Joueur espoir - question préjudicielle CJUE

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 9 juillet 2008

N° de pourvoi : 07-42023

Publié au bulletin

Sursis a statuer

Mme Collomp, président

M. Rovinski, conseiller apporteur

M. Lalande, avocat général

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Gatineau, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 26 février 2007), que l’article 23 de la Charte du football professionnel, alors en vigueur, prévoit : “A l’expiration normale du contrat (de joueur “espoir”), le club est alors en droit d’exiger de l’autre partie la signature d’un contrat de joueur professionnel...1. A défaut pour le club d’avoir usé de cette faculté, le joueur pourra régler sa situation dans les conditions suivantes : a) signature d’un contrat professionnel dans le club de son choix sans qu’il soit dû aucune indemnité au club quitté ; b) reclassement dans les rangs amateurs soit : pour le club quitté lors de son passage dans les rangs apprentis, aspirants, stagiaires ou espoirs avec licence A sans cachet “mutation” ; - pour le club autorisé auquel il était lié par un contrat espoir, avec licence A sans cachet “mutation” ; - pour un autre club amateur avec cachet “mutation”. 2. Si le joueur refuse de signer un contrat professionnel, il ne pourra pas pendant un délai de trois ans, signer dans un autre club de la Ligue nationale de football (LNF) sous quelque statut que ce soit, sans l’accord écrit du club où il a été espoir et sa situation sera réglée de la façon suivante : Reclassement dans les rangs amateurs : a) pour le club autorisé où il était lié par contrat sous licence amateur, sans cachet “mutation” ; b) pour le club amateur quitté lors de son passage dans les rangs apprentis, aspirants, stagiaires ou espoirs sous licence amateur, sans cachet “mutation” ; c) pour un autre club amateur avec cachet “mutation...” ; que M. X... ayant refusé, à l’issue du contrat de joueur espoir, qui le liait au club Olympique lyonnais, de signer avec ce dernier le contrat de joueur professionnel et ayant contracté avec le club anglais Newcastle UFC, la société Olympique lyonnais a saisi le conseil de prud’hommes afin de voir condamner le joueur à lui payer une somme de 53 357,16 euros, soit un montant égal à la rémunération qu’il aurait perçue pendant une année s’il avait signé le contrat proposé, à titre de dommages-intérêts et pour voir déclarer le jugement commun à la société de droit anglais Newcastle UFC ; que cette dernière a invoqué le principe de libre circulation des travailleurs de l’article 39 du Traité CE et demandé à la juridiction de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes sur la compatibilité de l’article 23 susvisé avec ce principe ; que le conseil de prud’hommes, estimant que M. X... avait rompu unilatéralement ses engagements contractuels, l’a condamné à payer à la société Olympique lyonnais des dommages-intérêts ;

Attendu que la cour d’appel a infirmé cette décision ; qu’elle a décidé que l’article 23 de la Charte du football professionnel était illicite en ce qu’il impose au joueur, à l’expiration de son contrat de joueur “espoir”, l’obligation de conclure un contrat de joueur professionnel avec le club qui a pris en charge sa formation et lui interdit de travailler avec tout autre club, que celui-ci appartienne ou non à la Ligue nationale de football ; que cette interdiction absolue était contraire au principe de la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté européenne édictée par l’article 39 du Traité instituant la Communauté européenne, mais avant tout contraire au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et à l’article L. 120-2 du code du travail ; que, n’étant pas tempérée, notamment, par une clause de dédit-formation, une telle restriction apportée aux libertés individuelles de contracter et de travailler est disproportionnée par rapport à la protection, aussi légitime soit-elle, des intérêts du club formateur, qui, même s’il a dispensé au joueur, sur le point de devenir professionnel, une formation coûteuse, n’est pas fondé à exiger qu’il travaille obligatoirement pour lui ;

Attendu que l’Olympique lyonnais fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :

