Arrêt de principe

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 28 avril 2011

N° de pourvoi : 10-15573

Publié au bulletin

Cassation partielle partiellement sans renvoi

Mme Mazars (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Donne acte à M. X..., ès qualités, de sa reprise d’instance ;

Sur le moyen unique :

Vu l’article L. 1121-1 du code du travail ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Y..., a, pour la saison 2006/2007, conclu avec l’association Marseille Provence XV, devenue Marseille Vitrolles Rugby, une convention prévoyant sa participation en qualité de joueur de rugby aux entraînements et aux rencontres sportives ainsi que le versement d’un défraiement annuel de 18 000 euros, outre une participation aux frais de logement d’un montant mensuel de 1 000 euros et des primes de matches ; que soutenant être lié à l’association par un contrat de travail, M. Y... a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes ; qu’à la suite du placement en redressement judiciaire de l’association, M. X..., mandataire judiciaire, est intervenu à l’instance ;

Attendu que pour dire que la convention liant les parties est une convention de défraiement et non un contrat de travail, l’arrêt retient que la mention dans la convention de l’obligation faite aux joueurs de participer aux rencontres sportives, de s’entraîner conformément aux directives données par l’encadrement, de respecter une certaine hygiène de vie, ainsi que le règlement du club ne sauraient caractériser, à elle seule, l’existence d’un lien de subordination dans la mesure où ces consignes sont inhérentes à la pratique du rugby et entrent uniquement dans le cadre d’un simple rapport d’autorité sportif, indispensable à la poursuite d’un sport collectif et à l’organisation des matches et entraînements ; que M. Y... exerçait à temps plein et à titre salarié une activité de chauffeur livreur ce qui constitue un indice de l’absence de lien salarié avec le club sportif ; que le joueur, adhérent de l’association, participait à une équipe amateur qui s’entraînait le soir, pendant deux heures, généralement trois fois par semaine ; que le fait qu’il ait été convenu que M. Y... serait défrayé en contrepartie de sa participation aux entraînements et aux matches, compte tenu de l’implication horaire demandée et que le club ait consenti à participer à ses frais de logement, s’agissant d’un joueur étranger, est insuffisant à caractériser l’existence d’un contrat de travail ;

Attendu cependant que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;

Qu’en statuant comme elle a fait, par des motifs inopérants tirés de l’exercice d’une activité professionnelle exercée parallèlement, à temps complet, par l’intéressé, alors, d’une part, que celui-ci était tenu, sous peine de sanctions, conformément au règlement interne du club et la charte des droits et des devoirs du joueur de participer aux activités sportives, de suivre les consignes données lors des entraînements et de respecter le règlement du club, et, d’autre part, que le joueur percevait des sommes en contrepartie du temps passé dans les entraînements et les matches, ce dont il résultait que, nonobstant la qualification conventionnelle de défraiement, elles constituaient la rémunération d’une prestation de travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

Vu l’article 627 du code de procédure civile ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 janvier 2010, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

Dit n’y avoir lieu à renvoi sur la qualification du contrat ;

Dit que les parties sont liées par un contrat de travail ;

Renvoie les parties devant la cour d’appel de Montpellier pour le surplus ;

Condamne M. X..., agissant en qualité de mandataire judiciaire de l’association Marseille Vitrolles Rugby aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit avril deux mille onze.MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour M. Y....

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que la convention liant Monsieur Y... à l’Association Marseille Provence XV aux droits de qui vient l’Association Marseille Vitrolles Rugby est une “convention de défraiement” et non un contrat de travail, et déclaré la juridiction prud’homale incompétente au profit du Tribunal de grande instance de Marseille ;

AUX MOTIFS QUE “il ressort des éléments de la cause que la mention dans la convention de l’obligation faite aux joueurs de participer aux rencontres sportives, de s’entraîner conformément aux directives données par l’encadrement, de respecter une certaine hygiène de vie ainsi que le règlement du club ne saurait caractériser à elle seule l’existence d’un lien de subordination dans le cadre d’un contrat de travail dans la mesure où les consignes comme dans de nombreuses disciplines sportives sont inhérentes à la pratique du rugby et entrent uniquement dans le cadre d’un simple rapport d’autorité sportif, indispensable à la poursuite d’un sport collectif et à l’organisation des matches et des entraînements ;

QU’il ne ressort d’aucun des éléments de la cause qu’une contrainte supplémentaire ait été imposée au contredisant par référence à l’accord collectif du joueur et de l’entraîneur de Fédérale 1 dans son article 1er ;

QU’en effet, il apparaît que Monsieur Y... exerçait à temps plein et à titre salarié une activité de chauffeur livreur, ce que l’association défenderesse peut valablement invoquer à l’appui de sa prétention selon laquelle il s’agit d’un indice entre autres de l’absence de lien salarié entre le joueur et l’association ;

