Etat des lieux sur le statut du certificat de détachement frauduleux

Etat des lieux sur le statut du certificat de détachement utilisé de façon frauduleuse sur le territoire français

Mis à jour après l’arrêt du 31 mars 2021 de la chambre sociale de la Cour de cassation

La présente note est rédigée en relation avec les articles L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail qui définissent l’infraction de travail dissimulé :
.- article L.8221-3 du code du travail
Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’activité, l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations :
1° Soit n’a pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers ou, dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, au registre des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d’immatriculation, ou postérieurement à une radiation ;
2° Soit n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur. Cette situation peut notamment résulter de la non-déclaration d’une partie de son chiffre d’affaires ou de ses revenus ou de la continuation d’activité après avoir été radié par les organismes de protection sociale en application de l’article L.613-4 du code de la sécurité sociale ;
3° Soit s’est prévalue des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque l’employeur de ces derniers exerce dans l’Etat sur le territoire duquel il est établi des activités relevant uniquement de la gestion interne ou administrative, ou lorsque son activité est réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue.

.- article L.8221-5 du code du travail
Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

. 1 Présentation du certificat de détachement
. a) Qu’est-ce qu’un certificat de détachement ?

Le certificat de détachement est un document nominatif, appelé aussi formulaire ou imprimé, qui atteste que le travailleur, salarié ou travailleur indépendant non salarié, qui en est titulaire, est affilié et maintenu à un autre régime de protection sociale que celui de l’Etat dans lequel il exerce temporairement son activité professionnelle dans le cadre d’une mobilité transnationale.
Le certificat de détachement atteste de son affiliation et de son maintien au régime de protection sociale de l’Etat dans lequel il travaille habituellement ; s’agissant du salarié, cet Etat est, soit l’Etat dans lequel est établi son employeur, soit tout autre Etat, si le salarié n’exerce pas à titre habituel son activité professionnelle dans l’Etat de domiciliation de son employeur.

. b) Tous les travailleurs en mobilité professionnelle transnationale peuvent-ils posséder un certificat de détachement ?
Non. Seules les personnes suivantes sont susceptibles d’exercer leur activité professionnelle en France sous couvert d’un certificat de détachement :
.- d’une part, les travailleurs, salariés ou non salariés, nationaux ou non, exerçant habituellement leur activité professionnelle dans un Etat de l’Union européenne (UE), de l’Espace économique européen (EEE) ou en Suisse ;
.- d’autre part, les travailleurs salariés nationaux travaillant habituellement dans un des 38 Etats ayant signé avec la France un accord bilatéral de sécurité sociale ; certains de ces accords prévoient cependant que les travailleurs indépendants et/ou les non nationaux de ces Etats peuvent se voir délivrer un certificat de détachement (voir le détail de ces accords sur le site du CLEISS).
A défaut de certificat de détachement, l’employeur, qui n’a pas d’établissement en France, du salarié en mobilité transnationale doit l’immatriculer, via le CERFA EE0, et verser les cotisations et contributions sociales en France, au guichet unique du Centre national des firmes étrangères (CNFE), rattaché à l’Urssaf du Bas-Rhin.

. c) Quels effets sont attachés au certificat de détachement ?
La raison d’être principale du certificat de détachement est de permettre au travailleur en mobilité transnationale de bénéficier de l’unicité du régime de sa protection sociale, qui est assurée par le système de protection sociale de l’Etat dans lequel il travaille habituellement.
Pendant sa période d’activité en France, le travailleur reste maintenu au régime de sécurité sociale de l’Etat d’emploi habituel dans lequel ses cotisations et contributions sociales continuent d’être payées, aux taux de cet Etat ; en principe, et sous réserve de transparence de la part du travailleur indépendant et/ou de l’employeur, les cotisations et contributions versées dans l’Etat d’affiliation sont calculées sur la base des rémunérations perçues en France.
Le travailleur indépendant ou l’employeur ne verse pas de cotisations et contributions sociales en France. Il s’agit d’une dérogation au principe de la territorialité de la législation sociale mentionné à l’article L.111-2-2 du code de la sécurité sociale.
Les cotisations visées et couvertes par le certificat de détachement sont celles dues au titre du régime de base de sécurité sociale, des retraites complémentaires et de l’assurance chômage.
En cas de soins, de maladie ou d’accident du travail, le travailleur titulaire d’un certificat de détachement est pris en charge par le système de protection sociale français, notamment pour les prestations en nature.
Le certificat de détachement, qui a un autre objet, ne dispense pas l’entreprise étrangère de verser ses cotisations à la caisse des congés payés (et intempéries) en France, lorsqu’elle preste dans un secteur d’activité couvert par cet organisme (BTP, spectacles vivants et enregistrés…).