1°/ que l’ancien article 23 de la Charte de Football professionnel prévoit “qu’à l’expiration normale du contrat de joueur espoir, le club est alors en droit d’exiger de l’autre partie la signature d’un contrat de joueur professionnel-qu’à défaut de l’usage de cette prérogative, le joueur pourra signer un contrat professionnel dans le club de son choix, sans qu’il soit dû aucune indemnité au club quitté-qu’en cas de refus de signer un contrat professionnel, il ne pourra pas, pendant un délai de trois ans, signer dans un autre club de la LNF, sous quelque statut que ce soit, sans l’accord écrit du club où il a été espoir” ; que ce texte stipule une obligation de conclure avec le club formateur à la demande de ce dernier en contrepartie de la formation dispensée, sanctionnée par le paiement d’une indemnité, et assortie d’une interdiction pendant trois ans de signer dans un autre club appartenant à la ligue nationale de football ; qu’ainsi nulle interdiction n’est faite au joueur espoir de signer un contrat de travail avec un club étranger à l’issue de sa formation, ce dernier étant seulement tenu d’indemniser son club formateur si ce dernier avait manifesté la volonté de l’engager ; qu’en affirmant que l’article 23 interdit au joueur espoir de travailler “avec tout autre club, que celui-ci appartienne ou non à la LNF” pour en déduire que “cette interdiction absolue” est “contraire au principe de la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la communauté européenne édictée par l’article 39 du traité instituant la communauté européenne”, ainsi qu’au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et à l’article L. 120-2 du code du travail”, la cour d’appel a violé l’ancien article 23 de la Charte de football professionnel ;

2°/ qu’à supposer même que l’obligation de conclure avec le club formateur s’analyse en une interdiction absolue de travailler pour un autre club que le club ayant dispensé la formation du joueur espoir, elle ne saurait être jugée contraire à l’article 39 du Traité des Communautés européennes, qui n’interdit que les discriminations fondées sur la nationalité entre les travailleurs des Etats membres ; qu’en affirmant le contraire, lorsque l’interdiction absolue de travailler dans un autre club n’opère aucune distinction selon la nationalité des joueurs ou des clubs, la cour d’appel a violé l’article 39 du Traité des Communautés européennes ;

3°/ qu’à supposer même que l’obligation de conclure avec le club formateur s’analyse en une interdiction absolue de travailler pour un autre club que le club ayant dispensé la formation du joueur espoir, une telle obligation expressément prévue par le législateur (article L. 211-5 du code du sport) pour tenir compte de l’importance de la formation professionnelle dispensée dans le domaine du sport, ne saurait être jugée comme portant une atteinte excessive à la liberté du travail ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 211-5 du code du sport ;

Attendu que selon l’article 39 du Traité instituant la Communauté européenne (ex 48 du Traité CE), la libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la Communauté. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique, de répondre à des emplois effectivement offerts, de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres, de séjourner dans un des États membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux ;

Attendu que l’alinéa premier de l’article 23 de la Charte du football professionnel, qui a le caractère d’une convention collective nationale, oblige le joueur “espoir”, lorsque le club qui l’a formé l’impose, à signer son premier contrat de joueur professionnel ; que l’action en dommages-intérêts dirigée contre M. X... et le club anglais de Newcastle est fondée sur l’inobservation par M. X... de cette obligation et non pas sur la violation de l’obligation de non-concurrence de l’alinéa 3 dudit article qui dispose que, s’il refuse de signer un contrat avec le club formateur, il est interdit au joueur “espoir”, pendant trois années, de signer un contrat avec un autre club de la Ligue nationale de football ;

Attendu qu’en ce qu’elle impose au jeune joueur de signer son premier contrat de joueur professionnel avec son club formateur, la clause de la Charte du football professionnel, si elle n’interdit pas de contracter avec un club étranger, peut être considérée comme ayant pour effet d’empêcher ou dissuader un jeune joueur de se rendre dans un club d’un autre Etat membre dans la mesure où la violation de cette obligation est susceptible d’entraîner le versement d’une indemnité ou de dommages-intérêts ; que toutefois, s’agissant d’un premier engagement à titre professionnel d’un jeune joueur qui vient de terminer sa période de formation, la clause pourrait se trouver justifiée par l’objectif légitime de son club formateur de conserver le joueur qu’il vient de former ;

