Nouveau décret du 28 juillet 2020 relatif aux entreprises étrangères

Publication d’un nouveau décret et d’un arrêté du 28 juillet 2020 relatifs aux obligations sociales des entreprises étrangères qui détachent des salariés sur le territoire français

Décret n° 2020-916 du 28 juillet 2020 relatif aux travailleurs détachés et à lutte contre la concurrence déloyale

Arrêté du 28 juillet 2020 établissant la liste des informations mentionnées au IV de l’article L.1262-2-1 du code du travail

Voir le décret

Voir l’arrêté

Présentation
Le décret du 28 juillet 2020 est présenté comme assurant, avec l’ordonnance Travail du 20 février 2019 (voir la présentation et le commentaire), la transposition de la directive 2018/957 du 28 juin 2018 (voir la présentation et le commentaire), qui a modifié la directive 96/71 du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.

L’article 1er du décret comprend des dispositions de nature et d’importance différentes, mentionnées dans l’ordre du texte :
. – une reformulation de l’article D.1221-24-1 du code du travail qui prévoit désormais d’annexer au registre unique du personnel de l’entreprise française qui recourt à une entreprise étrangère, non plus une copie de la déclaration de détachement du salarié qu’elle détache , mais l’accusé de réception qui lui est délivré par l’application nationale SIPSI gérée par le ministère du travail.
.- une suppression rédactionnelle formelle de l’article R.1262-5 du code du travail,
.- une reformulation rédactionnelle de l’article R.1262-8 du code du travail qui définit les éléments à intégrer ou à exclure pour déterminer la rémunération du salarié détaché et s’assurer de sa conformité au 8° de l’article L.1262-4 du code du travail. Mais cette reformulation ne modifie pas l’état du droit antérieur, ni sur l’assiette de calcul de la rémunération, ni sur les frais de déplacement.
Le décret confirme que l’allocation différentielle versée par l’entreprise étrangère fait partie de l’assiette de calcul de la rémunération.

L’entreprise étrangère n’a toujours pas l’obligation, à l’identique d’une entreprise française, de prendre en charge les frais de déplacement, au réel ou au forfait, en avance ou en remboursement sur justificatif, sauf si la convention collective étendue le prévoit, puisque le code du travail est muet sur le sujet ; elle n’a pas l’obligation de transporter, de nourrir ou de loger le salarié détaché, sauf si la convention collective le prévoit, puisque le code du travail est également muet sur le sujet. Lorsque l’entreprise étrangère prend en charge, en espèces ou en nature, ou rembourse les frais de déplacement générés par le détachement du salarié, le décret confirme que leur montant ne peut être intégré dans l’assiette de calcul de la rémunération qui lui est due.

Le décret précise, par une formulation peu lisible, qu’en cas d’incapacité pour l’entreprise étrangère de justifier que les sommes versées en complément du salaire du pays d’origine constituent l’allocation différentielle, ces sommes litigieuses sont considérées comme des remboursements de dépense et exclues de l’assiette de calcul de la rémunération due, transposant ici une disposition à la rédaction plus explicite de la directive du 28 juin 2018.
.- une reformulation rédactionnelle de l’article R.1262-16 du code du travail relatif au droit du travail applicable au salarié intérimaire détaché ; cette reformulation ne modifie pas l’état du droit antérieur existant.
.- les informations complémentaires à mentionner dans l’application SIPSI, lorsque l’entreprise étrangère souhaite prolonger le détachement du salarié au-delà de douze mois. A cette occasion, l’article 1er II 4° du décret précise que droit du travail applicable au salarié détaché pendant la période de prolongation reste le noyau dur, sans ajouter de droits nouveaux et contrairement à ce qui est écrit dans l’ordonnance du 20 février 2020 et qui est codifié au 1er alinéa du II de l’article L.1262-4 du code du travail.

