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Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 17 juin 2003

N° de pourvoi : 02-84224

Non publié au bulletin

Rejet Irrecevabilité

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-sept juin deux mille trois, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller MAZARS, les observations de Me CHOUCROY, de Me de NERVO, et de Me DELVOLVE, avocats en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur les pourvois formés par :

"-" X... Christian ,

"-" Y... Thierry, partie civile,

contre l’arrêt de la cour d’appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 7 mai 2002, qui, pour travail dissimulé, a condamné le premier à 20 000 euros d’amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur la recevabilité du pourvoi formé par Thierry Y... :

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que les débats ont eu lieu, en présence de M° Nakache et M° Catala, avocats de Thierry Y..., à l’audience du 20 mars 2002, à l’issue de laquelle le président a déclaré que l’affaire était mise en délibéré au 30 avril 2002 ; qu’à cette date le délibéré a été prorogé au 7 mai 2002 ; que l’arrêt a été effectivement rendu à l’audience ainsi fixée ;

Qu’en cet état, le pourvoi formé le 21 mai 2002, plus de cinq jours francs après le prononcé de l’arrêt, est irrecevable comme tardif en application de l’article 568 du Code de procédure pénale ;

II - Sur le pourvoi formé par Christian X... :

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-2 et suivants du Code pénal, L. 324-9, L. 324-10, L. 362-3 et L. 362-4 du Code du travail, des articles 94 et 96 du Code de commerce, 15 et suivants de la loi du 6 février 1998 dite “Loi Gayssot”, des décrets du 30 août 1999 et du 19 juillet 001, des articles 1108 et 1134 du Code civil, de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Christian X... coupable de travail dissimulé par emploi de salariés sans procéder aux déclarations fiscales et sociales exigées par la loi sous la fausse qualité de travailleurs indépendants immatriculés au registre du commerce ;

”aux motifs que le respect des dispositions du décret du 19 juillet 2001 n’est pas exclusif de l’existence de l’infraction poursuivie ;

”sur les appels d’offres et les prix imposés :

”que la société Extand verse au dossier un modèle d’appel d’offre qui ne comporte aucun renseignement pratique sur une prestation offerte et ne peut justifier la réalité de la pratique qu’elle invoque ; qu’a contrario il résulte des pièces de la procédure que plusieurs sous-traitants, soit ont signé l’appel d’offre en même temps que le contrat de sous- traitance, soit n’ont pas répondu à un appel d’offre, le prix de leurs prestations étant fixé par Extand ; que ces sous-traitants n’ont donc pas eu la faculté de négocier librement la rémunération de leur travail ;

”sur l’exclusivité :

”que parmi ces sous-traitants certains n’avaient qu’une liberté illusoire de prendre des ordres d’autres commissionnaires en raison de leurs horaires extensifs alors que d’autres ont pu diversifier leurs activités ;

”sur l’organisation du travail :

”qu’au-delà des contraintes imposées par Extand à ses sous- traitants qui ne caractérisent pas une subordination tels que les horaires de livraison, le suivi des colis et des plis par un lecteur optique, l’invitation qui leur était faite de promouvoir “l’image” de la société Extand de la demande de cette dernière de choisir les véhicules utilisés, il y a lieu d’étudier d’autres pratiques imposées par Extand dans les conditions matérielles d’exécution du travail que dénoncent les sous-traitants ; que ceux-ci étaient tenus d’arriver dans les locaux du donneur d’ordres à 6 heures 45, tout retard étant sérieusement pénalisé, que des consignes minutieuses et strictes étaient appliquées pour les ramassages et les livraisons ainsi que pour la présentation de leurs factures à la société Extand ; qu’Extand imposait à ses sous-traitants des livraisons supplémentaires sans augmentation de rémunération ou avec une rémunération réduite, ainsi que de coller gratuitement des affiches pour l’équipe sportive qu’elle soutenait et d’être joignables pendant les tournées ainsi que les activités de chargement ou des activités de quai et de manutention qui ne pouvaient être faites que par ses salariés ou par une entreprise de sous-traitance de manutention ; que la domination d’Extand dans l’activité de ses sous-traitants résulte de l’obligation faite à deux d’entre eux de licencier leurs salariés, M. Z... ayant même convoqué un employé de Mme A... pour lui signifier son licenciement ; que l’ensemble de ces directives, de ces contrôles effectifs à tous les niveaux de la prestation sous-traitée et de ces sanc-tions témoignent de l’intrusion d’Extand dans l’entreprise de ses sous-traitants, privés d’indépendance et dont l’activité propre ne

pouvait se développer que dans le cadre du service strictement organisé par le donneur d’ordres ; qu’il apparaît, outre les éléments matériels, une volonté parfaitement affirmé d’Extand d’aboutir à la “maîtrise de l’organisation totale du transport”, d’en faire une véritable stratégie d’entreprise avec pour objectif certes d’améliorer la qualité des prestations, mais aussi ses coûts très allégés (cotisations sociales, taxes professionnelles...) et de se libérer de la charge de contrôler l’application de la réglementation en matière de transport ;qu’il convient de requalifier les contrats de sous-traitance conclus entre la société Extand et 10 entreprises en contrats de travail pour lesquels l’infraction de travail dissimulé était constituée ; que ces infractions sont imputables à la société Extand le donneur d’ordres et bénéficiaire direct des prestations ; que Christian X... conteste sa culpabilité ; que le recours à la sous-traitance et surtout l’organisation matérielle par Extand des services des sous-traités ressortent d’une véritable stratégie d’entreprise ; que Christian X... qui est le président du directoire de la SA ne peut soutenir qu’il n’a pas d’autre mission que celle d’appliquer les directives de l’actionnariat, le directoire étant investi des pouvoirs les plus étendus pour la direction et la gestion de la société ; que Christian X... ne justifie d’aucune décision d’assemblée générale imposant la mise en place de toutes les contraintes relevées ci-dessus appliquées aux sous-traitants ; que le président du directoire est responsable pénalement en qualité de coauteur de la violation directe de la législation sociale qui est la conséquence de cette politique ; que Christian X... invoque une délégation de pouvoir qui est bien réelle et valablement mise en relief devant la Cour, mais que ce moyen n’est pas pertinent ; que les relations de subordination imposées aux prétendus sous-traitants par les directives, les contrôles, les sanctions relevés ci-dessus ressortent de la politique même du directoire, de ses choix de “stratégie” qui ne peuvent être délégués à un préposé, que d’ailleurs de nombreuses lettres circulaires s’adressent à tous les sous-traitants, elles généralisent les pratiques critiquées et ne sont pas limitées à la direction régionale de Toulouse pour laquelle M. Z... a reçu délégation, qu’enfin l’examen de la lettre de délégation d’octobre 1994 permet de comprendre que celle-ci concerne essentiellement la situation des travailleurs à qui le statut de salariés est reconnu ;

