Périmètre du recouvrement des cotisations sociales éludées – autorité de la chose jugée au pénal

La relaxe partielle d’un employeur mis en cause pour dissimulation d’emploi salarié par dissimulation d’heures de travail n’interdit pas à l’Urssaf de recouvrer les cotisations sociales pour la totalité la totalité des salariés visés par les constats et les poursuites

Arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n° 20-10725 du 18 mars 2021
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Présentation

.1. A l’occasion de plusieurs contrôles conjoints (inspection du travail, urssaf, police) dans un bar-restaurant et des constats effectués, des poursuites avaient été engagées devant le tribunal correctionnel contre l’entreprise pour travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, notamment par dissimulation d’heures de travail visant sept salariés.
La cour d’appel, statuant au pénal, avait reconnu la dissimulation d’heures de travail pour trois salariés et relaxés l’entreprise pour les quatre autres salariés.
De façon concomitante l’Urssaf avait engagé une procédure à l’encontre de l’entreprise, notamment pour paiement, par taxation d’office, de cotisations éludées et de majorations de retard. La procédure de l’Urssaf concernait les sept salariés, incluant les quatre pour lesquels la cour d’appel n’avait pas retenu la dissimulation d’heures de travail.
L’entreprise contestait cette démarche de l’Urssaf portant sur les sept salariés, invoquant la décision définitive de relaxe de la cour d’appel pour quatre des sept salariés, en application du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.
La même cour d’appel, mais statuant en matière civile, avait rejeté la demande de l’entreprise et avait validé le redressement considérant que l’arrêt de condamnation au pénal avait reconnu le principe du travail dissimulé qui n’était plus nié par l’employeur, mais pas ses conséquences sur la détermination de l’assiette de calcul des cotisations éventuellement dues.

.2. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation valide l’analyse de la cour d’appel et le redressement de l’Urssaf ; elle précise que les décisions pénales devenues irrévocables ont au civil l’autorité de la chose jugée en ce qui concerne la qualité du fait incriminé.
Elle constate que l’Urssaf a pu établir, au cours de son enquête (auditions, constat des heures et des jours d’ouverture, documents comptables…), la réalité des heures de travail accomplies et le nombre d’heures de travail dissimulées ; elle note que l’entreprise ne conteste plus le principe de la dissimulation d’heures, mais uniquement ses conséquences sur l’assiette de calcul des cotisations dues.
Le fait matériel de dissimulation d’heures de travail étant établi dans la procédure civile pour les sept salariés , le recouvrement de l’Urssaf est justifié sur ce périmètre et sur cette assiette.

Commentaire

.1. La décision du 18 mars 2021 de la Cour de cassation mérite de retenir l’attention car elle relativise, au bénéfice de la lutte contre le travail dissimulé, la portée et les conséquences du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, lorsque la décision pénale peut s’analyser en une relaxe de l’employeur pour une partie des faits qui lui sont reprochés.
La Cour de cassation précise que l’autorité de la chose jugée au pénal ne concerne que la qualité du fait incriminé. En l’espèce, la relaxe de l’employeur pour l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’heures de travail n’interdit pas à l’organisme de recouvrement de prouver cette dissimulation d’heures de travail (hors travail dissimulé) pour fonder sa demande de recouvrement de cotisations sociales (hors travail dissimulé).

.2. Cette décision relativise également la jurisprudence de la 2ème chambre civile et de la chambre sociale de la Cour de cassation existant sur ce sujet.
Dans deux arrêts antérieurs, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation avait en effet censuré des décisions de cours d’appel qui avaient validé le redressement d’Urssaf à l’encontre d’employeurs qui avaient été relaxés par le tribunal correctionnel pour dissimulation d’emploi salarié.
Dans la première affaire, jugée également le 18 mars 2021, la procédure engagée par l’Urssaf visait le recouvrement de cotisations sociales pour un salarié employé dans un commerce, alors que l’employeur avait été relaxé pour la dissimulation d’emploi de ce salarié au motif que le concours de cette personne relevait de l’entraide familiale.
La Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel reconnaissant la qualité de salarié de cette personne et validant le recouvrement de l’Urssaf. La Cour de cassation considère que la cour d’appel était tenue par la décision de relaxe du tribunal correctionnel et ne pouvait pas reconnaître la qualité de salarié et d’employeur dans cette relation d’activité.

Dans la seconde affaire du 12 mars 2020, et aux faits assez proches, la procédure engagée par l’Urssaf visait le recouvrement de cotisations sociales pour deux salariés, alors que l’employeur avait été relaxé pour la dissimulation d’emploi salarié pour l’une des deux personnes, considérée comme apportant son concours dans le cadre de l’entraide familiale dans un restaurant. La Cour de cassation a considéré que la procédure de recouvrement ne pouvait pas viser la seconde personne à l’égard de laquelle le responsable du restaurant avait été mis hors de cause pour son emploi dissimulé, n’ayant pas la qualité de salarié.

Dans une troisième affaire du 29 janvier 2002 jugée par la chambre sociale, une personne travaillant pour un artisan coiffeur contestait la déclaration d’incompétence du conseil de prud’hommes qu’elle avait saisi pour réclamer en qualité de salarié diverses sommes à cet artisan coiffeur. La cour d’appel avait confirmé la décision du conseil de prud’hommes, en se référant au jugement du tribunal correctionnel qui avait relaxé l’artisan coiffeur des poursuites engagées à son encontre pour travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié de cette personne. La cour d’appel ne niait pas l’existence de la relation de travail, mais au titre d’une relation de travail non salariée, relevant de la compétence de la formation commerciale du tribunal de grande instance.
La Cour de cassation valide la décision de la cour d’appel, en se référant au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal ; la décision de relaxe s’impose.

.3. Mais, à l’inverse, et selon la même logique, dans une décision du 9 décembre 2020, la chambre sociale rappelle que le juge prud’homal est tenu par une décision de condamnation d’un employeur pour dissimulation d’emploi salarié ; plus précisément, la Cour de cassation rappelle que selon le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal, les décisions de la juridiction pénale ont au civil l’autorité de la chose jugée à l’égard de tous et qu’il il n’est pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif.
Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation censure une décision de cour d’appel qui avait dénié la qualité de salarié à une personne travaillant occasionnellement dans un restaurant et l’avait déboutée de toutes ses demandes, malgré la condamnation du chef d’entreprise par le tribunal correctionnel pour travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.
La Cour de cassation mentionne que la cour d’appel était tenue par cette condamnation pénale et par les effets attachés à celle-ci.

.4. S’agissant de la dissimulation d’emploi salarié, la Cour de cassation fait donc la différence selon le motif de la relaxe de l’employeur : la relaxe fondée sur la qualité et le statut de non salarié d’une personne en activité et la relaxe fondée sur un autre motif qui ne remet pas en cause la qualité de salarié, tels que le défaut de DPAE, le défaut de remise de bulletin de paie, la dissimulation d’heures de travail ou le défaut de paiement de cotisations sociales
Dans le première situation, la relaxe a autorité de la chose jugée et est opposable parce que le fait incriminé a déjà été jugé en tant que tel ; dans la seconde situation, la relaxe prononcée n’interdit pas au salarié ou aux organismes de recouvrement victimes de faire valoir leurs droits sur le constat d’un manquement de l’employeur à ses obligations sociales, sans se référer à l’incrimination de travail dissimulé puisque, dans cette hypothèse, le fait litigieux est susceptible de différentes qualifications juridiques.