L’article 2 du décret comprend également des dispositions de nature et d’importance différentes, mentionnées dans l’ordre du texte :
.- plusieurs modifications rédactionnelles, sans incidence sur le droit du travail applicable,
.- des précisions sur le mode d’emploi de SIPSI par l’entreprise étrangère,
.- des modifications rédactionnelles relatives à la mise en œuvre de la procédure pour non respect du noyau dur de la législation du travail et pour la mise en œuvre de la suspension temporaire de la prestation de services,
. – la description de la procédure d’interdiction de prester en France en cas de non paiement d’une amende administrative ; la procédure et la notification d’interdiction de prester doivent être effectuées avant le début de l’intervention de l’entreprise étrangère sur le territoire français.
.- la transmission au maître d’ouvrage de l’accusé de réception de la déclaration de détachement effectuée par l’entreprise étrangère sous-traitante, et non plus la copie de celle-ci.

L’article 3 du décret procède à une modification rédactionnelle de l’article R.8115-5 du code du travail relatif à la mise en œuvre de l’amende administrative pour non respect de certaines obligations du code du travail par l’entreprise étrangère.

L’article 4 du décret apporte des précisions sur la gestion et la procédure applicable à la carte professionnelle dans le BTP.

L’article 5 du décret modifie le décret du 29 juillet 2016, lui-même modifié, relatif à l’application SIPSI utilisée pour procéder à la déclaration de détachement du salarié ; celle-ci doit désormais mentionner l’Etat de rattachement du salarié en matière de sécurité sociale. L’application SIPSI devient consultable par tous les agents de contrôle habilités en matière de travail illégal, par les agents du Cleiss et les agents de l’UCF-CI BTP pour la gestion de la carte d’identification professionnelle dans le BTP.

.- L’article 6 du décret mentionne que certaines de ses dispositions ne s’appliquent pas à l’entreprise étrangère de transport routier qui détache du personne roulant en France : notamment la nouvelle rédaction de l’article R.1262-8 du code du travail relatif aux frais de déplacement et celle de l’article R.1263-1 du code du travail relatif au justificatif du paiement de la rémunération.

L’arrêté du 28 juillet 2020 fixe la liste des informations qu’une entreprise utilisatrice étrangère fournit préalablement à une entreprise de travail temporaire étrangère lorsque cette entreprise utilisatrice intervient en France avec un salarié intérimaire mis à sa disposition par cette entreprise de travail temporaire ; ces informations doivent permettre à cette entreprise de travail temporaire de faire bénéficier ce salarié des dispositions sociales applicables en France

Commentaire
En publiant l’ordonnance Travail du 20 février 2019, le décret et l’arrêté du 28 juillet 2020, la France transpose dans le délai imparti, soit pour le 30 juillet 2020, la directive du 28 juin 2018 dont les objectifs sont d’améliorer les droits sociaux du salarié détaché, notamment par l’application du principe « A travail égal , salaire égal », et de mieux lutter contre le dumping social ou concurrence sociale déloyale.

.1) Comme il l’a été dit dans les précédents commentaires de la directive et de l’ordonnance, l’ensemble de ces instruments juridiques n’apporte aucune amélioration aux droits sociaux du salarié détaché en France, puisque ces droits sociaux lui sont reconnus depuis le décret du 11 juillet 1994 (voir le décret) , ce que la rédaction, par ellipse, de l’ordonnance et du décret reconnaît implicitement.
Le décret du 11 juillet 1994, pris en application de l’article 36 de la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, a créé pour la première fois, dans le contexte de l’affaire Rush Portuguesa (voir l’arrêt de la CJUE) , un cadre juridique spécifique définissant les obligations sociales des entreprises étrangères qui détachent des salariés sur le territoire français (voir l’article 36 de la loi).