Attendu que la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, 15 décembre 1995 : Bossman c/ UEFA et a.) a dit pour droit : “l’article 48 du Traité CEE s’oppose à l’application de règles édictées par des associations sportives, selon lesquelles un joueur professionnel de football ressortissant d’un Etat membre, à l’expiration du contrat qui le lie au club, ne peut être employé par un club d’un autre Etat membre que si ce dernier a versé au club d’origine une indemnité de transfert, de formation ou de promotion” ;

Attendu que la solution du présent litige pose une difficulté sérieuse d’interprétation de l’article 39 du Traité CE touchant aux questions qui sont formulées au dispositif ci-après notamment au regard de l’impératif de formation des jeunes joueurs de football professionnel ; qu’il y a lieu de surseoir à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice se soit prononcée sur ces points ;

PAR CES MOTIFS :

RENVOIE à la Cour de justice des Communautés européennes aux fins de dire, en vue de l’application de l’article 39 du Traité CE :

1°/ si le principe de libre circulation des travailleurs posé par ledit article s’oppose à une disposition de droit national en application de laquelle un joueur “espoir” qui signe à l’issue de sa période de formation, un contrat de joueur professionnel avec un club d’un autre Etat membre de l’Union européenne, s’expose à une condamnation à des dommages-intérêts ;

2°/ dans l’affirmative, si la nécessité d’encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs professionnels constitue un objectif légitime ou une raison impérieuse d’intérêt général de nature à justifier une telle restriction ;

Sursoit à statuer sur le pourvoi jusqu’à décision de la Cour de justice des Communautés européennes ;

Réserve les dépens du présent arrêt ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille huit.

Publication : Bulletin 2008, V, n° 149

Décision attaquée : Cour d’appel de Lyon du 26 février 2007

Titrages et résumés : COMMUNAUTE EUROPEENNE - Cour de justice des Communautés européennes - Question préjudicielle - Interprétation du Traité CE - Article 39 - Libre circulation des travailleurs - Joueurs de football professionnels

Vu l’article 234 du Traité instituant la Communauté Européenne et la solution du litige posant une difficulté sérieuse d’interprétation de l’article 39 du Traité touchant notamment à l’impératif de formation des jeunes joueurs de football professionnels, la Cour de cassation décide de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice des Communautés Européennes aux fins de dire, en vue de l’application dudit Traité :

1°) si le principe de libre circulation des travailleurs posé par ledit article s’oppose à une application du droit national suivant laquelle un joueur “espoir” qui signe à l’issue de sa période de formation, un contrat de joueur professionnel avec un club d’un autre Etat membre de l’Union Européenne, s’expose à une condamnation à des dommages et intérêts au motif qu’il a refusé de signer son contrat de footballeur professionnel avec le club qui l’a formé dans le cadre d’une convention de formation ?

2°) dans la mesure où la situation décrite dans la première question constituerait une restriction à la libre circulation des travailleurs, si celle-ci serait susceptible d’être justifiée par un objectif légitime ou une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la nécessité d’encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs professionnels ?

PROCEDURE CIVILE - Sursis à statuer - Droit Communautaire - Question préjudicielle - Interprétation du Traité CE - Article 39 - Libre circulation des travailleurs - Joueurs de football professionnels

CASSATION - Arrêt - Arrêt de sursis à statuer - Interprétation du Traité CE - Traité des Communautés européennes - Article 39 - Libre circulation des travailleurs - Joueurs de football professionnels

Textes appliqués :
* article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ; article 23 de la charte du football professionnel alors en vigueur ; article 39 du Traité instituant la Communauté européenne (ex 48 du Traité CE)