Confirmation de la condamnation de Ryanair pour travail dissimulé

Confirmation de la condamnation de Ryanair pour travail dissimulé et pour six autres infractions

Arrêt du 13 mai 2022 de la cour d’appel de Paris

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Présentation
.1. La cour d’appel de Paris, saisie après renvoi de la Cour de cassation, a confirmé le 13 mai 2022 la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 28 octobre 2014 qui avait condamné la compagnie aérienne de droit irlandais Ryanair, pour plusieurs infractions à la législation du travail, notamment pour travail dissimulé, en raison de son activité et de l’emploi de salariés sur l’aéroport de Marseille Marignane.

La cour d’appel d’Aix en Provence avait condamné Ryanair pour :
.- travail dissimulé par dissimulation d’activité et par dissimulation d’emploi salarié,
.- entrave à la constitution et au fonctionnement du comité d’entreprise, entrave à la désignation des délégués du personnel, entrave au droit syndical et entrave au fonctionnement du CHSCT,
.- prêt illicite de main d’œuvre,
.- exercice illégal d’un emploi d’un personnel navigant professionnel de l’aviation civile.

La cour d’appel avait accordé des dommages et intérêts aux treize parties civiles qui s’étaient constituées, et notamment l’Urssaf (4 500 00 euros), la CRPN (3 000 000 euros) et Pôle Emploi (493 045 euros).

.2. S’agissant de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité, la cour d’appel a jugé que l’activité stable et continue de Ryanair sur l’aéroport de Marseille Marignane était constitutive d’un établissement nécessitant une inscription au registre du commerce et des sociétés. S’agissant de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, la cour d’appel a jugé que Ryanair aurait dû procéder à la DPAE pour le personnel rattaché à cet établissement de fait et aurait dû verser les cotisations sociales aux organismes de protection sociale, nonobstant les certificats de détachement qui ne créent qu’une présomption simple d’affiliation à un régime de protection sociale d’un autre Etat et qui, en tout état de cause, ne peuvent faire échec à l’application du droit pénal et à la constatation d’une infraction.

.3. Saisie d’un pourvoi par Ryanair, la Cour de cassation a censuré le 18 septembre 2018 la décision de la cour d’appel, en se fondant sur les textes communautaires de coordination de sécurité sociale et sur les termes de l’arrêt Altun du 6 février 2018 de la CJUE. La Cour de cassation a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié si l’institution irlandaise de sécurité sociale avait été saisie par la sécurité sociale française d’une demande de réexamen du bien fondé de la délivrance des certificats de détachement en vue de leur retrait ou invalidation et si l’institution irlandaise avait procédé à ce réexamen et avait répondu dans un délai raisonnable.
L’affaire avait été renvoyée devant la cour d’appel de Paris.

.4. La cour d’appel de Paris, saisie de tous les termes de la prévention, a partagé l’analyse de la cour d’appel d’Aix-en -Provence et a confirmé l’existence de toutes les infractions sanctionnées par cette juridiction. Elle a confirmé la nature des peines et leur quantum. Elle a reçu les différentes constitutions de partie civile à qui elle a accordé sensiblement les mêmes montants de dommages et intérêts, d’un montant total de 8 673 115 euros.

Répondant plus particulièrement au motif de la cassation, la cour d’appel constate qu’une demande de retrait des certificats de détachement détenus par les 127 salariés de Ryanair affectés à Marseille Marignane a été adressée promptement par l’Urssaf à l’institution irlandaise de sécurité sociale, mais que celle-ci n’a pas répondu dans un délai raisonnable de six mois. L’institution n’a répondu que pour huit salariés et dans des termes très vague s’apparentant à un défaut de réponse. La cour note que l’institution irlandaise n’a pas répondu aux informations précises détaillés par l’Urssaf dans sa demande de retrait.
Ensuite la cour considère que la fraude à l’obtention et l’utilisation par Ryanair de ces certificats de détachement sur le sol français est avérée, dans son élément objectif et dans son élément subjectif.

Par cette motivation, la cour d’appel répond également aux exigences de la CJUE sur la conformité de la mise en œuvre de la demande de retrait des certificats de détachement et de la preuve de l’existence d’une fraude commise par Ryanair.

