Procédure incidente de flagrance

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 9 décembre 1997

N° de pourvoi : 96-85485

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l’arrêt suivant : Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle GUIGUET, BACHELLIER et POTIER de la VARDE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de E... ; Statuant sur les pourvois formés par : - ARMAND Z..., - ARMAND F..., contre l’arrêt de la cour d’appel de BASSE-TERRE, chambre correctionnelle, du 22 octobre 1996, qui les a condamnés, le premier, pour emploi de travailleurs clandestins et emploi de travailleurs étrangers non munis d’autorisation de travail, à 150 000 francs d’amende, le deuxième, pour emploi de travailleurs clandestins, à 30 000 francs d’amende et ordonné la publication de la décision ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; Vu le mémoire ampliatif produit pour Arthur Y... ; Vu le mémoire personnel produit par Jean-Michel Y... ; Sur le premier moyen de cassation présenté pour Arthur Y..., pris de la violation des articles 510, 512, 591, 592 et 593 du Code de procédure pénale ; “en ce que l’arrêt attaqué mentionne que, lors des débats, du délibéré et du prononcé de l’arrêt, la cour d’appel était présidée par “M. Hubert Levet, conseiller” ; “alors qu’en vertu de l’article 510 du Code de procédure pénale, la chambre des appels correctionnels comprend un président de chambre ;

qu’en se bornant à mentionner que la cour d’appel était présidée par “M. Hubert Levet, conseiller”, sans préciser que ce conseiller faisait fonction de président, l’arrêt attaqué n’a pas mis la Cour de Cassation en mesure de vérifier que la juridiction était présidée par un magistrat ayant légalement qualité pour ce faire” ; Sur le premier moyen de cassation présenté par Jean-Michel Y..., pris de la violation des articles 510 et 591 du Code de procédure pénale ; Les moyens étant réunis ; Attendu qu’il résulte des mentions de l’arrêt attaqué que l’audience était présidée lors des débats, du délibéré et du prononcé de l’arrêt par M. Hubert Levet, conseiller, assisté de deux conseillers assesseurs, qu’il se déduit de ces mentions que M. Levet a été régulièrement appelé à présider en remplacement du président titulaire et que se trouvent ainsi respectées les dispositions de l’article 510 du Code de procédure pénale ; D’où il suit que les moyens ne sauraient être admis ; Sur le deuxième moyen de cassation présenté pour Arthur Y..., pris de la violation de l’article 53 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; “en ce que l’arrêt attaqué a rejeté l’exception de nullité de la procédure tirée de l’absence de flagrance ; “aux motifs qu’il résulte des pièces du procès-verbal d’enquête que celle-ci a débuté le 6 juin 1993 à la suite d’un soit transmis émanant du parquet de Basse-Terre en date du 4 avril 1993, enquête au cours de laquelle ont été entendues plusieurs personnes ayant travaillé ou travaillant pour le compte de la SARL Y... ;

que, le 27 juillet 1993, les gendarmes enquêteurs ont constaté avant toute perquisition au siège de la SARL Y... la présence de deux ouvriers travaillant sous un hangar, Frédéric B... et Daniel D..., le premier étant occupé à marteler une pièce métallique ;

que ces ouvriers leur avaient déclaré qu’ils n’étaient pas déclarés par leur employeur et qu’il ne leur était pas remis de fiche de paie, fait confirmé par un courrier émanant de l’URSSAF ;

qu’en l’état de ces éléments, les premiers juges ont estimé à bon droit qu’à supposer que les fiches de paie des mois en cours aient été établies, il existait à la date du 27 juillet 1993, des indices apparents d’un délit de travail clandestin, infraction continue, en train de se commettre ;

que les conditions du flagrant délit étaient donc réunies au sens de l’article 53 du Code de procédure pénale ; “alors qu’une enquête débutée sur le mode préliminaire ne peut être poursuivie sur le mode flagrant que si l’officier de police judiciaire découvre, à l’occasion de ses investigations, des indices apparents révélant qu’une nouvelle infraction est en train de se commettre ou vient de se commettre ;

