Plateforme de service ou de mise en relation en ligne et faux auto entrepreneur - portage et livraison à domicile

Le conseil de prud’hommes de Paris reconnaît l’existence d’un contrat de travail entre la société Deliveroo et un livreur de plats cuisinés à domicile exerçant pour son compte sous un statut d’auto entrepreneur

Décision du conseil de prud’hommes (juge départiteur) n ° RG F 19-07738 du 4 février 2020

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Présentation

.1 Un livreur à domicile de plats cuisinés exerçait, en utilisant un scooter, cette activité en qualité de travailleur indépendant, sous un statut d’auto entrepreneur, pour le compte de la société Deliveroo, plateforme numérique de mise en relation. Celle-ci avait mis fin à sa relation commerciale avec l’intéressé ; le livreur avait alors assigné la société Deliveroo devant le conseil de prud’hommes, en demandant la reconnaissance de sa qualité de salarié et la régularisation de nombreux droits sociaux liés à cette qualité, ainsi que le versement de l’indemnité forfaitaire équivalente à six mois de salaire, mentionnée à l’article L.8223-1 du code du travail, pour la dissimulation de son emploi salarié.

.2 Le conseil de prud’hommes de Paris (juge départiteur) fait droit à sa demande de requalification en salarié et lui accorde le versement de plusieurs sommes en régularisation de ses droits sociaux (heures supplémentaires, indemnité de congés de préavis, indemnité de congés payés...), ainsi que l’indemnité forfaitaire de l’article L.8223.1 du code du travail.
Pour asseoir la requalification, le conseil de prud‘hommes constate l’existence d’un système de géolocalisation obligatoire du livreur qui permet le suivi en temps réel de son activité et d’un mécanisme de sanction de Deliveroo à son égard, induisant un pouvoir de direction et de contrôle caractérisant l’existence d’un lien de subordination.
Le conseil de prud’hommes relève également que la société Deliveroo fixait seule les prix des courses du livreur et se réservait le droit de modifier unilatéralement ses zones géographiques de livraison.

Le jugement du conseil de prud’hommes est susceptible de faire l’objet d’un appel ; il n’est donc pas définitif.

Commentaire

.1 La décision du conseil de prud’hommes se situe dans la droite ligne de la jurisprudence Take Eat Easy de la chambre sociale de la Cour de cassation du 28 novembre 2018 (voir la décision et le commentaire) rendue dans une affaire quasi similaire relative à la nature des relations entre une plateforme numérique de mise en relation et un travailleur effectuant des livraisons de plats cuisinés.
Dans cette affaire, à l’occasion de laquelle la Cour de cassation était appelée à se prononcer pour la première fois sur ce sujet, celle-ci avait censuré une décision d’une cour d’appel qui n’avait pas reconnu la qualité de salarié au livreur à domicile d’une plateforme numérique de mise en relation.
La Cour de cassation avait considéré, au contraire, que l’existence d’un système de géolocalisation obligatoire du livreur, ainsi que la possibilité pour la plateforme numérique de lui infliger des sanctions, relevait d’un pouvoir de direction et de contrôle caractérisant l’existence d’un contrat de travail.

.2 Dans le cadre de cette requalification, le conseil de prud’hommes n’a pas cependant fait droit à la demande du travailleur d’obtenir la régularisation de ses cotisations sociales auprès du régime général, estimant que l’indemnité forfaitaire de l’article L.8223-1 du code du travail équivalente à six mois qui lui est accordée, est destinée à couvrir également ce préjudice social. Sur ce point, l’analyse du conseil de prud’hommes n’est pas en adéquation, ni avec la nature juridique de cette indemnité, et ses effets, ni avec la position de la chambre sociale de la Cour de cassation qui reconnaît au salarié le droit d’obtenir la régularisation du versement de ses cotisations sociales, ainsi que des dommages-intérêts spécifiques pour ce préjudice particulier (voir la décision).

.3 Bien que la décision du conseil de prud’hommes soit susceptible de faire l’objet d’un appel, elle vient s’ajouter, eu égard à son analyse, à d’autres décisions majoritairement requalifiantes en salariat des travailleurs des plateformes numériques, dont celle de la cour d’appel de Paris du 10 janvier 2019 relative à un travailleur, chauffeur VTC, pour le compte de la société Uber (voir la décision).

.4 La question se pose désormais de savoir si ces plateformes numériques vont faire évoluer leur modèle économique pour employer ces travailleurs sous un statut de salarié, au regard de cette jurisprudence plutôt convergente à ce jour et qui concernent de surcroît des "majors" du secteur, de la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2019 qui a censuré les dispositions de la loi LOM du 24 décembre 2019 interdisant la requalification judiciaire du statut du travailleur, en présence d’une charte sociale homologuée (voir la décision et le commentaire) et du sort réservé par la Cour de cassation à l’introduction dans le code du travail par la loi Madelin du 11 février 1994 du concept de lien de subordination juridique permanente (voir la première décision de la Cour de cassation).