Procès verbal de constat néccessaire même si liquidation judiciaire

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 26 mai 2016

N° de pourvoi : 15-17556

ECLI:FR:CCASS:2016:C200843

Non publié au bulletin

Cassation sans renvoi

Mme Flise (président), président

SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article L. 324-14 devenu les articles L. 8221-1 et L. 8222-2 du code du travail ;

Attendu que la mise en oeuvre de la solidarité à laquelle est tenue le donneur d’ordre en application du second de ces textes est subordonnée à l’établissement d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l’encontre du co-contractant ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’à la suite d’un contrôle portant sur les années 2004 et 2005, l’URSSAF de Paris et de la région parisienne, aux droits de laquelle vient l’URSSAF d’Ile-de-France, a notifié à la société G Construction (la société) un redressement, puis lui a adressé, le 21 septembre 2007, une mise en demeure tendant au paiement de cotisations sociales impayées et de majorations de retard se rattachant aux marchés sous-traités à la société Meca Bat ; que la société a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que pour rejeter celui-ci, l’arrêt relève que la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre suppose l’existence d’un travail dissimulé, d’une part, et un manquement à l’obligation de vigilance, d’autre part ; que les inspecteurs du recouvrement ont relevé qu’au cours de la période de contrôle, la société avait sous-traité d’importants travaux de maçonnerie à la société Meca Bat qui n’avait respecté aucune de ses obligations sociales en matière de déclaration d’embauche ou de salaires ; qu’en raison de la liquidation judiciaire de la société sous-traitante, suivie d’une clôture pour insuffisance d’actif intervenue antérieurement au contrôle, le procès-verbal d’infraction pour travail dissimulé n’a pu être dressé à l’encontre de la société dissoute ; que cela ne fait pas disparaître la réalité du travail dissimulé pratiquée par cette entreprise pour effectuer les travaux commandés par la société ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la société sous-traitante n’avait pas fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 mars 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

ANNULE le redressement notifié le 21 septembre 2007 à la société G Construction ;

Condamne l’URSSAF d’Ile-de-France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mai deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la société G Construction

Il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir condamné la société G construction à régler à l’Urssaf de Paris - Région Parisienne la somme de 403 745 € de cotisations pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2005 et celle de 40 375 € de majorations de retard afférentes,

AUX MOTIFS PROPRES QUE « Considérant qu’en application de l’ancien article L 324-14 devenu L 8222-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 13 août 2004 applicable au litige, toute personne qui ne s’est pas assurée, lors de la conclusion du contrat et tous les six mois, jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que son cocontractant s’acquitte de ses obligations au regard de l’article L 324-10, sera tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé au paiement des cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus aux organismes de protection sociale ;

Considérant que la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d’ouvrage suppose l’existence d’un travail dissimulé d’une part et un manquement à l’obligation de vigilance d’autre part ;

Considérant qu’en l’espèce, les inspecteurs du recouvrement ont relevé qu’au cours de la période de contrôle, la société G construction avait sous-traité d’importants travaux de maçonnerie à la société Meca Bat qui n’avait respecté aucune de ses obligations sociales en matière de déclaration d’embauche ou de salaires.

Considérant que l’existence d’un travail dissimulé sur les chantiers confiés à la société G construction est établie pour un chiffre d’affaires HT de 717 202,50 € en 2014 et de 58 936 € en 2005 ;

Considérant qu’en raison de la liquidation judiciaire de la société sous-traitante, suivie d’une clôture pour insuffisance d’actifs intervenue antérieurement au contrôle, le procès-verbal d’infraction pour travail dissimulé n’a pu être dressé à l’encontre de la société dissoute ;

Considérant toutefois que cela ne fait pas disparaître la réalité du travail dissimulé pratiquée par cette entreprise pour effectuer les travaux commandés par la société G construction ;

Considérant ensuite que l’Urssaf a constaté que la société G construction n’avait pas demandé les documents nécessaires pour vérifier le respect des obligations sociales par son cocontractant ;

