Procédure exorbitante du droit commun

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 17 septembre 2009

N° de pourvoi : 08-16641

Publié au bulletin

Rejet

M. Gillet , président

M. Feydeau, conseiller apporteur

Mme de Beaupuis, avocat général

SCP Baraduc et Duhamel, SCP Gaschignard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Nîmes, 29 avril 2008), que des investigations menées sous la conduite du procureur de la République de Perpignan ayant mis en évidence des infractions de travail dissimulé par dissimulation d’activité et de salarié à l’encontre des dirigeants d’une société GDB aménagement qui avait son siège social à Perpignan, l’URSSAF des Pyrénées Orientales a, le 13 septembre 2006, avisé la société Nîmes matériaux de la mise en oeuvre de la solidarité financière prévue à l’article L. 324-14 devenu L. 8222-1 du code du travail pour avoir confié des travaux à la société GDB aménagement ; que l’union de recouvrement lui ayant adressé, le 20 octobre 2006, une mise en demeure de payer les cotisations correspondantes, la société Nîmes matériaux a saisi la juridiction de sécurité sociale ;
Attendu que cette société fait grief à l’arrêt de rejeter son recours, alors, selon le moyen :
1°/ que les dispositions du code du travail relatives à la solidarité financière du donneur d’ordre dont le cocontractant n’a pas respecté ses obligations vis à vis du droit du travail ne prévoient aucune procédure de recouvrement spécifique pour les cotisations dues à ce titre ; que la procédure de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de droit commun est donc applicable en matière de solidarité financière ; qu’en

