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Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 10 mars 1998

N° de pourvoi : 96-85980

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. MILLEVILLE conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DINTILHAC ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 GAUTIER Z..., contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre, du 20 avril 1995 qui, pour prêt illicite de main d’oeuvre, marchandage et emploi de travailleur étranger sans autorisation, l’a condamné à 20 000 francs d’amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 320, L. 324-12, L. 611-13, R. 320-1 à R. 320-5 du Code du travail, R. 137 du Code de la route, 20, 53, 62, alinéa 4 et 593 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a rejeté l’exception de nullité de la procédure soulevée par le prévenu ;

”aux motifs qu’il résulte du procès-verbal, que dès lors du contrôle routier, effectué sous le contrôle d’un officier de police judiciaire, Djazini et X... ont déclaré revenir d’un chantier, Djazini se disant employé de X... mais démuni de l’attestation d’embauche ;

que ces déclarations, laissant supposer l’existence d’un délit de travail clandestin en train de se commettre, faute de mention ou d’indication permettant d’affirmer le contraire, doivent être considérées comme spontanées ;

que dans ces conditions, les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire sous leur contrôle étaient habilités à procéder à une enquête de flagrance pour un délit supposé de travail clandestin ;

”alors, d’une part, que ni l’article R. 137 du Code de la route, ni les articles L. 324-12 et L. 611-13 du Code du travail, ni l’article 20 du Code de procédure pénale ne permettent à l’agent de police judiciaire, effectuant un service de police de la route, de demander à l’occupant du véhicule contrôlé, alors qu’aucune enquête n’est ouverte, une attestation d’embauche de son employeur ;

que dès lors, en l’espèce, la demande d’attestation d’embauche par l’agent de police judiciaire Albrizio, intervenue à l’occasion d’un contrôle routier, était illégale ;

”alors, d’autre part, qu’en l’absence de dispositions légales et réglementaires imposant à un salarié de présenter à toute réquisition des agents habilités une attestation d’embauche de son employeur, ne saurait constituer en soi l’indice apparent suffisant d’un comportement délictueux révélant l’existence d’une infraction flagrante au sens de l’article 53 du Code pénal, le fait, pour un salarié, d’être démuni d’une telle attestation, alors qu’il circule sur l’autoroute ;

que dès lors, en déduisant la notion de flagrance de cette seule circonstance, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé un indice apparent, a privé sa décision toute base légale ;

”alors, enfin que, ne saurait avoir aucune force probante un procès-verbal entaché d’insuffisance et de contradiction ;

que tel est le cas du procès-verbal de synthèse coté D1, dressé le 22 mars 1993, qui fait état du contrôle routier ligitieux du 5 mars 1993 rapporté sur “procès-verbal n°2183/93 de notre unité”, lequel procès-verbal ne figure pas dans le dossier de la procédure, et qui constate à la fois l’ouverture de l’enquête de flagrance “le 5 mars 1993 à 16 heures 25” et l’accomplissement d’actes d’enquête “dans le temps de la flagrance, le 5 mars 1993 à 14 heures” ;

que dès lors, la Cour de Cassation n’est pas en mesure de s’assurer de la régularité de la procédure” ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que, lors d’un contrôle effectué par la gendarmerie nationale pour infraction au Code de la route, le 5 mars 1993, le conducteur et le passager du véhicule, qui ont déclaré revenir d’un chantier, étaient dépourvus d’attestation d’embauche ;

qu’à la suite de ces déclarations et des investigations postérieures, Léon Gautier, leur employeur, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour prêt illicite de main d’oeuvre, marchandage et emploi de travailleur étranger sans autorisation ;

que le prévenu a soulevé la nullité de la procédure au motif que l’agent de police judiciaire ayant procédé au contrôle n’avait pas qualité pour constater une infraction au droit du travail et que dès lors, l’état de flagrance dans lequel l’enquête avait été initiée n’était pas caractérisé ;

Attendu que, pour rejeter l’exception de nullité, la cour d’appel se prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu’en cet état et dès lors que le prévenu n’a pas qualité pour se prévaloir d’une prétendue irrégularité concernant un acte auquel il était étranger et n’a pu en conséquence porter atteinte à ses intérêts, l’arrêt n’encourt pas les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1, L. 125-3 et L. 152-3 du Code du travail, 121-3 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Léon Gautier coupable des faits de prêt de main d’oeuvre illicite et marchandage ;

”aux motifs que Léon Gautier, sous couvert d’opérations de sous-traitance, a fait appel pour la réalisation de ces constructions, à trois artisans maçons inscrits depuis peu au registre des métiers ;

que les trois artisans ont déclaré qu’ils ne faisaient qu’apporter de la main d’oeuvre, la totalité des matériaux étant fournie par l’entreprise Gautier qui contrôlait les chantiers ;

que les contrats de sous-traitance conclus avec Mabrouk X... et Yacub Y... stipulent, expressément, que le prix porte essentiellement sur la main d’oeuvre ;

”alors, d’une part, que le délit de prêt de main d’oeuvre à but lucratif suppose que les salariés prêtés ont la qualité de salariés et non celle de travailleurs indépendants ;

que l’arrêt attaqué, qui constate que le prévenu avait fait appel à trois artisans maçons inscrits au registre des métiers, sans relever un quelconque état de dépendance économique et de subordination juridique caractérisant l’existence de contrats de travail, n’a pas caractérisé l’infraction poursuivie en tous ses éléments constitutifs ;

que l’arrêt attaqué, privé de motifs, sera annulé ;

”alors, d’autre part, que selon l’article 121-3 du Code pénal, immédiatement applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passé en force de chose jugée, il n’y a point de délit sans intention de le commettre ;

qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui n’a pas constaté la violation, en connaissance de cause, d’une prescription légale ou réglementaire, n’a pas caractérisé tous les éléments constitutifs des délits de prêt de main d’oeuvre illicite et marchandage ;

qu’en conséquence, sa décision est entachée d’un défaut de motifs et doit être annulée” ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 341-6 et L. 364-2 du Code du travail, 121-3 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Léon Gautier coupable du délit d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié ;

”aux motifs qu’il est constant de Yacub Y... a employé deux yougoslaves, réfugiés politiques, démunis d’autorisation de travail ;

que Yacub Y... mais aussi Léon Gautier, à qui les deux yougoslaves avaient été prêtés, avaient l’obligation de vérifier s’ils étaient titulaires d’une autorisation de travail ;

”alors que le fait d’engager ou de conserver à son service un étranger non muni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France est une infraction intentionnelle qui requiert, pour être constituée, la connaissance par l’employeur, de la qualité d’étranger du salarié et du caractère irrégulier de sa situation, ou à tout le moins, la conscience d’omettre volontairement de vérifier la nationalité et le titre de celui qu’il embauche ;

qu’en l’espèce, l’arrêt attaqué ne constate pas que Léon Gautier savait que les deux salariés yougoslaves, ayant le statut de réfugiés politiques, étaient démunis de titre de travail ni qu’il ait volontairement omis de vérifier leur situation ;

que dès lors, faute d’avoir caractérisé l’élément intentionnel du délit, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, par des motifs exempts d’insuffisance et de contradiction, répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président, Mme Chanet conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Simon, Anzani conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Desportes, Mme Karsenty, M. Sassoust conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Dintilhac ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre du 20 avril 1995

Titrages et résumés : (Sur le premier moyen) CRIMES ET DELITS FLAGRANTS - Flagrance - Pouvoir des agents de police judiciaire - Irrégularité - Nullités - Personne étrangère à l’acte.

Textes appliqués :
• Code de procédure pénale 53 et suiv.