Proposition de modification des textes communautaires de sécurité sociale

, par Hervé

Proposition de modification de la législation communautaire relative à la coordination des systèmes de sécurité sociale : adoption le 20 novembre 2018 du rapport Balas par la commission Emploi du Parlement européen

Voir le dossier de presse 2018 dossier presse rapport Balas commission Emploi PE novembre 2018

Présentation
L’Union européenne a engagé une procédure de révision des textes communautaires relatifs à la coordination des systèmes de sécurité sociale, notamment par une proposition de modification des deux piliers de cette législation que sont le règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004 et le règlement n° 987/2009 du 16 septembre 2009.
Ces règlements fixent notamment les règles de détermination de la législation applicable aux salariés en mobilité, parmi lesquels le salarié détaché de façon temporaire par son entreprise dans un autre Etat de l’Union européenne, pour l’exécution d’une prestation de travail à durée déterminée.
Lors de son passage et de son examen obligés au Parlement européen, la proposition de modification de ces règlements communautaires a été confiée à la commission Emploi de cette institution, qui a désigné M. Guillaume Balas, en qualité de rapporteur.
Le rapport issu de ces travaux a été présenté par M. Balas à la commission Emploi du Parlement européen, qui l’a adopté le 20 novembre 2018.
Le rapport contient trois propositions qui s’appliquent plus particulièrement au salarié détaché et qui sont présentées comme étant destinées à mieux lutter contre le dumping social pratiqué par les entreprises qui détachent des salariés :
.1- l’obligation que le salarié, qui va être détaché par son employeur, d’être préalablement affilié depuis au moins trois mois dans l’Etat dont l’institution de sécurité sociale assure la protection sociale ; cette antériorité d’affiliation est actuellement d’un mois et n’est d’ailleurs pas directement inscrite dans les règlements communautaires.
L’affiliation, et par suite la protection sociale du salarié qui va faire l’objet d’un détachement, sont en principe assurées par l’Etat sur le territoire duquel il exerce habituellement son activité professionnelle, qui est souvent, mais pas toujours, l’Etat dans lequel l’entreprise qui le détache a son siège ou dispose d’un établissement.
L’antériorité d’affiliation dans l’Etat d’envoi du salarié détaché qui serait portée à trois mois a pour objet de faire échec aux pratiques des sociétés de complaisance, dites « boites à lettres », qui se créent dans un Etat moins disant socialement, sans y avoir une activité réelle ou significative ; elle embauchent et détachent aussitôt les salariés dans d’autres Etats de l’UE, ce qui leur permet de proposer des devis et des marchés à coût plus bas.

.2- la limitation à dix huit mois de la durée du détachement, c’est-à-dire du maintien du salarié détaché au régime de protection sociale de l’Etat dans lequel il travaillait habituellement avant sa mobilité temporaire dans un autre Etat de l’Union. Au-delà de ce délai, si le salarié continue à travailler dans l’Etat d’accueil, son employeur devra l’immatriculer à la sécurité sociale de cet Etat et y verser des cotisations sociales. La limitation du détachement « sécurité sociale » serait ainsi alignée sur celle de la durée maximale du détachement « travail », telle qu’elle a été fixée par la directive du 28 juin 2018, c’est-à-dire douze mois, avec extension à dix huit mois (voir la présentation de la directive).

.3- la création d’un mécanisme de dépôt financier par l’entreprise qui détache le salarié, si les autorités compétentes de l’Etat membre d’affiliation et d’envoi du salarié détaché tardent à transmettre à l’Etat membre d’accueil les documents certifiant son affiliation au régime de sécurité sociale ; au terme d’un délai de vingt jours à compter de la date de notification d’envoi du salarié détaché, l’Etat membre d’envoi du salarié détaché verserait en dépôt l’équivalent du montant des cotisations sociales qui aurait dû être versé si le salarié avait été affilié au système de sécurité sociale de l’Etat d’emploi.

Le texte adopté par la commission Emploi du Parlement européen doit maintenant être voté en séance plénière par cette institution.

