40 propositions pour mieux lutter contre le travail illégal et le dumping social
La prochaine réunion annuelle de la commission nationale de lutte contre le travail illégal (CNLTI) pourrait se tenir au mois de juin prochain. Elle fixera les objectifs et les priorités d’action pour les trois années à venir.
Dans cette perspective, voici, à l’attention des pouvoirs publics qui préparent ce plan d’action et cette réunion interministérielle ouverte aux partenaires sociaux, 40 propositions destinées à améliorer et à renforcer le dispositif de lutte contre le travail illégal et le dumping social.
.A. Améliorer la connaissance et mieux évaluer l’impact des dispositifs juridiques à incidence économique et financière
1.- Etablir un état des lieux et assurer un suivi chiffré et comptable de la mise en œuvre de la solidarité financière (rémunérations, cotisations sociales tous régimes confondus, impôts, taxes…) en matière de travail dissimulé, à l’égard du donneur d’ordre et du maître d’ouvrage ; proposer des améliorations pour un meilleur recouvrement des sommes dues par les donneurs d’ordre et les maîtres d’ouvrage qui recourent à du travail dissimulé.
2.- Etablir un état des lieux et assurer un suivi chiffré et comptable de la mise en œuvre de la solidarité financière en matière d’emploi de salarié étranger employé sans titre de travail et sans titre de séjour, à l’égard du donneur d’ordre pour le paiement de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire ; proposer des améliorations pour un meilleur recouvrement de ces pénalités financières.
3.- Etablir un état des lieux et assurer un suivi chiffré et comptable du paiement des cotisations aux caisses de congés payés (BTP et spectacles vivants et enregistrés) par les entreprises étrangères qui détachent des salariés en France. Aucun état des lieux n’a été réalisé depuis le mois de juillet 1994, date de l’assujettissement des entreprises étrangères à cette obligation. Or, la quasi-totalité des entreprises étrangères qui détachent des salariés dans ces secteurs d’activités est tenue de verser des cotisations en France.
Assurer un rapprochement et une cohérence/concordance avec les informations contenues dans la base nationale des déclarations de détachement SIPSI gérée par le ministère du travail.
Proposer des améliorations pour un meilleur recouvrement des cotisations dues par les entreprises étrangères aux caisses de congés payés.
4.- Etablir un état des lieux et assurer un suivi chiffré et comptable du paiement par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de la rémunération due au salarié étranger employé sans titre de travail, en application de l’article L.8252-4 du code du travail, issu de la transposition de la directive du 18 juin 2009 ; engager des modifications rédactionnelles de l’article L.8252-4 du code du travail pour le rendre plus conforme à la directive et en faire bénéficier davantage de salariés étrangers employés sans titre de travail.
5.- Etablir un état des lieux et assurer un suivi chiffré et comptable du nombre de refus d’aides à l’emploi, à la formation professionnelle et de culture, ainsi que du nombre de remboursement des aides versées ; engager les modifications nécessaires pour une meilleure application de ces mesures prévues par l’article L.8272-1 du code du travail.
6.- Etablir un état des lieux et assurer un suivi chiffré et comptable des procédures de demande de retrait, au titre du régime général et au titre du régime agricole, des certificats de détachement indûment ou abusivement utilisés en France par les entreprises étrangères pour ne pas y verser leurs cotisations sociales, ainsi que des montants de cotisations sociales réclamés et récupérés à l’issue de ces demandes. Depuis 2000, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) oblige l’Etat d’emploi d’un salarié détaché, qui conteste le bien fondé du certificat de détachement dont il est porteur, à en demander son retrait à l’institution de sécurité sociale qui l’a émis. A défaut, les cotisations sociales ne peuvent pas être récupérées en France.
.B. Améliorer et adapter le cadre juridique
.B.1 En relation avec le champ du travail illégal
7.- Etendre le champ du travail illégal pour inclure toutes les infractions liées aux trafics de main-d’œuvre étrangère. Compte tenu de la rédaction étroite de l’article L.8211-1 du code du travail, seule l’infraction d’emploi d’un salarié étranger sans titre de travail relève du champ du travail illégal. Les autres infractions en relation avec les trafics de main-d’œuvre étrangère, bien qu’étant des délits aussi graves, et en lien avec l’emploi d’un salarié étranger sans titre de travail, ne sont pas incluses dans le périmètre du travail illégal.
