But lucratif oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 6 mars 2018

N° de pourvoi : 16-87642

ECLI:FR:CCASS:2018:CR00193

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 

La société Les plâtres modernes C.Jobin,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’ORLÉANS, chambre correctionnelle, en date du 9 novembre 2016, qui, pour prêt illicite de main d’oeuvre, l’a condamnée à 30 000 euros d’amende ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 23 janvier 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Larmanjat, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de M. le conseiller LARMANJAT, les observations de la société civile professionnelle NICOLAŸ, DE LANOUVELLE et HANNOTIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MONDON ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail, 6, § 1, de la Convention des droits de l’homme, du principe de la présomption d’innocence, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt confirme la déclaration de culpabilité de la société Les plâtres modernes du chef de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif par personne morale hors du cadre légal du travail temporaire et la condamne au paiement d’une amende de 30 000 euros ;

”aux motifs propres qu’à la date des faits, le prêt de main-d’oeuvre à but non lucratif, désormais régi par la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011, n’était pas défini ; qu’il était néanmoins interdit de faire du profit sur des opérations n’ayant d’autre objet que de fournir de la main-d’oeuvre et les principes dégagés par la jurisprudence, tenant à la nature de la tâche à accomplir, les moyens mis en oeuvre par le prestataire, l’encadrement du personnel détaché et le but lucratif recherché entraînant le caractère illicite du prêt de main-d’oeuvre, restent d’actualité ; qu’ainsi, concernant la nature de la tâche à accomplir, le prêt de main-d’oeuvre n’est pas illicite lorsque le donneur d’ordre a recours à une entreprise tierce pour effectuer une tâche spécifique qu’il n’a pas les moyens d’accomplir ; qu’en l’espèce, l’information a démontré que les sociétés sous-traitantes, dont les extraits Kbis ont été produits par la prévenue, effectuaient la même tâche que la société Les plâtres modernes à savoir les cloisons et faux-plafonds, sans apporter la moindre valeur ajoutée et il n’est pas démontré que les salariés de ces sociétés aient, comme le soutient la défense, accompli des tâches précisément définies que le donneur d’ordre ne voulait ou ne pouvait réaliser lui-même pour des raisons d’opportunité économique ; que M. Z..., chef de chantier au sein de la société Les plâtres modernes a du reste confirmé que les tâches effectuées par les salariés des sociétés sous-traitantes étaient similaires à celles relevant de la compétence de la société Les plâtres modernes qui n’établit pas avoir eu la nécessité de recourir à cette main-d’oeuvre pour des tâches précises, dissociées de celles qu’elle accomplissait, dans le même domaine de compétence ; qu’il n’est pas contesté par Mme A... qu’il n’existait aucun contrat de sous-traitance entre le sous-traitant de premier rang et les sous-traitants de second rang, en outre, les salariés des sous-traitants ne disposaient pour la plupart d’aucun contrat de travail ; que les ouvriers des sociétés sous-traitantes de la société Les plâtres modernes utilisaient les matériaux fournis par la société Les plâtres modernes, même s’ils disposaient de leur outillage et il s’évince de plusieurs arrêts que l’absence de moyens matériels ou de matériaux nécessaires à l’activité qui fait l’objet du contrat de prestation de services (ici totalement absent) caractérise inévitablement le prêt de main-d’oeuvre illicite ; qu’ainsi, l’argument selon lequel les matériaux nécessaires au chantier étaient fournis par la société Les plâtres modernes en raison de leur spécificité (liée à la construction d’un pôle santé nécessitant l’emploi de matériaux particuliers) ne saurait convaincre, les sous-traitants, oeuvrant dans le même domaine d’activité, étant tout à fait en capacité de commander eux-mêmes ces matériaux ; que M. Z..., chef de chantier au sein de la société Les plâtres modernes a déclaré qu’il donnait des instructions aux ouvriers sur les tâches à accomplir sur le chantier et qu’il n’avait jamais eu de contacts avec les gérants de la société TRC Decor, de la société TRC et de la société G... F... , ce qu’a confirmé M. Dos Santos B..., chef de chantier et conducteur de travaux au sein de la société Les plâtres modernes ; que les salariés des sociétés sous-traitantes avaient les mêmes horaires de travail que ceux de la société Les plâtres modernes ; qu’aucun représentant de la société TRC Decor, de la société TRC et de la société G... F... n’est intervenu sur le chantier afin d’encadrer son propre personnel (Crim., 30 mars 2016, n° 14-83652) ; que le gérant de la société G... F... , M. C..., a du reste indiqué qu’il n’avait jamais eu aucun lien avec cette société et que son identité avait été usurpée ; que Mme D... a déclaré n’avoir jamais vu le gérant de la société G... F... qui était domiciliée au même endroit que la société TRC Decor, dont elle était la gérante de droit ; qu’elle n’avait cependant jamais eu aucun contact avec les salariés de cette société ; que de même, M. E..., gérant de la société TRC a révélé qu’il n’était pas à l’origine de la création de cette société ; qu’il ressort encore du dossier d’information que la société Les plâtres modernes mettait gratuitement des logements à la disposition des ouvriers de ses sous-traitants, ce qu’a confirmé M. Z..., chargé d’acheter du mobilier pour meubler ces logements ; que Mme Barazzoni, secrétaire de la société Les plâtres modernes a déclaré avoir rédigé les plans particuliers de sécurité et de protection de la santé des sociétés sous-traitantes, de même facture que ceux de la société Les plâtres modernes (Crim., 30 mars 2016, n° 14-83652) ; que les prix pratiqués dans les relations entre la société Les plâtres modernes et ses sous-traitants étaient fixés unilatéralement par la société Les plâtres modernes ; que les opérations de sous-traitance ainsi réalisées ont permis à la société Les plâtres modernes de réaliser un profit, le but lucratif pouvant résulter pour l’entreprise utilisatrice, du fait qu’elle n’avait pas à supporter les charges sociales et financières qu’elle aurait eues si elle avait employé ses propres salariés ; qu’ainsi, le délit de prêt de main-d’oeuvre illicite étant caractérisé en tous ses éléments constitutifs, c’est par des motifs pertinents, que la cour fait siens, et par une juste appréciation des faits et circonstances particulières de la cause, exactement rapportés dans la décision déférée, que la juridiction du premier degré a, à bon droit, retenu la société Les plâtres modernes dans les liens de la prévention ; qu’il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité du chef de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif par personne morale hors du cadre légal du travail temporaire ;

