Société de portage salarial transnational - compétence du juge prud’homal français

La Cour de cassation considère le juge prud’homal français compétent pour examiner la demande d’un salarié d’une société de portage salarial de droit andorran, mis à la disposition d’une compagnie de transport aérien domiciliée à Paris

Arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation n° 18-22971 du 9 septembre 2020

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Présentation
.1 Un salarié sous contrat à durée déterminée d’une société de portage salarial basée à Andorre avait été mis à la disposition d’une compagnie de transport aérien dont le siège se trouve à Paris, en qualité de steward, c’est-à-dire de personnel navigant commercial (PNC) ; à ce titre, il exerçait son activité sur des filiales européennes ou africaines de la compagnie aérienne.
A la suite de la rupture anticipée de son contrat de travail par la société de portage, le salarié l’avait assignée, ainsi que la compagnie aérienne, devant le conseil de prud’hommes de Paris pour obtenir diverses demandes.

.2 La cour d’appel de Paris avait reconnu la compétence du juge français. Saisie d’un pourvoi par la société andorrane, la Cour de cassation confirme cette double compétence, française et territoriale.
Pour valider cette compétence, la Cour de cassation se réfère à la fois au droit communautaire, et plus particulièrement à l’article 21 paragraphe 2 du règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (voir le règlement) et à la jurisprudence communautaire spécifique à la compétence judiciaire dans le transport aérien (voir la décision Ryanair de la CJUE et sa déclinaison par la Cour de cassation).

. 3 Dans l’affaire Ryanair, la CJUE avait repris les critères de la compétence territoriale du juge judiciaire mentionnés à l’article 21 du règlement du 12 décembre 2012, mais en l’adaptant aux particularités de la mobilité du personnel navigant des compagnies aériennes. Elle avait considéré que la localisation de la base d’affectation à laquelle était rattaché le personnel navigant était susceptible de constituer un élément significatif pour identifier la juridiction compétente, sous réserve de liens plus étroits avec un endroit autre que la base d’affectation.

La Cour de cassation reprend ces critères pour valider la compétence du juge prud’homal parisien d’autant que la société de portage salarial, employeur du salarié, n’avait pas indiqué quelle était l’autre base d’affectation auquel serait rattaché ce salarié ; par ailleurs, elle ajoute que l’utilisateur du salarié, c’est-à-dire la compagnie aérienne, avait son siège à Paris, ce qui confortait cette compétence, dans le cadre de l’examen de l’existence d’un co emploi et d’une mise à disposition illicite plaidée par le salarié.

Commentaire
.1 Si les décisions de la cour d’appel et de la Cour de cassation ne sont pas à banaliser et permettront sans doute au salarié de mieux faire valoir ses droits sociaux, cette affaire met en lumière une pratique singulière d’une compagnie aérienne française. Celle-ci, au lieu d’embaucher directement un personnel navigant commercial, pourtant nécessaire à bord d’un aéronef, a recouru à une société de portage salarial qui, de surcroît, domiciliée hors de France.

.2 Le recours à une société de portage salarial est licite, mais deux conditions de fond substantielles mentionnées dans le code du travail sont à respecter par les deux entreprises cocontractantes :

.- en application de l’article L.1254-2 du code du travail, le salarié porté justifie d’une expertise, d’une qualification et d’une autonomie qui lui permettent de rechercher lui-même ses clients et de convenir avec eux des conditions d’exécution de sa prestation et de son prix.
Un steward à bord d’un avion assurément ne propose pas et ne déploie pas une expertise, sauf à tordre le sens commun des mots ; il ne dispose pas davantage d’autonomie pour exercer son métier car toute son activité professionnelle est décidée, planifiée, organisée et contrainte par la compagnie aérienne.

.- en application de l’article L.1254-3 du code du travail, l’entreprise cliente ne peut avoir recours à un salarié porté que pour l’exécution d’une tâche occasionnelle ne relevant pas de son activité normale et permanente ou pour une prestation ponctuelle nécessitant une expertise dont elle ne dispose pas. La mise à disposition d’un steward auprès d’une compagnie aérienne ne peut s’inscrire dans ce cadre puisque l’emploi qu’il occupe à bord de l’aéronef relève de l’activité normale d’une compagnie aérienne, et plus particulièrement de celle mentionnée dans la procédure, qui a choisi le créneau du transport aérien de passagers sur mesure.

.3 Par ailleurs la qualité et l’activité de société de portage salarial supposent de remplir et de respecter les nombreuses conditions fixées par les articles L.1254-1 et suivants du code du travail pour se prévaloir de ce statut et prester légalement sur le territoire français, et notamment justifier d’une garantie financière. L’arrêt de la Cour de cassation, qui a un autre objet, n’évoque pas ce sujet. On rappellera à cette occasion que la Principauté d’Andorre, tout comme la Principauté de Monaco, ne fait pas partie de l’Union européenne et ne peut se prévaloir des articles 56 et 57 du TFUE sur la libre prestation de services, ce qui a pour effet de soumettre la société de portage andorrane à la totalité des dispositions du code du travail relatives à cette activité.

.4 A l’identique de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les entreprises de travail temporaire (voir la jurisprudence), la mise à disposition illicite d’un salarié par une société de portage salarial ou par une société qui se réclame du portage salarial, mais sans respecter les conditions fixées par le code du travail, est susceptible de commettre les infractions de marchandage et/ou de prêt illicite de main d’œuvre.
Ces infractions sont également imputables à l’entreprise cliente ou utilisatrice, en qualité de coauteur. La commission de ces infractions par cette entreprise entraîne également à son égard la commission de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, celle-ci étant reconnue employeur de fait du salarié mis à sa disposition de façon illicite (voir la jurisprudence).

Le salarié et les organismes de recouvrement sont légitimes à s’adresser exclusivement à cette entreprise pour la régularisation des droits sociaux et le paiement des cotisations sociales.