Emploi salarié étranger sans titre de séjour - retrait titre de séjour employeur étranger oui

CAA de PARIS, 8ème chambre, 28/01/2021
N° 19PA03523

Lecture du jeudi 28 janvier 2021
Président
Mme VINOT
Rapporteur
Mme Aude COLLET
Rapporteur public
Mme GUILLOTEAU
Avocat(s)
BOUACHA
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Melun d’annuler l’arrêté en date du 14 février 2018 par lequel le préfet du Val-de-Marne a procédé au retrait de sa carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale ", l’a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera éloignée.

Par un jugement n° 1801719 du 4 octobre 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 7 novembre 2019 et le 20 décembre 2019, Mme A... épouse D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1801719 du 4 octobre 2019 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d’annuler la décision du 14 février 2018 du préfet du Val-de-Marne ;

3°) d’enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui restituer sa carte de séjour pluriannuelle mention " vie privée et familiale " en qualité de conjoint de français ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 les décisions attaquées ont été prises par une autorité incompétente ;
 elles sont insuffisamment motivées ;
 elles méconnaissent les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors qu’elle est mariée à un ressortissant français depuis le 6 août 2015 et qu’elle justifie d’une vie commune intense et stable depuis le début de l’année 2014 ;
 elles sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation des conséquences sur sa situation personnelle dès lors qu’elles sont disproportionnées au regard de la nature des faits qui lui ont été reprochés.

La requête a été communiqué au préfet du Val-de-Marne qui n’a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
 le code du travail ;
 le code des relations entre le public et l’administration ;
 le code de justice administrative ;
 le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Mme B... a présenté son rapport au cours de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... épouse D..., ressortissante chinoise, née le 16 février 1974 et entrée en France en dernier lieu le 13 février 2016 munie d’un visa long séjour valant titre de séjour d’une durée d’un an et délivré en qualité de conjoint d’un ressortissant français, a été mise en possession le 8 février 2017 d’une carte pluriannuelle de séjour portant la mention " vie privée et familiale " valable jusqu’au 7 février 2019. A la suite d’un contrôle de la société L. BELLE dont elle est la gérante, Mme A... épouse D... a été interpellée le 17 octobre 2017 pour des faits d’emploi dissimulé d’un étranger démuni de titre de séjour et de travail. Par un arrêté du 14 février 2018, le préfet du Val-de-Marne a procédé au retrait de la carte de séjour de l’intéressée, l’a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d’éloignement. Mme A... épouse D... relève appel du jugement du 4 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, par un arrêté n° 2017-794 du 13 mars 2017, publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du Val-de-Marne du même jour, le préfet du Val-de-Marne a donné délégation à M. F... E..., directeur des migrations et de l’intégration, signataire des décisions en litige, à l’effet de signer les arrêtés de retrait des titres de séjour. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence du signataire des décisions contestées manque en fait.

3. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l’article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Enfin, aux termes de l’article L. 511-1 du même code : " " I. - L’autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour à un étranger ou qui lui retire son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour, pour un motif autre que l’existence d’une menace à l’ordre public, peut assortir sa décision d’une obligation de quitter le territoire français, laquelle fixe le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé s’il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu au troisième alinéa. L’obligation de quitter le territoire français n’a pas à faire l’objet d’une motivation ".

4. Les décisions en litige visent notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le code des relations entre le public et l’administration et le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment les dispositions des articles L. 313-5 et L. 511-1, fondements respectifs des décisions portant retrait du titre de séjour et obligation de quitter le territoire français. En outre, les décisions relèvent que, lors d’un contrôle par les services de police effectué le 17 octobre 2018 au sein de l’établissement L. Belle, dont Mme A... épouse D... est la gérante, il a été constaté la présence en action de travail d’une ressortissante de nationalité chinoise dépourvue de titre l’autorisant à séjourner et à travailler sur le territoire français. Les décisions mentionnent également que l’intéressée est mariée avec M. D..., de nationalité française, que le couple n’a pas d’enfant et que, compte tenu de la date d’entrée récente de l’intéressée en France, il n’est pas porté une atteinte au respect de sa vie privée et familiale disproportionnée aux buts en vue desquels les décisions ont été prises. Dans ces conditions, et dès lors que la décision portant obligation de quitter le territoire français n’a pas à comporter une motivation spécifique, distincte de celle du retrait de titre de séjour qu’elle accompagne, les décisions contestées comportent l’énoncé suffisant des considérations de droit et de fait telles qu’exigées par les dispositions de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation des décisions contestées doit être écarté.