. d) Qui délivre le certificat de détachement ?
Le certificat de détachement est délivré par l’institution de sécurité sociale de l’Etat (UE, EEE, Suisse ou Etat tiers) dans lequel est affilié le travailleur en qualité d’assuré social.
L’identité de ces différentes institutions est mentionnée sur le site du CLEISS.
En application de la décision C-178/97 du 30 mars 2000 Barry Banks contre Théâtre royal de la Monnaie de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le certificat de détachement peut être délivré avec un effet rétroactif.

. e) Comment se présente un certificat de détachement ?
Le certificat de détachement est individuel et nominatif ; lorsqu’il est délivré pour un salarié, il comporte l’identité de celui-ci et de son employeur.
Le certificat de détachement est un document normalisé, par les textes communautaires de coordination de sécurité sociale ou par les accords bilatéraux de sécurité sociale ; il ne s’agit pas d’une attestation librement rédigée par l’institution de sécurité sociale émettrice.
Le certificat de détachement délivré par un Etat de l’UE, de l’EEE ou par la Suisse s’appelle un formulaire A1 ; ce formulaire a succédé aux formulaires E101, E102 (et E103). Le formulaire A1 a une durée de validité de 24 mois ; cette durée de validité peut être prolongée de façon exceptionnelle, d’un commun accord entre institutions de sécurité sociale.
Ce formulaire est rédigé exclusivement dans la langue de l’Etat émetteur.
Le certificat A1 est délivré en application des articles 11 à 19 du règlement communautaire n° 884/2004 du 29 avril 2004 et de l’article 19 du règlement communautaire n° 987/2009 du 66 septembre 2009.

Le certificat de détachement délivré par un Etat signataire d’un accord bilatéral de sécurité sociale s’appelle un formulaire SE, suivi de 5 chiffres dont le premier est celui du continent. La durée de validité de ce formulaire varie selon les accords bilatéraux (jusqu’à 5 ans). Pour le détail, voir le site du CLEISS.
Ce formulaire est bilingue.

. f) Qui demande le certificat de détachement à l’institution de sécurité sociale ?
Le certificat de détachement est demandé par le travailleur indépendant ou par l’employeur du salarié qui vient travailler temporairement en France.
Cette délivrance s’effectue sur la base des déclarations et/ou des documents fournis par les intéressés et avec ou pas des vérifications opérées par l’institution émettrice ; la procédure d’obtention est relativement déclarative.
Le fait que ce soit l’employeur, et non pas le salarié, qui sollicite le certificat de détachement qui pourtant concerne sa protection sociale est l’une des origines des fraudes à la délivrance indue et à la possession contrainte de ce document (cf notamment le personnel navigant de compagnies aériennes, illustré par les affaires Easyjet, Ryanair et Vueling).

. 2 Quelle est la valeur d’un certificat de détachement présenté lors d’un contrôle ou invoqué lors d’un contentieux en France ?
Les textes communautaires de coordination de sécurité sociale et les accords bilatéraux de sécurité sociale sont muets sur le sujet. Mais il faut impérativement distinguer le régime du certificat de détachement délivré en application des textes communautaires ou des accords passés avec les trois Etats de l’EEE ou avec la Suisse du régime de celui délivré par un des Etats signataires d’un accord bilatéral de sécurité sociale.

. a) La force juridique du certificat de détachement communautaire ou assimilé (EEE et Suisse) est précisée par la CJUE, depuis la décision C-202/97 du 10 février 2000 Fitzwilliam Technical Services (FTS), qui depuis lors a rendu plusieurs décisions convergentes et explicites sur ce sujet :
C-178/97 du 30 mars 2000 Barry Banks contre Théâtre royal de la Monnaie
C-404/98 du 9 novembre 2000 Joseph Plum
C-2/05 du 26 janvier 2006 Herbosch Kiere
C-620/15 du 27 avril 2017 A-Rosa Flusssschiff GmbH
C-474/16 du 24 octobre2017 Belu GmbH
C-359/16 du 6 février 2018 Omer Altun
C-356/15 du 11 juillet 2018 Commission contre Royaume de Belgique
C-527/16 du 6 septembre 2018 Alpenrind GmbH
C-370/17 et C-37/18 du 2 avril 2020 Vueling Airlines, CRPNAC et Jean Luc Poignant.

