Quelques réflexions sur le nouveau "concept" de travail détaché

Quelques réflexions sur le nouveau « concept » de travail détaché

.1. Depuis quelque temps, fleurit, comme un effet de mode, dans différents écrits, l’expression « travail détaché ».

Le ministère du travail vient même d’en faire l’intitulé d’une récente publication.

Sauf que le travail détaché est un concept juridique qui n’existe pas ; il s’agit d’une appellation familière, une facilité et une coquetterie de langage, mais totalement fantaisiste, sans aucune légitimité juridique. A l’instar de l’expression « travail au noir » ou « travail clandestin » pour évoquer le travail dissimulé.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire la « définition » toute personnelle, réductrice et grammaticalement scabreuse, qu’en donne le ministère du travail à la page 4 de de ce document.

Le ministère du travail définit le travail détaché comme le fait pour un employeur de faire travailler un salarié dans un autre pays autre que celui où il travaille habituellement en vue de fournir un service de manière temporaire.

D’une part, cette définition est réductrice, et donc erronée, de la notion de détachement ou de travailleur détaché parce qu’elle ne prend pas en compte deux catégories de détachement : ceux opérés au titre de la mobilité internationale intragroupe et ceux opérés dans le cadre d’une prestation pour le propre compte de l’entreprise étrangère qui détache.

D’autre part, d’un point de vue grammatical, on ne peut pas écrire, de façon contradictoire, que le travail est le fait de faire travailler. Cette rédaction hasardeuse et laborieuse atteste du caractère totalement inapproprié de ce vocable.

.2. Seuls existent les concepts communautaires de détachement et de travailleur ou de salarié détaché, associés pour partie au concept communautaire de prestation de services. Pourquoi avoir inventé cette nouvelle expression, alors que le vocable adéquat pour nommer est disponible ?

Les concepts juridiques de travail saisonnier, de travail temporaire, de travail intermittent, de travail à temps partiel etc… existent dans notre droit ; pas celui de travail détaché.

Le travail n’est pas détaché ; ce sont les salariés qui le sont. Cette différence est tout, sauf sémantique. En outre, ce travail serait détaché de qui, de quoi ?

.3. Il s’en suit notamment qu’une entreprise française ne peut pas juridiquement recourir au travail détaché parce qu’elle n’embauche pas le salarié détaché, alors qu’elle peut recourir au travail saisonnier, au travail temporaire, au travail intermittent, au travail à temps partiel, au télétravail etc.

En effet, dans la réalité et juridiquement, une entreprise française recourt commercialement à une entreprise étrangère dans le cadre d’une prestation de services internationale, qui se compose, soit d’une opération de sous-traitance, soit de recours à une entreprise de travail temporaire ou à une agence de mannequins. Et ce sont ces entreprises étrangères qui envoient travailler en France leurs salariés, appelés cette occasion salariés détachés et qui restent sous leur autorité et sous leur subordination. Tout le reste n’est qu’approximation ou déformation.

.4. De surcroît, l’expression « travail détaché » détourne l’attention du principal protagoniste responsable, qui est l’entreprise française donneur d’ordre, en focalisant sur le salarié détaché dont la présence en France n’est que la conséquence du choix commercial et économique de l’entreprise française d’externaliser et de contracter avec son employeur.

Personne ne s’interroge sur la raison de la présence en France des salariés détachés, à croire que personne n’a rien compris, par paresse intellectuelle ou par mauvaise foi, aux concepts de prestation de services internationale et de détachement et à ce qu’ils induisent en termes socio-économiques. La prestation de services et le détachement de salarié sur le territoire français n’existeraient pas si les entreprises françaises ne préféraient pas faire appel à des entreprises étrangères pour exécuter leurs marchés. Cet effet d’aubaine pour contracter avec une entreprise étrangère sous-traitante moins-disante explique principalement la présence de la quasi-totalité des salariés détachés en France.

.5. Enfin, l’expression « travail détaché » tend à le présenter comme une forme d’emploi et de flexibilité à la disposition des entreprises françaises, alors qu’elles ne sont pas l’employeur des salariés détachés. On peut même considérer que l’utilisation de cette expression non juridique est une reconnaissance du dévoiement systémique de la prestation de services internationale et de son caractère souvent contra legem, voire frauduleux. Confirmant ainsi ce que tous les connaisseurs du monde du travail savent, c’est-à-dire que beaucoup de prestations de services correspondent de la fausse sous-traitance, caractérisant du travail illégal, par marchandage, prêt illicite de main d’œuvre et travail dissimulé (cf la jurisprudence de la Cour de cassation).

Utiliser l’expression "travail détaché" ou pire l’expression "recours au travail détaché" dénature et jette la plus grande confusion sur la réalité des pratiques commerciales des entreprises françaises, c’est-à-dire le choix délibéré de sous-traiter à des entreprises étrangères, au lieu de sous-traiter à des entreprises françaises, dans le seul but de faire des économies, sans bénéficier d’une prestation de meilleure qualité.

En abusant d’un vocable sans consistance juridique pour faire état des conséquences des choix économiques des donneurs d’ordre français, on finit par faire croire que le salarié détaché est employé directement par une entreprise française, comme le serait un salarié saisonnier, un salarié à temps partiel, un salarié en travail intermittent ou en télétravail, ce qui n’est pas le cas bien entendu.

C’est l’usage dévoyé de la prestation de services internationale, c’est-à-dire de la sous-traitance internationale et de l’intérim, par les entreprises françaises, qui fait du détachement une variable d’ajustement. Mais dans ce cas, on établit un bilan spécifique sur la fraude à la prestation de services et au détachement ; pas sur le travail détaché qui n’existe pas.

Quel est l’intérêt pour le ministère du travail de contribuer à cette confusion socio-économique ?