Changement employeur - accord salarié nécessaire

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 17 juin 2009

N° de pourvoi : 08-42615

Publié au bulletin

Rejet

Mme Collomp, président

M. Linden, conseiller apporteur

M. Duplat (premier avocat général), avocat général

SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 28 mars 2008), que la ville de Béthune a passé, pour l’exploitation de son théâtre, composé du théâtre municipal et du théâtre de poche, un marché public avec l’association Fédération nationale Léo Lagrange (FNLL) dit “d’assistance technique, administrative et culturelle au fonctionnement du théâtre municipal” ; que dans le cadre de l’exécution de ce marché, la FNLL a mis à la disposition de la ville de Béthune deux de ses salariés, M. X..., occupant depuis le 1er janvier 1994 la fonction de directeur du théâtre, et M. Y..., engagé le 1er octobre 1998 pour en occuper la fonction de directeur adjoint ; que ce marché, renouvelé à effet au 1er avril 2002, a été résilié au 31 mars 2005 ; que par arrêtés du maire de Béthune du 7 avril 2005, MM. X... et Y... ont été recrutés à titre permanent à temps complet au sein des services de la ville à compter du 1er avril 2005, en qualité respectivement de directeur et de directeur adjoint des théâtres municipaux, agents non titulaires de droit public, avec reprise de leur ancienneté acquise au sein de la FNLL ; que MM. X... et Y... ont été engagés par la ville de Béthune, à compter du 18 juillet 2005, selon contrat de travail à durée déterminée ; que les arrêtés ont fait l’objet d’une décision de sursis à exécution par ordonnance de référé du président du tribunal administratif du 20 mai 2005 et ont été annulés par jugement de cette juridiction du 29 mai 2006 ; que, soutenant avoir fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse de la part de la FNLL le 1er avril 2005, M. Y... a saisi la juridiction prud’homale de demandes indemnitaires à titre principal contre la FNLL et à titre subsidiaire contre la ville de Béthune ;

Attendu que la FNLL fait grief à l’arrêt d’écarter l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail, de dire qu’elle a rompu unilatéralement le contrat de travail de M. Y..., que cette rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse à effet au 31 mars 2005 et de la condamner en conséquence à payer au salarié des indemnités, ainsi qu’à rembourser à l’Assedic des indemnités de chômage, alors, selon le moyen :

1°/ que la reprise de l’activité de gestion du théâtre communal par la ville de Béthune elle-même, après la résiliation du marché conclu à cet effet avec elle, emporte le transfert d’une entité économique autonome - même si certains des éléments de cette entité avaient été mis à sa disposition par la ville - et par voie de conséquence le maintien des contrats de travail en cours affectés à la gestion du théâtre, dont celui de M. Y... qui occupait le poste de sous-directeur, au sein de la ville de Béthune ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 1224-1 du code du travail ;

2°/ qu’à supposer que les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du code du travail ne soient pas réunies, en l’état de l’acceptation par la ville de Béthune de poursuivre le contrat de travail de M. Y... au même poste de sous-directeur du théâtre de Béthune, avec reprise de son ancienneté et maintien de sa rémunération, par arrêté du maire du 7 avril 2005, à effet au 1er avril 2005, et de l’accord exprès de M. Y... de voir maintenir son contrat caractérisé par sa volonté de rester à son poste au théâtre de Béthune et la signature ultérieure d’un contrat de travail avec la ville de Béthune, ce dont il ressortait que le contrat de M. Y... avait été définitivement transféré à la ville de Béthune à compter du 1er avril 2005, la cour d’appel ne pouvait écarter l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail et décider que la FNLL avait rompu unilatéralement le contrat de M. Y... aux motifs inopérants de ce que l’accord de M. Y... ne caractérisait pas une démission auprès de la FNLL et de ce que l’arrêté du maire précité avait été annulé par le tribunal administratif ; que la cour d’appel a violé les articles L. 1224-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

3°/ que l’appréciation de l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail doit être faite à la date de l’accord des parties au transfert du salarié au sein de la nouvelle entité ; qu’en l’espèce la ville de Béthune a donné son accord au transfert de M. Y... par un arrêté de nomination du 7 avril 2005 à effet au 1er avril 2005 ; qu’en se fondant sur l’annulation postérieure du tribunal administratif de cet arrêté par jugement du 29 mai 2006, pour dire que la rupture de la relation était acquise au 1er mai 2005, la cour d’appel a encore violé les articles L. 1224-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