”et aux motifs adoptés qu’il résulte des éléments du dossier que les faits reprochés à la société Les plâtres modernes sous la prévention de prêt de main-d’oeuvre, à but lucratif, par personne morale, hors du cadre légal du travail temporaire sont établis au motif que les éléments constitutifs du délit sont parfaitement caractérisés en l’espèce ; que la société, en acceptant les chantiers litigieux, savait qu’elle ne pourrait honorer les contrats qu’en recourant à une main-d’oeuvre sous-traitée non parce qu’elle avait besoin de sous-traiter une prestation technique qu’elle ne maîtrisait pas, mais parce qu’elle ne disposait pas d’un nombre de salariés suffisant et que le recours à l’intérim souffre d’un manque de qualification du personnel intérimaire ; que le casier judiciaire de la personne morale montre qu’elle avait déjà eu recours à ce procédé sur un autre chantier d’envergure ; qu’à la barre, la représentante de la personne morale a feint de ne pas comprendre les éléments constitutifs de l’infraction en dépit de cette première mention au casier judiciaire ; qu’il y a lieu de déclarer la personne morale coupable et de prononcer une condamnation à une amende dont le montant tiendra compte du chiffre d’affaires de la société et du profit réalisé par suite des chantiers réalisés grâce au procédé litigieux ;

”1°) alors que toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ; que la cour d’appel a jugé que l’entreprise ayant eu recours à la sous-traitance plutôt qu’au travail temporaire ne démontrait pas que les salariés des sociétés sous-traitantes aient accompli des tâches précisément définies que le donneur d’ordre ne voulait ou ne pouvait réaliser lui-même pour des raisons d’opportunité économique et qu’elle n’établissait pas avoir eu la nécessité de recourir à cette main-d’oeuvre pour des tâches précises dissociées de celles qu’elle accomplissait dans le même domaine de compétence ; qu’en statuant ainsi, par des motifs impliquant un renversement de la charge de la preuve, alors qu’il lui appartenait de rechercher si la poursuite prouvait l’existence d’une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

