Validation par le Conseil constitutionnel d’une sanction civile à l’encontre du donneur d’ordre prévue par le code de la sécurité sociale

La décision QPC n° 2019-796 QPC du 5 juillet 2019 du Conseil constitutionnel déclare conforme l’article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale qui prévoit une pénalité civile à l’encontre du donneur d’ordre qui recourt à du travail dissimulé.

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Présentation
.1 L’article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale, issu de l’article 101 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 (voir la loi), prévoit que le donneur d’ordre qui n’a pas procédé aux vérifications prévues dans le cadre de la solidarité financière, en application de l’article L.8222-1 du code du travail, à l’égard de son cocontractant qui exerce du travail dissimulé par dissimulation d’activité ou d’emploi salarié, fait l’objet par l’organisme de recouvrement habilité d’une annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont il a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés.
Le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage encourt la même sanction, dans les mêmes conditions, lorsqu’il n’a pas donné suite au signalement d’une situation de travail dissimulé, effectué notamment par un agent de contrôle, en application de l’article L.8222-5 de ce même code.
L’annulation s’applique pour chacun des mois au cours desquels le donneur d’ordre a recouru de façon illicite à son cocontractant, sans que son montant global puisse excéder 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale.

.2 Un donneur d’ordre avait demandé à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) d’abroger le point 6.3. de sa lettre circulaire du 28 mars 2013 (voir la lettre circulaire) consacré à la présentation du nouvel article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale. Par décision du 24 janvier 2019, le directeur de l’ACOSS avait refusé de procéder à cette abrogation.
Le donneur d’ordre avait alors attaqué cette décision pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat, qui a saisi le 15 mai 2019 le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (voir la saisine du Conseil d’Etat) portant sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale.

.3 Devant le Conseil constitutionnel, le donneur d’ordre soutenait que ces dispositions ne respectaient pas le principe de la proportionnalité des peines et qu’elles méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi.
Le Conseil constitutionnel a rejeté ces deux arguments et a déclaré l’article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale conforme à la Constitution.
Le Conseil déclare que le législateur a retenu une sanction en adéquation avec l’objectif poursuivi et qui n’est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l’infraction ; il constate par ailleurs que le législateur n’ a institué aucune différence de traitement entre les donneurs d’ordre.

Commentaire
La décision du Conseil constitutionnel est une bonne nouvelle pour le dispositif juridique de lutte contre le travail illégal et le dumping social.

Depuis la loi du 31 décembre 1991 (voir les articles 6 et 7 de la loi), l’accent est mis sur la responsablisation du donneur d’ordre et du maître d’ouvrage dans les affaires de travail dissimulé, en matière pénale et en matière civile et financière ; depuis cette loi, qui a initié une orientation déterminante de la lutte contre le travail illégal, de nombreux ajouts législatifs sont venus confirmer et conforter cette orientation, dont l’article 101 de la loi du 17 décembre 2012.

Cette orientation a été étendue, à plusieurs reprises, aux affaires de dumping social et d’hébergement indigne, notamment du fait des entreprises étrangères, à partir de la loi du 10 juillet 2014 (voir la loi).
Cette orientation, dont l’efficacité est désormais reconnue, fait l’objet régulièrement de contestation juridique de principe de la part des donneurs d’ordre et des maîtres d’ouvrage.
A ce jour, aucune des mesures législatives permettant de mettre cause un donneur d’ordre ou un maître d’ouvrage dans une affaire de travail illégal, de dumping social ou d’hébergement indigne n’a été censurée par le juge (voir notamment décision QPC du 22 janvier 2016).

La décision QPC du 5 juillet 2019 du Conseil constitutionnel confirme l’orthodoxie juridique des outils permettant de mettre en cause donneur d’ordre et maître d’ouvrage, outils essentiels de la lutte contre ces fraudes dans le monde du travail.