Sont ainsi exclus, le délit de recours visant le donneur d’ordre, le maître d’ouvrage et tous autres intermédiaires dans une chaîne de sous-traitance, le délit de versement de contrepartie pour l’introduction et l’embauche, le délit de remboursement des taxes payées par l’employeur à l’OFII et le délit de fraude pour l’obtention d’un titre de travail.
Rien ne justifie cette exclusion, qui a pour effet d’empêcher la mobilisation des prérogatives des agents de contrôles et des diverses sanctions prévues par le dispositif juridique de lutte contre le travail illégal.
8.- Restaurer et compléter les dispositions du code du travail relatives au paiement de la contribution spéciale par le donneur d’ordre. Jusqu’à la parution du décret n° 2012-812 du 16 juin 2012 qui a modifié les modalités de recouvrement de la contribution spéciale inscrites dans le code du travail, la rédaction des articles R.8253-1 et suivants du code du travail permettait à l’OFII de demander au donneur d’ordre le paiement de la contribution spéciale, dans le cadre du principe posé par les articles L.8254-1 et suivants de ce même code.
Le décret du 16 juin 2012 a maintenu dans le code du travail l’article D.8254-14 qui mentionne des articles abrogés par ce même décret ; ces articles, non remplacés, détaillaient la façon de déterminer le montant de la contribution spéciale due par le donneur d’ordre et ses modalités de recouvrement. Faute de base juridique, l’OFII ne peut plus, depuis le mois de juin 2012, s’adresser au donneur d’ordre pour lui demander de payer la contribution spéciale. Aucune explication n’a été donnée sur la malfaçon rédactionnelle du décret du 16 juin 2012, qui affaiblit considérablement l’outillage juridique dissuasif à l’égard du donneur d’ordre impliqué dans cette forme de travail illégal.
9.- Prendre le décret d’application permettant le paiement par le donneur d’ordre de la contribution forfaitaire de réacheminement du salarié étranger employé sans titre de séjour. L’article L.8254-2 du code du travail autorise l’OFII, depuis la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, à demander au donneur d’ordre de payer la contribution forfaitaire pour réacheminement prévue par l’article L.626-1 du CESEDA. La mise en œuvre de cette mesure nécessitait de publier un décret d’application qui n’a pas été pris, pour des raisons non expliquées.
Ajouter au fait que la contribution spéciale ne peut pas être non plus réclamée au donneur d’ordre, il s’agit de deux mesures importantes dont le dispositif de lutte contre les trafics de main-d’œuvre étrangère est privé depuis plusieurs années.
10.- Etendre le périmètre des sanctions administratives au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage qui recourent à une entreprise qui emploie un salarié étranger sans titre de travail et à toux ceux qui participent à des trafics de main d’œuvre étrangère. Les articles L.8272-1 (refus ou remboursement des aides publiques), L.8272-2 (fermeture temporaire d’établissement ou arrêt temporaire d’activité) et L.8272-4 (exclusion temporaire des marchés et contrats publics) du code du travail visent, par renvoi à l’article L.8211-1, les infractions relevant du champ du travail illégal susceptibles de faire l’objet de ces sanctions administratives.
S’agissant de la main d’œuvre étrangère, l’article L.8211-1 du code du travail ne mentionne que l’emploi d’étranger sans titre de travail, c’est-à-dire l’infraction visée à l’alinéa 1er de l’article L.8251-1 du code du travail. L’article L.8211-1 du code du travail ne mentionne pas l’infraction de recours à celui qui emploie un étranger sans titre de travail, codifiée à l’article L.8251-2 du code du travail, ni les autres infractions du code du travail constitutives de trafics de main d’œuvre étrangère.
