Procès verbal de constat d’infraction nécessaire et suffisant - condamnation pénale non nécessaire

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 4 avril 2013

N° de pourvoi : 12-15736

ECLI:FR:CCASS:2013:C200541

Non publié au bulletin

Rejet

Mme Flise (président), président

Me Spinosi, SCP Boutet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 18 janvier 2012), qu’un contrôle de l’URSSAF des Alpes-Maritimes (l’URSSAF) a révélé que l’entreprise Danielle X... avait, de 2002 à 2005, employé plusieurs salariés sans les avoir déclarés auprès des organismes de protection sociale et avait travaillé en sous-traitance pour le compte de la société Royal Scandinavia hôtel Nice (la société) ; que par une décision définitive rendue en matière correctionnelle, M. Y..., en sa qualité de dirigeant de fait de l’entreprise X..., a été déclaré coupable du délit d’exécution d’un travail dissimulé ; que l’URSSAF a avisé la société de la mise en oeuvre de la solidarité financière prévue à l’article L. 324-14 du code du travail, alors applicable, devenu l’article L. 8222-1 de ce même code, et lui a notifié à ce titre un redressement qu’elle a contesté devant une juridiction de sécurité sociale ;
Attendu que la société fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ que le donneur d’ordre faisant l’objet d’une procédure directe de recouvrement des charges fiscales ou sociales éludées pour avoir eu recours à un cocontractant qui exerce un travail dissimulé ne peut être tenu solidairement qu’avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé ; qu’il ne peut, dès lors, être tenu solidairement avec une entreprise dont celui qui a fait l’objet d’un tel procès-verbal n’est ni dirigeant ni même membre ; qu’ainsi, en l’espèce, en s’étant fondée sur la circonstance selon laquelle, le 11 juillet 2005, il avait été dressé un procès-verbal pour délit de travail dissimulé contre Mme X... et que cette dernière était la « responsable » de l’entreprise « Danielle X... » pour retenir la solidarité financière de la société Royal Scandinavia hôtel Nice en sa qualité de donneur d’ordre de cette entreprise sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si Mme X... n’avait jamais eu la qualité de dirigeant, si son nom n’était pas qu’une pure façade et si, de surcroît, l’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire close en janvier 2003, elle n’en était ni dirigeant de droit ni même membre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 324-14 du code du travail, dans sa rédaction applicable en l’espèce ;
2°/ que pour qu’une procédure directe de recouvrement des charges fiscales ou sociales éludées puisse être ouverte contre le donneur d’ordre ayant eu recours à un cocontractant qui exerce un travail dissimulé, il est nécessaire qu’il ait été dressé un procès-verbal pour délit de travail dissimulé contre le cocontractant avec lequel sa solidarité financière sera mise en oeuvre ; que l’engagement de poursuites pénales ne peut, en lui-même, être assimilé à un tel procès-verbal de délit ; qu’en ayant estimé,

