Travaux domestiques - salarié oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 6 décembre 2011

N° de pourvoi : 10-86275

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

Me Copper-Royer, SCP Vincent et Ohl, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" Mme Hedwig X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 12 août 2010, qui, pour travail dissimulé, l’a condamnée à six mois d’emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-3, L. 8221-4 et L. 8221-5 du code du travail, 121-3 du code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

” en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Mme X... coupable d’exécution d’un travail dissimulé ;

” aux motifs que Mme X... est poursuivie pour avoir employé Mme Y...entre septembre 2005 et novembre 2007 sans procéder, volontairement, à sa déclaration nominative préalable à l’embauche ; qu’il est établi que Mme Y...n’a pas été déclarée préalablement à son embauche ni immatriculée auprès des organismes dont relèvent les salariés, qu’elle a été locataire d’un logement meublé appartenant à Mme X..., pour un loyer de 200 euros ne correspondant pas à la valeur locative de ce local, estimé par sa propriétaire à 600 euros devant le gendarme enquêteur ; que reste en question la nature des relations ayant existé entre les deux personnes : la réalité de l’activité de Mme Y...et l’existence d’un lien de subordination entre elle et Mme X... ; quoiqu’elle ait changé d’avis devant la cour, Mme Y...déclarait en début de procédure, à la gendarmerie et à l’URSSAF, qu’elle avait dû déménager car l’appartement qu’elle occupait était mis en vente, et qu’ainsi n’ayant plus de toit elle était arrivée en Ariège chez Mme X... ; que Mme X... déclarait de son côté qu’elle lui avait loué cet appartement à ce petit prix pour lui rendre service, lui demandant seulement de tondre la pelouse, de lever sa boîte aux lettres et de lui envoyer en Belgique les courriers importants ou urgents, d’acheter sur son compte ouvert à la Sicami les ingrédients nécessaires à l’entretien du jardin, et de recevoir les locataires ou amis de passage ainsi que les professionnels devant intervenir chez elle (plombier, électricien …), ce qui ne constituait pas un travail à ses yeux, elle précisait à l’audience de la cour qu’elle faisait l’entretien de sa maison et du jardin elle-même, y venant de Belgique pour chaque vacance scolaire, soit tous les quarante cinq jours environ ; qu’il convient de préciser que la propriété dont il s’agit comprenait un bâtiment principal et des dépendances, dont certaines avaient été aménagées en chambres d’hôtes et appartements à louer, que l’ensemble était entouré d’une terre de deux hectares et d’un jardin de quatre mille mètres carrés, dont l’entretien est en cause dans la procédure ; que Mme X... reconnaît depuis sa première audition que le faible loyer qu’elle demandait s’accompagnait d’une contrepartie, en services, de la part de sa locataire ; que s’agissant d’un jardin de quatre mille mètres carrés, très bien entretenu selon les photographies présentées et les attestations déposées, il s’en déduit que Mme Y...effectuait un travail effectif pour l’entretien de ce vaste jardin ; que, de plus, elle était habilitée à retirer les produits nécessaires à ce travail auprès de la Sicami, ces dépenses étant inscrites au compte de la maîtresse des lieux, Mme X..., ce qui ne relève pas des obligations locatives du preneur d’un logement meublé ; qu’un passage de la propriétaire des lieux tous les quarante cinq jours ou deux mois environ, ne pouvait pas suffire à un entretien aussi correct que celui qui a été assuré sur cette propriété ; que Mme Z..., ami de Mme Y..., venu lui rendre visite à plusieurs reprises, atteste qu’il l’a vue tondre la pelouse, planter et nettoyer cet immense jardin, verrouiller les portes et fenêtres tous les jours, les ouvrir tous les matins ; que M. A...qui a vécu près de six mois jusqu’à l’été 2006 dans la propriété, atteste que Mme Y...entretenait le jardin quotidiennement, s’occupait de nettoyer les chambres d’hôtes après les départs des occupants, s’occupait de la gestion de la propriété pendant son séjour ; que Mme B..., amie du précédent, atteste que Mme X...lui avait présenté Mme Y...comme la personne responsable de l’entretien « des chambres de location » et de l’entretien du domaine ; que ces deux personnes venaient de Belgique et séjournaient aux ... avec le projet de s’installer en France ; que Mme D...atteste avoir rendu plusieurs fois visite à son amie Mme Y...et l’avoir vue tondre le gazon, planter des massifs de fleurs, s’occuper tous les jours de la partie habitation : fermer les volets et les portes, assurer le gardiennage au quotidien ; que M. E..., agriculteur voisin du domaine, atteste que Mme X...lui a présenté Mme Y...comme la personne qui devait s’occuper de son domaine (20 000 m ²) et il ajoute l’avoir vue traiter les arbustes et rosiers, nettoyer les parterres de fleurs, passer le tracteur pour tondre l’herbe, passer le coupe fil, arroser, planter des arbres, « cette propriété n’a jamais été aussi bien entretenue que depuis l’arrivée de Mme Y... » ; que Mme F..., amie de Mme Y..., atteste avoir personnellement rencontré Mme X...qui, au cours d’un repas le 15 août 2005, lui avait exposé ses projets pour sa propriété et les travaux qu’elle attendait de Mme Y... ; que dans une autre attestation, la même personne précise que Mme X... donnait par téléphone une longue liste de tâches à exécuter avant son arrivée et avoir vu le travail d’embellissement accompli par son amie pendant les deux années qui ont suivi son embauche ; qu’elle précise qu’en juin 2008, lors d’une dernière visite, un monsieur était installé aux ... qui entretenait la propriété et assurait le jardinage ; M. G..., artisan plombier (gérant de la Somip), atteste être intervenu sur la propriété pour effectuer des travaux de plomberie à la demande de Mme Y...et après accord de Mme X... ; qu’en ces circonstances, il a observé que Mme Y...s’occupait de la propriété (espaces verts, arrosage, nettoyage de la maison) ; que de son côté, la prévenue a présenté également des attestations de personnes venues de Belgique séjourner chez elle : que Mme H...atteste avoir accompagné son amie Mme I...pour un séjour en chambre d’hôtes chez Mme X...en septembre 2005 ; qu’elle y a vu Mme Y...qui partageait leurs repas ; qu’elle ne croit pas que Mme Y...s’occupait de l’entretien des chambres, en tous cas elle a toujours fait la sienne ; Mme J..., amie de Mme X..., atteste avoir rencontré Mme Y...