Hôtel - pas d’atteinte à la liberté d’entreprendre

Conseil d’État

N° 414379

ECLI:FR:CEORD:2017:414379.20171002

Inédit au recueil Lebon

Juge des référés

SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocat(s)

lecture du lundi 2 octobre 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Hôtel de la Calanque a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 30 août 2017 par lequel le préfet du Var a prononcé la fermeture de l’établissement qu’elle exploite sous l’enseigne “ Hôtel la Calanque “ à Cavalaire-sur-Mer pour une durée de 3 mois, à titre subsidiaire, de limiter la période de fermeture provisoire pour une semaine et, en tout état de cause, de reporter au 1er octobre 2017 les effets de la fermeture provisoire ordonnée par l’arrêté. Par une ordonnance n° 1702696 du 2 septembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a suspendu l’exécution de l’arrêté du 30 août 2017.

Par une requête, enregistrée le 18 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre du travail demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’annuler cette ordonnance.

Il soutient que :

 le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a commis une erreur de droit en considérant la condition d’urgence remplie pour justifier la suspension de l’arrêté contesté dès lors que, ses conséquences devant être appréciées au regard de sa portée effective, d’une part, la perte du chiffre d’affaires de l’établissement, fermé à partir du 15 octobre 2017, a été surévaluée, ainsi que le montant des charges d’exploitation, en ce qu’elles auraient dû être calculées au maximum sur la base de 45 jours sur 180 jours d’activité réelle correspondant à la période d’ouverture de l’établissement et, d’autre part, que les conditions d’indemnisation des clients évaluées par société à hauteur de 56 000 euros à verser au titre des réservations annulées ne sont pas justifiées ;

 l’arrêté contesté n’a porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à l’exercice d’une liberté fondamentale dès lors que, d’une part, il ressort du rapport administratif établi le 19 juin 2017 par l’inspecteur du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) mais également du procès verbal établi le 23 juin 2017 par les agents de la police nationale de la Brigade mobile de recherches que la requérante a commis plusieurs infractions à la législation du travail et à la législation sur le séjour des étrangers en France telles que la dissimulation de salariés, d’heures travaillées et l’emploi de salariés étrangers sans titre de travail, et, d’autre part, la mesure de fermeture administrative n’est pas disproportionnée au regard de la gravité des infractions commises et de leur caractère répété.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2017, la société Hôtel de la Calanque conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir qu’aucun des moyens soulevés par le ministre du travail n’est fondé et reprend, pour le surplus, ses moyens de première instance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 le code du travail ;

 le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le ministre du travail et, d’autre part, la société Hôtel de la Calanque ;

Vu le procès-verbal de l’audience publique du vendredi 29 septembre 2017 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

 les représentants du ministre du travail ;

 Me Thiriez, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Hôtel de la Calanque ;

 le représentant de la société Hôtel de la Calanque ;

et à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction ;

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : “ Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. “. ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 8211-1 du code du travail : “ Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes : 1° Travail dissimulé ; (...) 4° Emploi d’étranger sans titre de travail ; (...)” ; qu’aux termes de l’article L. 8221-3 du même code : “ Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’activité, l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations (...) / 2° Soit n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur (...) “ qu’aux termes de l’article L. 8272-2 du même code : “ Lorsque l’autorité administrative a connaissance d’un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l’article L. 8211-1 ou d’un rapport établi par l’un des agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 constatant un manquement prévu aux mêmes 1° à 4°, elle peut, si la proportion de salariés concernés le justifie, eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction, à titre temporaire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois. Elle en avise sans délai le procureur de la République. “ ; qu’il résulte de ces dispositions combinées que le travail dissimulé et l’emploi d’étranger sans titre de travail constituent des infractions de nature à justifier le prononcé de la sanction administrative de fermeture provisoire de l’établissement où cette infraction a été relevée ;

3. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’à la suite d’un contrôle opéré, le 13 juin 2017, par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’hôtel “ la Calanque “, à Cavalaire-sur-Mer, le préfet du Var a prononcé, par un arrêté du 30 août 2017, la fermeture de cet établissement pour une durée de trois mois à compter de la notification de la mesure ; que la société “ Hôtel de la Calanque “ a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon d’une requête tendant à la suspension de l’exécution de cet arrêté préfectoral sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a fait droit à cette demande par une ordonnance n° 1702696 du 2 septembre 2017 dont le ministre du travail relève appel ;

4. Considérant que, selon les énonciations non contestées de l’arrêté préfectoral litigieux, cette fermeture a été prononcée notamment en raison d’infractions de travail dissimulé par dissimulation de salariés et d’emploi de travailleur étranger sans titre de travail ainsi que dissimulation d’heures de travail ; que, pour suspendre l’exécution de la mesure de fermeture, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a estimé qu’elle constituait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre, en raison de la faible proportion de salariés concernés, quatre sur un effectif de trente, des régularisations auxquelles la société a procédé dans les jours ayant suivi le contrôle ainsi que du caractère immédiatement exécutoire de la sanction ;

5. Considérant toutefois qu’il résulte de l’instruction et des éléments recueillis au cours de l’audience que la décision de fermeture, prise à la fin de la période d’affluence touristique estivale, ne devait en outre n’avoir aucun effet sur l’activité de l’établissement au-delà du 15 octobre, date de fermeture annuelle de celui-ci ; qu’au jour du constat des infractions, à côté des trois salariés employés illégalement, seize salariés seulement étaient employés par l’établissement, soit une proportion plus importante de salariés concernés que celle retenue par le juge de première instance ; que pour deux de ces trois salariés, un contrôle effectué en octobre 2016 avait déjà fait apparaître leur emploi dans des conditions illégales, ce constat n’ayant alors donné lieu à aucune sanction ni à aucune poursuite ; que si la société a fait valoir les actions engagées immédiatement après le contrôle de juin 2017, d’une part et en tout état de cause, celles-ci ont consisté pour les deux principales infractions, dans la déclaration des salariés en qualité de travailleurs détachés d’une société italienne dont la réalité de l’activité n’est pas établie, d’autre part pour la troisième infraction grave dans le constat de l’éloignement de l’intéressé du territoire français ; qu’ainsi, au regard de ces différents éléments, la fermeture contestée ne peut être regardée comme une atteinte manifestement illégale à la liberté d’entreprendre ; qu’ainsi la ministre du travail est fondée à soutenir que c’est à tort que par l’ordonnance attaquée le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a suspendu l’exécution de l’arrêté du préfet du Var pour ce motif ;

6. Considérant qu’il appartient au juge des référés du Conseil d’Etat d’examiner, au titre de l’effet dévolutif de l’appel, l’autre moyen et les conclusions subsidiaires présentées par la société “ Hôtel de la Calanque “ devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon ;

7. Considérant qu’il ne saurait être sérieusement soutenu que la mesure de fermeture porterait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au logement et à la sécurité des clients de cet hôtel de tourisme ; qu’il ne relève pas de l’office du juge des référés, statuant en vertu des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, comme le sollicite la société requérante à titre subsidiaire, de réformer l’arrêté litigieux ; que les conclusions tendant à ce que la mesure de suspension soit reportée au 1er octobre sont, en tout état de cause, devenues sans objet ;

8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la ministre du travail est fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a suspendu l’arrêté du préfet du Var prononçant la fermeture de l’hôtel de la Calanque pour une durée de trois mois ; que les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat la somme que demande à ce titre la société “ Hôtel de la Calanque “ ;

O R D O N N E :


Article 1er : L’ordonnance du 2 septembre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société l’Hôtel de la Calanque devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon et ses conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative devant le Conseil d’Etat sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la ministre du travail et à la Société Hôtel de la Calanque.