pour pouvoir retenir la solidarité financière de la société Royal Scandinavia hôtel Nice en sa qualité de donneur d’ordre de l’entreprise « Danielle X... », que M. Y..., dirigeant de fait de cette entreprise, devait être considéré comme ayant fait l’objet d’un procès-verbal de délit de travail dissimulé, dans la mesure où il avait été poursuivi pénalement, la cour d’appel a violé l’article L. 324-14 du code du travail, dans sa rédaction applicable en l’espèce ;
Mais attendu que si l’article L. 324-14 du code du travail ne subordonne pas la solidarité financière du donneur d’ordre à la condamnation pénale de celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, une condamnation pénale de ce chef, qui suppose l’établissement préalable d’un tel acte de procédure, justifie l’application de ce texte ;
Et attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu’un procès-verbal de travail dissimulé a été établi par l’URSSAF à l’encontre de Mme X..., en sa qualité de responsable de l’entreprise ; que M. Y..., responsable de la sécurité au sein de la société, qui s’est comporté comme le dirigeant de fait de l’entreprise « Danielle X... », a fait l’objet d’un procès-verbal identique puisqu’il a été poursuivi et condamné pénalement du chef de l’exécution d’un travail dissimulé ; que l’URSSAF a constaté, par procès-verbal, que la société n’avait pas respecté les obligations mises à sa charge par les articles L. 324-14 et L. 324-4 du code du travail de vigilance et de vérification de la situation de l’entreprise « Danielle X... » ainsi que de celle de Mme X..., en sa qualité de partie au contrat de prestation de services conclu entre cette entreprise et la société ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a déduit à bon droit que la solidarité financière prévue par l’article L. 324-14 du code du travail devait s’appliquer ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu que le pourvoi revêt un caractère abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Royal Scandinavia hôtel Nice aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ; la condamne à payer à l’URSSAF des Alpes-Maritimes la somme de 2 500 euros ;
La condamne à une amende civile de 1 500 euros envers le Trésor public ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société Royal Scandinavia Hôtel Nice
Il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir condamné la société ROYAL SCANDINAVIA HOTEL NICE à payer à l’URSSAF la somme de 160. 924, 00 € ;
Aux motifs propres que « la procédure de la solidarité financière entre l’auteur d’un travail dissimulé et son client (ou « donneur d’ordre ») a été créée par la loi 91-1383 du 31 décembre 1991 et le décret d’application du 11 juin 1992, textes modifiés par l’article 71 de la loi 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie et le décret du 27 octobre 2007 relatif au travail dissimulé.
Elle autorise le recouvrement « civil » des sommes éludées (impôts et taxes ; cotisations et contributions obligatoires URSSAF) à l’encontre du donneur d’ordre, qui est souvent le véritable bénéficiaire, voire l’instigateur, de ces pratiques frauduleuses, génératrices d’une importante évasion sociale et fiscale.
Cette responsabilité peut également être engagée pénalement, sur le fondement du délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, prévu et réprimé notamment par les articles L. 324-9 et suivants du code du travail.
Deux procédures sont prévues pour engager la solidarité financière, selon qu’il existe ou non un procès-verbal constatant que le donneur d’ordre a eu recours à un travail dissimulé mais dans ces deux hypothèses, il doit exister un procès-verbal constatant que le prestataire de services a commis l’infraction de travail dissimulé :
 1) la procédure directe n’exige pas de procès-verbal contre le donneur d’ordre ni sa condamnation pénale comme préalable au recouvrement : le recouvrement est alors possible dès l’établissement d’un procès-verbal de travail dissimulé à l’encontre de celui qui a réalisé la prestation, et s’il est démontré que le donneur d’ordre n’a pas effectué certaines vérifications spécifiques à l’égard du prestataire (articles L. 324-14, L. 324-14-1 et L. 324-14-2 du code du travail) ;
 2) la procédure indirecte, après une condamnation pénale définitive du donneur d’ordre, pour recours aux services d’un prestataire exerçant un travail dissimulé (article L. 324-13-1 du code du travail) ;
Donc, si un procès-verbal de recours à du travail dissimulé a été établi, la procédure de la solidarité financière ne pourra être mise en oeuvre qu’après la condamnation pénale définitive du donneur d’ordre.
Les créanciers des sommes éludées (services fiscaux, URSSAF et autres) émettent des titres exécutoires et le donneur d’ordre, débiteur solidaire, devra s’acquitter de sa dette ou la contester en formant un recours devant la juridiction compétente.
En l’espèce, s’agissant de cotisations sociales URSSAF, le recours a été valablement porté devant le Tribunal des Affaires de sécurité sociale.
L’application de ce principe de solidarité au cas d’espèce
L’URSSAF a demandé la mise en oeuvre de cette solidarité afin de recouvrer sur la société Royal Scandinavia la somme de 160 924 euros.
Il résulte des textes régissant la procédure de solidarité financière telle que rappelée rapidement ci-dessus, que la solidarité prévue par l’article L. 324-14 du code du travail est subordonnée à « l’établissement d’un procès-verbal de travail dissimulé à l’encontre de celui qui a réalisé la prestation », sans qu’il soit nécessaire qu’il ait été condamné pénalement de ce chef.
En effet, aucun texte ne soumet la validité de la procédure à une condamnation pénale de l’auteur du travail dissimulé, contrairement à ce que soutient l’appelante.
En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats par les parties que l’URSSAF a bien établi un procès-verbal de travail dissimulé à l’encontre de la responsable de l’entreprise « Danielle X... » le 11 juillet 2005, et que Monsieur Y..., responsable de la sécurité au sein de l’Hôtel Scandinavia, qui s’était comporté comme gérant de fait de l’entreprise de sécurité, a fait l’objet d’un procès-verbal identique puisqu’il a été poursuivi pénalement du chef de l’infraction de travail dissimulé.
Le seul interlocuteur de la société Scandinavia était en effet Monsieur Y..., depuis Mars 2000.
Ces éléments résultent tant de l’enquête de gendarmerie que de l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence qui, le 26 mai 2009, a confirmé sa condamnation pénale.
Cet arrêt a relaxé la société Scandinavia et son gérant, Monsieur Z..., des fins de poursuite du chef de « recours à une personne exerçant un travail clandestin ».
L’absence de condamnation pénale du donneur d’ordre n’interdisait pas la mise en oeuvre de la procédure dite « directe », à condition de démontrer le non-respect de l’article L 324-14 du code du travail (voir ci-dessus).
Le contrôle de l’URSSAF et le redressement lié au travail dissimulé ont concerné la période allant de Janvier 2002 au 30 juin 2005.
Un procès-verbal mettant en évidence que, sur toute cette période, la société Scandinavia n’avait jamais respecté les obligations de vigilance et de vérification de la situation de l’entreprise de sécurité telles qu’imposées par les articles L 324-14 et R 324-4 du code du travail, avait été établi le 27 février 2007.
Ainsi, par exemple, les prestations de sécurité sociale se sont déroulées, sans vérification de l’agrément préfectoral, et, postérieurement à 2003 (liquidation de l’entreprise) en dehors de tout contrat écrit, avec Monsieur Y..., dont il est établi qu’il n’avait aucune compétence ni autorisation (agrément préfectoral) d’exploiter une entreprise de sécurité au regard de la réglementation strictement prévue (loi du 12 juillet 1983 et décrets de septembre 1986, mars 2002 et septembre 2005 notamment).
La relaxe pénale de la société Scandinavia, donneur d’ordre, est sans incidence sur la validité de la procédure de solidarité qui s’est inscrite valablement dans le cadre de la procédure dite « directe »

