Contrôle conjoint OPJ - services fiscaux

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 17 octobre 1994

N° de pourvoi : 94-82780

Publié au bulletin

Cassation

Président : M. Le Gunehec, président

Rapporteur : Mme Mouillard., conseiller apporteur

Avocat général : M. Libouban., avocat général

Avocat : la SCP Lemaitre et Monod., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

CASSATION sur le pourvoi formé par :
 X... Kacem,
contre l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Orléans, en date du 5 mai 1994, qui, dans l’information suivie contre lui des chefs de travail clandestin, infractions à la législation relative aux étrangers et infractions aux règles de la facturation, a dit n’y avoir lieu à annulation d’actes de la procédure.

LA COUR,

Vu l’ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 28 juin 1994, prescrivant l’examen immédiat du pourvoi ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 53, 56, 57, 59 et 60 du Code de procédure pénale, 45, 47 et 48 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, L. 16 B du Livre des procédures fiscales et L. 611-13 du Code du travail, violation des droits de la défense, défaut et contradiction de motifs et manque de base légale :

” en ce que l’arrêt attaqué a refusé d’annuler les auditions, saisies et perquisitions effectuées le 20 septembre 1991, ainsi que la procédure subséquente ;

” 1° aux motifs que les affirmations, selon lesquelles les perquisitions, saisies et auditions auraient été effectuées sur le fondement de l’article 48 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, reposent sur une confusion volontaire des deux parties du dossier matérialisées par le réquisitoire introductif du 22 septembre 1991 pour exécution d’un travail clandestin et par le réquisitoire supplétif du 17 mars 1992 pour infraction aux règles de facturation ;

” que même si c’est par erreur que la demande d’assistance des gendarmes est fondée sur l’article L. 46 du Livre des procédures fiscales, la présence des gendarmes a été limitée au bouclage du restaurant et que c’est au cours de cette présence passive que les gendarmes ont intercepté un employé du restaurant dont ils ont constaté qu’il était en situation irrégulière ; que toutes les auditions, perquisitions et saisies, tant dans le restaurant qu’au travail de X..., ont été effectuées dans le cadre de cette enquête et qu’il n’en résulte aucune violation de la loi ;

” que X... invoque également la violation de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ; que la procédure est ouverte sur deux réquisitions du Parquet de Blois, l’une pour infraction de travail clandestin, l’autre pour infraction à la facturation et qu’il ne s’agit, ni dans un cas ni dans l’autre, d’une procédure fiscale ;

” que la nullité de la procédure est également demandée sur le fondement de l’article L. 611-13 du Code du travail ; que cet article est rédigé en vue de l’organisation des opérations effectuées dans le cadre des enquêtes préliminaires sur le travail clandestin et a institué une procédure proche de celle de l’article 48 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 prévoyant notamment l’autorisation de l’autorité judiciaire pour effectuer les perquisitions nécessaires ;

” qu’il est encore prétendu que les opérations litigieuses auraient été menées en réalité dans le but d’établir l’existence d’infractions à la réglementation fiscale en vue du contrôle de l’impôt et donc en violation de l’article 47 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, constituant un détournement de procédure ; que les pièces relatives aux infractions sur la facturation ont été adressées au procureur de la République le 18 novembre 1991 par le directeur des services fiscaux du Loir-et-Cher et ont été jointes à l’information suivie contre Kacem X... pour utilisation de travailleurs clandestins par réquisitoire supplétif du 17 mars 1992 ; que ces pièces ont été obtenues régulièrement en application de l’article 47 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu’en application des articles L. 82 C et L. 101 du Livre des procédures fiscales, la direction des services fiscaux a demandé au procureur de la République la communication de ces pièces aux agents des Impôts qui pourraient avoir à examiner la situation fiscale du contrevenant et que, selon lettre du 22 novembre 1991, il a été fait droit à cette requête par la communication du dossier SARL X... frères ; que ces procédures sont parfaitement régulières et qu’il n’en résulte aucune nullité ;

” alors, d’une part, qu’il est constant que les agents de l’administration fiscale et les gendarmes dont ils avaient sollicité l’assistance sont intervenus sur les lieux pour procéder à une enquête de facturation sur le fondement de l’article 47 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et que c’est leur présence, à ce titre, sur ces lieux qui leur a permis, à la faveur de la constatation d’un flagrant délit de travail clandestin, de procéder aux perquisitions et saisies critiquées, qui sont à l’origine des deux informations ouvertes sur réquisitoire introductif du 22 septembre 1991 et sur réquisitoire supplétif du 17 mars 1992 ; qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée par les conclusions de X..., si dès l’origine l’intention des agents de l’administration fiscale n’était pas d’opérer des investigations de nature coercitive relevant, non pas de l’article 47 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, mais de l’article 48 de la même ordonnance et de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ainsi que de l’article L. 611-13 du Code du travail, qui exigent une autorisation judiciaire préalable, laquelle n’avait pas été requise en l’espèce, la chambre d’accusation n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes précités ;

