Nouvelles condamnations dans le dossier Terra Fecundis

Nouvelles condamnations lourdes et exemplaires dans l’affaire Terra Fecundis, entreprise de travail temporaire espagnole

Voir le jugement du 1er avril 2022 du tribunal judiciaire de Nîmes

Présentation

.1. Le tribunal judiciaire de Nîmes, statuant en matière correctionnelle, a condamné le 1er avril 2022 l’entreprise de travail temporaire de droit espagnol Terra Fecundis, et sept exploitants agricoles qui recouraient à ses services, pour des faits de travail illégal, non déclaration d’hébergement collectif et fourniture d’hébergement indigne.
Ces condamnations interviennent à la suite de celles prononcées le 8 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Marseille, pour des faits sensiblement identiques, mais commis dans le département des Bouches-du-Rhône.

.2. L’entreprise Terra Fecundis, devenue Work for All, était poursuivie pour fraude à l’établissement, c’est-à-dire pour travail dissimulé par dissimulation d’activité, en raison d’une activité stable, continue et habituelle sur le territoire français sans immatriculation au registre du commerce et des sociétés et pour travail dissimulé par défaut de déclarations fiscales et sociales en lien avec ce défaut de création d’un établissement en France.
L’entreprise Terra Fecundis était également poursuivie pour emploi de salariés étrangers sans titre de travail.

.3. Les exploitants agricoles (personnes physiques et personnes morales) étaient tous poursuivis pour recours à du travail dissimulé pratiqué par l’entreprise Terra Fecundis, pour emploi de salariés étrangers sans titre de travail et pour recours à un employeur de salariés étrangers démunis de titre de travail ; l’un d’entre eux était également poursuivi pour défaut de déclaration d’hébergement collectif et pour hébergement indigne des salariés qu’il employait.

.4. Huit organisations syndicales s’étaient constituées partie civile.
L’Urssaf Languedoc Roussillon, qui, à l’origine, s’était constituée partie civile, s’est désistée le 23 février 2022, dans un courrier non motivé adressé au président de tribunal judiciaire de Nîmes.

.5. Le tribunal judiciaire de Nîmes a retenu l’essentiel des termes de la prévention et est entré en voie de condamnation dans les conditions suivantes.
L’entreprise Terra Fecundis a été condamnée au maximum du quantum de l’amende pour travail dissimulé par dissimulation d’activité. Le tribunal a considéré que l’activité de l’entreprise Terra Fecundis sur le territoire français ne relevait pas de la prestation de services, en raison d’une part de son caractère stable, continu et habituel et d’autre part en raison de la réalisation de la majorité de son chiffre d’affaires en France, ce qui caractérisait l’existence d’un établissement et nécessitait, par suite, une inscription au registre du commerce et des société, avec les déclarations fiscales et sociales appropriées.
Le tribunal a également condamné l’entreprise Terra Fecundis pour emploi de salariés étrangers sans titre de travail puisque ces salariés, qui n’étaient pas des salariés détachés dispensés d’autorisation de travail en application de la jurisprudence communautaire, auraient dû posséder un titre de travail délivré par les autorités françaises.
Le tribunal judiciaire a ajouté deux peines complémentaires : l’interdiction définitive d’exercer l’activité d’entreprise de travail temporaire sur le territoire français et la publication de la décision sur le site Liste noire du ministère du travail.

.6. Les exploitants agricoles ont tous été condamnés pour recours intentionnel à une entreprise de travail temporaire qui pratique du travail dissimulé, considérant le taux horaire particulièrement bas de la facturation de la main-d’œuvre fournie par l’entreprise Terra Fecundis, nettement inférieur à celui pratiqué par les entreprises de travail temporaire françaises. Le tribunal a, en outre, retenu le manque de vigilance et de vérification des exploitants agricoles à l’égard de l’entreprise Terra Fecundis, et alors même que l’inspection du travail leur avait adressé un courrier pour leur rappeler leur obligation. Le tribunal leur reproche d’avoir délibérément recouru à l’aveugle à cette entreprise pour pouvoir satisfaire leur besoin en main d’œuvre.

Ils ont été également condamnés pour emploi de salariés étrangers sans titre de travail et pour recours à un employeur de salariés étrangers sans titre de travail.
Enfin, l’un d’entre eux a été condamné pour défaut de déclaration d’un hébergement collectif et pour hébergement indigne de salariés.

.7. Sept des huit parties civiles ont été jugées recevables et ont obtenues des dommages et intérêts.

La décision du tribunal judiciaire de Nîmes n’est pas définitive ; elle fait l’objet d’un appel.

Commentaire

.1. Ces condamnations sont principalement l’aboutissement et le résultat d’une action déterminée et justifiée d’un fonctionnaire de l’inspection du travail. Elles sont cohérentes avec celles prononcées le 8 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Marseille et sont tout aussi lourdes et exemplaires. Il est donc acté pour la seconde fois que l’entreprise Terra Fecundis exerce son activité de façon illégale sur le territoire français, en dévoyant le cadre de la prestation de services internationale et du détachement de salarié.

.2. Cependant, ces condamnations méritent de retenir davantage l’attention car c’est la première fois que des exploitants agricoles sont poursuivis et condamnés dans une telle affaire. Cette condamnation est conforme à la lettre et à l’esprit de la loi du 31 décembre 1991qui a renforcé les obligations de vigilance et de vérification du donneur d’ordre à l’égard de son cocontractant, assorties de sanctions pénales et civiles. Dans cette affaire, le tribunal rappelle que le donneur d’ordre ne peut pas jouer les « Ponce Pilate » et se désintéresser des conditions dans lesquelles son cocontractant effectue sa prestation pour son compte.
Depuis la loi du 31 décembre 1991, de très nombreux donneurs d’ordre ont été condamnés pour recours à des entreprises qui pratiquent du travail illégal ; mais pas dans une affaire de fraude à l’établissement et au détachement dans l’agriculture, et pas dans le dossier Terra Fecundis.

.3. Il est regrettable et peu compréhensible que l’Urssaf Languedoc Roussillon, qui s’était constituée partie civile, se soit désistée, sans explication, quelques jours avant l’audience, alors qu’elle s’est constituée partie civile dans le procès marseillais de l’entreprise Terra Fecundis portant sur la même fraude. En affichage, la désolidarisation de l’Urssaf de tous les autres acteurs publics et des autres parties civiles impliqués dans cette procédure est de plus mauvais effet, notamment par son manque de transparence. Il est à espérer que l’Urssaf n’a pas abandonné sa créance sociale de plusieurs millions d’euros à l’égard de l’entreprise Terra Fecundis, dont le recouvrement, justifié et fondé, est indispensable à l’efficacité de l’action publique.