Enfants influenceurs mis en scène sur internet

Enfants influenceurs : publication de la loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne.

Loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020

Voir la loi

Voir également le décret du 28 avril 2022

Présentation

La loi du 19 octobre 2020 se fixe pour objectif de donner un cadre aux conditions dans lesquelles des vidéo mettant en scène des enfants de moins de 16 ans sont diffusées, mises en ligne sur internet, exploitées, commercialisées et conservées. Elle traite à la fois de vidéos dont le contenu relève de la législation du travail relative à l’emploi des enfants dans le mannequinat ou dans le spectacle enregistré et de toutes les autres vidéos dont le contenu relève d’une activité purement familiale, ludique ou de loisirs.

L’article 1er de la loi modifie plusieurs articles du code du travail relatifs aux entreprises ou aux activités relevant des secteurs du spectacle, des professions ambulantes, de la publicité ou de la mode et qui ne peuvent engager ou produire des enfants de moins de 16 ans qu’après avoir obtenu une autorisation individuelle d’emploi préfectorale ou un agrément préfectoral.
A titre principal, l’article 1er de la loi ajoute et fait mentionner explicitement dans l’article L.7124-1 du code du travail :
.- d’une part, les enfants engagés ou produits en vue d’une diffusion sur un service de média audiovisuel à la demande,
.-d’autre part, les enfants dont l’image est diffusée à titre lucratif sur des plateformes de partage de vidéos et dont l’activité relève, au plan juridique, d’une relation de travail. Dans ce cas, la demande d’autorisation individuelle ou d’agrément est formulée par l’employeur de l’enfant.
L’employeur de l’enfant sera, selon le contenu de la vidéo, soit un producteur de spectacles enregistrés, soit une agence de mannequins, soit toute autre personne morale ou physique.
La décision administrative délivrée, autorisation individuelle d’emploi ou agrément, est accompagnée d’informations sur les conditions d’exploitation des vidéos et sur les droits de l’enfant.

L’article 2 de la loi n’est pas codifié dans le code du travail, mais inséré dans la loi n° 2004 -575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’industrie du numérique. Il permet à l’autorité administrative, lorsqu’elle constate qu’une vidéo a été diffusée sans autorisation individuelle ou sans agrément préalables ou sans déclaration préalable (voir infra), de saisir le juge judiciaire statuant en matière de référé, afin que celui-ci ordonne toute mesure propre à faire cesser un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, notamment en enjoignant à la plateforme en cause de supprimer la vidéo incriminée ou à un moteur de recherche de la déférencer.

L’article 3 de la loi n’est codifié ni dans le code du travail, ni dans la loi du 21 juin 2004. Il encadre les pratiques de partage de vidéos mettant en scène des mineurs dont la prestation ne relève pas de la législation du travail, c’est-à-dire de l’article L.7124-1 modifié par la présente loi. Il s’agit donc d’une catégorie de mineurs à laquelle ne s’appliquent pas les présomptions de salariat de l’artiste et du mannequin, parce que leur prestation ne correspond pas à celle d’un artiste ou d’un mannequin au sens du code du travail et de la jurisprudence.
L’article 3 soumet à déclaration préalable par ses représentants légaux auprès de l’administration compétente la diffusion de l’image d’un enfant relevant de cette catégorie, sur un service de plateforme de partage de vidéos, lorsque l’enfant en est le sujet principal, mais à condition que :
.- soit lorsque la durée cumulée ou le nombre de ces contenus excède, sur une période de temps donné, un seuil fixé par décret,
.- soit lorsque la diffusion de ces contenus occasionne au profit de la personne responsable de la réalisation, de la production ou de la diffusion de ceux-ci des revenus directs ou indirects supérieurs à un seuil fixé par décret. Ces revenus sont reversés à la Caisse des dépôts et consignations et gérés par celle-ci jusqu’à la majorité de l’enfant ou son émancipation.

L’article 3 précise également que tout annonceur qui effectue un placement de produit dans un programme audiovisuel diffusé sur une plateforme de partage de vidéos dont le sujet principal est un enfant de moins de seize ans est tenu de vérifier auprès de la personne responsable de la diffusion si celle-ci déclare être soumise à l’obligation déclarative préalable. En pareil cas, l’annonceur verse la somme due en contrepartie du placement de produit à la Caisse des dépôts et consignations, qui est chargée de la gérer jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à la date de son émancipation.
Le non-respect par l’annonceur de l’obligation de versement la Caisse des dépôts et consignations est puni de 3 750 € d’amende.