Que disent les articles 1 et 2 du décret du 11 juillet 1994, codifiés à l’époque aux articles D.341-5 et D.341-5-1 du code du travail :

« Art. 1er. - Il est introduit dans le code du travail un article D.341-5 ainsi rédigé :
Art. D. 341-5. - Les dispositions des articles D.341-5-1 à D.341-5-14 sont applicables aux salariés détachés à titre temporaire sur le territoire national par une entreprise non établie en France pour y effectuer une prestation de services.
Sont considérées comme prestations de services, au sens des articles susmentionnés, les activités de caractère industriel, commercial, artisanal ou libéral exécutées dans le cadre d’un contrat d’entreprise, d’un contrat de mise à disposition au titre du travail temporaire ou de toute autre mise à disposition de salarié.

Art. 2. - Il est introduit dans le code du travail un article D.341-5-1 ainsi rédigé :
Art. D.341-5-1. - Les salariés visés à l’article D.341-5 du code du travail bénéficient des dispositions des conventions et accords collectifs étendus, applicables aux salariés employés par les entreprises établies en France exerçant une activité principale identique à la prestation de services effectuée.
Sont applicables dans les dispositions conventionnelles susvisées celles relatives à l’hygiène et à la sécurité, à la durée du travail, au travail du dimanche, au travail des femmes et des jeunes, au travail de nuit et aux congés payés, aux congés pour événements familiaux, aux jours fériés, aux classifications, à la rémunération y compris les primes et compléments de salaires, aux remboursements des frais de toute nature, à l’indemnisation des absences pour maladie ou accident.
Lorsque le bénéfice des avantages conventionnels est soumis à des conditions d’ancienneté, il convient de prendre en compte l’ancienneté du salarié dans l’entreprise prestataire à compter de la date de conclusion de son contrat de travail.  ».

.2) La lecture simple et directe de ces dispositions explicites, toujours applicables et jamais abrogées, même si elles ont été recodifiées dans la partie législative du code du travail, permet de constater que le salarié détaché bénéficie depuis 1994 :
.- des dispositions de la convention collective étendue,
.- de la rémunération, et non du seul salaire minimum, prévue par la convention collective étendue, c’est-à-dire le salaire conventionnel et tous les accessoires de salaire (primes, indemnités, avantages en nature) prévus par cette convention collective,
.- de la prise en charge de ses frais professionnels, lorsque la convention collective le prévoit et dans les conditions prévues par cette convention.
Il est même mentionné que le bénéfice de cette convention collective lui est applicable en tenant compte de son ancienneté dans l’entreprise qui le détache, ce qui vaut en particulier pour le versement d’une prime d’ancienneté.

Depuis 1994, et en application de ce décret, le salarié détaché, y compris le salarié détaché intérimaire, bénéficie de l’égalité de traitement avec le salarié travaillant habituellement en France pour le compte d’un employeur établi en France. Dès cette date, le principe « A travail égal, salaire égal » est effectif en France, vingt quatre ans avant la directive du 28 juin 2018.
L’article 3 de l’ordonnance du 20 février 2019 ne fait que reformuler, sans élargir son périmètre, l’article D.341-5-1 du code du travail, par une autre rédaction mentionnée au 8° et au 11° de l’article L.1262-4 du code du travail.
Il est donc erroné de considérer que l’ordonnance du 20 février 2019 et le décret du 28 juillet 2020 constituent une évolution majeure du dispositif juridique français, qui améliore sensiblement les droits sociaux du salarié détaché et la lutte contre le dumping social. Cette présentation en trompe-l’œil ne résiste pas à la lecture du code du travail tel qu’il est rédigé depuis 1994.

.3) En réalité, l’application des principes de l’égalité de traitement et de « A travail égal, salaire égal » a été décidée par les pouvoirs publics en France, à la suite de l’affaire Rush Portuguesa, au point II 1er paragraphe de la circulaire du 2 mai 1991 du ministre du travail de l’époque, Jean Pierre Soisson (voir la circulaire).
Cette circulaire, fruit d’un travail interministériel intense et précurseur, a été la référence politique et juridique et le fil conducteur de l’élaboration du décret du 11 juillet 1994. Il semble que tout ce travail interministériel et la construction originale et unique en Europe d’un droit social protecteur du salarié détaché, plus de deux ans avant la première directive sur le sujet, soient, en juillet 2020, méconnus, oubliés ou reniés.