qu’en considérant comme constitutifs d’indices apparents d’un délit de travail clandestin commis par Arthur Y... justifiant l’ouverture d’une enquête de flagrance de ce chef, les déclarations de deux de ses ouvriers recueillies dans le cadre d’une enquête préliminaire diligentée à raison de ces mêmes faits, selon lesquelles ils n’étaient pas déclarés par leur employeur et ne se voyaient pas remettre de fiches de paie, ce dont ne résultait pourtant pas qu’était en train de se commettre une infraction distincte de celle que l’enquête préliminaire avait pour but de constater, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ; Sur le troisième moyen de cassation présenté par Jean-Michel Y..., pris de la violation des articles 54, 55, 56, 76, 591 et 593 du Code de procédure pénale ; Les moyens étant réunis ; Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’avant de procéder à l’interpellation des prévenus et à la perquisition dans leur l’entreprise, les officiers de police judiciaire ont relevé des indices précis et concordants leur permettant de présumer qu’Z... et Jean-Michel Y... se rendaient coupables d’infractions à la législation relative à l’emploi de travailleurs étrangers et à la législation du travail ; Attendu que, pour rejeter l’exception de nullité tirée du défaut de flagrance, l’arrêt attaqué se prononce par les motifs reproduits au moyen ; Qu’en effet, l’état de flagrance est caractérisé dès lors qu’il résulte des constatations des juges du fond que les officiers de police judiciaire ont relevé des indices apparents d’un comportement délictueux révélant l’existence d’infractions répondant à la définition de l’article 53 du Code de procédure pénale ; D’où il suit qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel n’a pas méconnu les textes susvisés et que les moyens ne sont pas fondés ; Sur le troisième moyen de cassation présenté pour Arthur Y..., pris de la violation des articles 57, 59 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ; “en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait rejeté l’exception prise de la nullité de la perquisition effectuée le 28 juillet 1993 ; “aux motifs que,

le 28 juillet 1993, les gendarmes ont procédé à une perquisition dans les locaux servant aussi bien de siège social à la SARL Y... que pour l’exploitation agricole d’Arthur Y... et y ont saisi des documents afférents aux deux entreprises ; qu’ils ont invité Arthur Y... à les accompagner lors de la perquisition ce qu’il a refusé, ainsi que cela résulte du procès-verbal de perquisition ;

que, dès lors, les enquêteurs ne pouvant manifestement l’y contraindre se sont trouvés en présence d’une impossibilité à la présence du prévenu sur les lieux de la perquisition et ont donc requis deux témoins à cet effet, à savoir Mme Lancien, épouse Metura, conseillère municipale et M. Yvon G..., adjoint au maire de Vieux-Habitants ;

qu’il en résulte que la perquisition a été effectuée conformément aux dispositions de l’article 57 du Code de procédure pénale ; “alors que le seul fait, pour une personne gardée à vue, de déclarer à l’officier de police judiciaire qu’elle s’oppose au principe même d’une perquisition à son domicile ne rend pas impossible, au sens de l’article 57 du Code de procédure pénale, la présence de cette personne lors de la perquisition, l’officier de police judiciaire pouvant passer outre à son opposition en l’amenant sur les lieux de la perquisition ;

qu’Arthur Y..., alors en garde à vue, ayant déclaré ainsi qu’il l’a souligné au soutien de son exception de nullité et comme il résulte du procès-verbal d’audition n° 321/93 (pièce n° 29, 6ème feuillet), ne pas vouloir accompagner l’officier de police judiciaire à la perquisition en l’absence de présentation, par ce dernier, d’un ordre ou d’un mandat de magistrat, la cour d’appel ne pouvait déduire de cette seule circonstance que les enquêteurs ne pouvaient contraindre Arthur Y... à les accompagner et s’étaient trouvés, de ce fait, “en présence d’une impossibilité à la présence du prévenu sur les lieux de la perquisition” ; “et alors, en tout état de cause, qu’il résulte de l’article 57, alinéa 2, du Code de procédure pénale, que si la présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a lieu est impossible, l’officier de police judiciaire a l’obligation de l’inviter à désigner un représentant de son choix et que ce n’est qu’à défaut que l’officier de police judiciaire choisira deux témoins requis à cet effet par lui ;

qu’en se bornant à énoncer, conformément aux dispositions de l’article 57 du Code de procédure pénale, qu’en raison de l’impossibilité, pour le prévenu, d’assister à la perquisition, les enquêteurs avaient requis deux témoins à cet effet, sans répondre au moyen tiré par le prévenu de ce que les enquêteurs n’avaient pas, préalablement au choix de ces deux témoins, observé l’obligation qui pesait sur eux d’inviter Arthur Y... à désigner un représentant de son choix, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ; Sur les quatrième, cinquième et sixième moyen de cassation présentés par Jean-Michel Y..., pris de la violation des articles 57, 591, 592, 593 du Code de procédure pénale ; Les moyens étant réunis ; Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’à la suite des déclarations de Jean-Michel Y..., selon lesquelles seul Arthur Y... était responsable de la gestion administrative, les officiers de police judiciaire ont demandé à ce dernier d’assister à la perquisition effectuée dans l’entreprise ;