Commentaire
Seule la proposition visant à exiger une antériorité d’emploi de trois mois pour permettre à l’entreprise qui détache le salarié de le maintenir au régime de sécurité sociale de l’Etat d’envoi est susceptible de présenter un intérêt pour lutter contre la fraude, le travail illégal et le dumping social sur le territoire français ; les autres propositions sont inappropriées, eu égard aux caractéristiques des fraudes constatées en France, qui semblent être ignorées.
Par ailleurs, et surtout, le texte adopté par la commission Emploi du Parlement européen ne prévoit aucune mesure pour s’affranchir de la jurisprudence de la CJUE relative à la force contraignante du certificat de détachement dans l’Etat d’accueil et d’emploi.
.1- Exiger une antériorité d’emploi de trois mois du salarié détaché pour dispenser son employeur de verser les cotisations sociales dans l’Etat d’accueil et d’emploi est assurément une bonne mesure pour lutter contre les pratiques d’optimisation sociale des sociétés de complaisance, puisque la durée de cette antériorité serait quantifiée par un texte normatif explicite et contraignant. Actuellement, cette durée est fixée à un mois, par un texte qui n’a pas de réelle portée normative, puisqu’il s’agit d’une décision du 12 juin 2009 de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (voir la décision).
Cependant, cette exigence d’antériorité d’affiliation mérite d’être précisée et d’être articulée avec les directives détachement du 16 décembre 1996 et du 28 juin 2018.
En premier lieu, il est nécessaire que l’antériorité d’affiliation de trois mois ait été acquise, non pas en ayant travaillé dans l’Etat d’envoi, mais en travaillant pour le compte de l’entreprise qui détache le salarié dans un autre Etat de l’Union. Sinon, cette exigence n’aura aucun effet sur les pratiques des sociétés de complaisance qui continueront à embaucher pour immédiatement détacher, sans antériorité d’emploi à leur service. A cet égard, on notera que l’article 2 point 1 de la directive détachement du 16 décembre 1996 (voir la directive) mentionne un travail habituel, avant détachement, dans l’Etat d’envoi, et non pas dans l’entreprise qui détache. Dès lors, cette exigence substantielle d’antériorité d’emploi dans l’entreprise est loin d’être acquise dans le droit communautaire, même si l’article L.1263-1 du code du travail a anticipé et a pris quelque liberté sur ce point avec la directive de 1996.
En second lieu, dans un souci de cohérence et d’homogénéité, il convient d’inscrire cette durée d’antériorité de trois mois dans le droit communautaire relatif au détachement. L’article 2 point 1 de la directive de 1996 ne précise aucune durée d’antériorité d’emploi ; elle ne mentionne qu’un travail habituel. Cette cohérence rédactionnelle n’est pas prochainement envisageable, puisque la directive détachement du 28 juin 2018, très récemment adoptée en modification de la directive de 1996, ne prévoit pas cette antériorité d’emploi de trois mois.
Pertinente dans son principe, l’exigence d’antériorité d’affiliation de trois mois du salarié détaché dans l’Etat d’origine ainsi prévue risque d’être sans effet utile pour lutter contre le dumping social.
.2- La limitation de la durée du détachement à dix huit mois ne présente aucune utilité, aucun intérêt pour lutter contre le travail illégal et le dumping social. En effet, nulle fraude constatée sur le territoire français depuis 1986, date de l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans l’Union européenne, n’est fondée sur une durée excessive ou abusive d’un détachement de salarié. D’ailleurs, aucune condamnation n’est intervenue en France depuis cette date pour cette raison. Les fraudes constatées, nombreuses, constantes et préjudiciables, sont d’une autre nature : il s’agit des fraudes à l’établissement, de l’exercice illégal d’activités règlementées en France (entreprise de travail temporaire et agence de mannequins), du non respect des présomptions de salariat, des pratiques de fausse sous-traitance, des trafics de main d’œuvre, des dévoiements de la mobilité intragroupe internationale…La quasi-totalité des condamnations prononcées en France concernent ces fraudes, sans aucun lien avec une durée illégale ou abusive du détachement, qui n’est pas un sujet.
