Restaurant - pas d’atteinte à la liberté d’entreprendre

Conseil d’État

N° 412730

ECLI:FR:CEORD:2017:412730.20170801

Inédit au recueil Lebon

Juge des référés

lecture du mardi 1 août 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Liberté Beaugrenelle a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’arrêté n° 2017-00750 du 7 juillet 2017 par lequel le préfet de police de Paris a prononcé la fermeture administrative de l’établissement “ L’Eclectic “ pour une durée de quinze jours à compter de sa notification. Par une ordonnance n° 1711517 du 21 juillet 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 et 31 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Liberté Beaugrenelle demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l’exécution de l’arrêté litigieux ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 la condition d’urgence est remplie dès lors que, d’une part, la fermeture administrative de son établissement pour une période de quinze jours la prive du chiffre d’affaires qu’elle aurait normalement réalisé pendant cette même période, tandis qu’elle devra continuer à supporter des charges fixes, entraînant des conséquences financières et sociales irrémédiables de nature à compromettre la poursuite de l’activité de l’établissement et à porter atteinte à la réputation de M. A...et de son établissement, et, d’autre part, elle a fait l’objet, par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 juillet 2017, de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire avec mise en place d’une période d’observation de six mois qui risque d’être compromise ;

 il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie ;

 l’arrêté litigieux est insuffisamment motivé, en méconnaissance des articles L 211-2 et L 211-5 du code des relations entre le public et l’administration ;

 le préfet a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation, dès lors que l’arrêté litigieux a été adopté en violation de la procédure contradictoire imposée par l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration ;

 l’arrêté litigieux repose sur des faits matériellement inexacts et inexactement qualifiés en délit de travail dissimulé au sens du code du travail ;

 l’arrêté est méconnaît les dispositions de l’article L. 8272-2 du code du travail qui impose, pour déterminer la durée de fermeture d’un établissement, de tenir compte de la proportion des salariés concernés, de la répétition et de la gravité de l’infraction ainsi que de la situation économique, sociales et financière de l’établissement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2017, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 le code des relations entre le public et l’administration ;

 le code du travail ;

 le code de la santé publique ;

 le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la société Liberté Beaugrenelle, d’autre part, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur ;

Vu le procès-verbal de l’audience publique du 31 juillet 2017 à 15 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

 Les représentants de la société Liberté Beaugrenelle ;

 le représentant du ministre de l’intérieur ;

et à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : “ Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...)”.

2. Aux termes de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique : “ 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l’Etat dans le département pour une durée n’excédant pas six mois, à la suite d’infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. / Cette fermeture doit être précédée d’un avertissement (....). Aux termes de l’article L. 8221-1 du code du travail : “ Sont interdits : 1° Le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; 2° La publicité, par quelque moyen que ce soit, tendant à favoriser, en toute connaissance de cause, le travail dissimulé ; 3° Le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé “. Aux termes de l’article L. 8221-3 du même code : “ Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’activité, l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations : .../2° Soit n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur (...)”. Enfin, aux termes de l’article L. 8221-5 du même code : “ Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ; (...) 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales “.

3. Il résulte de l’instruction que la société Liberté Beaugrenelle, qui exploite le restaurant “ L’Eclectic “ au 2 rue Linois dans le 15ème arrondissement de Paris, a fait l’objet en novembre 2016 d’un contrôle par les services de l’URSSAF Ile de France portant sur la période du 18 juin 2013 au 31 décembre 2015, à l’issue duquel a été envisagé un redressement de plusieurs centaines de milliers d’euros. Par courrier remis en main propre en date du 12 mai 2017, le préfet de police de Paris a informé la société requérante de son intention de prendre une mesure de fermeture administrative de l’établissement “ L’Eclectic “ au motif d’un certain nombre d’infractions, notamment l’absence de déclaration préalable à l’embauche de deux personnes ainsi que des minorations, insuffisances ou omissions de déclarations à l’URSSAF. Par un arrêté du 7 juillet 2017, pris en application des dispositions de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique et du code du travail, le préfet de police de Paris a prononcé la fermeture administrative du restaurant “ L’Eclectic “ pour une durée de quinze jours à compter de sa notification. La société Liberté Beaugrenelle demande, en appel de l’ordonnance du 21 juillet 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande, que l’exécution de l’arrêté du 7 juillet 2017 soit suspendue ; lors de l’audience, elle a en outre demandé, à titre subsidiaire, que la durée de la fermeture soit ramenée à sept jours.

4. La société se prévaut de violations du caractère contradictoire de la procédure qui auraient été commises par les services de l’URSSAF, et de l’insuffisance de motivation de l’arrêté attaqué toutefois, de tels manquements ne sont, alors au surplus que le représentant de la société a été reçu par les services de la préfecture de police préalablement à l’édiction de l’arrêté litigieux, pas de nature à caractériser une atteinte grave à la liberté d’entreprendre ou à la liberté du commerce et de l’industrie.

5. Si la société Liberté Beaugrenelle qui admet d’ailleurs être responsable de maladresses ou d’inexactitudes dans la réalisation des formalités qui lui incombaient, soutient que les faits sur lesquels le préfet de police de Paris s’est fondé pour prendre la mesure contestée seraient matériellement inexacts, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la matérialité de ces faits résulte du procès-verbal dressé par un agent assermenté de l’URSSAF Ile-de-France.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police de Paris n’apparaît pas comme ayant porté, par l’arrêté contesté, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l’industrie. Il s’ensuit que l’appel de la société Liberté Beaugrenelle doit être rejeté. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante.

O R D O N N E :


Article 1er : La requête de la société Liberté Beaugrenelle est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Liberté Beaugrenelle et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.