Il résulte de cette jurisprudence, fondée sur le principe de coopération loyale entre les Etats, que :
.- le certificat de détachement est opposable aux autorités administratives (de contrôle ou non) et au juge de l’Etat dans lequel le travailleur vient exercer son activité professionnelle, dans le cadre d’une mobilité transnationale ; cet Etat est dénommé l’Etat d’accueil et d’emploi du travailleur par la CJUE ;
.- cette force contraignante opposable vaut dans toutes les situations, y compris en cas d’erreur matérielle lors de sa rédaction ou sa délivrance, en cas de délivrance ou d’utilisation abusive ou frauduleuse du formulaire ;
.- l’autorité administrative ou le juge de l’Etat d’accueil et d’emploi n’est pas habilité à se prononcer d’initiative et d’office sur le bien fondé de l’utilisation du certificat de détachement, et donc sur le bien fondé pour le travailleur indépendant ou l’employeur du salarié en mobilité de ne pas verser de cotisations et contributions sociales dans cet Etat ;
.- l’autorité administrative ou le juge de l’Etat d’accueil et d’emploi qui souhaite écarter l’application du certificat de détachement est tenu d’en demander préalablement, via l’institution française de sécurité sociale compétente, son retrait ou son invalidation à l’institution de sécurité sociale qui l’a émis ;
.- l’institution de sécurité sociale émettrice est tenue d’examiner la demande et de répondre dans un délai raisonnable, dont la durée n’est pas précisée par la CJUE ; l’institution émettrice n’est pas obligée de retirer ou d’invalider le certificat de détachement. L’autorité administrative ou le juge de l’Etat d’accueil et d’emploi ne sera habilité à se prononcer sur le bien fondé du certificat de détachement que si l’institution émettrice retire ou invalide le formulaire ou ne se prononce pas dans le délai raisonnable. Sinon, le formulaire reste opposable.
.- l’avis de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui peut être saisie après un refus de retrait ou d’invalidation du formulaire, n’est pas contraignant et n’engage pas l’institution émettrice qui a la faculté de maintenir sa décision ;
.- après une saisine infructueuse de la Commission administrative, l’Etat d’accueil et d’emploi peut saisir la CJUE d’une procédure en manquement contre l’Etat dont relève l’institution émettrice ;
.- le juge de l’Etat d’accueil et d’emploi, lorsqu’il est saisi d’un contentieux, s’assure que cette procédure a été suivie et que l’institution émettrice a réellement procédé à un nouvel examen du bien fondé du certificat de détachement et a fait part de sa réponse dans le délai raisonnable ;
.- une décision de justice rendue en violation de ce droit communautaire n’acquiert pas l’autorité de la chose jugée susceptible d’être invoquée dans le cadre d’un contentieux.

Il est à noter que la jurisprudence de la CJUE ne mentionne pas ou ne prend jamais en considération la situation et les droits du salarié mis en possession d’un certificat de détachement frauduleux, ce qui pose la question de la façon dont il peut faire valoir ses droits auprès du régime de protection sociale français.
La CJUE a par ailleurs précisé dans l’arrêt C-17/19 du 14 mai 2020 Bouygues Travaux Publics et autres que la force contraignante du certificat ne s’étendait pas aux obligations sociales de l’employeur résultant du code du travail, et n’avait pas d’incidence sur l’obligation pour celui-ci d’accomplir la déclaration préalable à l’embauche (DPAE).

. b) La force juridique du certificat de détachement délivré en application d’un accord bilatéral de sécurité sociale n’a pas donné lieu à un contentieux équivalent. Ce contentieux, par nature, ne relève pas de la compétence de la CJUE ; par suite, la jurisprudence de la CJUE n’est pas applicable à ce formulaire.
On peut donc considérer que l’autorité administrative ou le juge français dispose de toute lattitude pour apprécier le bien fondé de l’utilisation du certificat de détachement délivré en application d’un de ces accords.

. 3 Existe-t-il une base nationale des certificats de détachement ?
Oui, il s’agit de la base SIRDAR (système informatisé de recherche des détachements autorisés et réguliers) gérée par le CLEISS. Cette base est alimentée par chacune des institutions de sécurité sociale des Etats membres de l’UE qui délivre un certificat de détachement à un travailleur venant travailler en mobilité transnationale sur le territoire français.
La base SIRDAR n’est pas exhaustive car elle n’est pas renseignée de façon systématique par lesdites institutions ; par nature, elle ne reprend pas la totalité des identités des salariés qui ont fait l’objet d’une déclaration de détachement et qui sont enregistrés dans la base SIPSI gérée par le ministère du travail.
La base est consultable notamment par les agents de contrôle habilités en matière de travail illégal.