Considérant que, selon l’ancien article R 324-4 devenu D 8222-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, cette vérification était réputée satisfaite en cas de remise, lors de la conclusion du contrat et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution, des documents suivants :

"-" une attestation de fourniture de déclarations sociales,

"-" un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés ou du récépissé du dépôt de déclaration au centre de formalité des entreprises,

"-" une attestation sur l’honneur établie par le cocontractant de la réalisation des travaux par des salariés employés régulièrement ;

Considérant qu’en l’espèce, la société G construction n’a pu produire qu’une copie d’un extrait K bis datant du 30 juin 2005 donc postérieure à La cessation de la relation contractuelle et des doubles de l’imprimé de déclaration unique d’embauche, sans preuve de leur envoi au service de l’Urssaf ;

Considérant que pour sa défense, la société a prétendu qu’elle n’était pas tenue de conserver les documents justificatifs après l’exécution du contrat mais il appartient au cotisant de garder l’ensemble de ces documents en vue d’un éventuel contrôle aussi longtemps que des cotisations peuvent lui être réclamées ;

Considérant qu’il apparaît donc que la société G construction a manqué à son obligation de vigilance en passant des contrats de sous-traitance avec une entreprise recourant au travail dissimulé et se trouve ainsi tenue des cotisations de sécurité sociale au titre de la solidarité financière ;

Considérant que la société conteste à tout le moins le montant des cotisations redressées mais celles-ci ont été calculées conformément aux dispositions de l’article L 324-1 4, alinéa 5, devenu L 8222-3 du code du travail aux termes duquel les sommes dont le paiement est exigible en application de la solidarité financière sont déterminées au prorata de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ;

Considérant qu’il n’existe aucun élément concret permettant de dire que l’évaluation faite par l’Urssaf, à partir des facturations émises par les sous-traitants, serait inexacte ou excessive ;

Considérant que c’est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté la société G Construction de son recours et l’ont condamnée au paiement des causes du redressement ;

Que leur jugement sera confirmé » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE « Attendu que la société G construction soutient que la garantie financière du donneur d’ordre ne peut s’appliquer que lorsque le contractant a fait l’objet d’un procès-verbal pour travail dissimulé, que l’Urssaf de Paris-Région Parisienne ne justifie pas qu’un procès-verbal de travail dissimulé a été établi et transmis au Procureur de la République et qu’en l’espèce, sa solidarité financière en sa qualité de donneur d’ordre ne peut être mise en jeu ;

Mais attendu que la solidarité financière du donneur d’ordre peut être mise en oeuvre, en application de l’article L 324-13-1 du code du travail, en cas de condamnation pénale du donneur d’ordre pour recours à une personne exerçant un travail dissimulé ou, en cas de défaut des diligences prévues du donneur d’ordre, en application de l’article L. 324-14 du code du travail ;

Que la solidarité financière de la société G construction a été mis en cause en se référant à l’article L. 324-14 précité ;

Que ce texte dispose que :

”Toute personne qui ne s’est pas assurée, lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant au moins égal à 3 000 € en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, que son cocontractant s’acquitte de ses obligations au regard de l’article L. 324-10... sera tenue solidairement avec celui qui exerce un travail dissimulé :

1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que les pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor et aux organismes de protection sociale... “

Attendu que la société G construction prétend que le contrôle de l’Urssaf de Paris - Région Parisienne est intervenu alors que les relations contractuelles entre elle et la société Meca Bat, son sous-traitant, avaient cessé le 31 mai 2005, près de deux ans avant le contrôle et le redressement ;

Qu’elle estime qu’elle n’avait pas l’obligation de conserver les éléments lui ayant été remis pour s’assurer de la régularité de la situation administrative et sociale du cocontractant ;

Mais attendu que les documents visés par l’article R. 324-4 du code du travail doivent être conservés pendant la durée du délai de reprise – délai de prescription de la dette – ;

