Service organisé et faux travail indépendant

Requalification en salariat : le retour en force du service organisé ?

Arrêt de la Cour de cassation n° 17-22670 du 28 novembre 2018 Sagem

Voir la décision

Présentation
Un moniteur de golf travaillant pour le compte d’une société exploitant un golf avait signé avec celle-ci une convention d’enseignement et de mise à disposition des infrastructures pour dispenser des cours, sous un statut de travailleur indépendant exerçant à titre libéral.
L’intéressé avait saisi le conseil de prud’hommes pour obtenir la reconnaissance d’un statut de salarié et le paiement de droits sociaux attachés à ce statut. La société exploitant le golf contestait la compétence du conseil de prud’hommes par la procédure du contredit, arguant de la qualité de travailleur indépendant.
La cour d’appel avait reconnu la qualité de salarié du moniteur de golf et, par suite, la compétence du conseil de prud’hommes.

La société contestait cette analyse devant la Cour de cassation. Principalement, elle estimait que la cour d’appel avait accordé une importance excessive, non conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, au constat de l’existence d’un travail du moniteur de golf intégré à un service organisé, alors que la Cour de cassation n’en fait qu’un indice de requalification parmi d’autres. Elle considérait que les critères de la requalification d’un travailleur indépendant en salarié mentionnés aux articles L.8221-6 et L.8221-6-1 du code du travail n’étaient pas remplis puisqu’elle ne fixait pas de façon unilatérales toutes les conditions de travail du moniteur de golf.

Les sujétions imposées au moniteur de golf au titre du service organisé par le gestionnaire du golf étaient nombreuses, ce que n’avait pas manqué d’énumérer la cour d’appel : assister à des réunions décidées, fixées et organisées par la société, réaliser des objectifs tant quantitatifs que qualitatifs, respecter une tarification fixée pour les cours collectifs, donner des cours et pratiquer des tarifs devant permettre d’atteindre l’objectif de formation d’un nombre minimum d’élèves par an et se soumettre à des contraintes significatives tant pour promouvoir l’enseignement du golf que pour assister techniquement et accompagner des élèves lors de compétitions.
A ces sujétions relevant du service organisé, s’ajoutaient les directives et instructions quotidiennes adressées au moniteur de golf.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de la société gestionnaire du golf en notant que la cour d’appel a constaté que l’activité professionnelle du moniteur de golf était intégré dans un service organisé et exécutait une prestation de travail sous la direction de la société , laquelle avait le pouvoir de lui donner des directives, en fonction des objectifs que celle-ci voulait atteindre et dont il avait à rendre compte.
La compétence du juge prud’homal ayant été reconnue à l’égard du moniteur de golf par la Cour de cassation en raison de sa qualité de salarié de fait, celui-ci est désormais fondé à saisir le juge du contrat de travail pour faire valoir ses droits auprès de la société gestionnaire du golf, donneur d’ordre requalifié en employeur.

Commentaire
En mentionnant, au début de son attendu du rejet du pourvoi et en premier critère de la requalification, l’exercice d’une activité professionnelle dans le cadre d’un service organisé, la chambre sociale de la Cour de cassation semble restaurer la valeur et l’importance de ce critère qui avaient été relativisées par l’arrêt Société Générale du 13 novembre 1996 (voir la décision).
Dans l’arrêt Société générale, la Cour de cassation unifiait la définition (travail-sécurité sociale) du lien de subordination juridique déterminant du salariat, en précisant que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; elle ajoutait que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

En inversant l’ordre des critères et en privilégiant l’existence su service organisé, même conforté par des directives et des instructions, la Cour de cassation élargit le champ des possibles requalifications contractuelles. La notion de service organisé est en effet un concept plus large que celui des instructions et des directives, car elle renvoie davantage au pouvoir de gestion du chef d’entreprise, qu’à celui de direction ou de sanction.

La décision du 28 novembre 2018 est à rapprocher de deux autres décisions rendues récemment par la Cour de cassation dans des affaires de faux travail indépendant. Dans un arrêt de requalification du 1er mars 2017 (voir la décision), certes sans mentionner expressément l’existence d’un service organisé, la Cour de cassation retient cependant l’intégration du travailleur dans un département de l’entreprise donneur d’ordre et déduit un pouvoir de sanction et de contrôle qui résulte implicitement du caractère obligatoire des instructions reçues. Dans un second arrêt de requalification du 26 septembre 2018 (voir la décision), la Cour de cassation précise que le travailleur, en premier lieu, perçoit chaque mois une rémunération d’un montant fixe, puis, qu’il est intégré dans un service organisé et enfin, qu’il exécute une prestation de travail sous le contrôle des dirigeants de la société dont il reçoit les ordres.

Le rapprochement de ces décisions, qui font la part belle au service organisé, pourrait signifier un infléchissement de la jurisprudence Société Générale, de nature à faciliter les requalifications vers le salariat, notamment dans les secteurs d’activité qui utilisent des plateformes numériques de mise en relation qui sont particulièrement signifiantes d’un service organisé.

On notera enfin que les rédactions successives du code du travail depuis la loi Madelin du 11 février 1994 (voir les articles 35, 49 et 50 de la loi), dont les dernières versions sont codifiées aux articles L.8221-6 et L.8221-6-1 du code du travail, pour tenter de limiter les requalifications contractuelles, semblent avoir peu de prise sur le pouvoir d’appréciation du juge pour prononcer de telles requalifications.