L’article 4 de la loi n’est codifié ni dans le code du travail, ni dans la loi du 21 juin 2004. Il prévoit la possibilité pour les plateformes d’adopter des chartes visant à améliorer la lutte contre l’exploitation commerciale illégale de l’image des enfants de moins de 16 ans par les services de plateforme.

L’article 5 de la loi est codifié dans la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Il prévoit que Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) promeut l’adoption des chartes et dresse un bilan périodique de l’application et de l’effectivité de ces chartes.

L’article 6 de la loi n’est codifié ni dans le code du travail, ni dans la loi du 21 juin 2004, ni dans la loi du 30 septembre 1986. Il prévoit le droit personnel à l’effacement par les mineurs dont l’image est diffusée sur une plateforme de partage de vidéos, sans avoir à requérir le consentement des titulaires de l’autorité parentale.

L’article 7 de la loi prévoit que le gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois, un rapport évaluant le renforcement de la protection des mineurs depuis la mise en place du RGPD.

L’article 8 de la loi précise que la loi entre en vigueur six mois après sa publication, soit le 21 avril 2021.

Commentaire

.1. Quatre remarques préalables :
.- la loi du 19 octobre 2020 sera difficilement lisible et compréhensible, et donc appliquée, dès lors que ses dispositions sont ventilées dans cinq instruments juridiques différents : le code du travail et quatre lois non codifiées.

.- elle ne modifie pas, et cette précision est fondamentale, la définition de l’artiste du spectacle enregistré et celle du mannequin, telles qu’elles résultent, d’une part des articles L.7121-2 et suivants du code du travail et de l‘article L.7123-2 du code du travail, et d’autre part de la jurisprudence judiciaire ou administrative.

.- elle ne remet pas en cause les présomptions de salariat de l’artiste et du mannequin indiquées aux articles L.7121-3 et L.7123-3 du code du travail.

.- elle ne modifie pas non plus les conditions de reconnaissance de la qualité de producteur de spectacles vivants ou enregistrés mentionnée à l’article L.7122-2 du code du travail, ni celle d’agence de mannequins mentionnée à l’article L.7123-11 et suivants du code du travail.

Ce rappel est important car beaucoup de vidéos visées par la loi du 19 octobre 2020 postées sur internet mettent en scène des enfants qui entrent objectivement dans la définition de l’artiste du spectacle enregistré ou dans la définition du mannequin.

.2. Dès lors, deux conséquences :
.- la première, qui n’est pas nouvelle au regard des dispositions précitées du code du travail, est que celui qui relève de l’article 1er de la loi du 19 octobre 2020 est un employeur (qui s’ignorait peut être), qui reste aussi tenu par le respect de toutes les obligations sociales relatives à l’emploi d’un artiste ou d’un mannequin. A ce titre, il est tenu d’effectuer la DPAE, de remettre un bulletin de paie et de verser les cotisations et contributions sociales aux organismes de protection sociale. A défaut, il commet le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.

.- la seconde est que la loi du 19 octobre 2020 doit être lue et appliquée au regard de ces dispositions du code du travail qu’elle ne modifie pas et dont elle ne constitue pas une dérogation. La loi du 19 octobre 2020 ne créé donc pas un cadre juridique totalement nouveau et original destiné à réguler et à protéger les prestations de ces enfants, puisque le code du travail le prévoyait ; elle risque au contraire de générer des malentendus juridiques, notamment pour l’application de son article 1er et de son article 3.

.3. En effet, l’article 1er de la loi ajoute un 5° à l’article L.7124-1 du code du travail qui précise que l’employeur dont l’activité consiste à réaliser des enregistrements audiovisuels dont le sujet principal est un enfant de moins de seize ans, en vue d’une diffusion à titre lucratif sur un service de plateforme de partage de vidéos, est tenu de solliciter une autorisation individuelle ou un agrément.

Cette obligation fait double emploi avec celle déjà inscrite dans le code du travail pour l’emploi des mannequins mineurs qui relèvent du 1° de l’article L.7123-2 du code du travail, et qui vaut tant pour les agences de mannequins que les utilisateurs directs d’un mannequin. Mais, par ailleurs, ce 5° de l’article 1er tendrait à réduire la portée de l’obligation de l’autorisation individuelle d’emploi ou de l’agrément en la réservant à l’employeur qui diffuse ces vidéos à titre lucratif. Cette condition de contrepartie financière n’existait pas dans le code du travail, ni pour caractériser la qualité d’artiste ou de mannequin, ni pour caractériser la présomption de salariat qui leur est applicable, ni pour caractériser la qualité d’employeur, notamment lorsque celui-ci est un particulier ou une association.

