La relaxe d’un donneur d’ordre n’interdit pas une condamnation à verser des dommages et intérêts à l’Urssaf

Un organisme de recouvrement est recevable à obtenir des dommages et intérêts d’un donneur d’ordre qui a bénéficié d’une décision de relaxe pour recours à du travail dissimulé

Arrêt de la Cour de cassation n° 18-86992 du 7 janvier 2020

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Présentation
La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 7 janvier 2020 un arrêt confirmant une condamnation d’un donneur d’ordre, relaxé pour recours à du travail dissimulé, à verser à l’Urssaf des dommages et intérêts résultant du préjudice subi par cet organisme du fait du non versement des cotisations sociales par son sous-traitant condamné pour travail dissimulé.

.1 Dans cette affaire, le tribunal correctionnel avait condamné le sous-traitant pour dissimulation d’emploi salarié, mais avait relaxé son donneur d’ordre au motif que le recours à ce sous-traitant qui pratiquait du travail dissimulé n’était pas intentionnel.
L’Urssaf s’était constituée partie civile, non à l’encontre du sous-traitant, mais à l’encontre du donneur d’ordre à qui elle reprochait de ne pas avoir procédé aux vérifications prévues par le code du travail au titre de la solidarité financière, ce qui constituait une faute en lien direct avec l’infraction de dissimulation d’emploi salarié commise par le sous-traitant. A ce titre, l’Urssaf réclamait des dommages et intérêts correspondant au montant des cotisations sociales éludées par le sous-traitant pour le temps de leur relation commerciale.
Le tribunal correctionnel avait rejeté la demande de l’Urssaf, tirant la conséquence de la relaxe du donneur d’ordre.

.2 L’Urssaf avait fait appel de ces dispositions civiles du jugement de tribunal correctionnel, la déboutant de sa demande. Dans ce cadre, la cour d’appel avait procédé à une autre analyse du dossier. Elle avait considéré que le donneur d’ordre avait commis une faute, dans les limites et à partir du délit de recours délibéré aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, caractérisée par le fait qu’il s’était abstenu sciemment de vérifier la régularité de la situation de l’entrepreneur dont il a utilisé les services.
La cour d’appel avait jugé que le donneur d’ordre aurait dû vérifier si son sous-traitant était à jour de ses déclarations sociales et du paiement de ses cotisations sociales et que cette vérification lui aurait permis de découvrir l’ampleur de la fraude commise par ce sous-traitant. La cour d’appel l’avait condamné à assumer les conséquences de cette absence de vérification, résultant d’une obligation légale, ce qui constitue une faute civile, et à payer à l’Urssaf des dommages et intérêts correspondant au montant des cotisations éludées par le sous-traitant, tel qu’il résultait du chiffrage du dossier.

.3 La chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi par le donneur d’ordre, valide l’analyse de la cour d’appel et confirme sa condamnation à verser, dans ce contexte, des dommages intérêts conséquents à l’Urssaf, équivalent au montant des cotisations éludées. La Cour de cassation considère que le défaut de vérification de la situation du sous-traitant, qui est une obligation légale, constitue en soi une faute de nature à engager la responsabilité du donneur d’ordre en réparation du préjudice financier subi par l’organisme de recouvrement.

Commentaire
.1 Dans une affaire de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié qui implique le non versement des cotisations et des contributions sociales, les organismes de recouvrement lésés et victimes (régime de base, retraite complémentaire et assurance chômage) disposent des voies suivantes pour faire valoir leurs droits :
. au civil, en utilisant la procédure de droit commun de recouvrement auprès de l’employeur défaillant, puis, si nécessaire, devant le Pôle social du tribunal judiciaire (ex tribunal des affaires de sécurité sociale TASS),
.- au civil, en utilisant la procédure de recouvrement fondée sur la solidarité financière auprès du donneur d’ordre qui recourt à cet employeur, puis, si nécessaire, devant le Pôle social du tribunal judiciaire,
.- au pénal, en se constituant partie civile et en réclamant à l’employeur, au titre du préjudice financier, soit des dommages et intérêts symboliques, soit des dommages intérêts correspondant au montant exact des cotisations et contributions sociales éludées
La Cour de cassation précise que l’organisme de recouvrement peut utiliser à la fois la voie civile et la constitution de partie civile, qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre (voir la décision).