.4) S’agissant des frais de déplacement, ni l’ordonnance du 20 février 2019, ni le décret du 28 juillet 2020, ne modifient les obligations de fond de l’entreprise étrangère, ou les droits du salarié détaché, contrairement aux annonces faites. Le régime juridique de ces frais de déplacement, et de ceux qui peuvent être considérés comme des éventuels avantages en nature, reste celui définit par le code du travail, la convention collective et la jurisprudence, à l’identique d’un salarié employé par une entreprise française.
Le décret, par la rédaction du dernier alinéa de l’article R.1262-8 du code du travail, mentionne expressément qu’il appartient à l’entreprise étrangère de justifier qu’elle a effectivement versé la rémunération due, ce qui n’est que la formalisation de la jurisprudence.

.5) Le salarié détaché en France plus de douze mois, dans le cadre de ce qui est désormais appelé un détachement de longue durée de dix huit mois, ne bénéficie pas de droits sociaux nouveaux, si on comprend la lecture a contrario du 1° du nouvel article R.1262-18-1 du code du travail, créé par le 4° de l’article 1er du décret. Preuve du périmètre très large du noyau dur de la législation du travail et des lois de police mentionnés dans le décret du 11 juillet 1994.
Par ailleurs, se pose aux termes des dix huit mois de détachement au sens de la législation du travail, l’articulation avec le détachement au sens de la législation de sécurité sociale qui est de vingt quatre mois.

.6) Le décret décrit la procédure qui permet à l’autorité administrative, c’est-à-dire au Direccte ou au Dieccte, d’interdire à une entreprise étrangère de venir prester en France lorsqu’elle n’a pas payé une amende administrative due à l’occasion d’une précédente intervention sur le territoire français.
Il s’agit d’une très bonne mesure, mais qui ne sera sans doute jamais opérationnelle. La décision de l’autorité administrative doit être en effet notifiée et reçue par l’entreprise étrangère dans son Etat de domiciliation avant le début de son intervention, ce qui techniquement est peu probable, compte tenu des délais postaux à l’étranger. Par ailleurs, le Trésor Public ne pourra sans doute pas certifier en temps utile à l’autorité administrative que l’entreprise étrangère a régularisé le paiement de l’amende administrative.
Le Direccte ou le Dieccte dispose cependant, en application de l’article L.1263-3 du code du travail, de la possibilité de suspendre, pour le même motif, une prestation de services en cours de réalisation, sur le fondement de cette autre disposition issue de l’article 96 de la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018.

.7) Sans surprise, la transposition par la France de la directive du 28 juin 2018 n’apporte pas d’amélioration aux droits sociaux du salarié détaché et à la lutte contre le dumping social. Le décret du 28 juillet 2020 comporte d’ailleurs une minorité de dispositions en relation avec la transposition et porte, à titre principal, sur d’autres sujets.

Pour obtenir le respect plus effectif des rémunérations dues au salarié détaché, et donc lutter plus efficacement contre le dumping social, il convient de :
.- correctionnaliser l’infraction de non respect de la rémunération minimale légale ou conventionnelle,
.- créer une responsabilité pénale du donneur d’ordre qui recourt à une entreprise étrangère qui ne respecte pas cette rémunération et qui, informé par un agent de contrôle de cette situation, continue de travailler avec celle-ci, qui persiste à ne pas régulariser le versement de cette rémunération.

A cette modification essentielle de la législation du travail, il faut ajouter une modification tout aussi cruciale des textes communautaires de coordination de sécurité sociale qui tarde à venir, afin de permettre au juge français d’apprécier le bien fondé du certificat de détachement présenté par l’entreprise étrangère pour ne pas verser les cotisations sociales.
Avec ces deux évolutions normatives majeures, la France serait vraiment dotée d’outils robustes pour faire respecter les droits sociaux du salarié détaché et mieux lutter contre le dumping social.