Consentement audition obligatoire

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 9 octobre 2014

N° de pourvoi : 13-19493

ECLI:FR:CCASS:2014:C201562

Publié au bulletin

Rejet

Mme Flise (président), président

SCP Boutet-Hourdeaux, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 17 avril 2013), qu’agissant en vue de la recherche et de la constatation d’infractions constitutives de travail illégal, l’URSSAF des Côtes d’Armor, aux droits de laquelle vient l’URSSAF de Bretagne (l’URSSAF), et l’inspection du travail de Saint-Brieuc ont effectué, le 16 février 2010, un contrôle dans les locaux de la société Hedirian Fashion (la société), au cours duquel l’inspecteur du recouvrement et le contrôleur du travail ont procédé à l’audition, notamment, de Mme X..., associée minoritaire ; qu’à la suite de ce contrôle, l’URSSAF a notifié à la société un redressement résultant de la réintégration, dans l’assiette des cotisations, de la rémunération versée à Mme X..., évaluée sur une base forfaitaire ; que, contestant ce redressement, la société a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale ;
Attendu que l’URSSAF fait grief à l’arrêt d’annuler le redressement, alors, selon le moyen :
1°/ que l’article L. 8271-11 du code du travail a conféré aux agents de contrôle de l’URSSAF, autorisés par l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale à entendre les salariés exclusivement dans l’entreprise ou sur les lieux du travail en cas de contrôle traditionnel, des pouvoirs plus étendus en leur permettant également, dans le cadre de la lutte contre le travail illégal d’« entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant afin de connaître la nature de ses activités, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature » ; qu’en retenant, pour annuler le redressement litigieux que ces deux textes étaient d’application alternative de sorte que, dans le cadre d’une action en recherche de travail illégal, l’inspecteur de l’URSSAF n’aurait pas eu le droit d’entendre un salarié dans les locaux de l’entreprise sans obtenir préalablement son consentement, la cour d’appel a violé ensemble l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale et l’article L. 8271-11 du code du travail ;
2°/ que lorsque l’article L. 8271-11 du code du travail prévoit que les agents de contrôle sont habilités à entendre, « en quelque lieu que ce soit et avec son consentement » les salariés ou présumés salariés de l’entreprise concernée, il ne leur impose ni d’obtenir un consentement explicite ni même d’établir un procès-verbal matérialisant pareil consentement explicite ; que le consentement donné par les intéressés peut résulter du seul fait qu’ils aient répondu aux questions des agents de contrôle ; qu’aussi en retenant, pour annuler le redressement litigieux, que le procès-verbal qui avait été dressé en l’espèce « ne comporte aucune mention relative au recueil préalable du consentement des témoins à leur audition, intervenue hors la présence du chef d’entreprise » la cour d’appel a derechef violé l’article L. 8271-11 du code du travail ;
Mais attendu, d’une part, que les dispositions de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale ne sont pas applicables aux opérations ayant pour objet la recherche et la constatation d’infractions constitutives de travail illégal, engagées sur le fondement des articles L. 8271-1 et suivants du code du travail ; d’autre part, qu’il résulte de l’ancien article L. 8271-11 du même code, alors applicable, que les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent ne peuvent être réalisées qu’avec le consentement des personnes entendues ;
Et attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, même si les agents de contrôle ne sont pas tenus d’établir un procès-verbal d’audition, il ne résulte pas du procès-verbal dressé par l’inspecteur du recouvrement ni de tout autre document la preuve du consentement des témoins à leur audition ;
Qu’en l’état de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve, la cour d’appel a pu retenir que la société avait été privée d’une garantie de fond qui viciait le procès-verbal des agents de contrôle et le redressement fondé sur leurs constatations ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l’URSSAF de Bretagne aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boutet, avocat aux Conseils, pour l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Bretagne.
Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir annulé le redressement opéré par l’URSSAF des Côtes d’Armor aux droits de laquelle vient l’URSSAF de Bretagne, notifié à la SARL X...FASHION, prise en la personne de son représentant légal, suivant le procès-verbal relevant le délit de travail dissimulé clôturé le 19 mars 2010 et la lettre d’observations en date du 14 juin 2010 pour un montant de 16. 666 euros en principal, condamné l’URSSAF de Bretagne à rembourser à la SARL X...FASHION la somme globale de 20. 436 ¿ avec intérêts au taux légal à compter du 1er mai 2011 ainsi qu’une somme de 1. 500 ¿ au titre des frais non répétibles de défense ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE dans sa rédaction en vigueur entre le 1er mai 2008 et le 16 mars 2011, applicable aux faits de la cause, l’article L. 8271-7 du code du travail, inséré dans le chapitre consacré aux dispositions relatives à la compétence des agents dans le cadre du contrôle du travail illégal, rangeait sous son 5° les agents des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agréés à cet effet et assermentés, dans la catégorie des agents de contrôle compétents pour constater les infractions constitutives de travail illégal. Et selon l’article L. 8271-8-1 du même code, ces agents communiquent leurs procès-verbaux de travail dissimulé aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 du code de la sécurité sociale et à l’article L. 723-3 du code rural et de la pêche maritime, qui procèdent à la mise en recouvrement des cotisations et contributions qui leur sont dues sur la base des informations contenues dans lesdits procès-verbaux. En outre, avant d’être abrogé par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, l’article L. 8271-11 du code du travail, applicable aux faits de la cause, dès lors que le contrôle critiqué a été réalisé le 16 février 2010, disposait en son alinéa 1er que “ Les agents de contrôle sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant afin de connaître la nature de ses activités, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature “. Et dans son alinéa 2, cet article disposait que “ ces auditions peuvent faire l’objet d’un procès-verbal signé des agents précités et des intéressés. “. Les contrôles effectués dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé par application des textes spécifiques susvisés, obéissent à un régime qui leur est propre, et qui est distinct de celui institué par les articles L 243-7 et R 243-59 du code de la sécurité sociale pour organiser le contrôle du respect de la législation instituée par ce code, en particulier, la vérification de l’assiette, du taux et du calcul des cotisations dues par les employeurs. C’est donc à tort que l’URSSAF prétend à une application cumulative, en matière de contrôles inopinés du travail illégal, de certaines des dispositions des articles R. 243-59 du code de la sécurité sociale et de l’ancien article L. 8271-11 du code du travail, pour soutenir que le consentement des témoins à leur audition dans le cadre d’un tel contrôle ne serait requis qu’en cas d’audition hors des locaux de l’entreprise, alors qu’il ressort sans équivoque de l’ancien article L. 8271-11 du code du travail, seul applicable aux faits de la cause, que l’audition doit avoir lieu avec le consentement de la personne entendue en qualité de témoin, quelque soit le lieu de cette audition. Force est de constater, même si l’ancien article L. 8271-11 n’exigeait pas de l’agent qu’il dresse un procès-verbal d’audition de chaque témoin signé par lui et ce dernier, et même si par application de l’article L. 8271-8 du code du travail son procès-verbal fait foi jusqu’à preuve contraire, que le procès-verbal n° 28/ 10 VM, signé par Monsieur Victor Y..., inspecteur agréé et assermenté, ne comporte aucune mention relative au recueil préalable du consentement des témoins à leur audition, intervenue hors la présence du chef d’entreprise. Dans ces conditions, c’est à juste titre que les premiers juges ont admis que la société Hedirian Fashion a été privée, à l’occasion des opérations de contrôle inopiné du travail dissimulé du 16 février 2010, d’une garantie de fond qui vicie le procès-verbal du 19 mars 2010 et, par voie de conséquence nécessaire, le redressement fondé sur les constatations qui y sont contenues. Le jugement sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions, L’URSSAF, qui succombe en son recours, sera condamnée à payer à la société Heridian Fashion, par application de l’article 700 du code de procédure civile, une somme de 1. 500 ¿ au titre des frais irrépétibles de défense ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE-sur la nullité du redressement pour non-respect des dispositions de l’article L 8271-11 du code du travail :