5. En troisième lieu, d’une part, aux termes de l’article L. 313-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " (...) /. La carte de séjour temporaire peut [...] être retirée à tout employeur, titulaire de cette carte, en infraction avec l’article L. 341-6 du code du travail (...) ". Aux termes de l’article L. 341-6 du code du travail devenu l’article L. 8251-1 : " Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. / (...) ".

6. D’autre part, aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".

7. Mme A... épouse D... soutient qu’elle vit en France depuis janvier 2014 avec un ressortissant français, et qu’elle est parfaitement intégrée au sein de la société française. Elle ajoute que l’infraction commise est isolée et ne concernait qu’un employé, qu’elle a pris conscience des obligations qui lui incombaient en tant que gérante et qu’elle s’y est conformée à l’occasion du recrutement d’un nouvel employé. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme A... épouse D... a été condamnée, après composition pénale, à une amende de 500 euros ainsi qu’à la réalisation d’un stage de citoyenneté pour des faits d’exécution d’un travail dissimulé et d’emploi par une société dont elle est gérante de droit, d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié pour la période du 14 août 2017 au 17 octobre 2017. Si la requérante établit avoir déposé le 31 janvier 2018 une déclaration préalable concernant le recrutement d’un nouvel employé, il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte rendu du 17 octobre 2018 que l’intéressée a sciemment fait obstacle aux forces de l’ordre pour permettre à son employée de se soustraire au contrôle diligenté par le procureur de la République. Et si la requérante établit la réalité d’une communauté de vie avec un ressortissant français qu’elle a épousé le 6 août 2015, deux ans et demi seulement avant la date de l’arrêté en litige, elle ne justifie d’aucune charge de famille en France alors qu’il ressort des pièces du dossier et n’est pas contesté que ses deux enfants résident dans son pays d’origine, dont l’un était mineur à la date des décisions en litige. En outre, les seules productions d’une attestation de son mari, selon laquelle il aurait transmis le 10 juillet 2017, " par amour à [ma] sa femme ", la gestion d’un salon de manucure qu’il a créé en 2016 à Paris (75010) pour laquelle il s’est porté caution à hauteur de 42 480 euros de sorte que les décisions en litige le sanctionneraient gravement " au niveau sentimental, social et financier ", et d’une attestation d’un tiers faisant état de manière très générale de diners avec le couple formé par M. et Mme D..., ne permettent pas de considérer que la requérante justifierait d’une intégration particulière dans la société française. Dans ces conditions, Mme A... épouse D... n’est pas fondée à soutenir que les décisions portant retrait de sa carte de séjour et obligation de quitter le territoire français ont porté au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport à la gravité des faits qui lui sont reprochés. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

8. En quatrième lieu, dès lors que les faits reprochés à Mme A... épouse D... sont avérés, que la procédure qui tend à infliger une sanction administrative est une procédure indépendante de la procédure infligeant une sanction pénale, et dès lors que, ainsi qu’il a été dit au point précédent, les décisions en litiges ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale, Mme A... épouse D... n’est pas fondée à soutenir que le préfet du Val-de-Marne, en lui retirant son titre de séjour et en l’obligeant à quitter le territoire français aurait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de ses décisions sur sa situation personnelle. Par suite, le moyen doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... épouse D... n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d’injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... épouse D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... A... épouse D... et au ministre de l’intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l’audience du 7 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
 Mme Vinot, président de chambre,
 M. Luben, président assesseur,
 Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2021.
La présidente de la 8ème chambre,
H. VINOT
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.