La combinaison de ces différentes dispositions du code du travail a pour effet d’’exclure le donneur d’ordre et le maître d’ouvrage qui recourent à une entreprise qui emploie de la main d’œuvre étrangère sans titre de travail des trois sanctions administratives précitées, contrairement à ce qui est prévu en matière de travail dissimulé ; il en est de même pour toutes les autres personnes qui participent à des trafics de main-d’œuvre étrangère.
.B.2. En relation avec les prérogatives des institutions
.11.- Rendre opérationnelle la compétence des agents de la direction générale de l’aviation civile (DGAC) en matière de travail dissimulé, qui est prévue dans le code du travail depuis la loi du 11 mars 1997 ; depuis cette date, aucune initiative n’a été prise pour rendre effective cette compétence, malgré les fraudes qui existent dans le transport et le travail aériens.
12.- Lever le secret professionnel entre les agents de contrôle et les services de recouvrement d’une part et les salariés victimes de travail illégal ou de dumping social d’autre part, afin que ceux-ci puissent effectivement faire valoir leurs droits prévus par le code du travail à l’égard des donneurs d’ordre (solidarité financière, articles L.1262-4-3, L.3245-2, L.8252-4, L.8254-2-1 et L.8281-1 du code du travail). Les droits sociaux prévus par ces dispositions du code du travail ne sont pas valorisés par les salariés, qui n’en bénéficient pas de fait, car ces derniers ignorent si les conditions de leur mise en œuvre sont réunies. Seuls les agents de contrôle et les services de recouvrement disposent de ces informations indispensables, mais couvertes par le secret professionnel.
13.-Lever le secret professionnel entre d’une part l’OFII et d’autre part les organismes de protection sociale et les caisses de congés payés. L’article L.8252-4 du code du travail habilite l’OFII à intervenir auprès de l’employeur d’un salarié étranger employé sans titre de travail et auprès de son donneur d’ordre pour assurer le paiement des rémunérations dues à ce salarié. Cependant, le mécanisme de garantie institué par l’article L.8252-4 du code du travail ne s’étend pas au paiement des cotisations et contributions sociales dont le recouvrement n’est pas envisagé et assuré dans ce cadre juridique. La levée du secret professionnel permettrait à l’OFII de transmettre ces informations aux organismes de protection sociale et aux caisses de congés payés.
14.- Permettre aux caisses de congés payés de consulter la base nationale CIRSO des déclarations préalables à l’embauche.
15.- Permettre à tous les agents de contrôle habilités en matière de travail illégal et aux caisses de congés payés de consulter la base nationale SIPSI des déclarations de détachement de salariés sur le territoire français, gérée par le ministère du travail. Actuellement, seule l’inspection du travail peut consulter cette base nationale.
.B.3. En relation avec les droits des victimes
16.- Supprimer l’obligation d‘établir un procès-verbal pour mettre en œuvre la solidarité financière pour travail dissimulé à l’encontre du donneur d’ordre. Cette obligation n’existait pas dans la loi du 31 décembre 1991 lors de la création de cette mesure ; elle a été ajoutée, sans explication et sans justification, par la loi du 13 août 2004. Cette obligation de verbaliser interdit, par nature, depuis cette époque au salarié dissimulé de mettre en œuvre la solidarité financière, alors qu’il état censé en être le premier bénéficiaire de cette mesure dans l’esprit de la loi du 31 décembre 1991.
17.- Introduire dans le code de la sécurité sociale et le code rural une disposition rendant possible une action récursoire de la CPAM, de la caisse de MSA et de tous autres organismes prestataires contre le donneur d’ordre qui recourt à l’employeur d’un salarié dissimulé ou d’un salarié étranger sans titre de travail, victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ; l’action récursoire aurait pour objet de récupérer auprès du donneur d’ordre le montant des sommes versées par ces organismes à l’occasion de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle.
18.- Restaurer la pénalisation du défaut de déclaration d’un accident du travail survenu au salarié détaché. La récente dépénalisation et la création d’une amende administrative, par la loi du 8 août 2016, pour défaut de déclaration d’accident du travail est discriminante par rapport au salarié français et pénalisante pour la valorisation de ses droits de victime. Elle l’empêche de porter plainte devant le procureur de la République, d’avoir accès au dossier d’enquête pénale qui n’existe plus, de se constituer partie civile, de faire valoir ses droits lors d’une audience pénale et d’utiliser les éléments de la procédure pénale devant le TASS.