” alors, d’autre part, que les gendarmes non habilités par le ministre de l’Economie, conformément à l’article 45 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, ne peuvent participer à un contrôle de facturation effectué sur le fondement de l’article 47 de la même ordonnance ; qu’ainsi, la chambre d’accusation, qui, tout en reconnaissant qu’en l’espèce, la demande d’assistance des gendarmes avait, à tort, été fondée sur l’article L. 46 du Livre des procédures fiscales, a refusé de déclarer irrégulière leur présence dans le cadre du contrôle économique effectué par les agents de l’administration fiscale sur le fondement de l’article 47 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, au prétexte que cette présence se serait limitée au “bouclage” du restaurant de X..., a violé les textes précités ;

” 2° et aux motifs que X... soutient que les opérations n’ont pu être effectuées dans le cadre du flagrant délit, les enquêteurs connaissant l’existence des travailleurs clandestins et l’intervention étant montée pour démontrer la réalité de ce travail ; que les gendarmes se trouvaient à l’extérieur du restaurant et que, voyant un individu en sortir précipitamment, ils ont constaté que ce dernier n’était titulaire ni d’une pièce d’identité ni d’un titre de séjour et que cet homme a déclaré spontanément être de nationalité marocaine, sans titre de séjour et être employé comme cuisinier de X... ; que l’article 53 qualifie de délit flagrant “celui qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre” ; que cette définition s’applique exactement aux faits constatés par les gendarmes et que c’est à bon droit qu’une enquête de flagrant délit a débuté, suivie de l’ouverture d’une information par le Parquet ; que les actes de procédure, en particulier les perquisitions et saisies entraient dans le cadre de cette enquête de flagrant délit et sont parfaitement réguliers ; qu’il est prétendu que la première perquisition effectuée à Vendôme l’a été en l’absence de X... sans qu’il soit justifié de l’impossibilité de sa présence et alors même qu’il est constant qu’il pouvait être facilement présent ; que “Le Marrakech” est le siège de la SARL X... frères et non le domicile de ce dernier, domicilié à Blois ; qu’au demeurant, le restaurant “Le Marrakech” est un lieu ouvert au public notamment aux heures de repas et que la perquisition a eu lieu précisément entre midi et 15 heures qui sont justement ces heures ; qu’il ne s’agissait donc pas d’un domicile de X... ; que ce domicile ne peut être constitué par ailleurs par le siège social de la société ; qu’il est prétendu que l’article 56 du Code de procédure pénale a été violé par l’assistance aux perquisitions de M. Y..., inspecteur des Impôts ; que ce dernier, dirigeant l’enquête, ne pouvait être requis comme sachant ; que, d’ailleurs, il n’a pas prêté le serment prévu par l’article 56 ; qu’il ne résulte d’aucun procès-verbal de perquisition que les gendarmes, officiers de police judiciaire, agissant en flagrant délit, ont été assistés d’un sachant et notamment par M. Y... ;

” alors, en premier lieu, qu’en se bornant, pour apprécier la régularité de la procédure de flagrant délit litigieuse, à constater que l’infraction était en train de se commettre lorsque la procédure a été mise en oeuvre, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions de X..., si la gendarmerie nationale n’était pas intervenue précisément dans le but de constater un délit de travail clandestin dont elle avait antérieurement connaissance et si, dès lors, la qualification de flagrant délit n’était pas exclue en l’espèce, la chambre d’accusation a privé sa décision de base légale au regard de l’article 53 du Code de procédure pénale ;

” alors, en deuxième lieu, que la perquisition du siège social d’une société doit être faite en présence d’un représentant légal de celle-ci ou, en cas d’impossibilité, du représentant qu’il aura choisi ; qu’en refusant d’annuler la perquisition faite au restaurant “Le Marrakech”, siège social de la SARL X... frères, en l’absence de X..., gérant de cette société, la chambre d’accusation a violé les articles 57 et 59 du Code de procédure pénale, ensemble l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

” alors, en troisième lieu, que seuls les officiers de police judiciaire peuvent procéder à des perquisitions dans le cadre d’une enquête de flagrant délit ; qu’ainsi, en refusant d’annuler les perquisitions litigieuses, tout en constatant que les fonctionnaires des différentes administrations intéressées (services fiscaux, DTE) ainsi que les agents de la brigade de contrôle et de recherches de Blois y assistaient, la chambre d’accusation a violé l’article 56 du Code de procédure pénale ;

” alors, en quatrième lieu, qu’il ressort du procès-verbal d’audition de M. Y..., en date du 24 mai 1993 (D. 126), que celui-ci a expressément reconnu être intervenu en qualité de sachant lors des trois perquisitions litigieuses ; qu’ainsi, en retenant, pour écarter le moyen tiré de la nullité de ces perquisitions faites en la présence irrégulière de M. Y..., que cette présence ne résulte d’aucun des procès-verbaux de perquisitions, la chambre d’accusation a statué par motifs contradictoires ;