Cette contradiction des textes pose un sérieux problème et est susceptible de remettre en cause le périmètre des présomptions de salariat de l’artiste et du mannequin.

De surcroît, il sera très difficile de caractériser, si cela est nécessaire au regard des autres dispositions du code du travail qui le prévoient pas, le titre lucratif de la diffusion, notamment pour les agents de contrôle et l’autorité administrative chargée de veiller au respect de la loi du 19 octobre 2020 et, le cas échéant, de saisir le juge judiciaire statuant en matière de référé, puisqu’ils ne disposent pas nécessairement des moyens d’investigation et d’enquête appropriés.
La mention du titre lucratif de la diffusion de la prestation de l’enfant pour relever du champ de la loi n’est pas compatible avec les autres dispositions du code du travail relatif à l’emploi des enfants artistes ou mannequins et réduit considérablement la portée et l’intérêt de ce nouveau texte juridiquement problématique.

.4. Par voie de conséquence, les agents de contrôle et l’autorité administrative vont sans doute éprouver de grandes difficultés, lorsque la vidéo postée mettra en scène un enfant qui se livre à une prestation artistique ou de mannequin, à faire appliquer cette loi, non seulement en raison de la contradiction des textes, mais en raison de la difficulté à rapporter la preuve du titre lucratif (une contrepartie financière suffit-elle ?), puisque la mise en œuvre de l’ajout du 5° dans l’article L.7124-1 du code du travail va susciter du contentieux.

De plus, l’article 3 de la loi, qui institue un régime déclaratif auprès de l’administration par les représentants légaux, crée deux sous catégories d’enfants dans la catégorie des enfants non soumis aux dispositions du code du travail, en fonction de la durée ou du nombre de vidéos diffusées ou en fonction des revenus procurés par la diffusion de ces vidéos.

Outre le fait que ces conditions seront très difficilement vérifiables par les agents de contrôle et l’administration, on fera remarquer que l’existence de ces revenus caractérise une diffusion à titre lucratif des vidéos et que l’enfant mis en scène dans ces vidéos relève en principe du 5° de l’article L.7124-1 du code du travail modifié lorsqu’il se livre à une prestation d’artiste ou de mannequin. Dès lors, la prestation de cet enfant devrait être soumise au régime de l’autorisation individuelle ou de l’agrément, et non pas au régime de la déclaration.

.5. Le IV de l’article 3 de la loi impose à l’annonceur qui effectue un placement de produit de procéder à des vérifications relatives à la gestion des revenus qui seraient tirés de la diffusion de la vidéo qu’il utilise.
Cette disposition de la loi n’est pas compatible avec les articles L.7124-9 et suivants du code du travail relatifs à la rémunération des artistes et mannequins mineurs, dès lors que la vidéo met en scène un enfant qui se livre à une prestation d’artiste ou de mannequin.
En effet, la rémunération de cet enfant est déjà règlementée par ces dispositions du code du travail, autrement formulées.
D’autre part, si l’annonceur utilise une vidéo mettant en scène un enfant qui effectue une prestation artistique ou de mannequin, fournie par une personne qui ne respecte pas la présomption de salariat, il est susceptible d’être mis en cause pour recours à du travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.
La loi ne prévoit pas de nouvelles prérogatives pour les agents de contrôle, et notamment pour l’inspection du travail concernée au premier chef, afin de leur faciliter la caractérisation du titre lucratif (par ailleurs surabondant), ou l’évaluation de l’activité ou des revenus de celui qui diffuse ces vidéos d’enfants mineurs.
La loi ne donne pas non plus de moyen particulier à l’autorité administrative compétente pour identifier un enfant publié sur internet, connaître son âge et constater qu’une plateforme diffuse une vidéo d’un enfant mineur sans s’être assurée que l’autorisation individuelle ou l’agrément existe ou que la déclaration préalable a été effectuée.

Il est à craindre que cette loi, pavée sans doute de bonnes intentions mais dispersée dans cinq instruments juridiques différents, n’atteigne pas ses objectifs ; il est à espérer, à tout le moins, que cette loi ne vienne pas réduire les effets des présomptions de salariat de l’artiste ou du mannequin et susciter des débats sans fin sur l’identité de l’employeur de ces enfants mineurs artistes ou mannequins mis en scène sur internet.