”alors que, d’une part, le commissionnaire de transport qui, conformément aux articles 94 et 96 du Code de commerce comme à la loi du 6 février 1998 dite “Loi Gayssot”, organise et fait exécuter par des sous- traitants et en son nom propre, des transports de marchandises pour le compte de ses commettants en concluant des contrats de sous-traitance avec des entreprises de transport régulièrement inscrites au registre du commerce, ne peut ainsi commettre le délit de travail dissimulé sous prétexte qu’il n’avait pas toujours respecté la procédure d’appel d’offres qu’il avait prévue lors de la conclusion des contrats de sous-traitance, ces conventions de droit privé n’étant pas soumises à une telle procédure mais seulement au principe du libre consentement des parties posé par les article 1108 et suivants du Code civil, principe dont l’observation en l’espèce résulte des constatations de l’arrêt selon lesquelles ces contrats différaient sensiblement entre eux quant aux obligations souscrites par les sous-traitants qui n’étaient pas tous soumis à une obligation d’exclusivité, et que ces contrats organisaient précisément et strictement le travail de sous-traitants, une telle organisation, conforme aux dispositions du décret du 19 juillet 2001 instituant un contrat type applicable aux transports pu- blics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, ne pouvant à elle seule impliquer aucun lien de subordination entre le commissionnaire de transport et ses sous-traitants dont il n’a jamais été prétendu par quiconque que les salariés n’étaient pas régulièrement déclarés aux organismes sociaux ; qu’en invoquant ces éléments et en déduisant l’intention délictueuse de l’entreprise commissionnaire de transport de son souci d’éluder le coût des cotisations sociales et de la taxe professionnelle pourtant nécessairement inclus dans le prix payé par ce commissionnaire à ses sous-traitants, la cour d’appel n’a pas caractérise la réunion des éléments constitutifs du délit de travail dissimulé tel qu’il est défini par les articles L. 324-9 et L. 324-10 du Code du travail ;

”alors que, d’autre part, le chef d’entreprise qui n’a pas personnellement pris part à l’infraction poursuivie doit être exonéré de toute responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ; qu’en l’espèce où Christian X... invoquait l’existence d’une telle délégation consentie par lui à son directeur régional ayant signé les contrats de sous-traitance au nom de la société et où la Cour a dû reconnaître formellement la réalité de cette délégation de pouvoir, les juges du fond ont violé l’article 121-4 du Code pénal en invoquant l’existence d’une stratégie d’entreprise dont ce prévenu avait la responsabilité, pour entrer en voie de condamnation à son encontre pour travail dissimulé” ;

Attendu que, pour déclarer Christian X..., président du directoire de la société Extand, coupable du délit prévu et réprimé par les articles L.324-9 et L.324-10 du Code du travail pour avoir eu recours à des salariés dissimulés, la cour d’appel, analysant les éléments soumis à son appréciation, relève que les sous-traitants n’avaient pas la possibilité de négocier librement la rémunération de leur travail, se voyaient imposer des horaires et des contraintes spécifiques et qu’ils étaient soumis à des directives et à des contrôles ; que la juridiction du second degré déduit de ses constatations que leur activité s’exerçait dans le cadre d’un lien de subordination et que les contrats de sous-traitance conclus en vue, notamment, d’alléger les coûts de cotisations sociales, devaient être requalifiés en contrats de travail, ;

Que, pour écarter l’argumentation de Christian X... qui faisait valoir qu’il avait délégué ses pouvoirs au directeur régional, signataire des contrats de sous-traitance, les juges du second degré retiennent que ces pratiques illicites généralisées procèdent d’un “choix de stratégie”, le recours à la sous-traitance, dans ces circonstances, n’étant pas limité à la direction régionale de Toulouse ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, la cour d’appel, qui, d’une part, a restitué aux conventions intervenues entre les parties leur véritable qualification et, d’autre part, a constaté la participation personnelle du chef d’entreprise à l’infraction, a caractérisé en tous ses éléments le délit de travail dissimulé dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

Par ces motifs,

I - Sur le pourvoi formé par Thierry Y... :

Le DECLARE IRRECEVABLE ;

II - Sur le pourvoi formé par Christian X... :

Le REJETTE ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Mazars conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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Décision attaquée : cour d’appel de Toulouse, chambre correctionnelle du 7 mai 2002

Titrages et résumés : (Sur le pourvoi de Th. CHARUE) CASSATION - Délai - Point de départ - Prévenu comparant ou représenté - Renvoi à date fixe pour le prononcé de la décision - Délibéré prorogé - Jour du prononcé de l’arrêt.

Textes appliqués :
* Code de procédure pénale 568