Mais attendu, d’abord, que l’article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, ne s’applique qu’en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise ; que constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre ; que le transfert d’une telle entité ne s’opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant ;

Et attendu que la cour d’appel a relevé que la ville de Béthune n’avait jamais cessé d’exploiter son théâtre avec son personnel et ses moyens et que la FNLL s’était bornée à mettre à sa disposition deux de ses salariés pour participer à son fonctionnement culturel et administratif, leur mission consistant à participer à la programmation du théâtre, négocier des contrats de spectacle et informer le public ; qu’à la fin du marché, la situation juridique du théâtre était restée identique, cet établissement continuant d’être exploité par la ville ; qu’elle en a exactement déduit que l’article L. 1224-1 du code du travail n’était pas applicable ;

Attendu, ensuite, que le transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre constitue une modification de ce contrat qui ne peut intervenir sans son accord exprès, lequel ne peut résulter de la seule poursuite du travail ;

D’où il suit que le moyen, inopérant en ses deuxième et troisième branches, n’est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Fédération nationale Léo Lagrange aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour la Fédération nationale Léo Lagrange.

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR écarté l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail (ancien art. L. 122-12 alinéa 2), d’AVOIR dit que le contrat de travail entre la FNLL et Monsieur Y... a été rompu unilatéralement par la FNLL et que cette rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse à effet au 31 mars 2005 et d’AVOIR, en conséquence, condamné la FNLL à payer à Monsieur Y... des indemnités de rupture et à rembourser à l’ASSEDIC des indemnités de chômage ;

AUX MOTIFS QUE, par le marché d’assistance avec la ville de Béthune, la FNLL n’a eu à réaliser comme prestation que de mettre à la disposition de la ville de Béthune deux de ses salariés (Xavier X..., qui faisait déjà partie de ses effectifs, et Laurent Y..., engagé pour l’occasion), ceux-ci chargés de mettre à exécution les missions du prestataire et les fonctions décrites au contrat ; qu’elle n’a à aucun moment exploité le théâtre de Béthune, lequel est resté exploité par la ville de Béthune elle-même, avec son personnel et ses moyens ; qu’autrement dit, la FNLL n’a à aucun moment géré le service public du théâtre de Béthune, qu’elle n’a fait que mettre à la disposition de la ville de Béthune deux de ses salariés pour participer au fonctionnement culturel et administratif du théâtre ; qu’à la fin du marché (31 mars 2005), la situation juridique du théâtre de Béthune est restée identique, cet établissement culturel continuant d’être exploité par la ville de Béthune ; qu’il n’y a eu aucune modification dans la situation juridique de l’employeur, aucun transfert d’entité autonome qui aurait conservé son identité et dont l’activité aurait été poursuivie ou reprise ; que l’article L. 122-12 n’avait ainsi pas vocation à s’appliquer ; que le litige est né de ce qu’il fallait régler la situation particulière des deux salariés de la FNLL, Monsieur X... et Monsieur Y..., affectés au théâtre de Béthune et dont on comprend que leur souhait premier était, pour chacun d’entre eux, de rester à son poste et d’y poursuivre son activité professionnelle ; que ce souhait compréhensible puisque le théâtre continuait son activité selon un schéma de fonctionnement apparemment similaire à celui qu’ils avaient mis en oeuvre (programmation, action envers le public, encadrement du personnel), était partagé par la FNLL et la ville de Béthune : en effet, une solution a été recherchée en ce sens, qui aurait passé par une intégration de Monsieur X... et de Monsieur Y... dans les effectifs de la ville ; qu’en dépit des efforts déployés et des négociations entreprises, aux fins de maintenir l’activité de Monsieur X... et de Monsieur Y... au sein du théâtre de Béthune, aucune solution satisfaisante et/ou légale n’a pu être dégagée ; que les arrêtés de nomination pris par le maire de la ville de Béthune le 7 avril 2005 ont été annulés par le Tribunal administratif ; qu’il appartenait à la FNLL demeurée employeur de Monsieur Y... et de Monsieur X..., de leur trouver un nouveau poste au sein de son effectif ou de négocier avec eux une modification soit de leur contrat de travail, soit de leurs conditions de travail ; qu’en revanche, le sort qu’elle leur a réservé (non fourniture de travail et non paiement de la rémunération à compter du 1er avril 2005 pour Monsieur Y... et à compter du 1er mai 2005 pour Monsieur X...) s’analyse comme une rupture unilatéralement imposée de la relation de travail, sans procédure et sans motifs ; qu’il s’agit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que le fait que Monsieur Y... et Monsieur X... ont souhaité rester à leur poste au théâtre de Béthune est sans portée particulière, ce comportement ne caractérisant pas une démission et ne s’imposant pas à leur employeur ; … ; que le fait qu’ultérieurement, à partir du 18 juillet 2005, la ville de Béthune a pu trouver une solution pour à nouveau employer Monsieur Y... et Monsieur X... à leur poste – mais selon un statut précaire – ne modifie pas l’appréciation qui doit être faite de la situation de rupture de la relation de travail acquise au 1er avril 2005 pour l’un, au 1er mai 2005, pour l’autre ;