” alors, en dernier lieu, que X... faisait valoir qu’il ressortait des pièces de la procédure que M. Y..., inspecteur des Impôts, était présent au domicile de X... à Blois pour participer à la perquisition alors que cela n’est pas mentionné sur les procès-verbaux établis par les gendarmes, et que cette présence est irrégulière dans la mesure où elle a permis à M. Y... de pénétrer dans le domicile de X..., alors que, dans le cadre d’un contrôle de facturation, il n’aurait pu visiter que les locaux à usage professionnel, conformément aux termes de l’article 47 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen tiré de l’irrégularité de la perquisition du domicile de X... du seul fait de la présence de M. Y..., la chambre d’accusation a privé sa décision de motifs “ ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que les pouvoirs d’investigation conférés aux officiers et agents de police judiciaire ou à certains fonctionnaires par des lois spéciales ne peuvent être exercés que dans les conditions et dans les limites fixées par les textes qui les prévoient ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que des agents des Impôts se sont transportés au restaurant exploité par la SARL X... frères, dont Kacem X... est le gérant, pour y effectuer un contrôle de facturation, conformément à l’article 47 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu’ils ont, pour ce faire, se référant à l’article 46 du Livre des procédures fiscales, requis l’assistance de gendarmes, lesquels se sont postés à l’arrière de l’établissement ; qu’au cours des opérations, ces derniers ont intercepté un homme qui sortait précipitamment et qui leur a avoué qu’il était de nationalité marocaine, dépourvu de titre de séjour et employé en qualité de cuisinier par Kacem X... ; que les officiers de police judiciaire, enquêtant dès lors sur le délit flagrant de travail clandestin, ont, avec le concours des agents des Impôts, diligenté différentes perquisitions au cours desquelles ils ont saisi, notamment, des documents comptables et des factures ; qu’une information a été ouverte à l’encontre de Kacem X... des chefs de travail clandestin et d’infractions à la législation relative aux étrangers, puis étendue, par réquisitoire supplétif, aux infractions aux règles de la facturation ; qu’invoquant un détournement de procédure et diverses irrégularités, l’intéressé a saisi la chambre d’accusation d’une demande d’annulation des perquisitions et saisies ainsi que des actes subséquents ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, la chambre d’accusation, après avoir écarté comme inopérants les griefs tirés de la violation des articles 46 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et 57 du Code de procédure pénale, énonce à bon droit que les officiers de police judiciaire pouvaient diligenter diverses perquisitions et saisies sous le régime de la flagrance, dès lors qu’ils avaient constaté, à la suite de l’interpellation du fugitif, l’existence d’un délit de travail clandestin et d’infractions à la législation sur les étrangers ;

Que les juges ajoutent toutefois qu’aucun des procès-verbaux de perquisition n’établit que les gendarmes aient été assistés au cours de ces opérations par un agent des Impôts et que la procédure est régulière ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors qu’il résulte de ses propres constatations et des pièces de la procédure que les officiers de police judiciaire agissant en flagrant délit avaient été assistés au cours de leurs investigations par les fonctionnaires des services fiscaux, et que ces derniers ont ainsi pu participer à des perquisitions et saisies dans des conditions que n’autorisent ni l’ordonnance du 1er décembre 1986, ni le Code du travail, et qui sont étrangères à l’article 56, alinéa 2, du Code de procédure pénale, la chambre d’accusation a méconnu les textes et principes susvisés ;

Que la cassation est dès lors encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Orléans, en date du 5 mai 1994, et pour qu’il soit à nouveau jugé conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris.

Publication : Bulletin criminel 1994 N° 333 p. 813

Décision attaquée : Cour d’appel d’Orléans (chambre d’accusation) , du 5 mai 1994

Titrages et résumés : CRIMES ET DELITS FLAGRANTS - Perquisition - Officier de police judiciaire - Assistance - Agent des Impôts - Délit de travail clandestin et infraction à la législation sur les étrangers (non). Les pouvoirs d’investigation conférés aux officiers et agents de police judiciaire ou à certains fonctionnaires par des lois spéciales ne peuvent être exercés que dans les conditions et dans les limites fixées par les textes qui les prévoient. Il s’ensuit que des agents des Impôts ne peuvent, dans des conditions que n’autorisent ni l’ordonnance du 1er décembre 1986 ni le Code du travail et qui sont étrangères à l’article 56, alinéa 2, du Code de procédure pénale, assister des officiers de police judiciaire perquisitionnant en flagrance sur un délit de travail clandestin et des infractions à la législation sur les étrangers. (1).

OFFICIER DE POLICE JUDICIAIRE - Pouvoirs - Crimes et délits flagrants - Perquisition - Assistance - Agent des Impôts - Délit de travail clandestin et infraction à la législation sur les étrangers (non)

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) A rapprocher : Chambre criminelle, 1989-12-18, Bulletin criminel 1989, n° 485, p. 1181 (cassation partielle sans renvoi).

Textes appliqués :
• CGI L16B livre des procédures fiscales
• Code de procédure pénale 53, 56, 57, 59, 60
• Code du travail L611-13
• Ordonnance 86-1243 1986-12-01 art. 45, art. 47, art. 48