. 4 Quel est l’intérêt d’utiliser un certificat de détachement frauduleux sur le territoire français ?
L’intérêt est financier et partagé ; il est à la fois pour l’entreprise étrangère (travailleur indépendant seul ou employeur détachant un salarié) qui vient prester en France et pour le donneur d’ordre français qui a choisi de contracter avec lui.
L’avantage de présenter un certificat de détachement est de ne pas verser de cotisations et de contributions sociales en France, mais de les verser indûment dans un autre Etat où les taux de cotisations et de contributions sociales sont moins élevés (voir sur le site du CLEISS le détail de ces cotisations pour 75 Etats).
Ces taux de cotisations et de contributions sociales indûment appliqués permettent de proposer des prestations et des services moins disants et d’obtenir pour cette raison des marchés et des contrats dans des conditions commerciales faussées et déloyales, tout en privant également le salarié de la protection sociale adéquate.
Cette pratique de dumping social est accentuée par le fait que très souvent la rémunération versée au salarié en mobilité transnationale sur le territoire français est inférieure au minimum légal ou conventionnel en vigueur en France et systématiquement inférieure à la rémunération réelle et effective versée en France qui est très souvent au dessus de ce minimum.
De surcroît, beaucoup d’entreprises étrangères qui interviennent sur le territoire français dans le secteur du bâtiment et des travaux publics ou des spectacles vivants et enregistrés ne versent pas leurs cotisations à la caisse de congés (et intempéries), ce qui ajoute à la possibilité de minorer le prix de la prestation ou du service.
Le donneur d’ordre français, qui recourt à cette entreprise étrangère, bénéficie directement de ce moindre coût ; en faisant ce choix, il pénalise une entreprise concurrente qui propose la même prestation ou le même service et qui respecte la loi.
Il s’agit d’une délinquance économico-financière, facile à mettre en œuvre, sans crainte réelle d’une sanction rapide et effective du juge français, compte tenu de la jurisprudence de la CJUE qui sacralise le certificat de détachement communautaire ou assimilé et favorise les procéduriers.

. 5 Quelles sont les situations d’activité, d’emploi et de travail qui caractérisent une fraude à l’utilisation du certificat de détachement sur le territoire français ?
Au regard des comportements des opérateurs économiques constatés, les fraudes se manifestent par les pratiques suivantes :
.a) les fraudes en relation avec l’exercice de l’activité économique
 la fraude à l’établissement par l’existence d’une coquille vide ou d’une boîte à lettres dans l’Etat de domiciliation,
 la fraude à l’établissement par la délocalisation fictive de l’activité économique hors de France,
 la fraude à l’établissement par l’absence d’activité normale et significative dans l’Etat de domiciliation,
 la fraude à l’établissement par l’existence d’une activité stable, continue et permanente sur le territoire français,
 les opérations de fausse sous-traitance, soit par la mise à disposition illicite du salarié, soit par l’emploi d’un faux travailleur indépendant,
 les activités d’intermédiation licites du salarié, mais exercées de façon illégales sur le territoire français, notamment par une entreprise de travail temporaire ou par une agence de mannequins,
 les activités d’intermédiation illicites du salarié ou d’un faux travailleur indépendant.

.b) les fraudes en relation avec les conditions d’emploi et de travail du salarié
 l’emploi en France sous le statut de détaché d’un salarié dépourvu d’antériorité d’emploi ou sans antériorité d’emploi significative,l
 l’emploi en France sous le statut de détaché d’un salarié rattaché fictivement à un Etat ou à une entreprise dans laquelle il n’a jamais travaillé,
 l’emploi en France sous le statut de détaché d’un salarié qui travaille habituellement en France,
 l’emploi en France sous le statut de détaché d’un salarié placé sous la subordination juridique d’une entreprise établie, en droit ou de fait, en France, notamment dans le cadre de la fausse sous-traitance, d’une mise à disposition illégale au titre du travail temporaire ou de la mobilité internationale intragroupe,
 l’emploi et le travail en France d’un artiste, d’un bûcheron ou d’un mannequin, sans respecter la présomption de salariat, c’est-à-dire sous le statut de travailleur indépendant.

Un certificat de détachement présenté et utilisé en France dans le cadre de l’une de ces fraudes (qui parfois se cumulent) est nécessairement injustifié et ne devrait pas pouvoir être invoqué pour éviter de verser les cotisations et contributions sociales. Cependant, et conformément à la jurisprudence de la CJUE, ce certificat de détachement reste valable tant qu’il n’a pas été retiré ou invalidé par l’institution qui l’a émis. A défaut, et malgré la fraude avérée, les cotisations et contributions de sécurité sociale ne seront pas dues en France et l’infraction de travail dissimulé par défaut de déclarations sociales ne sera pas constituée, avec les conséquences civiles qui en résultent.

. 6 La position de la Cour de cassation
Depuis l’arrêt A-Rosa du 27 avril 2017 de la CJUE, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence.
Jusqu’à cette décision, les trois chambres de la Cour de cassation intéressées par ce contentieux se considéraient compétentes pour apprécier le bien fondé du certificat de détachement et l’écarter, le cas échéant, pour entrer en voie de condamnation (voir notamment Cass. civ. 2 du 5 avril 2007 Serrurerie Objatoise et Cass. crim. du 11 mars 2014 Easyjet et Vueling).
L’arrêt A-Rosa de la CJUE, rendu sur une question préjudicielle posée par la Cour de Cassation, a conduit celle-ci à revoir sa position et à censurer toutes les décisions des cours d’appel déférées ayant apprécié le bien fondé du certificat de détachement pour l’écarter.
Dans ses décisions de renvoi, la Cour de cassation demande aux cours d’appel de vérifier que les prescriptions de la CJUE relatives à la procédure de retrait ou d’invalidation du certificat de détachement ont été respectées.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a cependant rendu une décision différente dans une affaire de fausse prestation de services internationale et de fausse sous-traitance dans le secteur du transport interurbain transfrontalier ; elle a censuré une décision de relaxe de la cour d’appel, considérant qu’elle n’a pas suffisamment pris en compte tous les éléments du faisceau d’indices présents dans le dossier de nature à qualifier une entreprise française d’employeur de fait des prétendus salariés détachés. Elle a reproché également à la cour d’appel, eu égard au fait que les salariés résidaient en France et exerçaient principalement leur activité en France, de ne pas avoir recherché s’ils ne devaient pas être affiliés au régime français de sécurité sociale (Cass. crim. du 7 mai 2019 Autocars J.).