à la Grande Motte où elle travaillait, elle était désespérée de se retrouver sans travail et elle a mis en relation ces deux dames, la première avait repris la maison en Ariège après le décès de sa fille et souhaitait la transformer pour en faire soit plusieurs appartements, soit une maison d’hôtes ; qu’il ne s’agissait que de dépanner Mme Y...pour six mois maximum ; ce sont trois dames belges qui ont déménagé les affaires de Mme Y...vers l’Ariège ; qu’elle ajoute des dires de tiers sur des questions dont elle n’a pas eu personnellement connaissance et dit tout le mal qu’elle pense de l’adversaire de son amie Mme X... ; que M. K...atteste avoir séjourné aux Bassous dix à quinze jours, sans aucune précision de date, et la date qui précède sa signature est surchargée donc peu lisible, et ne jamais avoir vu travailler ni dedans ni dehors la dame qui loge gratuitement chez Mme X... ; que cette attestation n’est d’aucun intérêt car nul ne peut savoir s’il a séjourné avant, pendant ou après la période de prévention ; que M. L...est venue du premier au huit août 2005 et le week-end du 15 août, à aucun moment Mme Y...ne s’est occupée de l’entretien de son logement ni de faire la cuisine ou le ménage ; qu’il ajoute qu’aucun lien de subordination par rapport au travail n’était visible ; qu’il se situe avant le début de la période de prévention, son attestation n’infirme pas celles de la partie civile ; que Mme M...atteste être venue en vacances aux ... du 20 juillet 2007 au 8 août 2007 ; que Mme Y...disait du mal de la propriétaire, elle faisait des barbecues tard le soir avec ses invités et gênait les occupants de la maison ; qu’elle déplore également qu’elle soit là plutôt pour contrôler les hôtes, noter tout ce qu’ils font ; Mme N...a séjourné début juillet 2007, elle est arrivée le soir sans que la personne préposée à l’entretien et à l’accueil ne soit présente ; que le nettoyage des chambres n’avait pas été fait et n’a jamais été réalisé pendant son séjour ; que le jardin n’a pas été entretenu une seule fois durant son séjour ; que « cette même personne se contentait de nous saluer » ; que M. O..., en tant qu’ami et invité de Mme X..., de mars à novembre 2008, n’a jamais vu travailler Mme Y...dans la propriété, c’est encore au-delà de la période de prévention ; qu’il se déduit de tous ces éléments que : Mme J...confirme le projet de Mme X... de créer des chambres d’hôtes, et de recevoir chez elle Mme Y...pour lui rendre service ; comme celle-ci n’avait plus d’emploi et s’approchait de l’âge de la retraite, il est certain que le travail rémunéré pour un emploi à temps partiel a été conclu dans ce projet : qu’il rendait service aux deux parties ; que Mme N...indique bien que la personne préposée à l’accueil et à l’entretien n’était pas là à son arrivée, ce qui prouve qu’il y avait une préposée pour ce service ; que Mme Y...a cessé de travailler sans doute plus tôt qu’elle ne l’indique dans ses conclusions, ce qui serait bien normal à défaut de paiement du salaire convenu, ce qui explique que M. O...ne l’ait pas vue travailler de mars à novembre 2008, époque postérieure à la période de prévention ; que la partie civile intervenait pour aérer la maison, elle faisait du ménage après le départ des hôtes, ce qui est d’usage en ces lieux mais sans être une employée de maison à plein temps, intervenant comme à l’hôtel, en présence de personnes de passage, ce qui explique que certains attestants ne l’aient pas vue faire le ménage ; que Mme X... présente des factures d’entretien de son jardin pour prouver qu’elle n’avait pas besoin d’une employée pour ce faire mais les factures de Mme P...permettent de connaître la nature précise de son intervention (dans l’ordre de présentation qui ne paraît pas être l’ordre chronologique) ; que la première est relative au débroussaillement « du bas de la bande boisée », la seconde à des travaux de terrassement avec une mini pelle mécanique, mise en place d’un muret et de buses, la troisième vise la fourniture et la pose d’un système d’arrosage, la fourniture de 250 kgs d’engrais et le soin d’un arbre, la quatrième est relative à la fourniture de 158 sacs d’écorce de pin maritime pour paillage et à la pose, la dernière est relative à la fourniture pour 4 320 euros et à la pose pour 3 817 euros de végétaux, plus fourniture de terreau, tuteurs et accessoires de pose ; que ces factures ne sont pas relatives à des travaux d’entretien, tonte ou nettoyage de jardins ; qu’elles ne démentent pas les attestations sur le travail d’entretien au jour le jour du jardin de la partie civile ; que la réalité du travail de la partie civile pour le compte et sous les ordres de la prévenue est ainsi établie, ainsi que la culpabilité de Mme X..., pour défaut de déclaration préalable à l’embauche de son employée ; que le jugement de relaxe est infirmé et la prévenue, sans antécédent, est condamnée à six mois d’emprisonnement avec sursis ;

