Certificat de détachement frauduleux - censure du législateur belge par la CJUE

Certificat de détachement frauduleux la CJUE sanctionne la législation belge Affaire C-356/15 du 11 juillet 2018 Commission/Royaume de Belgique

Voir la décision de la CJUE

Présentation
La Commission européenne, qui avait assigné la Belgique devant le CJUE dans le cadre d’une procédure en manquement, a obtenu la condamnation de cet Etat membre en raison de sa législation relative au certificat de détachement frauduleux, jugé contraire au droit communautaire par la CJUE.
La Belgique avait adopté la loi-programme du 27 décembre 2012 des dispositions relatives à la fraude sociale et à l’application correcte de la loi. Les articles 22 à 25 de la loi traitent de la fraude au détachement, et plus particulièrement l’article 24 permet un assujettissement de plein droit à la législation belge de sécurité sociale du salarié ou du travailleur indépendant détaché lorsqu’un abus de droit est constaté dans l’utilisation d’un certificat de détachement.
Dans le cadre de la procédure contentieuse, la Commission avait tenté d’obtenir de la Belgique la modification de cette législation jugée contraire aux règlements de coordination de sécurité sociale, et notamment aux règlements communautaires 883/2004 et 987/2009.
La Belgique avait refusé, en invoquant notamment l’adage fraus omnia corrumpit et l’interdiction de l’abus de droit en tant que principes généraux du droit qui permettraient aux États membres d’adopter des dispositions nationales dérogatoires au droit dérivé de l’Union.
De plus, la Belgique soutenait que les règlements communautaires 883/2004 et 987/2009 permettaient aux États membres l’adoption de mesures unilatérales, telles que celles prévues aux articles 23 et 24 de la loi-programme, lorsque ces États membres estiment que l’application de ces règlements donne lieu à des fraudes et à des abus de droit.
Faute d’avoir obtenu satisfaction, la Commission a saisi la CJUE pour obtenir la condamnation de la Belgique.

Dans sa décision du 11 juillet 2018, la CJUE fait droit à la demande de la Commission et condamne la Belgique pour sa législation qui lui permet d’écarter unilatéralement un certificat de détachement frauduleux et d’assujettir un travailleur salarié ou indépendant titulaire d’un tel formulaire administratif. Cette législation est contraire au droit de l’Union européenne.
Dans cette affaire, la CJUE reprend les termes de sa jurisprudence antérieure :
.- seule l’institution qui a délivré le certificat de détachement peut le retirer ou l’invalider,
.- tant qu’il n’a pas été retiré ou invalidé, le certificat de détachement s’impose aux autres Etats membres,
.- l’Etat membre d’accueil et d’emploi du travailleur détaché doit en demander son retrait à l’institution qui l’a délivré,
.- à défaut de solution dans un délai raisonnable, la commission administrative de coordination de sécurité sociale peut être saisie.
La CJUE ajoute qu’il est toujours possible de contester le refus de retrait du certificat de détachement devant les juridictions de l’Etat membre dont relève l’institution qui l’a émis ou d’engager une procédure en manquement sur le fondement de l’article 259 du TFUE.
La CJUE rappelle à cette occasion plusieurs principes : la coopération loyale entre les Etats membres, l’unicité de la protection sociale, l’unicité de la protection sociale, la prévisibilité de la protection sociale et la sécurité juridique du statut du travailleur.

Commentaire
L’arrêt Commission/Royaume de Belgique est conforme à la jurisprudence de la CJUE sur l’opposabilité du certificat de détachement, telle qu’elle a été élaborée et construite depuis l’arrêt Fitzwilliam C-202/97 du 10 février 2000, jusqu’à l’arrêt Altun C-359/16 du 6 février 2018.
Ainsi, quelles que soient la gravité, l’importance et l’évidence de la fraude commis sur le territoire de l’Etat membre d’accueil et d’emploi, le législateur et le juge de cet Etat ont l’interdiction de sanctionner d’office et d’initiative cette fraude. S’agissant du juge national, il doit préalablement obtenir l’autorisation d’agir de la part de l’institution émettrice du certificat de détachement de l’Etat d’envoi.
Si l’institution refuse de retirer le certificat de détachement, la fraude est en quelque sorte légalisée sur le territoire de l’Etat d’accueil et d’emploi et peut continuer à prospérer, en violation de tous les principes généraux du droit.
Or, l’institution qui a émis le certificat de détachement n’a aucun intérêt financier à le retirer. Elle se prive de ressources pour l’avenir et, de surcroît, elle est sans doute tenue de rembourser les cotisations qu’elle reconnaît avoir indûment perçues. Elle est juge et partie.

Une telle sacralisation d’un simple formulaire administratif, délivré à guichet ouvert dans certains membres de l’UE, est peu compréhensible.
La jurisprudence de la CJUE sur ce sujet est une entrave majeure à la lutte contre le travail illégal et le dumping social.

Il est à noter que la France n’a jamais publié, depuis l’arrêt Fitzwilliam du 10 février 2000, le moindre bilan ou état des lieux sur les demandes de retrait de certificats de détachement adressées à des institutions émettrices, ce qui empêche toute évaluation des conséquences de cette jurisprudence communautaire sur les ressources de la sécurité sociale et toute appréciation du caractère loyal de la coopération administrative de la part de ces institutions à l’égard des demandes françaises.