Par ailleurs, depuis l’arrêt A-Rosa, la Cour de cassation a posé deux questions préjudicielles supplémentaires à la CJUE. La première de ces deux questions préjudicielles a donné lieu à l’arrêt Vueling du 2 avril 2020, qui a confirmé et renforcé le caractère obligatoire de la procédure de demande de retrait ou d’invalidation du certificat de détachement.
Tirant les conséquences de cette réponse de la CJUE, la chambre sociale de la Cour de cassation a le 31 mars 2021 infirmé partiellement, mais sur des points essentiels, la décision du 4 mars 2016 d’une cour d’appel qui avait reconnu la plénitude des droits sociaux à un prétendu salarié détaché qui avait engagé une procédure prud’homale à l’encontre de la compagnie Vueling. La Cour de cassation a refusé au salarié le bénéfice de l’indemnité forfaitaire équivalent à six mois pour son emploi dissimulé et le versement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non versement de ses cotisations sociales en France, sommes qui lui avaient été accordées par la cour d’appel en référence à la condamnation pénale de Vueling le 11 mars 2014 par la chambre criminelle de la Cour de cassation pour travail dissimulé par défaut de déclarations sociales en France.
Dans l’arrêt Vueling du 2 avril 2020, la CJUE déniait toute valeur juridique à une décision de justice nationale rendue en méconnaissance du droit communautaire, ce qui était le cas de la décision du 11 mars 2014.

La seconde question préjudicielle posée le 8 janvier 2019 par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’affaire de l’EPR de Flamanville, mettant en cause notamment l’entreprise Bouygues TP, a été tranchée le 14 mai 2020 ; la Cour de cassation interrogeait la CJUE sur la relation et l’articulation possibles entre le bien fondé de l’utilisation du certificat de détachement et certaines obligations sociales de l’employeur prévues par le code du travail, notamment la déclaration préalable à l’embauche (DPAE). La CJUE a précisé que les règlements communautaires de sécurité sociale, et donc le certificat de détachement, n’avait pas d’incidence sur les obligations de l’employeur fixées par la législation du travail et, par suite, sur l’obligation d’accomplir la DPAE prévue par le code du travail.

Tirant les conséquences de cette seconde réponse de la CJUE, la Cour de cassation a rendu plusieurs décisions.
D’une part, statuant en matière pénale, la chambre criminelle a validé plusieurs condamnations, dont l’une du 12 janvier 2021, pour travail dissimulé par défaut de DPAE ou par défaut d’immatriculation au RCS ou au RM dans des affaires de faux détachement et de fraude à l’établissement, s’agissant delégislation sans lien avec les règlements communautaires de coordination de sécurité sociale.
D’autre part, statuant en matière sociale, elle a, dans sa décision du 31 mars 2021, validé l’arrêt de la cour d’appel du 4 mars 2016, qui avait accordé au prétendu salarié détaché en France par la compagnie Vueling des droits sociaux prévus par la législation du travail.

. 7 Tentative d’évaluation des conséquences de la jurisprudence communautaire sur le dispositif juridique de lutte contre le travail illégal et le dumping social
.-a) Sur le fond
.- La première conséquence, qui est majeure, est que le juge français est privé de sa compétence à apprécier d’initiative l’existence de la violation de l’ordre public social dans trois domaines : la constatation de l’infraction de travail dissimulé par défaut de déclarations sociales, l’obligation de verser les cotisations et les contributions sociales aux organismes de protection sociale et la reconstitution et la réparation des droits sociaux du prétendu salarié détaché.
Le juge français ne peut se prononcer d’office sur ce contentieux ; sa compétence est liée par une double décision administrative préalable. Il ne pourra pas faire respecter cet ordre public social si la procédure de demande de retrait ou d’invalidation n’est pas engagée en France ou si l’institution émettrice refuse, à l’issue de cette procédure, de retirer ou d’invalider le certificat de détachement, ce qui va être fréquent compte tenu des enjeux financiers.
Outre ces enjeux financiers quasi rédhibitoires, la jurisprudence de la CJUE défend le principe très contestable « juge et partie » puisqu’elle s’en remet exclusivement à la bonne volonté de l’institution émettrice du certificat de détachement pour apprécier le bien fondé de sa propre décision de délivrance de ce document. La coopération ne peut être loyale puisqu’elle est objectivement déséquilibrée.
Au regard des fraudes constatées en France, ce n’est pas tant la délivrance que l’utilisation du certificat de détachement sur le territoire français qui justifie sa mise à l’écart par le juge français, par des constats nationaux et des outils juridiques propres au droit français, telles que la requalification juridique et les présomptions de salariat. Or, les 29 institutions émettrices susceptibles d’être sollicitées n’ont nulle connaissance de ces outils juridiques et n’ont pas qualité ou légitimité pour refuser de reconnaître qu’un établissement existe en France ou qu’un salarié travaille de fait en France, sous la subordination juridique d’une entreprise française. Par ailleurs, chacune de ces 29 institutions réagira et analysera les demandes de retrait ou d’invalidation avec sa propre sensibilité, ce qui conduira à une très grande hétérogénéité des réponses, voire à une véritable « loterie », sans aucune harmonisation et doctrine commune. En fonction de cette « loterie », le juge français sera en mesure ou pas de faire respecter l’ordre public social.