QUE le fait qu’il ait été convenu que Monsieur Y... serait défrayé en contrepartie de sa participation aux entraînements et aux matches, compte tenu de l’implication horaire demandée, et que le Club ait consenti à participer à ses frais de logement, s’agissant d’un joueur étranger, est insuffisant à caractériser l’existence d’un contrat de travail ;

QU’il apparaît en outre que le Club Marseille Provence XV était une association à laquelle Monsieur Y... avait adhéré et que l’équipe à laquelle il participait était amateur, les entraînements ayant lieu le soir pendant deux heures, généralement trois fois par semaine ; qu’il apparaît également que tous les joueurs de l’équipe percevaient des défraiements et qu’aucun contrat de travail n’a jamais été conclu par cette association ;

QU’il ne ressort pas des éléments versés aux débats que l’association exerçait un quelconque pouvoir de sanction à l’encontre des joueurs tel qu’au sens du Code du travail ; qu’en conséquence qu’il ne ressort pas des éléments qui précèdent que Monsieur Y... se soit trouvé dans les liens d’un contrat de travail et que, dès lors, en se déclarant incompétents au profit du tribunal de grande instance, les premiers juges, par des motifs que la cour adopte, ont fait une exacte appréciation des éléments de la cause (…)” (arrêt p.3 in fine, p.4) ;

1°) ALORS QUE le lien de subordination constitutif d’une relation de travail salariée est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que constitue un tel contrat, quelle que soit la dénomination donnée par les parties, la convention conclue avec un sportif amateur lui imposant, en contrepartie d’une rémunération fixe mensuelle, de participer à tous les entraînements, toutes les compétitions, tous les stages éventuels et autres manifestations du club sous les directives de son équipe technique, ainsi qu’à sa politique de formation et à ses activités promotionnelles et réservant au Club le droit de sanctionner tout manquement à l’une quelconque de ces obligations ; que la “ convention association Marseille Provence XV” qui comportait à la charge de Monsieur Y... de telles obligations moyennant une rémunération fixe annuelle de 18 000 € augmentée d’une indemnité de logement de 1 000 € mensuels et réservait à l’association (article 9) le pouvoir de sanctionner les manquements du joueur à ses obligations, constituait un contrat de travail dont la formation, l’exécution et la rupture relevaient de la compétence de la juridiction prud’homale ; qu’en décidant le contraire, la Cour d’appel a violé les articles L.1221-1 et L.1411-1 du Code du travail ;

2°) ALORS subsidiairement QU’ en se déterminant aux termes de motifs qui ne caractérisent en rien l’exécution de la relation de travail dans des conditions différentes de celles stipulées dans la convention conclue entre les parties, qui mettaient à la charge de Monsieur Y... et de l’employeur des droits et obligations caractéristiques d’un contrat de travail, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

3°) ALORS QUE l’existence d’une relation de travail salariée dépend des conditions dans lesquelles le travailleur exerce son activité dans ses rapports avec l’employeur recherché ; que cette qualification est indépendante du caractère exclusif ou non de la relation ; qu’en retenant comme “indice de l’absence de lien salarié entre le joueur et l’association” pour le compte de qui elle constatait qu’il exerçait une activité l’occupant, à tout le moins “deux heures deux à trois fois par semaine” pour les seuls entraînements, la circonstance inopérante qu’il exerçait simultanément une activité professionnelle salariée à temps plein pour le compte d’un tiers, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.1221-1 du Code du travail ;

4°) ALORS enfin QUE constituent la rémunération du travail fourni et non le remboursement de frais professionnels les sommes, quelle qu’en soit la qualification, versées au salarié en contrepartie du travail convenu ; qu’en l’espèce le contrat conclu entre Monsieur Y... et l’Association Marseille Provence XV prévoyait qu’”en échange” de son “engagement vis à vis du Club à participer à toutes les activités sportives, matches entraînements, stages et toutes autres manifestations liées à celles-ci “, Monsieur Y... “percevrai(t) à titre de défraiement la somme annuelle de 18 000 €…payable sur dix mois soit une somme mensuelle de 1 800 €” outre diverses primes de matches et, à titre de “participation aux frais d’hébergement”, une somme de “1 000 € par mois” ; que ces sommes fixes, qui ne correspondaient à l’exposition d’aucune charge spéciale inhérente à la fonction et que le salarié n’aurait pas eu à supporter à titre personnel, et qui étaient servies, a constaté la Cour d’appel “compte tenu de l’implication horaire demandée”, constituaient la contrepartie de la prestation de travail fournie et représentaient la rémunération d’un travail salarié ; qu’en se bornant à énoncer que ces “défraiements” étaient insuffisants à caractériser l’existence d’un contrat de travail la Cour d’appel, qui n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef l’article L.1221-1 du Code du travail. Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 14 janvier 2010