Attendu que la société G construction affirme qu’elle établit que la société Meca Bat avait une existence légale – production de l’extrait K bis du 30 juin 2005 – et une existence sociale – production de documents émanant de l’Urssaf de Paris-Région Parisienne et du GARP ;

Attendu que l’URSSAF de Paris-Région Parisienne remarque que l’extrait K bis date 30 juin 2005, postérieurement à la fin de la période de sous-traitance et des doubles des DPAE non enregistrés par cet organisme ;

Attendu que la société G construction ne justifie pas qu’elle a respecté les obligations qui lui incombaient en application de l’article R. 324-4 du code du travail ;

Attendu que la société G construction considère que l’Urssaf de Paris - Région Parisienne ne justifie pas des sommes qui lui étaient dues par la société Meca Bat ni qu’elle a pris en considération le prorata de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ;

Mais attendu que la société G construction ne fournit aucun élément quant au prorata de la valeur des travaux réalisés, aux services fournis, au bien vendu et à la rémunération en vigueur dans la profession ;

Qu’il convient donc de retenir le calcul des cotisations et des majorations de retard effectué par l’Urssaf de Paris - Région Parisienne ;

Attendu qu’il y a lieu de condamner la société G construction à régler à l’URSSAF de Paris - Région Parisienne la somme de 403 745 € de cotisations pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005 et la somme de 40 375 € de majorations de retard afférentes »,

ALORS QUE la mise en oeuvre la sanction de la solidarité du donneur d’ordre prévue par l’article L. 324-14 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 est subordonnée à l’établissement d’un procès-verbal pour travail dissimulé ; qu’en maintenant le redressement opéré par l’Urssaf au détriment de la société G construction cependant qu’elle avait relevé que le procès-verbal d’infraction pour travail dissimulé n’avait pas été dressé à l’encontre de la société Meca Bat, sous-traitante, sans en tirer le constat de la nullité de la procédure de redressement ainsi que du rappel de recouvrement des cotisations, la cour d’appel a violé les articles L. 324-14 dans sa rédaction applicable et l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme,

ALORS QUE la charge de la preuve de la preuve de l’existence du travail dissimulé incombe à l’Urssaf et que pour être constitutif d’un cas de force majeure l’événement invoqué doit être cumulativement extérieur, irrésistible et imprévisible ; qu’en considérant, pour condamner la société G construction, qu’en raison de la liquidation judiciaire de la société sous-traitante, suivie d’une clôture pour insuffisance d’actifs intervenue antérieurement au contrôle, le procès-verbal d’infraction pour travail dissimulé n’avait pu être dressé à l’encontre de la société dissoute, cependant que le retard à dresser un procès-verbal d’infraction pour travail dissimulé et à produire sa créance à la liquidation judiciaire de la société sous-traitante n’était imputable qu’à la carence de l’Urssaf qui ne pouvait se retrancher derrière la liquidation judiciaire de cette société, pour réclamer à la société G construction, au titre de la solidarité financière de l’article L. 324-14 du code du travail, le paiement de cotisations devant peser sur la société Meca Bat, la cour d’appel a statué par des motifs impropres à caractériser la force majeure et partant a violé l’article L. 324-14 du code du travail,

ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu’en n’examinant pas les documents versés par la société G construction et notamment un imprimé adressé par l’Urssaf à la société Meca Bat à renvoyer au plus tard le 31 janvier 2005 et deux mises en demeure du GARP en date du 26 novembre 2004 tenant compte des versements comptabilisés jusqu’au 27 novembre 2004, démontrant, contrairement à l’indication de l’Urssaf selon laquelle le compte de la société Meca Bat ouvert le 21 juillet 2003 aurait été radié le jour même, que la société sous-traitante était encore affilée auprès de l’Urssaf postérieurement à cette date, la cour d’appel a violé les articles 9 et 455 du code de procédure civile ensemble l’article 1353 du code civil et l’article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’homme.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 5 mars 2015