(voir ci-dessus).
L’absence d’action en recouvrement de l’URSSAF contre le (ou les) prestataires du travail dissimulé est également sans incidence sur la validité de la procédure de solidarité financière engagée contre le donneur d’ordre, le créancier ayant toute liberté d’option pour parvenir au paiement de sa créance.
En conséquence, l’URSSAF a respecté la procédure imposée par les textes précités, et elle était fondée à demander le paiement des sommes éludées (dont le montant n’a pas été contesté, même à titre subsidiaire) en faisant application des règles de la solidarité financière à l’encontre de la société Scandinavia » ;
Et aux motifs éventuellement adoptés que « à la lecture de l’ensemble des pièces du dossier, il ressort qu’au cours de l’année 2005, il a été procédé au contrôle des déclarations sociales de l’hôtel Scandinavie (sic) pour la période de 01 février 2002 au 31 décembre 2004.
Qu’il a été constaté par procès-verbal que cet hôtel avait, du 01 mars 2000 au 30 juin 2006, utilisé les services de l’entreprise de Madame X... afin d’assurer la sécurité et le gardiennage de son établissement, entreprise sous-traitante faisant l’objet d’un procès-verbal pour travail dissimulé.
… que les articles L 324-14 et R 324-4 du code du travail imposent une obligation de vigilance pour la mise en oeuvre de la solidarité financière.
Qu’il est établi par les pièces pénales du dossier que la SAS Royal Scandinavie n’a pas satisfait à cette obligation, ayant omis de réclamer à l’entreprise de Madame X... une attestation de l’URSSAF établissant la fourniture par cette dernière de déclaration de salaire et n’ayant réclamé que trois ans après le contrat de sous-traitance une attestation sur l’entreprise. Que de plus, l’extrait Kbis de l’entreprise X... remis à la SAS Scandinavie fait apparaître une dispense provisoire « de la présentation de l’agrément préfectoral pour le gardiennage jusqu’au 30 juin 2000, outre une activité qui ne correspond pas à celle prévue au contrat de prestation en sécurité ».
… qu’ainsi, la requérante n’a pas vérifié les conditions imposées par la loi de régularité de la situation du co-contractant nommément désigné au contrat signé, Madame X.... Que le procès-verbal.
Que l’article L 324-14 du code du travail, n’impose pas pour son application … la condamnation pénale de l’entrepreneur principal.
Que la seule condition nécessaire consiste en l’établissement d’un procès-verbal de travail dissimulé à l’encontre du sous-traitant, ce qui a été régulièrement fait le 11 août 2005, la réalité du travail dissimulé étant un fait non contesté et la négligence de la SAS Hôtel Scandinavie établie par la décision de la Cour d’Appel d’Aix-en-