ALORS D’UNE PART QUE, la reprise de l’activité de gestion du théâtre communal par la ville de Béthune elle-même, après la résiliation du marché conclu à cet effet avec la FNLL, emporte le transfert d’une entité économique autonome - même si certains des éléments de cette entité avaient été mis à la disposition de la FNLL par la ville- et par voie de conséquence le maintien des contrats de travail en cours affectés à la gestion du théâtre dont celui de Monsieur Y... qui occupait le poste de sous-directeur, au sein de la ville de Béthune ; qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a violé l’article L 1224-1 du Code du travail ;

ALORS D’AUTRE PART QU’à supposer que les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail ne soient pas réunies, en l’état de l’acceptation par la ville de Béthune de poursuivre le contrat de travail de Monsieur Y... au même poste de sous-directeur du théâtre de Béthune, avec reprise de son ancienneté et maintien de sa rémunération, par arrêté du maire du 7 avril 2005, à effet au 1er avril 2005, et de l’accord exprès de Monsieur Y... de voir maintenir son contrat caractérisé par sa volonté de rester à son poste au théâtre de Béthune et la signature ultérieure d’un contrat de travail avec la ville de Béthune, ce dont il ressortait que le contrat de Monsieur Y... avait été définitivement transféré à la ville de Béthune à compter du 1er avril 2005, la Cour d’appel ne pouvait écarter l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du Code du travail et décider que la FNLL avait rompu unilatéralement le contrat de Monsieur Y... aux motifs inopérants de ce que l’accord de Monsieur Y... ne caractérisait pas une démission auprès de la FNLL et de ce que l’arrêté du maire précité avait été annulé par le Tribunal administratif, que la Cour d’appel a violé les articles L. 1224-1 du Code du travail et 1134 du Code civil ;

ALORS DE PLUS QUE l’appréciation de l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du Code du travail doit être faite à la date de l’accord des parties au transfert du salarié au sein de la nouvelle entité ; qu’en l’espèce la ville de Béthune a donné son accord au transfert de Monsieur Y... par un arrêté de nomination du 7 avril 2005 à effet au 1er avril 2005 ; qu’en se fondant sur l’annulation postérieure du tribunal administratif de cet arrêté par jugement du 29 mai 2006 , pour dire que la rupture de la relation était acquise au 1er avril 2005, la Cour d’appel a encore violé les articles L. 1224-1 du Code du travail et 1134 du Code civil ;

Publication : Bulletin 2009, V, n° 151

Décision attaquée : Cour d’appel de Douai du 28 mars 2008

Titrages et résumés : CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Modification dans la situation juridique de l’employeur - Exclusion - Cas

L’article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, ne s’applique qu’en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre. Le transfert d’une telle entité ne s’opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant.

Doit en conséquence, être approuvé l’arrêt qui écarte l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail en retenant qu’une ville n’a jamais cessé d’exploiter son théâtre avec son personnel et ses moyens et qu’une association s’était bornée à mettre à sa disposition deux de ses salariés pour participer à son fonctionnement culturel et administratif

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Modification dans la situation juridique de l’employeur - Définition - Transfert d’une entité économique autonome conservant son identité - Défaut - Applications diverses

Précédents jurisprudentiels : Sur d’autres illustrations d’exclusion de l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail, à rapprocher :Soc., 18 décembre 2000, pourvoi n° 98-42.885, Bull. 2000, V, n° 423 (1) (cassation) ;Soc., 22 janvier 2002, pourvoi n° 00-40.787, Bull. 2002, V, n° 24 (2) (rejet) ;Soc., 28 mai 2003, pourvoi n° 01-41.263, Bull. 2003, V, n° 177 (rejet)

Textes appliqués :
* article L. 1224-1 du code du travail ; Directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001