qu’Arthur Y... ayant refusé et ne pouvant y être contraint, les enquêteurs ont requis la présence de deux témoins ; Qu’en l’état de ces énonciations, dès lors que l’opposition à toute perquisition manifestée par Arthur Y... et consignée dans le procès-verbal excluait la désignation par ce dernier d’un quelconque représentant pour procéder à cette opération, les juges ont, à bon droit, relevé que les officiers de police judiciaire avaient agi dans le respect des dispositions de l’article 57, alinéa 2, du Code de procédure pénale ; D’où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ; Sur le quatrième moyen de cassation présenté pour Arthur Y..., pris de la violation de l’article L. 324-10 du Code du travail, de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; “en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Arthur Y... coupable d’avoir exercé à but lucratif une activité d’exploitant agricole et de vente de produits agricoles sans procéder aux déclarations exigées par les organisations de protection sociale et l’Administration fiscale, en employant des salariés sans effectuer au moins deux des formalités suivantes : remise aux salariés d’un bulletin de paie, tenue d’un livre de paie et tenue d’un registre du personnel ; “aux motifs qu’il résulte de l’enquête qu’Arthur Y... a employé, pendant de nombreuses années dans son entreprise agricole, 3 personnes : X... Pierre-Joseph, Jean-Marie H... et Louis C... Jean A... ;

que seul le premier était régulièrement déclaré ;

que les deux autres ont indiqué n’avoir jamais reçu de bulletin de paie ;

que, de même, leur nom n’a figuré sur le livre de paie de l’entreprise qu’à partir d’août 1992 en ce qui concerne Jean-Marie H... et à partir de mai 1993 en ce qui concerne Jean A... ; “alors que le délit de travail clandestin au sens de l’article 324-10-3° du Code du travail suppose, pour être constitué, que la personne exerçant à but lucratif une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestations de service se soit intentionnellement soustraite à l’obligation d’effectuer au moins deux des trois formalités suivantes : remise de bulletins de paie, tenue d’un livre de paie et tenue d’un registre du personnel ;

qu’en se bornant à constater, pour juger Arthur Y... coupable de ce délit, que le nom de deux de ses salariés, qui avaient déclaré n’avoir jamais reçu de bulletin de paie, avait été tardivement inscrit sur le livre de paie, ce dont ne résulte pas l’intention d’Arthur Y... de se soustraire à l’obligation de tenir un livre de paie mentionnant le nom de ses deux salariés, la cour d’appel n’a pas suffisamment caractérisé l’élément intentionnel de l’infraction dont elle a déclaré ce prévenu coupable” ; Sur les deuxième, septième, huitième et neuvième moyens de cassation présentés par Jean-Michel Y..., pris de la violation des articles L. 324-10-3, L. 143-5, L. 620-3 du Code du travail, 97, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ; Les moyens étant réunis ; Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance et de contradiction et répondant aux articulations essentielles des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, les infractions dont elle a déclaré les prévenus coupables et ainsi justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine des juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ; Sur le dixième moyen de cassation présenté par Jean-Michel Y..., pris de la violation des articles L. 341-7 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale ; Attendu que la cour d’appel a relaxé Jean-Michel Y... du chef d’emploi de travailleurs étrangers sans autorisation de travail en France, qu’en conséquence, l’arrêt ne lui faisant pas grief, le moyen est irrecevable, faute d’intérêt ; Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ; REJETTE les pourvois ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ; Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Chanet conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Simon, Anzani, M. Ruyssen conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ; Avocat général : M. de Gouttes ; Greffier de chambre : Mme Nicolas ; En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de

chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de BASSE-TERRE chambre correctionnelle , du 22 octobre 1996

Titrages et résumés : JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Composition - Cour d’appel - Président - Président empêché - Remplacement - Constatations suffisantes. (sur les 4°, 5° et 6° moyens) CRIMES ET DELITS FLAGRANTS - Perquisition - Condition - Refus - Possibilité de désigner un représentant (non) - Présence de deux témoins désignés conformément à l’article 57 alinéa 2 du code de procédure pénale - Validité.

Textes appliqués :
• Code de procédure pénale 510, 53, 57 al. 2