.5. Prenant acte de la réunion de ces trois éléments - engagement promptement de la procédure de demande de retrait, absence de réponse de l’institution irlandaise de sécurité sociale dans un délai raisonnable, existence d’une fraude à l’utilisation des certificats de détachement - la cour d’appel écarte ces formulaires, ce qui impliquait l’obligation pour Ryanair de payer les cotisations sociales en France.
A défaut, Ryanair commettait le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié par défaut de déclarations sociales, ajouté au défaut de DPAE puisque les salariés travaillaient pour le compte d’un établissement de fait de Ryanair sur le territoire français.

La cour d’appel de Paris souligne à plusieurs reprises la turpitude de Ryanair et son intention délibérée de se soustraire à la législation sociale française.

La décision du 13 mai 2022 de la cour d’appel n’est pas définitive ; elle fait l’objet d’un second pourvoi en cassation.

Commentaire
.1. La cour d’appel de Paris confirme que Ryanair exerçait son activité économique et employait du personnel sur l’aéroport Marseille Marignane en violation de la législation sociale française. A titre principal, en pratiquant du travail dissimulé, mais aussi en s’affranchissant de nombreuses autres normes sociales, dont celles relatives à la représentation du personnel. Il est remarquable que les poursuites engagées aient couvert à bon escient un périmètre plus large que le travail dissimulé, permettant de mieux appréhender l’ampleur de la fraude sociale générée par les pratiques de cette compagnie aérienne.
On notera également que Ryanair faisait travailler à bord de ses avions en majorité du personnel loué à des entreprises tierces, mais qu’il présentait comme ses propres salariés, ce qui constituait du prêt illicite de main d’œuvre.
L’ensemble de cette fraude, sous ses différentes composantes, illustre le modèle low cost social mis en place par Ryanair pour faire voler ses avions à moindre frais et pratiquer des tarifs très attractifs.

.2. L’arrêt de la cour d’appel de Paris est sans doute l’une des premières décisions rendues après cassation pour non-conformité à la jurisprudence communautaire sur l’opposabilité du certificat de détachement (A-Rosa, Altun et Vueling), en constatant que le mode d’emploi décrit par cette jurisprudence a été respecté et que les certificats de détachement n’étaient pas opposables en raison d’une fraude commise par l’employeur.
La cour d’appel note, d’une part que l’Urssaf a demandè promptement, c’est à dire dès le mois de décembre 2010, le retrait des certificats de détachement litigieux et d’autre part que l’institution de sécurité sociale irlandaise n’a pas répondu, sauf pour huit salariés sur cent vingt sept, dans un délai raisonnable, c’est à dire dans les six mois, à la demande de l’Urssaf.
A cet égard, les juges ont décidé que le délai raisonnable mentionné par la CJUE est le délai de deux fois trois mois prévu par les textes communautaires dont dispose l’institution émettrice du certificat de détachement pour examiner une demande de retrait ou d’invalidation d’un certificat de détachement.

On ne manquera de rappeler que la Cour de cassation a censuré le 18 septembre 2018 une décision de cour d’appel du 28 octobre 2014 pour ne pas avoir respecté une norme communautaire fixée par la CJUE en…avril 2017 (A-Rosa) et en février 2018 (Altun), donnant un effet rétroactif indéniable à une règle de droit non prévisible qui n’existait pas le 28 octobre 2014.
Il est heureux que dans cette affaire, eu égard au montant des cotisations sociales éludées, que toutes les conditions posées par la CJUE pour écarter les certificats de détachement, aient été réunies par anticipation.

.3. A l’occasion du second pourvoi en cassation, il est à espérer que de nouveaux arguments juridiques, favorisés par une jurisprudence communautaire trop imprécise, et donc susceptible de différentes lectures, ne viennent censurer la décision de la cour d’appel du 13 mai 2022 ou provoquer une nouvelle question préjudicielle posée à la CJUE. On notera dès à présent avec satisfaction que la Cour de cassation, dans une décision du 17 mai 2022, vient de limiter les effets de l’opposabilité du certificat de détachement lorsque celui-ci est un faux matériel ; dans cette situation, la Cour de cassation juge que la procédure de demande de retrait ou d’invalidation exigée par la CJUE ne s’applique pas.