.- La deuxième conséquence, assez inattendue et singulière, est le transfert des compétences juridictionnelles du juge français vers une autorité administrative d’un Etat tiers qui va substituer sa propre appréciation à celle du juge français. En effet, pour accepter de retirer ou d’invalider un certificat de détachement, l’institution de sécurité sociale émettrice du certificat de détachement va décider, à la place du juge français, s’il existe sur le territoire français un établissement de fait, ou une opération de fausse sous-traitance, ou une mise à disposition illégale d’un salarié, ou un transfert de la subordination juridique vers un employeur établi en France ou une violation d’une présomption de salariat.
Cette appréciation va se faire en principe au regard de la législation et de la jurisprudence françaises, qu’elle devra s’approprier ; l’institution de sécurité sociale étrangère devient juge de l’application du droit social français sur le territoire français.
Si l’institution émettrice décide, y compris contre l’évidence matérielle et juridique, que l’une ou l’autre de ces fraudes n’existe pas et refuse de retirer ou d’invalider le certificat de détachement, le juge français devra en prendre acte et s’incliner, sans recours effectif possible. Le recours en manquement évoqué par la CJUE dans les arrêts A-Rosa et Altun est de pur affichage puisqu’il n’a pas été conçu pour traiter du contentieux de masse, résultant d’une multitude de cas individuels de détachement contestable.

.- La troisième conséquence concerne plus particulièrement les agents de contrôle habilités en matière de travail dissimulé qui ne sont plus en capacité de constater l’infraction de défaut de déclarations sociales commise sur le territoire français par un travailleur indépendant ou un employeur établi à l’étranger, qui présente un certificat de détachement indu. Cette incapacité les prive de la possibilité de relever un procès-verbal ; seul un rapport ou un signalement au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale est possible.
Les agents de contrôlent conservent la capacité à verbaliser les autres modalités de commission de l’infraction de travail dissimulé sur le territoire français du fait d’une entreprise entreprise étrangère et de son donneur d’ordre.

.- La quatrième conséquence est que le prétendu salarié détaché n’a plus la maîtrise et le choix de sa protection sociale, alors qu’il exerce son activité professionnelle sur le territoire français. Le certificat de détachement qui lui est imposé par l’entreprise qui le fait travailler en France lui reste opposable, tant qu’il n’a pas été retiré ou invalidé, mais selon une procédure jamais évoquée et décrite par la CJUE.