Provence précitée.
Qu’ainsi, c’est à bon droit que l’URSSAF a retenu la solidarité financière de la requérante avec le sous traitant du paiement des cotisations de sécurité sociale. Qu’il convient donc de débouter la SAS Hôtel Scandinavie de l’ensemble de ses demandes et reconventionnellement de la condamner au paiement de la somme de 160 924, 00 euros au profit de l’URSSAF » ;
1. Alors que, d’une part, le donneur d’ordre faisant l’objet d’une procédure directe de recouvrement des charges fiscales ou sociales éludées pour avoir eu recours à un cocontractant qui exerce un travail dissimulé ne peut être tenu solidairement qu’avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé ; qu’il ne peut, dès lors, être tenu solidairement avec une entreprise dont celui qui a fait l’objet d’un tel procès-verbal n’est ni dirigeant ni même membre ; qu’ainsi, en l’espèce, en s’étant fondée sur la circonstance selon laquelle, le 11 juillet 2005, il avait été dressé un procès-verbal pour délit de travail dissimulé contre Mme X... et que cette dernière était la « responsable » de l’entreprise « Danielle X... »

pour retenir la solidarité financière de la société ROYAL SCANDINAVIA HOTEL NICE en sa qualité de donneur d’ordre de cette entreprise sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si Mme X... n’avait jamais eu la qualité de dirigeant, si son nom n’était pas qu’une pure façade et si, de surcroît, l’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire close en janvier 2003, elle n’en était ni dirigeant de droit ni même membre, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 324-14 du Code du Travail, dans sa rédaction applicable en l’espèce ;
2. Alors que, d’autre part, pour qu’une procédure directe de recouvrement des charges fiscales ou sociales éludées puisse être ouverte contre le donneur d’ordre ayant eu recours à un cocontractant qui exerce un travail dissimulé, il est nécessaire qu’il ait été dressé un procès-verbal pour délit de travail dissimulé contre le cocontractant avec lequel sa solidarité financière sera mise en oeuvre ; que l’engagement de poursuites pénales ne peut, en lui-même, être assimilé à un tel procès-verbal de délit ; que, partant, en ayant estimé, pour pouvoir retenir la solidarité financière de la société ROYAL SCANDINAVIA HOTEL NICE en sa qualité de donneur d’ordre de l’entreprise « Danielle X... », que M. Y..., dirigeant de fait de cette entreprise, devait être considéré comme ayant fait l’objet d’un procès-verbal de délit de travail dissimulé dans la mesure où il avait été poursuivi pénalement, la Cour d’appel a violé l’article L. 324-14 du Code du Travail, dans sa rédaction applicable en l’espèce.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 18 janvier 2012