”2°) alors qu’est interdite l’opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre ; qu’en relevant que les sous-traitants effectuaient la même tâche que l’entreprise poursuivie, que cette dernière avait assuré la commande des matériaux de construction nécessaires et le logement à proximité du chantier de certains des salariés des entreprises sous-traitantes, lesquels ne disposaient pour la plupart d’aucun contrat de travail et avaient les mêmes horaires de travail que ceux de l’entreprise poursuivie, la cour d’appel, qui s’est fondée sur des considérations inopérantes, n’a pas caractérisé l’infraction, dès lors que l’entreprise poursuivie exposait sans être contredite qu’elle avait dû faire face à une commande ponctuelle dépassant ses capacités habituelles, qu’elle avait embauché au maximum de ses possibilités et tenté de recourir le plus possible au travail temporaire, et, qu’ainsi que la cour d’appel l’a expressément relevé, les sociétés sous-traitantes disposaient de leurs propres outillages ;

”3°) alors que le juge doit examiner concrètement les pièces du prévenu ; qu’en jugeant que le contrat de sous-traitance était « totalement absent » sans analyser les bons de commande et les factures qui en démontraient l’existence, même en l’absence de sous-traité encadrant la relation commerciale, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

”4°) alors au demeurant que tout jugement ou arrêt doit être motivé et que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu’en jugeant qu’il n’existait aucun contrat de sous-traitance tout en disant, sans citer les éléments conduisant à cette constatation, que les prix en étaient imposés par le donneur d’ordre, ce qui confirmait en tout état de cause l’existence du contrat de sous-traitance, la cour d’appel a violé le principe susvisé ;

”5°) alors que le but lucratif qui est le critère du prêt de main-d’oeuvre illicite, résulte de l’achat du travail salarié pour le revendre avec profit à l’exclusion de toute autre objet, ce qui est réservé aux entreprises de travail temporaire ; qu’en jugeant que les opérations de sous-traitance constatées ont permis à l’entreprise poursuivie de réaliser un profit, le but lucratif pouvant résulter pour l’entreprise utilisatrice du fait qu’elle n’avait pas à supporter les charges sociales et financières qu’elle aurait eues si elle avait employé ses propres salariés, cependant que ces charges étaient nécessairement incluses dans le prix des prestations facturées par les entreprises sous-traitantes, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de procédure que la société Les plâtres modernes a été renvoyée devant le tribunal correctionnel des chefs de travail dissimulé, emploi d’étranger non muni d’autorisation de travail et prêt illicite de main d’oeuvre, sous couvert de prétendus contrats de sous-traitance, en raison de constatations effectuées à l’occasion de deux contrôles opérés sur des chantiers pour lesquels elle était elle-même sous-traitante de l’entreprise titulaire du marché et des investigations accomplies durant l’enquête préliminaire et l’instruction qui ont suivi ; que les juges du premier degré ont déclaré la prévenue coupable du chef de prêt illicite de main d’oeuvre ; que la prévenue a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité du chef de prêt illicite de main d’oeuvre, après avoir souligné que les faits avaient été commis de 2006 à 2008, soit avant la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011, l’arrêt énonce que les salariés des sociétés sous-traitantes de second rang, qui n’étaient liées avec la société Les plâtres modernes par aucun contrat, accomplissaient, sous les directives et instructions du chef de chantier, salarié de celle-ci, les mêmes tâches, relevant des mêmes domaines de compétence et suivant les mêmes horaires que ses propres employés, sans apporter la moindre valeur ajoutée ni spécificité ; que les juges ajoutent que ces salariés utilisaient les matériaux fournis par la prévenue qui leur procurait également gratuitement le logement ; qu’après avoir relevé que les prix pratiqués dans les relations entre la société Les plâtres modernes et ses sous-traitants étaient unilatéralement fixés par la première, pour démontrer le caractère lucratif de l’opération, la cour d’appel retient que celle-ci a permis à la prévenue de réaliser un profit en ne supportant pas les charges sociales et financières qu’elle aurait eues si elle avait employé ses propres salariés ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de l’appréciation souveraine des juges sur les faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, d’où il résulte que l’opération de prêt de main d’oeuvre litigieuse a eu pour effet, par le recours à des travailleurs dont les situations irrégulières ont donné lieu à la condamnation des chefs de travail dissimulé et emploi d’étrangers non munis d’autorisation de travail de Mme F..., co-prévenue, gérante de fait d’une des sociétés sous-traitantes de la prévenue, d’éluder l’application des dispositions protectrices relatives aux contrats de travail d’où découle le caractère lucratif de l’opération, la cour d’appel, qui n’a pas renversé la charge de la preuve ni porté atteinte au principe de la présomption d’innocence, a justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six mars deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Orléans , du 9 novembre 2016