Selon l’article L. 8271-11 du code du travail, applicable à l’époque de contrôle : “ Les agents de contrôle sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement ; toute personne rémunérée, ayant été rémunéré ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant afin de connaître la nature de ses activités, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature. Ces auditions peuvent faire l’objet d’un procès-verbal signé des agents précités et des intéressés... Il ressort des pièces soumises à l’appréciation du tribunal et en particulier du procès-verbal 28/ 10VM établi par Monsieur Victor Y..., inspecteur de l’URSSAF de Saint-Brieuc, et Madame Roselyne Z..., contrôleur à l’Inspection du travail de Saint-Brieuc, que le contrôle opéré le 16 février 2010 au sein du magasin à l’enseigne “ ... », exploité par la SARL X...FASHION, a été diligenté “ en vue de rechercher et de verbaliser le délit de travail dissimulé en application des dispositions des articles L 8271-7 à L 8271-11 du code du travail’. D’ailleurs, la lettre d’observations établie le 14 juin 2010, dans les suites de ce procès-verbal et du travail dissimulé relevé par les agents contrôleurs, a mentionné que le contrôle avait pour objet la “ recherche des infractions aux Interdictions de travail dissimulé mentionné aux articles L 8221-1 et L 8221-2 du code du travail “. Dans ce cadre spécifique, l’URSSAF des Côtesd’Armor a donc établi d’un côté, un procès-verbal pour infraction de travail dissimulé (transmis au procureur de la république) en application de l’article L 8271-8 du code du travail et de l’autre, une lettre d’observations portant rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, en application de l’article R 243-59 du code de la sécurité sociale. Il apparaît ainsi que l’URSSAF des Côtesd’Armor a agi dans le cadre juridique de la lutte contre le travail dissimulé qui, au moins pour partie, diffère de celui du contrôle comptable d’assiette et de l’application de la législation de sécurité sociale, fondé sur les seules dispositions de l’article R 243-59 du code de la sécurité sociale. Le premier grief soulevé par la requérante porte sur les pouvoirs des agents de contrôle en cas de recherche des infractions à l’interdiction du travail dissimulé. Le texte applicable, l’article L 8271-11 du code du travail précité, prévoit notamment que les agents de contrôle sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être rémunérée par l’employeur. Si les pouvoirs donnés aux agents de contrôle dans ce cadre sont plus étendus que ceux qui leur sont attribués lors du contrôle de l’assiette des charges sociales puisqu’ils peuvent entendre, en quelque lieu que ce soit, dans ou hors des locaux de l’entreprise, les personnes précisées, il n’en demeure pas moins que le texte spécifie expressément que les personnes entendues doivent y avoir consenti et que les dispositions relatives aux pouvoirs des agents doivent être interprétées de manière restrictive. Or, la partie requérante expose qu’à aucun moment, les agents de contrôle n’ont demandé aux personnes interrogées, et plus particulièrement à Madame Mireille X..., si elles consentaient à être entendues. Le Tribunal, qui doit veiller au respect des dispositions relatives à l’obtention des informations, doit en effet constater que le procès-verbal susvisé ne comporte aucune mention relative au recueil, préalable à l’audition, du consentement de Mesdames Élodie A..., Stéphanie B...et Mireille X.... Il est exact, ainsi que l’a rappelé L’URSSAF, que dans ce cadre d’action spécifique, l’inspecteur n’est pas tenu d’établir un procès-verbal d’audition. Toutefois, le Tribunal ne peut que relever qu’en l’absence de tout document de recueil des déclarations signées par la personne entendue, ou de toute autre mention, la preuve d’une audition consentie n’est pas rapportée. Il s’ensuit que le Tribunal n’est pas en mesure de s’assurer du respect des dispositions impératives précitées dont le manquement cause nécessairement grief au gérant de la SARL X...FASHION dans la mesure où le procès-verbal de constat du délit de travail dissimulé repose sur les seules déclarations de Madame Mireille X.... Dans ces conditions, il convient de prononcer la nullité du contrôle et du redressement subséquent ;
ALORS D’UNE PART QUE l’article L. 8271-11 du code du travail a conféré aux agents de contrôle de l’URSSAF, autorisés par l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale à entendre les salariés exclusivement dans l’entreprise ou sur les lieux du travail en cas de contrôle traditionnel, des pouvoirs plus étendus en leur permettant également, dans le cadre de la lutte contre le travail illégal d’« entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant afin de connaître la nature de ses activités, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature » ; qu’en retenant, pour annuler le redressement litigieux que ces deux textes étaient d’application alternative de sorte que, dans le cadre d’une action en recherche de travail illégal, l’inspecteur de L’URSSAF n’aurait pas eu le droit d’entendre un salarié dans les locaux de l’entreprise sans obtenir préalablement son consentement, la Cour d’appel a violé ensemble l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale et l’article L. 8271-11 du code du travail ;
ALORS D’AUTRE PART QUE lorsque l’article L. 8271-11 du code du travail prévoit que les agents de contrôle sont habilités à entendre, « en quelque lieu que ce soit et avec son consentement » les salariés ou présumés salariés de l’entreprise concernée, il ne leur impose ni d’obtenir un consentement explicite ni même d’établir un procès-verbal matérialisant pareil consentement explicite ; que le consentement donné par les intéressés peut résulter du seul fait qu’ils aient répondu aux questions des agents de contrôle ; qu’aussi en retenant, pour annuler le redressement litigieux, que le procès-verbal qui avait été dressé en l’espèce « ne comporte aucune mention relative au recueil préalable du consentement des témoins à leur audition, intervenue hors la présence du chef d’entreprise » la Cour d’appel a derechef violé l’article L. 8271-11 du code du travail.
Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes , du 17 avril 2013