retenant, pour dire que l’URSSAF des Pyrénées Orientales était compétente pour notifier un redressement à ce titre à la société Nîmes matériaux, qui relève de l’URSSAF du Gard, que la procédure de solidarité financière instituée par le code du travail est « autonome et distincte » de celle ayant pour objet le contrôle des déclarations des cotisants assujettis dans la circonscription de l’URSSAF, la cour d’appel a violé les articles L. 324-14 ancien du code du travail, L. 243-7, R. 243-6, R. 244-1 et D. 213-1 du code de la sécurité sociale ;
2°/ que lorsque l’URSSAF utilise elle-même la procédure de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de droit commun pour le recouvrement des sommes dues au titre de la solidarité financière, cette procédure doit être appliquée dans son intégralité ; qu’en retenant, pour écarter l’exception d’irrégularité du redressement notifié à la société Nîmes matériaux par l’URSSAF des Pyrénées Orientales, que la procédure de solidarité financière instituée par le code du travail était « autonome et distincte » de celle de la sécurité sociale, tout en constatant elle-même que l’URSSAF « pouvait mettre en oeuvre (…) des procédure de droit commun », et avait utilisé en l’occurrence la procédure de lettre d’observation prévue par l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé les articles L. 324-14 ancien du code du travail, L. 243-7, R. 243-6, R. 244-1 et D. 213-1 du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que s’agissant, non de recouvrer des cotisations dont la société Nîmes matériaux était redevable en tant qu’employeur, mais de mettre en oeuvre la solidarité financière de celle-ci en vue du paiement des cotisations impayées par son sous-traitant, auteur de l’infraction de travail dissimulé, la cour d’appel a estimé à juste titre que les règles régissant la compétence territoriale des unions de recouvrement en matière de contrôle des cotisants étaient étrangères à cette mise en oeuvre ;
D’où il suit qu’en ses deux premières branches, le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les trois autres branches qui ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Nîmes matériaux aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Nîmes matériaux ; la condamne à payer à l’URSSAF des Pyrénées Orientales la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept septembre deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils pour la société Nîmes matériaux
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté la société Nîmes Matériaux de sa demande tendant à l’annulation du redressement opéré à son encontre par l’URSSAF des Pyrénées Orientales ;
AUX MOTIFS QUE sur la compétence de l’organisme social, selon la société appelante, l’URSSAF des Pyrénées Orientales n’avait aucune compétence territoriale en sorte qu’elle avait agi en méconnaissance des dispositions de l’article L.243-7 du Code de la sécurité sociale et aucune dérogation de compétence n’existait, permettant à l’agent, qui avait constaté le délit de travail dissimulé, de ne pas donner mission à un agent territorialement compétent afin de procéder aux investigations nécessaires auprès du donneur d’ordre ; que cependant, la procédure légale instituée au titre de la solidarité financière du donneur d’ordre est prévue par les dispositions du Code du travail en vue de réprimer le travail dissimulé ; qu’elle est autonome et distincte de celle ayant pour objet le contrôle de la régularité des déclarations des cotisants assujettis dans la circonscription de l’URSSAF telle que définie par les règles de la sécurité sociale ; que l’organisme social poursuivant est celui qui a constaté l’infraction du débiteur principal dans sa circonscription en sorte que l’URSSAF du département des Pyrénées Orientales, lieu de l’infraction découverte, pouvait poursuivre le débiteur, qualifié légalement de solidaire, situé dans le département du Gard en vue de recouvrer les sommes dues en raison d’une dissimulation dont le débiteur solidaire, donneur d’ordre, est à l’origine par son défaut de vigilance ; que l’argumentation tirée d’une incompétence territoriale est donc infondée ; que sur la régularité de la procédure, la société appelante ne peut soutenir que l’URSSAF devait respecter les prescriptions de l’article 5-1 de la circulaire précitée qui prévoit que lorsque le donneur d’ordre n’est pas situé dans une zone géographique de l’agent verbalisateur, celui-ci doit demander à un autre agent de procéder aux investigations nécessaires auprès du donneur d’ordre ; qu’en effet, la situation évoquée par cette circulaire concerne l’enquête effectuée à l’initiative de l’agent de l’URSSAF prévue par l’article L. 243-7 alors qu’en l’espèce, le Parquet avait saisi les militaires de la gendarmerie de cette enquête et les agents des impôts ou de l’URSSAF, déférant aux réquisitions, n’ont été que les assistants des officiers ou agents de la police judiciaire ; qu’ainsi, ces derniers ont agi selon les prescriptions du Code de procédure pénale et se sont déplacés dans le Gard en vue de vérifier la situation du donneur d’ordre ; qu’ainsi les investigations sont régulières ; que de même, dans ce cadre légal, l’URSSAF ne pouvait disposer des procès-verbaux établis en sorte que cet organisme ne pouvait transmettre l’un de ceux-ci avant de pouvoir en recevoir une copie à l’expiration de l’enquête et autorisation du Parquet ; que la société appelante ne peut donc soutenir que l’URSSAF devait lui transmettre le procès-verbal établissant le délit du débiteur principal au moment du contrôle effectué dans ses locaux ; que la procédure est donc régulière ; que, sur le bien-fondé de la dette, il est établi par les pièces du dossier que les sociétés GDB Construction et GDB Aménagement étaient dirigées toutes les deux par le gérant de fait qui n’avait pas procédé aux déclarations d’embauche, ni adressé des déclarations de salaires, ni payé de cotisations sociales bien qu’ayant retenu les précomptes sur les bulletins de paie ; qu’il est établi que la société Nîmes Matériaux lui avait confié des chantiers à Nîmes, à Portet sur Garonne et à Montpellier ; qu’à aucun moment la société Nîmes Matériaux n’a demandé les documents exigés par l’article L. 324-14 du Code du travail au moment des premiers ordres passés en 2003 ; que c’est donc à juste titre que le jugement a considéré que les éléments matériels du travail dissimulé étaient constitués ; que, selon les pièces, le montant des factures s’élève en l’espèce à 91.481 s’agissant de travaux presque ininterrompus de réparations et d’entretien courant qui ont été effectués