. – b) Sur la procédure
La jurisprudence de la CJUE sur la contestation de la validité du certificat de détachement suscite de multiples interrogations, qui sont autant d’occasions de nouveaux contentieux nationaux ou communautaires pour retarder ou éviter la décision du juge français.
.- Quelle est l’institution de sécurité sociale française compétente pour saisir l’institution émettrice ?
Plusieurs réponses possibles : l’organisme de recouvrement du régime de base, l’organisme prestataire du régime de base, la caisse de retraite complémentaire, Pôle Emploi, le Cleiss, l’Acoss, la CCMSA, le CNFE… ?
.- Qui peut saisir l’institution de sécurité sociale française ?
Plusieurs réponses possibles : un agent de contrôle habilité en matière de travail dissimulé, un magistrat (procureur de la République, juge d’instruction, ex TASS, conseil de prud’hommes...), un salarié, une autre institution de sécurité sociale, Pôle Emploi, une organisation syndicale ou professionnelle… ?
.- Dans quel délai ?
Dans l’arrêt Vueling du 2 avril 2020, la CJUE précise que la procédure de demande de retrait du certificat de détachement est engagée promptement, sans autre précision. Cette exigence de la CJUE s’articule nécessairement avec le point de départ de ce délai. Or constituer un dossier crédible pour l’institution émettrice d’utilisation frauduleuse d’un certificat de détachement nécessite du temps, contraint par des enquêtes lourdes et complexes à traiter, ce qui peut prendre plusieurs mois entre le premier constat et la saisine de l’institution émettrice. Saisir l’institution émettrice un an après le premier constat serait donc justifié, sans être prompt.
Par ailleurs, et dans la réalité, deux délais s’additionnent : le délai de celui qui va saisir l’institution de sécurité sociale française après avoir constitué un dossier et le délai de cette institution qui va saisir son homologue à l’étranger, avec son propre dossier, traduit dans la langue de l’Etat.
.- A quel moment saisir l’institution de sécurité sociale française ou l’institution émettrice ?
La saisine de l’institution de sécurité sociale française doit être effectuée suffisamment en amont de la décision du juge civil ou pénal, afin que celui-ci puisse vérifier les deux conditions désormais posées par l’arrêt Vueling de la CJUE : d’une part s’assurer que la procédure de demande de retrait du certificat de détachement a été engagée promptement et d’autre part que l’institution émettrice a procédé à un réexamen du bien fondé de la délivrance du certificat de détachement et a répondu dans le délai raisonnable.
Mais, a priori, rien ne s’oppose à ce qu’un rapport ou un signalement soit adressé au procureur de la République, avant la saisine de l’institution française ou de l’institution émettrice ou avant la décision de cette dernière dans le délai raisonnable, ou au cours de l’instruction, si une information judiciaire est ouverte. Rien ne s’oppose non plus à ce que la juridiction de fond soit saisie et qu’un renvoi de l’affaire soit demandé dans l’attente de la réponse de l’institution émettrice.
.- L’institution de sécurité sociale française est-t-elle tenue de saisir l’institution émettrice ?
Assurément, non. L’institution de sécurité sociale française, pour diverses raisons, telles que des divergences d’analyse juridique avec celui qui l’a sollicitée ou par pure opportunité administrative, financière ou politique, est en droit de refuser de saisir l’institution émettrice ; aucun texte ne l’y oblige. Le risque bien réel de ne pas saisir l’institution émettrice existe de façon plus marquée pour le prétendu salarié détaché qui, individuellement et isolément, va s’adresser à l’institution de sécurité sociale française ; celle-ci peut notamment considérer que l’intérêt financier pour elle de se mobiliser sur un dossier chronophage de cette nature n’est pas suffisant.
La décision de l’institution de sécurité sociale française de saisir l’institution émettrice peut-elle faire l’objet d’un recours devant le tribunal judiciaire compétent (ex TASS) ? Sans doute, mais, pour quel(s) motif(s) juridiquement recevable(s) ?
Un refus de l’institution de sécurité sociale française de saisir l’institution émettrice provoquerait un blocage du processus judiciaire, ferait nécessairement obstacle à l’action du juge français et constituerait une entrave à la lutte contre le travail illégal et à la reconnaissance des droits sociaux du prétendu salarié détaché.
.- L’institution émettrice est-elle tenue de retirer ou d’invalider le certificat de détachement ?
Assurément non. Elle doit uniquement réexaminer le bien fondé de la demande de retrait ou d’invalidation et répondre dans le délai raisonnable mentionné dans les arrêts A-Rosa, Altun et Vueling de la CJUE. On peut légitimement comprendre que le délai raisonnable est le délai de deux fois trois mois mentionné dans les textes communautaires.
Le refus de l’institution émettrice s’impose au juge français, sauf à faire un recours devant la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, mentionnée aux articles 72 et suivants du règlement communautaire n° 884/2004 du 29 avril 2004 ; mais la réponse donnée par la Commission ne lie pas l’institution émettrice.
.- La Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale doit-elle être saisie ?
La procédure de demande de retrait ou d’invalidation du certificat de détachement se déroule en principe en deux étapes. En premier lieu, l’institution de sécurité sociale du lieu d’accueil et d’emploi, c’est-à-dire l’institution française (l’agent de contrôle ou le directeur ?), saisit son homologue, c’est-à-dire l’institution de sécurité sociale qui a délivré le certificat de détachement. Celle-ci dispose d’un délai de trois mois, renouvelable une fois, pour statuer.
Si, dans ce délai, l’institution refuse de retirer ou d’invalider le certificat de détachement ou si l’institution n’a pas répondu au terme de ce délai, la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale peut être saisie, bien que son avis ne lie pas l’institution émettrice. La Commission est saisie, non par l’institution du lieu d’accueil et d’emploi, mais par l’Etat du lieu d’accueil et d’emploi, c’est-à-dire par la direction de la sécurité sociale (DSS) pour la France. Elle dispose de six mois pour statuer.
La saisine de cette Commission est expressément mentionnée dans les arrêts Herbosch Kiere, A-Rosa et Altun de la CJUE, ce qui permet de considérer que sa saisine soit obligatoire en cas de refus express ou implicite de l’institution émettrice.
Cependant, la CJUE ne mentionne plus la saisine de la Commission dans l’arrêt Vueling. Que faut-il déduire de ce silence ? La réponse à cette question est essentielle car elle détermine la régularité de la procédure dont le juge français est désormais tenu de vérifier le respect, en application de la décision Vueling.
Par ailleurs, si la saisine de la Commission est obligatoire et qu’elle émet un avis favorable au retrait ou à l’invalidation du certificat de détachement, la demande de l’institution de sécurité sociale l’Etat d’accueil et d’emploi revient devant l’institution émettrice, qui dispose d’un nouveau délai pour statuer ; ce délai n’est pas précisé.
Malgré l’avis de la Commission, l’institution émettrice est en droit de confirmer et de maintenir son refus qui lie le juge français, en application de la décision Alpenrind de la CJUE.

