a occasionné des moisissures importantes le long des murs dans les chambres ; que seule note de confort un salon disposant de deux canapés et d’un fauteuil ce qui permet aux sept ouvriers de se détendre même si la pièce est de dimension modeste ; que la salle de bains est étroite et composée d’un WC et d’une baignoire ; qu’une machine à laver est à l’entrée de la pièce qui est dans un état de saleté avancée ; que la cuisine comporte l’essentiel en matériel électroménager ; qu’il n’y a pas de table ni de chaise, chacun devant manger assis sur son lit ou dans le salon ; que la cuisine est elle aussi dans un état avancé de saleté ; que les constatations matérielles ainsi faites par les enquêteurs démontrent suffisamment que les conditions d’hébergement des salariés concernés, recrutés personnellement et directement par le prévenu en Bulgarie, ne parlant que la langue bulgare, sans famille sur le sol français, travaillant dans des conditions non conformes au droit du travail comme il a été démontré, donc totalement dépendants au prévenu, étaient incompatibles avec la dignité humaine, ces conditions (promiscuité extrême, manque d’hygiène liée à des défauts d’aération), allant bien audelà d’un défaut d’entretien par les occupants ;

”et aux motifs adoptés que lors de l’enquête M. B... X..., gérant de la société Bobati, a

reconnu avoir employé des étrangers sans titre en indiquant qu’il ignorait la nécessité alors d’une autorisation ; que s’agissant du travail dissimulé, il a en définitive admis que « les heures travaillées n’étaient pas toujours en rapport avec les heures déclarées » ; qu’il a également reconnu l’infraction relative à l’absence de déclaration d’un local destiné à un hébergement collectif ; qu’en outre, les éléments de l’enquête ont mis en évidence les conditions d’hébergement qui manifestement étaient indignes et totalement inadaptées pour le nombre d’ouvriers quand bien même les prévenus auraient déclaré qu’elles étaient « correctes » ; qu’enfin, eu égard aux déclarations des autres prévenus et surtout des ouvriers eux-mêmes, le surplus des infractions reprochées est établi, leur travail ne nécessitant qu’une formation extrêmement réduite et étant réalisé en pratique sous le contrôle et la direction de « Pascal » à savoir M. Pascal C... ; qu’il convient de déclarer M. X... coupable et d’entrer en voie de condamnation ;

”alors que faute d’avoir constaté que les intéressés auraient été contraints de résider dans les logements litigieux dont le demandeur faisait valoir qu’ils les mettaient gracieusement à la disposition de ses salariés, la cour d’appel n’a pas caractérisé l’élément matériel de l’infraction, et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 225-14 du code pénal” ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable du chef de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d’hébergement indignes, l’arrêt, après avoir décrit les locaux utilisés à titre de logement des travailleurs employés par le prévenu, en déduit que ces derniers étaient incompatibles avec la dignité humaine, faisant vivre les personnes concernées dans un état de promiscuité extrême et de manque d’hygiène, sans rapport avec un défaut d’entretien par les occupants ; que les juges énoncent que les occupants desdits locaux se trouvaient dans une situation de vulnérabilité en matière d’hébergement laquelle résultait de leur qualité de travailleurs étrangers, démunis d’autorisation de travail, sans famille en France et ne parlant pas la langue française ; qu’ils ajoutent que l’état de dépendance des intéressés se déduisait de ce que ces ouvriers avaient été recrutés personnellement et directement par le prévenu en Bulgarie et qu’ils travaillaient pour le compte du prévenu dans des conditions non conformes au droit du travail ;

Attendu qu’en prononçant par ces motifs, exempts d’insuffisances comme de contradiction, la cour d’appel a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit de soumission de plusieurs personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que le moyen, inopérant en ce qu’il invoque une condition supplémentaire que la loi n’exige pas, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept mai deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Metz , du 19 mai 2016