Considérer que la limitation de la durée du détachement, au sens des textes communautaires de sécurité sociale ou au sens des textes communautaires sur le détachement, est une bonne mesure pour lutter contre le travail illégal et le dumping social dénote une méconnaissance de la réalité des fraudes sur le territoire français du fait des entreprises étrangères et de leurs donneurs d’ordre.
.3- La création d’un dépôt financier, versé dans certains cas, au-delà de vingt jours de détachement, est l’exemple même de la mesure complexe, contraignante et véritable nid à contentieux qu’il faut éviter de mettre en œuvre, dès lors qu’existent d’autres solutions plus classiques et efficaces.
.4- En effet, la faiblesse essentielle du rapport adopté par la commission Emploi du Parlement européen est de ne proposer aucune mesure pour permettre à l’Etat d’accueil et d’emploi, victime de la fraude commise sur son territoire par l’employeur du salarié détaché, de s’affranchir de la jurisprudence communautaire A-Rosa, Altun et Alpenrind relative au certificat de détachement.
L’arrêt A-Rosa du 27 avril 2017 (voir la décision et son commentaire) et l’arrêt Altun du 6 février 2018 (voir la décision et son commentaire) interdisent au juge de l’Etat d’accueil et d’emploi de se prononcer d’initiative et d’office sur la validité d’un certificat de détachement, même obtenu ou utilisé de façon frauduleuse, dont la possession dispense l’employeur de verser des cotisations sociales dans cet Etat. La CJUE exige qu’au préalable l’Etat d’accueil et d’emploi demande le retrait du certificat de détachement à l’institution de sécurité sociale de l’Etat qui l’a émis.
Ce n’est que dans l’hypothèse où l’Etat qui a délivré le certificat de détachement ne répond pas dans un délai raisonnable que le juge de l’Etat d’accueil et d’emploi, en cas de fraude, peut se prononcer sur le bien fondé de ce document et le déclarer non valable sur le territoire national, pour en tirer toutes les conséquences civiles et pénales.
Mais si l’institution émettrice répond dans le délai raisonnable qu’elle ne retire pas le certificat de détachement, le juge de l’Etat d’accueil et d’emploi est lié par cette décision et ne peut pas sanctionner la fraude pourtant avérée sur son territoire, qui peut continuer à prospérer sans limitation de durée.
L’arrêt Alpenrind du 6 septembre 2018 (voir la décision et son commentaire) précise que le recours devant la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale contre la décision d’une institution de sécurité sociale de refuser de retirer un certificat de détachement à la demande de l’Etat d’accueil et d’emploi n’a pas d’effet contraignant à l’égard de ladite institution ; les conclusions de la commission sont un simple avis qui ne s’impose pas à cette institution.
Ainsi, nulle autorité ne peut contraindre l’institution à retirer un certificat de détachement frauduleux qui continuera de produire ses effets. La CJUE indique que l’Etat d’accueil et d’emploi dispose de la faculté la saisir d’une procédure en manquement contre l’Etat dont l’institution de sécurité sociale a délivré le certificat de détachement, mais cette procédure, longue et exceptionnelle, n’a pas été conçue pour traiter des dossiers individuels et un contentieux de masse.
Pour s’affranchir de cette jurisprudence rédhibitoire pour lutter contre le travail illégal et le dumping social sur le territoire français, il faudrait que les règlements communautaires de sécurité sociale réserve la compétence pleine et entière du juge de l’Etat d’accueil et d’emploi en présence d’un abus de droit ou d’une fraude ; il faudrait également que la saisine de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale soit considérée comme un véritable recours dont la décision s’impose à l’institution qui a émis le certificat de détachement. Ces évolutions nécessaires des textes communautaires de sécurité sociale ne sont pas envisagées.
Enfin, rien n’est dit sur la procédure de mise en œuvre des droits du salarié abusivement détaché, lorsqu’il souhaite écarter le certificat de détachement dont son employeur l’a indûment doté, et bénéficier ainsi de la protection sociale adéquate de l’Etat d’accueil et d’emploi dont il relève.

Le texte adopté le 20 novembre 2018 par la commission Emploi du Parlement européen n’aura quasiment aucun effet sur les pratiques de travail illégal et de dumping social constatées sur le territoire français, du fait des entreprises étrangères et de leurs donneurs d’ordre.