Par ailleurs, la loi du 8 août 2016 a également introduit une double discrimination entre l’entreprise française et l’entreprise étrangère pour le même manquement de défaut de déclaration d’un accident du travail ; cette discrimination porte sur la nature de la sanction (l’une est pénale, l’autre est administrative) et le quantum de la sanction (le quantum pour l’entreprise étrangère est nettement plus élevé), qui sont sensiblement différents.
19.- Etendre le bénéfice de la solidarité financière aux caisses de congés payés. L’extension de la solidarité financière au paiement des cotisations qui sont dues aux caisses de congés payés, outre son caractère préventif et dissuasif à l’égard des donneurs d’ordre, permettrait aux caisses de congés payés de récupérer auprès de ceux-ci les cotisations impayées par leurs sous-traitants, notamment lorsque les sous-traitants sont des entreprises étrangères qui ont quitté le territoire français sans s’acquitter du versement de leurs cotisations.
20.- Etendre et renforcer les droits sociaux du salarié étranger employé sans titre de travail. L’article L.8252-1 du code du travail mentionne les droits sociaux dont bénéficie, au titre de la législation du travail, le salarié étranger employé sans titre de travail. Ces droits sociaux sont énumérés de façon limitative, même si une lecture ouverte du code du travail lui permet à l’évidence de bénéficier d’autres droits sociaux, tels que le Smic, non visé expressément par l’article L.8252-1 du code du travail. Mais cette lecture ouverte du code du travail peut faire l’objet d’une autre interprétation littérale par le juge, dès lors que la demande du salarié porte sur la reconnaissance de droits moins formellement établis et que le juge fait prévaloir les dispositions relevant de la police des étrangers sur le droit social.
Cette incertitude sur l’étendue des droits sociaux du salarié étranger au regard de l’article L.8252-1 du code du travail est de nature à favoriser par ailleurs les trafics de main-d’œuvre étrangère et le dumping social, au bénéfice d’employeurs peu scrupuleux.
Pour sécuriser les droits sociaux du salarié étranger employé sans titre de travail, l’article L.8252-1 du code du travail nécessite d’être complété afin qu’il puisse bénéficier des dispositions relatives au salaire minimal, aux modalités de paiement de son salaire, au bulletin de paie, aux textes conventionnels applicables à son employeur, à la protection en matière d’accident et de maladie professionnelle, à la protection relative à la maternité, à la procédure individuelle de licenciement ainsi qu’à l’indemnité compensatrice de préavis et à l’indemnité de licenciement.
21.- Rendre effectifs les droits sociaux du salarié étranger employé sans titre de travail. La forte médiatisation des fraudes au détachement des salariés sur le territoire français fait oublier l’emploi d’autres salariés à bas coût, que sont les salariés étrangers sans titre de travail. En transposition de la directive du 18 juin 2009, il a été introduit dans le code du travail par la loi du 16 juin 2011 (voir l’article 77 de la loi) un article L.8252-4 destiné à garantir le paiement des sommes dues à ces salariés victimes du travail illégal.
La transposition minimaliste de la directive et la rédaction très restrictive de l’article L.8252-4 du code du travail privent cette disposition de tout effet utile. Depuis 2012, moins d’une dizaine de salariés étrangers ont pu bénéficier du paiement de leur rémunération, en application de cet article du code du travail, alors que les estimations évaluent entre 250 000 et 400 00 le nombre de salariés étrangers employés sans titre de travail. Les cotisations sociales susceptibles d’être récupérées dans le cadre de l’application de l’article L.8252-4 du code du travail sont du même ordre de grandeur, c’est-à-dire insignifiantes et dérisoires.
