Restaurant - stagiaire non

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 5 juin 2012

N° de pourvoi : 11-85662

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 La société Actions langues,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 9 juin 2011, qui, sur renvoi après cassation (crim, 26 mai 2010, pourvoi n° 09-86.095), pour marchandage, l’a condamnée à 10 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3 du code pénal, L. 8231-1 et suivants nouveaux du code du travail (L.125-1 et suivants anciens), L. 8234-1 et suivants nouveaux du code du travail (L.152-3 et suivants anciens), L. 8241-1 du code du travail, L. 920-1 ancien du code du travail, 388, 591 à 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société Actions Langues coupable du délit de fourniture illégale de main d’oeuvre à but lucratif et l’a, en conséquence, condamnée, à une peine d’amende et à verser des dommages et intérêts à l’UD 56 CFDT, à Ana X... et à Anna Y... ;

”aux motifs qu’Ana X... et à Anna Y... étaient occupées dans l’entreprise de M. Z... à des tâches nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise, l’une en qualité d’aide cuisine, affectée à la plonge, l’autre en qualité de commis de salle, après avoir été formée au service, au nettoyage et à la mise en place par Mme A..., serveuse ; que si pour les salariés affectés à la cuisine aucun planning n’était tenu, l’inspection du travail a relevé que, pour le service en salle, Anna Y... était intégrée aux roulements comme les autres membres du personnel de salle sans bénéficier d’aucun jour de repos entre le 20 juillet et le 30 août ; qu’il y a là une véritable relation de travail caractérisée par un lien de subordination vis à vis de l’employeur ;(…) ; que les contrats de stage proposés à Ana X... et à Anna Y... ont été établis conformément à un modèle type annexé à une circulaire du Ministère de l’emploi et de la solidarité du 14 mai 2001 décidant d’étendre le bénéfice de conventions de stage aux jeunes étudiants étrangers pour favoriser leur mobilité dans le cadre de leurs études ; mais que le statut dérogatoire institué par cette circulaire suppose d’une part que l’objectif du stage soit en rapport avec la formation de l’étudiant, et d’autre part qu’il y ait une convention avec l’établissement qui assure la formation ; qu’or ces deux critères n’étaient pas remplis en l’espèce, car « Butterfly et Papillon » n’assurait aucune formation, et les organismes de formation étrangers de ces jeunes femmes n’étaient pas partie à la convention ; qu’il est ainsi établi que le régime dérogatoire au salariat organisé par cette circulaire ne pouvait s’appliquer ; que le délit de fourniture illégale de main d’oeuvre à but lucratif est en conséquence constitué à l’encontre de la société Actions Langues qui a délibérément masqué son activité de fourniture de main d’oeuvre sous l’apparence du recours à une circulaire dérogatoire, à laquelle elle ne se conformait nullement en réalité, sachant pertinemment que les emplois proposés ne rentraient pas dans ce cadre ; que par ailleurs, il est établi par les pièces figurant en annexe 6 qui sont deux factures émanant de la SARL Butterfly et Papillon, adressées à l’hôtel des voyageurs à Erdeven, que la prestation de la prévenue était facturée à hauteur de 329 euros pour chaque stagiaire ; qu’il était ainsi facturé un suivi pédagogique, lequel était totalement inexistant : en réalité ce n’est pas le suivi pédagogique qui était ainsi rémunéré, mais la prestation de la SARL Butterfly et Papillon qui a mis en relation M. Z... et les deux stagiaires étudiantes de nationalité roumaine et polonaise ; que M. Z... s’est bien rendu coupable de travail dissimulé par dissimulation de salarié ; qu’en ce qui le concerne, cette décision est définitive car le pourvoi qu’il a formé contre l’arrêt de la cour de Rennes a été rejeté ; que l’opération, pour être sanctionnée, doit être un prêt exclusif de main-d’oeuvre ; qu’elle est illicite dans la mesure où l’entreprise fournisseur de la main-d’oeuvre n’a pas le statut d’entreprise de travail temporaire ; qu’une opération à but exclusivement lucratif est ensuite nécessaire ; qu’il faut qu’un bénéfice ou profit existe ; que le but lucratif est ainsi caractérisé par l’absence de paiement des charges sociales et fiscales par l’entreprise utilisatrice, employeur de fait des salariés prêtés ; qu’en l’espèce, l’ensemble de ces conditions est réuni, il y a donc prêt illicite de main-d’oeuvre ; qu’en outre pour caractériser l’infraction de marchandage, reprochée à la personne morale prévenue, il faut au surplus qu’il y ait un préjudice causé au salarié qu’elle concerne ; que d’après les calculs de l’inspection du travail, si ces deux jeunes femmes avaient été salariées, elles auraient perçu des sommes supérieures à leur maigre indemnité de stage ; qu’il y a bien un préjudice matériel, tandis que la précarité du statut qui leur a été imposé a engendré un préjudice moral ; que l’infraction de marchandage est donc constituée ;

”1°- alors que la société Actions Langues a été prévenue d’avoir effectué une opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre, ou de marchandage et non de s’être livrée à un prêt de main-d’oeuvre à but lucratif que seules peuvent pratiquer les entreprises de travail temporaire ; qu’en se fondant sur la circonstance que la société Actions Langues n’avait pas le statut d’entreprise de travail temporaire et en déduire qu’ « il y a donc prêt illicite de main d’oeuvre », la cour d’appel a méconnu les termes de la prévention, a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;