En se référant à l’affaire Vueling, et de la lecture des procédures devant la CJUE et devant les juridictions français, que l’institution émettrice du certificat de détachement, dispose qu’un pouvoir quasi absolu.
En effet, l’institution émettrice à pris sa décision de maintenir le certificat de détachement deux ans et demi après sa saisine par l’Urssaf, bien loi du délai raisonnable ou du délai de deux fois trois mois, sans que cette décision hors délai ait été considérée comme sans effet.
D’autre part, l’institution émettrice a refusé de retirer le certificat de détachement le 7 décembre 2014, soit plus de huit mois après la décision du 11 mars 2014 de la chambre criminelle de la Cour de cassation condamnant Vueling pour travail dissimulé, ignorant ainsi le constat de fraude officiellement établi sur le territoire français. Là encore, aucune conséquence n’en a été tirée.

.- Comment va procéder le juge français pour s’assurer que l’institution émettrice a réellement procédé à un nouvel examen du bien fondé de la délivrance du certificat de détachement dans le délai raisonnable ?
La CJUE précise dans l’arrêt Vueling que désormais le juge de l’Etat d’accueil et d’emploi est également tenu de s’assurer que l’institution émettrice du certificat de détachement a réellement procédé, dans le délai raisonnable, à un réexamen de la demande de retrait ou d’invalidation de ce formulaire et a pris position.
La question qui se pose est de savoir quelles sont les démarches et les vérifications concrètes que fera le juge français (le procureur de la République, le juge d’instruction, la juridiction correctionnelle, l’ex TASS, le conseil de prud’hommes ?) auprès de l’institution émettrice du formulaire pour appliquer la jurisprudence de la CJUE. Va-t-il questionner l’institution, lui demander une attestation sur l’honneur, va-t-il donner un mandat à un tiers ou va-t-il s’engager dans un autre processus dont on perçoit mal la nature et les modalités ?
En tout étant de cause, cette nouvelle exigence de la CJUE va ajouter beaucoup d’incertitude, de la contrainte, de la complexité et du délai supplémentaire au traitement du contentieux dont est saisi le juge français, introduisant une nouvelle dose d’incertitude juridique dans une procédure contentieuse interminable, voire sans fin, et donc dissuasive.

. 8 Perspectives et suggestions d’évolution
.-a) A très court terme, et dans l’immédiat, il est nécessaire que la France définisse une doctrine et une stratégie interministérielle pour assurer le traitement homogène de la contestation de l’utilisation des certificats de détachement abusifs ou frauduleux.
A minima, cette politique interministérielle, qui n’existe pas, doit :
.- assurer la diffusion de toute la jurisprudence significative de la Cour de cassation et de la CJUE relative à la délivrance et à l’utilisation abusive du certificat de détachement,
.- formaliser la description détaillée des procédures administratives, civiles et pénales à mettre en œuvre pour appliquer la jurisprudence de la CJUE,
.-procéder à la désignation d’une instance nationale unique pour engager les procédures de retrait ou d’invalidation du certificat de détachement,
. créer une base nationale des demandes de retrait ou d’invalidation des certificats de détachement,afin d’en connaître le suivi et le résultat,
.- rendre obligatoire pour les organismes de protection sociale ou pour l’instance nationale unique sollicités d’une demande de retrait ou d’invalidation d’un certificat de détachement la saisine de l’institution émettrice de ce formulaire,
. préciser les conséquences concrètes du retrait du certificat de détachement en termes de rappel de cotisations et de contributions sociales et de reconstitution des droits du prétendu salarié détaché.

.-b) Dans un avenir proche, il est impératif que la France pèse de tout son poids dans les négociations en cours pour la révision des règlements communautaires de sécurité sociale, afin que ce soit formellement inscrite dans ces textes la compétence du juge de l’Etat d’accueil et d’emploi du travailleur salarié ou non salarié à apprécier le bien fondé d’un certificat de détachement utilisé abusivement ou frauduleusement.

Pour compléter cet état des lieux, mentionnons que le juge du fond français, y compris depuis l’arrêt Vueling du 2 avril 2020, continue de s’abstraire de cette jurisprudence communautaire et d’apprécier le bien fondé de l’utilisation du certificat de détachement sur le territoire français.