L’article L.8252-4 du code du travail doit faire l’objet d’une nouvelle rédaction, sensiblement différente, pour rendre effective la transposition de la directive du 18 juin 2009 et obtenir, par voie de conséquence, le paiement effectif des sommes dues au salarié étranger employé sans titre de travail, ainsi que le paiement des cotisations sociales éludées lors de l’emploi illégal de cette catégorie de salariés.
22.- Etendre la saisine judiciaire d’initiative des organisations syndicales en faveur du salarié étranger employé sans titre de travail. L’article L.8255-1 du code du travail autorise les organisations syndicales à saisir d’initiative le conseil des prud’hommes pour faire valoir les droits sociaux du salarié étranger employé sans titre de travail. Ces droits sont limitativement énumérés par les articles L.8252-1 et L.8252-2 de ce même code. Les actions en reconnaissance de droits sociaux du salarié étranger devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) ne sont pas envisagées par le code du travail.
La compétence reconnue aux organisations syndicales justifie d’être étendue à la saisine du TASS pour les affaires relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles dont est victime ce salarié.
.B.4. En relation avec l’hébergement collectif des salariés
23.- Créer une sanction pénale en cas de non-respect par le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage de son obligation de prise en charge de l’hébergement collectif des salariés du sous-traitant. L’article 4 de la loi du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, dite loi Savary, prévoit que le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage, lorsqu’il a été informé par un agent de contrôle, que les salariés de son sous-traitant sont logés dans des conditions indignes, doit prendre en charge l’hébergement de ces salariés dès lors que cette situation n’a pas été régularisée. Aucune sanction pénale n’est prévue si le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage n’assure pas cette prise en charge et que les salariés restent logés dans des conditions indignes.
Dès lors, il faut créer une sanction pénale explicite et spécifique, en cas de défaillance du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage dans cette prise en charge ; le quantum serait celui prévu par l’article 225-14 du code pénal qui réprime les conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine.
24.- Réduire à deux jours le délai de déclaration d’un hébergement collectif de salariés. L’article 2 du décret du 20 janvier 1975 d’application de la loi du 27 juin 1973 accorde à l’hébergeur un délai de trente jours pour procéder à cette déclaration. Ce délai trop long n’est pas adapté au logement temporaire des salariés (dans le BTP, l’agriculture, le forestage, les activités saisonnières, ainsi que pour les salariés détachés). Ce délai n’est pas non plus pertinent dès lors qu’un hébergement indigne de plusieurs salariés peut exister pendant trente jours, à l’insu des autorités administratives compétentes. L’article 2 du décret du 20 janvier 1975 n’est plus en phase avec la volonté du législateur, telle qu’elle résulte de la loi Savary et de la loi Macon, de mieux lutter contre les hébergements indignes de salariés.
Le délai de déclaration d’un hébergement collectif de salariés en préfecture et à l’inspection du travail serait ramené à quarante huit heures.
.B.5. En relation avec les entreprises étrangères et le détachement de salarié
25.- Demander la modification des règlements communautaires de coordination de sécurité sociale, afin de permettre au juge de l’Etat d’accueil et d’emploi du salarié détaché d’écarter un certificat de détachement abusif ou frauduleux ; cette modification essentielle des textes communautaires permettrait au juge français de s’affranchir de la jurisprudence de la CJUE qui lui interdit d’écarter d’office ce formulaire abusif ou frauduleux et de condamner l’entreprise étrangère à verser ses cotisations sociales en France. La CJUE impose d’en demander le retrait préalable à l’institution qui l’a délivré ; or ces formulaires sont très rarement retirés, ce qui constitue un manque à gagner très conséquent pour les ressources de la sécurité sociale (voir proposition 5).
La fraude au détachement de salarié sur le territoire français est de fait non sanctionnée, favorisant objectivement le travail illégal et le dumping social.
26.- Abroger l’article L.114-15-1 du code de la sécurité sociale qui prévoit une pénalité civile pour défaut de présentation du certificat de détachement. L’article 27 de la loi du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 a codifié dans le code de la sécurité sociale un article L.114-15-1 qui prévoit que le certificat de détachement dont est titulaire un travailleur indépendant établi à l’étranger ou un salarié détaché en France par une entreprise établie à l’étranger doit être présenté, lorsque ce document est obligatoire, aux agents de contrôle habilités en matière de travail dissimulé, par celui-ci ou son donneur d’ordre.