.2 La décision du 7 janvier 2020 de la chambre criminelle de la Cour de cassation valide une nouvelle procédure permettant à l’organisme de recouvrement victime d’obtenir réparation de son préjudice financier, d’une part en se constituant partie civile à l’encontre du donneur d’ordre poursuivi pour recours à du travail dissimulé, d’autre part en accordant audit organisme les dommages intérêts demandés, alors même que le donneur d’ordre a bénéficié d’une relaxe, au motif qu’il n’a pas intentionnellement recouru au travail dissimulé.

.3 Pour accorder des dommages intérêts dans ce contexte à l’organisme de recouvrement, la cour d’appel et la Cour de cassation font la distinction entre la faute pénale du donneur d’ordre (l’élément intentionnel du recours) et sa faute civile qui cause un préjudice financier à l’organisme de recouvrement. Pour la cour d’appel et la Cour de cassation, l’absence de faute pénale n’empêche pas d’identifier une faute civile, de nature différente (voir une autre décision concernant la constitution de partie civile d’un prétendu travailleur indépendant à l’égard de son donneur d’ordre non requalifié et relaxé).
Dans le cas présent, l’exercice du juge pour reconnaître une faute civile du donneur d’ordre l’a obligé à prendre le contrepied de l’analyse pénale du dossier conduisant à une relaxe, puisqu’il est indiqué que le donneur d’ordre n’avait procédé aux vérifications mentionnées à l’article L.8222-1 du code du travail. Or, selon une jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation, l’élément intentionnel de l’infraction de recours résulte notamment du fait que le donneur d’ordre n’a pas procédé à ces vérifications (voir la jurisprudence).
Le tribunal correctionnel aurait donc dû entrer en voie de condamnation et ne pas relaxer ; cependant, telle a été sa décision, devenue définitive faute d’appel par le parquet sur cette relaxe. Le tribunal correctionnel a jugé, dans le cas d’espèce, que ce défaut de vérification n’était pas constitutif d’une faute pénale et d’un recours intentionnel.
Saisie uniquement d’un appel par l’organisme de recouvrement sur la partie civile de la décision du tribunal correctionnel qui l’avait débouté de sa constitution, la cour d’appel a jugé au contraire que le défaut de vérification de la situation du donneur d’ordre, qui résulte d’une obligation légale prévue par le code du travail, constitue une faute dommageable pour l’organisme de recouvrement. En effet, si le donneur d’ordre avait procédé à ces vérifications, il n’aurait pas pu obtenir de la part de son sous-traitant une attestation de compte à jour que l’Urssaf aurait refusé, ce qui l’aurait conduit à ne pas contracter avec lui pour ne pas contribuer à la dissimulation d’emploi salarié.

.4 La décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui se prononce pour la première fois sur une telle situation, ouvre de nouvelles perspectives aux organismes de recouvrement qui souhaitent obtenir réparation du préjudice financier résultant du travail dissimulé.
Elle considère que le défaut de vérification de la situation du sous-traitant caractérise un manquement à une obligation légale et, à ce titre, une faute. Celle-ci permet, dans un contentieux pénal, aux organismes de recouvrement de s’adresser, en réparation du préjudice subi, au donneur d’ordre défaillant, qui notamment ne s’est pas assuré que son sous-traitant s’acquittait bien de ses déclarations sociales et du paiement de ses cotisations et contributions, y compris lorsque le donneur d’ordre a bénéficié d’une décision de relaxe.

Cette voie supplémentaire de réparation du préjudice subi par les organismes de recouvrement est d’autant plus appréciable que le donneur d’ordre est, en règle générale, plus solvable que son sous-traitant.