” 1°/ alors que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements ; qu’en se bornant à énoncer qu’au vu des témoignages produits, la réalité du travail de la partie civile pour le compte et sous les ordres de la prévenue est établie, pour en déduire que le délit de travail dissimulé pour défaut de déclaration préalable à l’embauche doit être retenu à la charge de la demanderesse, sans indiquer concrètement en quoi ni au vu de quels éléments produits au débat les tâches accomplies par Mme Y...l’auraient été sous la direction de Mme X..., ni en quoi cette dernière aurait donné à la partie civile des ordres et des directives et aurait contrôlé l’exécution des missions des travaux litigieux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;

” 2°/ alors qu’il n’y a pas de contrat de travail sans la stipulation d’une rémunération en contrepartie du travail accompli ; que, dès lors, en se bornant à énoncer qu’au vu des témoignages produits, la réalité du travail de la partie civile pour le compte et sous les ordres de la prévenue est établie, pour en déduire que le délit de travail dissimulé pour défaut de déclaration préalable à l’embauche doit être retenu à la charge de la demanderesse, sans rechercher si les parties avaient prévu une rémunération au profit de la partie civile, en contrepartie de l’exécution de certaines tâches, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des mêmes textes ;

” 3°/ et alors enfin que le délit de l’article L. 8221-5 du code du travail n’est caractérisé qu’à la condition que le prévenu se soit soustrait intentionnellement à l’accomplissement de la formalité de la déclaration préalable à l’embauche ; que, dès lors, en se bornant à énoncer qu’au vu des témoignages produits, la réalité du travail de la partie civile pour le compte et sous les ordres de la prévenue est établie, pour en déduire que le délit de travail dissimulé pour défaut de déclaration préalable à l’embauche doit être retenu à la charge de la demandesse, sans rechercher si la prévenue avait volontairement omis d’effectuer la déclaration préalable à l’embauche de Mme Y..., ni même constater que la prévenue savait que les conditions dans lesquelles certaines tâches étaient accomplies par la partie civile, par ailleurs locataire d’un logement appartenant à la demandesse, caractérisaient un contrat de travail et, partant, impliquaient l’accomplissement d’une telle formalité, la cour d’appel a encore privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés “ ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt infirmatif attaqué, exactement reprises au moyen, mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, qui a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions présentées devant elle, a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit de travail dissimulé dont elle a déclaré la prévenue coupable, et ainsi justifié l’allocation, au profit de la partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en résultant ;

D’où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 000 euros la somme que Mme Hedwig X... devra payer à Me Q...au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale, sur le fondement de l’article 2 de l’ordonnancedu 8 décembre 2005 ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Toulouse du 12 août 2010