Ce document est produit, soit lors du contrôle, soit dans les deux mois qui suivent celui-ci.
Le défaut de présentation du certificat de détachement, lorsqu’il est obligatoire, est passible d’une pénalité civile due par le donneur d’ordre. Le montant de cette pénalité est de 3377 euros (plafond mensuel de la sécurité sociale 2019) par salarié.
L’abrogation de cette disposition, sans effet utile, se justifie pour les raisons suivantes :
.- cette disposition est redondante avec l’article L.8271-9 du code du travail qui existe depuis 1991 ;
.- cette disposition est plus restrictive des prérogatives des agents de contrôle que l’article L.8271-9 du code du travail ; celui-ci prévoit la présentation immédiate du certificat de détachement, alors que l’article L.114-15-1 du code de la sécurité sociale accorde un délai de deux mois pour le présenter.
.- elle laisse penser au donneur d’ordre que ce document est obligatoire, alors qu’il est optionnel ;
.- elle est contradiction avec l’article D.8222-7 1° b) du code du travail qui fait état, à juste titre, du régime optionnel de la protection sociale ;
.- le défaut de présentation d’un certificat de détachement constitue à titre principal le délit de travail dissimulé par défaut de déclaration sociale ; ajouter une seconde sanction de nature civile est sans intérêt et risque, par ailleurs, de contrevenir à la règle ne bis in idem.
.- focaliser sur la présentation du certificat de détachement, dont la possession devient de fait obligatoire, est une erreur, puisque sa présentation et sa possession, souvent indue, privent les organismes de protection sociale de cotisations sociales. On perçoit mal l’intérêt pour les ressources de la sécurité sociale et pour la protection sociale du salarié.
.- l’opposabilité du certificat de détachement détenu de façon injustifiée ou frauduleuse est confortée par la jurisprudence rigoureuse de la CJUE, qui dénie à l’Etat d’accueil et d’emploi du salarié détaché un droit de contrôle d’office et d’initiative sur la pertinence de ce formulaire indûment délivré ou produit. Pourquoi alors exiger la présentation d’un formulaire non approprié et privatif de ressources pour la sécurité sociale et donnant l’apparence d’une protection sociale non pertinente ?
27.- Qualifier en délit (qualification binaire identique à celle du non respect de la déclaration préalable à l’embauche) le non respect du Smic ou du salaire minimum conventionnel étendu. Actuellement, le non respect de ces minima constitue une simple contravention qui n’est pas à la hauteur des enjeux et qui n’est pas dissuasive pour lutter contre le dumping social, notamment du fait des entreprises étrangères. Cette qualification peut être appliquée aux employeurs établis en France.
28.- Créer un délit de recours à une entreprise qui ne respecte pas le Smic ou le salaire minimum conventionnel étendu, dès lors que le donneur d’ordre, informé de ce fait par l’administration, continue de recourir à cette entreprise, établie en France ou à l’étranger, qui n’a pas régularisé la situation.
29.- Permettre à l’inspection du travail de suspendre temporairement l’activité de l’entreprise, française ou étrangère, qui pratique du travail illégal ou du dumping social. Les articles L.1263-3 et suivants du code du travail autorisent la suspension temporaire de l’activité d’une entreprise étrangère, relevant d’une prestation de services, qui ne respecte pas la législation en matière de SMIC, de minima conventionnels, de repos quotidien et hebdomadaire, de durée du travail, d’hébergement collectif de salariés détachés, ainsi que de présentation immédiate de documents à l’inspection du travail et de paiement des amendes administratives éventuellement dues, dès lors que l’entreprise n’a pas régularisé la situation à la demande de l’inspection du travail.
Il s’agit dans son principe d’une très bonne mesure, mais qui est vidée de sa substance et de son intérêt par les modalités de sa mise en œuvre.