dans deux dépôts situés à Nîmes et à Alès appartenant à la société appelante ; qu’ainsi sont démontrées tant la réalité des faits de travail dissimulé que l’absence de vigilance de la société Nîmes Matériaux en sorte que les conditions légales sont bien réunies ; que, sur la procédure de recouvrement, contrairement à ce qu’affirme la société appelante, les éléments mentionnés dans la lettre d’observations sont très précis et n’ont pas laissé la société Nîmes Matériaux dans l’ignorance de la nature et de l’étendue de son obligation, l’URSSAF ayant rappelé les textes, bien détaillé les montants des factures retenues, la part en pourcentage des dettes spécifiques pour lesquelles la société Nîmes Matériaux est solidaire, et indiqué les calculs ayant permis la fixation de la dette, en principal, à hauteur de 10.465 ; que la mise en demeure mentionne les années, le montant des cotisations par années, la ventilation des majorations et les textes applicables ; qu’elle a pu permettre à la société appelante de connaître la nature et la cause de son obligation ; qu’elle est donc régulière, en sorte que cette argumentation n’est pas fondée ; qu’enfin, lors du recouvrement, l’URSSAF pouvait mettre en oeuvre soit des procédures de droit commun, soit celles spécifiques et découlant de ses attributions légales pouvant aller jusqu’à décerner une contrainte ; que le fait que l’URSSAF des Pyrénées Orientales ait utilisé la procédure d’une lettre d’observations, prévue à l’article R. 243-59, et l’émission d’une mise en demeure n’a donc aucune incidence en l’espèce ;
1° ALORS QUE les dispositions du code du travail relatives à la solidarité financière du donneur d’ordre dont le cocontractant n’a pas respecté ses obligations vis à vis du droit du travail ne prévoient aucune procédure de recouvrement spécifique pour les cotisations dues à ce titre ; que la procédure de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de droit commun est donc applicable en matière de solidarité financière ; qu’en retenant, pour dire que l’URSSAF des Pyrénées Orientales était compétente pour notifier un redressement à ce titre à la société Nîmes Matériaux, qui relève de l’URSSAF du Gard, que la procédure de solidarité financière instituée par le code du travail est « autonome et distincte » de celle ayant pour objet le contrôle des déclarations des cotisants assujettis dans la circonscription de l’URSSAF, la cour d’appel a violé les articles L. 324-14 ancien du code du travail, L. 243-7, R. 243-6, R. 244-1 et D. 213-1 du code de la sécurité sociale.
2° ALORS QU’en toute hypothèse, lorsque l’URSSAF utilise elle-même la procédure de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de droit commun pour le recouvrement des sommes dues au titre de la solidarité financière, cette procédure doit être appliquée dans son intégralité ; qu’en retenant, pour écarter l’exception d’irrégularité du redressement notifié à la société Nîmes Matériaux par l’URSSAF des Pyrénées Orientales, que la procédure de solidarité financière instituée par le code du travail était « autonome et distincte » de celle de la sécurité sociale, tout en constatant elle-même que l’URSSAF « pouvait mettre en oeuvre (…) des procédure de droit commun », et avait utilisé en l’occurrence la procédure de lettre d’observation prévue par l’article R. 243-59 du Code de la sécurité sociale, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé les articles L. 324-14 ancien du code du travail, L. 243-7, R. 243-6, R. 244-1 et D. 213-1 du code de la sécurité sociale.
3° ALORS QUE la société Nîmes Matériaux faisait valoir dans ses conclusions d’appel, sans être contestée, qu’aucun agent de l’URSSAF ne s’était déplacé dans ses locaux à Nîmes (Gard) pour y procéder à des investigations ; qu’en retenant que des agents de l’URSSAF s’étaient déplacés dans le Gard en vue de vérifier la situation du donneur d’ordre, et en procédant ainsi par voie de simple affirmation, la cour d’appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile.
4° ALORS QUE l’absence d’observations à l’issue du contrôle vaut accord tacite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l’organisme de recouvrement a eu les moyens de se prononcer en toute connaissance de cause ; qu’en s’abstenant de rechercher si en l’espèce, comme le faisait valoir la société Nîmes Matériaux, le délai de six mois écoulé entre le contrôle réalisé au sein de la société holding FDE et la lettre d’observations qui lui avait été adressée le 13 septembre 2006, n’emportait pas validation des pratiques contrôlées, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 324-14 ancien du code du travail et L. 243-7, R. 243-6 et R. 243-59 du Code de la sécurité sociale.
5° ALORS QUE les sommes dont le paiement est exigible en application de la solidarité financière sont déterminées au prorata de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ; qu’en retenant que la lettre d’observations rappelait les factures retenues, la part en pourcentage des dettes spécifiques pour lesquelles la société Nîmes Matériaux est solidaire, et indiqué les calculs ayant permis la fixation de la dette, sans rechercher, comme il lui était demandé, si l’URSSAF avait calculé les sommes dues au prorata du temps de travail et de la masse salariale affectée aux travaux effectués pour l’exposante par le sous-traitant, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 213-1 du Code de la sécurité sociale et L. 324-14 du Code du travail.

Publication : Bulletin 2009, II, n° 219

Décision attaquée : Cour d’appel de Nîmes , du 29 avril 2008

Titrages et résumés : SECURITE SOCIALE - Cotisations - Recouvrement - Solidarité - Solidarité financière du donneur d’ordre - Mise en oeuvre - Règles de compétence territoriale de l’URSSAF en matière de contrôle des cotisants - Absence d’influence

Les règles régissant la compétence territoriale des unions de recouvrement en matière de contrôle des cotisants sont étrangères à la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre en vue du paiement des cotisations impayées par le sous-traitant auteur de l’infraction de travail dissimulé

COMPETENCE - Compétence territoriale - Règles particulières - Sécurité sociale - Cotisations - Recouvrement - Solidarité - Solidarité financière du donner d’ordre - Mise en oeuvre - Règles de compétence territoriale de l’URSSAF en matière de contrôle des cotisants - Absence d’influence

Textes appliqués :
* Cour d’appel de Nîmes, 29 avril 2008, 07/02563
* article L. 243-7, R. 243-59, R. 243-6, R. 244-1 et D. 213-1 du code de la sécurité sociale ; article L. 324-14 ancien du code du travail