Arrêt de principe - salarié étranger sans titre de travail et dissimulé

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 6 février 2001

N° de pourvoi : 00-81526

Publié au bulletin

Rejet

Président : M. Cotte, président

Rapporteur : Mme Ferrari., conseiller apporteur

Avocat général : Mme Fromont., avocat général

Avocats : MM. Bouthors, Spinosi., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par :
"-" X... Mohsen,
contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, 9e chambre, du 9 décembre 1999, qui, notamment, l’a condamné à des réparations civiles du chef de travail clandestin.

LA COUR,

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 1382 du Code civil, L. 324-9 et suivants du Code du travail, L. 341-1 et suivants du même Code, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

” en ce que, statuant sur les intérêts civils, la Cour a condamné l’intimé à verser à la partie civile 100 000 francs de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant de l’exécution d’un travail clandestin et 15 000 francs sur le fondement de l’article 475-1 du Code de procédure pénale ;

” aux motifs que c’est à tort que le tribunal n’a pas indemnisé Roman Y..., à raison du préjudice direct subi par cette partie civile du fait du délit d’exécution d’un travail clandestin ; que les conditions anormales de l’emploi de Roman Y..., ressortissant étranger se trouvant dans une situation précaire et à la merci d’un employeur particulièrement indélicat, justifient, de ce chef, la condamnation du prévenu à verser d’ores et déjà à la partie civile, la somme de 100 000 francs de dommages et intérêts ; que Mohsen X... doit être, en outre, condamné à verser à Roman Y... la somme de 15 000 francs sur le fondement de l’article 475-1 du Code de procédure pénale, pour ses frais irrépétibles engagés en première instance et en cause d’appel (arrêt p. 7) ;

” 1° alors que, d’une part, seuls les intérêts généraux de la société sont protégés par l’incrimination du travail clandestin, d’où il suit qu’aucune indemnisation n’a pu en principe être allouée de ce chef au plaignant dont l’action civile est proscrite ;

” 2° alors que, d’autre part, le plaignant qui est lui-même en situation irrégulière au regard du séjour et de l’emploi, a participé lui-même à l’infraction dont s’agit et ne justifie en conséquence d’aucun préjudice personnel indemnisable ;

” 3° alors, subsidiairement, que l’affirmation non circonstanciée de l’existence d’un lien direct de causalité entre l’infraction considérée et le préjudice allégué par le plaignant ne saurait fournir de base légale à la condamnation critiquée ;

” 4° alors, en tout état de cause, que les dommages et intérêts sont à la mesure du préjudice justifié par le réclamant ; qu’en allouant une somme forfaitaire importante au plaignant sans autrement s’expliquer sur la nature et la mesure du préjudice afférent au travail clandestin, la Cour a prononcé en réalité une véritable peine privée en dehors des règles gouvernant la responsabilité civile “ ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que Roman Y..., ressortissant polonais en situation irrégulière, a été employé comme mécanicien et gardien et logé dans une caravane par une société de récupération de véhicules, dirigée en fait par Mohsen X... ; que, victime d’un accident ayant entraîné la perte de la vision d’un oeil, survenu, selon lui, au cours de son travail, et en conflit avec son employeur sur la prise en charge des frais médicaux, il a déposé plainte, puis s’est constitué partie civile devant le juge d’instruction ;

Que Mohsen X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour blessures involontaires sur la personne de Roman Y... et pour l’avoir employé sans effectuer de déclaration préalable à l’embauche ni lui délivrer de bulletins de paie ; qu’il a définitivement été déclaré coupable de travail clandestin par les premiers juges ;

Attendu que, pour condamner le prévenu à des réparations civiles du chef de ce délit, les juges d’appel énoncent que les conditions anormales de l’emploi de la victime, étranger se trouvant dans une situation précaire et à la merci d’un employeur particulièrement indélicat, justifient l’allocation d’une somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, d’où il résulte que la partie civile a souffert d’un préjudice directement causé par les faits, objet de la poursuite, la cour d’appel a justifié sa décision ;

Qu’en effet, si la législation sur le travail clandestin a été édictée en vue de l’intérêt général, elle n’en tend pas moins également à la protection des particuliers, qui peuvent, lorsque sa méconnaissance leur a causé un préjudice personnel et direct, en obtenir réparation devant la juridiction pénale ;

D’où il suit que le moyen, qui remet en cause l’appréciation souveraine, par les juges du fond, de l’étendue du préjudice découlant de l’infraction, ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

Publication : Bulletin criminel 2001 N° 32 p. 85

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 9 décembre 1999

Titrages et résumés : ACTION CIVILE - Recevabilité - Travail - Travail dissimulé - Préjudice subi par le travailleur clandestin. Si la législation sur le travail clandestin a été édictée en vue de l’intérêt général, elle n’en tend pas moins également à la protection des particuliers qui peuvent, lorsque sa méconnaissance leur a causé un préjudice personnel et direct, en obtenir réparation devant la juridiction pénale. Justifie ainsi sa décision la cour d’appel qui déclare recevable et fondée l’action civile du travailleur clandestin justifiant d’un préjudice directement causé par le délit de travail dissimulé dont son employeur est déclaré coupable. (1).

TRAVAIL - Travail dissimulé - Action civile - Recevabilité - Action du travailleur clandestin contre son employeur

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) A rapprocher : Chambre criminelle, 1998-11-17, Pourvoi n° S 97-81.754, X..., (rejet), Diffusé Légifrance.

Textes appliqués :
* Code civil 1382
* Code de procédure pénale 2
* Code du travail L324-9, L341-1