La suspension d’activité n’est pas à la main de l’inspection du travail, contrairement aux autres suspensions d’activité pour manquement à la loi. La suspension est prononcée par le Direccte ou le Dieccte, après une procédure administrative nécessairement longue et donc incompatible avec le caractère temporaire de l’intervention de l’entreprise étrangère.
Par ailleurs, le droit du travail est d’application directe et immédiate. Pourquoi dès lors donner à l’entreprise étrangère un délai pour « régulariser » des manquements majeurs, avant de suspendre éventuellement son activité ? Ce délai de « régularisation » n’existe pas lorsqu’est constaté un risque de chute de hauteur ou d’ensevelissement. Ce délai de « régularisation » n’existe pas à l’égard des entreprises françaises ; n’est-ce pas créer un droit du travail à deux vitesses ?
Ce délai a pour objet de permettre à l’entreprise étrangère de « régulariser » la situation. Or, on ne peut pas régulariser le non-respect des repos ou des durées maximales de travail. Le manquement est consommé. On peut simplement demander de respecter à l’avenir le code du travail. Pourquoi alors donner un délai pour respecter à l’avenir le code du travail qui s’applique de plein droit ?
La suspension d’activité ne concerne pas les entreprises françaises qui commettent les mêmes manquements, ce qui fragilise juridiquement la mesure qui peut être analysée comme une entrave à la libre prestation de services des entreprises étrangères.
Pour donner un effet réellement utile à la suspension d’activité, il faut confier cette mesure à l’inspection du travail puisqu’il s’agit du non-respect du code du travail. La suspension d’activité doit être prononcée dès le constat, sans accorder de délai de régularisation à l’entreprise étrangère, ainsi qu’il en est pour le risque de chute de hauteur ou d’ensevelissement. La suspension d’activité doit être étendue au non-respect du repos dominical, à la dissimulation d’emploi salarié et à l’emploi de salarié étranger sans titre de travail. Elle doit s’appliquer, sans discrimination, à toutes les entreprises sur le territoire français et notamment aux entreprises françaises qui commettent les mêmes manquements à la loi.
Il doit être interdit au maître d’ouvrage ou au donneur d’ordre, dûment informé de la suspension, de recourir à une entreprise dont l’activité est suspendue.
Le non-respect de la suspension d’activité, ou du recours à une entreprise en suspension d’activité, est assorti d’une pénalité administrative dissuasive prononcée par le Direccte ou le Dieccte.
Cette pénalité s’applique de plein droit ; elle n’est pas à la discrétion du Direccte ou du Dieccte.
30.- Permettre à l’inspection du travail de suspendre temporairement l’activité de l’entreprise étrangère lorsque la déclaration de détachement du salarié n’a pas été effectuée dans les 48 h. qui suivent ce détachement. L’article L.1263-4-1 du code du travail autorise la suspension temporaire de l’activité d’une entreprise étrangère, en prestation de services, lorsque la déclaration de détachement du salarié n’a pas été adressée à l’inspection du travail dans les 48 h. qui suivent ce détachement.
Cette mesure est vidée de sa substance par les modalités de sa mise en œuvre.
La suspension d’activité n’est pas à la main de l’inspection du travail, contrairement aux autres suspensions d’activité pour manquement à la loi. La suspension est prononcée par le Direccte ou le Dieccte, après une procédure administrative nécessairement longue et donc incompatible avec le caractère temporaire de l’intervention de l’entreprise étrangère.
Pour donner un effet réellement utile à la suspension d’activité, il faut confier cette mesure à l’inspection du travail, puisqu’il s’agit du non-respect du code du travail.
31.- Faire peser une obligation de résultat sur le donneur d’ordre et sur le maître d’ouvrage pour le non-respect des normes salariales françaises et l’assortir d’une sanction dissuasive. L’article L.1262-4 8° du code du travail oblige, depuis le 11 juillet 1994, l’entreprise étrangère qui détache des salariés sur le territoire français à les payer sur les bases des rémunérations prévues par les conventions collectives étendues, ou à défaut, sur la base du SMIC. Il prévoit également le paiement de toutes les heures de travail accomplies, y compris les heures supplémentaires.