”2°- alors que ne constitue pas une opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre interdite par l’article L. 125-1 du code du travail (devenu l’article L. 8231-1), la mise en relation d’un étudiant étranger, qui souhaite, en dehors de son cursus pédagogique, approfondir sa connaissance de la langue française en milieu professionnel avec une entreprise d’accueil, dès lors que cette opération réalisée par un organisme de formation dans le cadre d’un stage, entre dans son objet social et qu’aucune réglementation ne l’interdit ; qu’en décidant le contraire au motif inopérant que la société Actions Langues avait fait signer à Mlles X... et Y... des conventions de stage non conformes à une circulaire du Ministère de l’emploi et de la solidarité du 14 mai 2001 en ce que l’objectif du stage aurait été sans rapport avec leur formation et que les organismes de formation étrangers n’étaient pas partie à la convention, pour en déduire qu’elle aurait « délibérément masqué son activité de fourniture de main d’oeuvre sous l’apparence du recours à une circulaire dérogatoire » quand il est constant que cette société est un organisme de formation dédié à l’apprentissage linguistique et qu’à l’époque des faits, en 2004, il n’existait aucune réglementation interdisant à un étudiant de faire un stage en entreprise sans lien avec son parcours scolaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”3°- alors de plus qu’une circulaire n’a aucune force de loi ; qu’il s’ensuit que la circonstance que les conventions de stage n’auraient pas été conformes à la circulaire du Ministère de l’emploi et de la solidarité du 14 mai 2001 ou que les emplois proposés ne seraient pas entrés dans ce cadre, est insusceptible de caractériser une violation de la règle de droit et encore moins une infraction pénale ; que la cour a violé les dispositions susvisées ;

”4°- alors que la société Actions Langues a fait valoir que Mlles X... et Y..., toutes deux étudiantes, l’avaient contactée aux fins de leur fournir, pendant les vacances d’été un stage professionnel dans l’hôtellerie ou la restauration au bord de la mer, afin de leur permettre d’approfondir la langue française parlée ; qu’en se bornant à dire que les emplois proposés- l’un en cuisine, l’autre en salle de l’ « hôtel des voyageurs », situé en Bretagne au bord de la mer- n’entraient pas dans le régime dérogatoire au salariat organisé par la circulaire précitée, sans expliquer en quoi ces emplois proposés auraient constitué un détournement de l’objet du stage de la part de la société Actions Langues, quand bien même ont-ils été requalifiés en contrat de travail avec l’entreprise d’accueil, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

”5°- alors que le but lucratif constitutif du délit de marchandage suppose que le prévenu retire lui-même de l’opération de fourniture de main d’oeuvre qui lui est imputée, un bénéfice, un profit ou un gain pécuniaire ; qu’en se fondant sur le profit qu’en avait retiré M. Z..., gérant de l’hôtel des voyageurs en relevant que « le but lucratif est ainsi caractérisé par l’absence de paiement des charges sociales et fiscales par l’entreprise utilisatrice, employeur de fait des salariés prêtés », sans caractériser celui qu’en aurait retiré la société Actions Langues, prévenue du délit de marchandage, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”6°- alors que le but lucratif exige un véritable profit réalisé par l’entreprise prévenue d’avoir commis un délit de démarchage ; que le seul versement par l’hôtel des voyageurs, entreprise d’accueil des stagiaires, d’une somme de 329 euros pour chacune d’elles à la société Actions Langues, aux fins de couvrir les frais de dossier, de suivi pédagogique et du portfolio que cette dernière a engagés dans le cadre de l’organisation du stage ne caractérise pas le but lucratif du délit de marchandage dont elle est prévenue ; qu’en considérant que « cette somme était destinée à rémunérer la prestation de la société « Butterfly et Papillon » qui a mis en relation M. Z... et les deux stagiaires étudiantes de nationalité roumaine et polonaise », sans autrement caractériser le bénéfice, le profit ou le gain pécuniaire que la société Actions Langues en aurait retiré, la cour d’appel a encore violé les textes susvisés” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mmes X... et Y..., étudiantes étrangères, qui avaient, par l’intermédiaire de la société Actions langues, passé des conventions de stage avec la société dirigée par M. Z..., ont été employées dans le restaurant de celui-ci en qualité d’aide de cuisine et de commis de salle ; que M. Z... et la société Actions langues ont été poursuivis, le premier pour travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, la seconde pour marchandage ; que M. Z... a été définitivement condamné du chef susvisé ;

Attendu que, pour déclarer la société Actions langues coupable du délit poursuivi, l’arrêt énonce qu’il existait entre les deux étudiantes étrangères et M. Z... une véritable relation de travail caractérisée par un lien de subordination ; que les juges relèvent que la société Actions langues, qui a servi d’intermédiaire entre ces deux salariées et leur employeur, s’est livrée à une opération de fourniture de main d’oeuvre à but lucratif, sa prestation étant rémunérée sous le couvert d’un prétendu suivi pédagogique, totalement inexistant ; que les juges ajoutent que cette opération a eu pour effet de causer un préjudice aux salariées concernées, lesquelles n’ont perçu qu’une “maigre indemnité de stage” ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations et abstraction faite de motifs surabondants mais non déterminants relatifs à l’objet exclusif d’une opération de prêt de main d’oeuvre, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que la société Actions langues devra payer à l’Union départementale CFDT du Morbihan en application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Finidori conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel d’Angers , du 9 juin 2011