Le non-respect de ces obligations est sanctionné par les peines applicables aux contraventions de 4ème ou de 5ème classe. Le montant de l’amende éventuellement prononcée par le tribunal est donc dérisoire par rapport aux intérêts économiques et financiers en jeu et aux conséquences de la concurrence déloyale générée par ces pratiques ; ce n’est pas le montant de cette amende qui permet de lutter contre le dumping social (voir propositions 25 et 26).
L’article L.3245-2 du code du travail, créé par l’article 5 de la loi Savary, fait peser sur le donneur d’ordre et le maître d’ouvrage ce qui est présenté comme une obligation de vigilance pour obtenir le respect des normes salariales françaises. Il s’agit en réalité d’une simple obligation de moyen (envoi d’un courrier à l’entreprise étrangère), qui n’est pas suffisamment dissuasive pour empêcher cette forme de dumping social de prospérer.
En effet, le seul envoi de ce courrier exonère totalement le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage ; il peut dès lors continuer à recourir, sans aucun risque juridique, à cette entreprise étrangère qui paierait ses salariés en dessous de ces minima. Il n’est même pas tenu de résilier le marché.
Pour responsabiliser davantage le donneur d’ordre et le maître d’ouvrage dans le choix de son cocontractant et, le cas échéant, les mettre en cause, ainsi que le maître d’ouvrage, il faut modifier le code du travail et faire peser sur le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre une obligation de résultat. Cette obligation de résultat vise à obtenir effectivement le versement des rappels de salaire nécessaire au respect de la législation française, y compris en matière d’égalité de traitement de rémunération. A défaut, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre, qui recourt à une entreprise qui pratique cette forme de dumping social, commet un délit passible des mêmes sanctions que celles prévues pour le recours à du travail dissimulé (voir propositions 25 et 26). Sans préjudice des droits du salarié de les assigner devant le conseil de prud’hommes.
La loi doit également obliger le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage à résilier le marché conclu avec une entreprise étrangère qui, après leur injonction, n’a pas régularisé la rémunération du salarié détaché.
Par ailleurs, afin de rendre effective la valorisation en justice des droits des salariés détachés par les intéressés ou par les organisations syndicales, il convient de leur faciliter l’accès aux informations leur permettant de mettre en cause le donneur d’ordre et le maître d’ouvrage devant le conseil de prud’hommes. Le secret professionnel doit être levé entre les intéressés et les agents de contrôle habilités, afin que ceux-ci puissent leur communiquer tous renseignements et tous documents utiles à l’action prud’homale (voir proposition 10). Sinon, cette action prud’homale restera virtuelle et de pur affichage.
32.- Compléter les mentions obligatoires sur le bulletin de paie remis au salarié détaché. Actuellement, ces mentions, sensiblement réduites par rapport aux mentions portées sur le bulletin de paie remis à un salarié d’une entreprise française, sont trop sommaires pour vérifier utilement le respect du versement de la rémunération minimale due au salarié détaché ; le bulletin de paie doit être complété par la mention de la nature et du montant des retenues et des ajouts au salaire de base.
.C. Consolider les ressources documentaires et juridiques des agents de contrôle, des services de recouvrement et des magistrats
33.- Actualiser le précis interministériel de règlementation sur le travail illégal (pas à jour depuis 2002).
34.- Actualiser le guide interministériel sur le contrôle de la fausse sous-traitance (pas à jour depuis 2001).
35.- Actualiser le guide sur le contrôle de l’emploi des mannequins (pas à jour depuis 1997).
36.- Actualiser le guide interministériel sur le contrôle des spectacles vivants et enregistrés (pas à jour depuis février 2016).
37.- Elaborer un guide interministériel sur les droits des victimes du travail illégal, du dumping social et de la traite des êtres humains par le travail.
38.- Elaborer un guide interministériel de contrôle des entreprises étrangères et du détachement de salarié.
39.- Elaborer un guide interministériel de contrôle des faux statuts.
40.- Elaborer un guide interministériel de contrôle des donneurs d’ordre et des maitres d’ouvrage.