Nouvelle organisation institutionnelle de la lutte contre le travail illégal

Nouvelle organisation institutionnelle de la lutte contre le travail illégal, et de la lutte contre la fraude de façon plus générale – décret du 15 juillet 2020

Voir le décret n° 2020-872 du 15 juillet 2020

Présentation
Conformément à l’annonce faite le 17 février 2020 par le Premier ministre (voir la rubrique Actualités), le gouvernement vient de publier un décret du 15 juillet 2020 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre la fraude et à la création d’une mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF).
La mission interministérielle de coordination anti-fraude succède à la délégation interministérielle à la lutte contre la fraude (DNLF), qui est supprimée.
Le décret du 15 juillet 2020 décrit l’organisation institutionnelle mise en place au niveau national et au niveau départemental, en précisant les missions et rôles de chacune des structures relevant cette organisation.

Au niveau national, sont créées trois structures :
.a) une mission interministérielle, dénommée mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF), chargée de veiller à la bonne coordination de l’ensemble des partenaires engagés dans la lutte contre la fraude aux finances publiques, qu’elle se rapporte aux prélèvements obligatoires fiscaux et prélèvements sociaux ainsi qu’aux autres recettes des collectivités publiques ou aux prestations sociales. Elle contribue également à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.
La mission est placée sous l’autorité du ministre chargé du budget, par délégation du Premier ministre.

La mission se voit confier sept missions à titre principal, dont les trois suivantes :
.- assurer un suivi actif de groupes opérationnels nationaux anti-fraude qui réunissent périodiquement autour d’une direction chef de file les administrations et organismes concernés par des thématiques de fraude prioritaires,
.- impulser de nouvelles synergies en matière d’échanges d’informations entre partenaires, notamment en matière d’interconnexion des données dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 informatique et libertés,
.- proposer toute réforme visant à favoriser une plus grande efficacité et une meilleure articulation des moyens d’investigation et de sanction, ainsi qu’un meilleur recouvrement en matière de lutte contre la fraude aux finances publiques.

.b) un comité interministériel anti-fraude présidé par le Premier ministre, qui comprend les ministres chargés du budget, du travail, de la sécurité sociale, de la santé, de la justice, de l’intérieur, de l’immigration, de l’agriculture et des transports. Selon l’ordre du jour, d’autres membres peuvent siéger, en particulier les organismes de protection sociale.
Le comité interministériel est informé de l’activité des groupes opérationnels nationaux anti-fraude et de celle des comités opérationnels départementaux anti-fraude. Il est chargé de définir ou redéfinir, en tant que de besoin, leurs thématiques et orientations d’actions prioritaires sur la base des propositions de la mission interministérielle, après concertation avec l’ensemble des partenaires concernés.
Il peut entendre toute personne utile et qualifiée (représentants des collectivités territoriales, des partenaires sociaux, des chambres consulaires…).
Le comité interministériel peut également se réunir sur les questions relatives à la lutte contre le travail illégal distinctes des thématiques et orientations d’actions prioritaires des groupes opérationnels nationaux anti-fraude et des comités opérationnels départementaux anti-fraude. Il détermine notamment les orientations de contrôle et de prévention relatives à la lutte contre le travail illégal et veille à leur mise en œuvre coordonnée.

.c) des groupes opérationnels nationaux anti-fraude qui réunissent périodiquement autour d’une direction chef de file les administrations et organismes concernés par des thématiques de fraude prioritaires, définies par le comité interministériel, sur la base des propositions de la mission anti-fraude. Ces groupes ont pour missions de promouvoir les échanges opérationnels entre partenaires et de définir des stratégies communes d’action.
Si on se réfère aux déclarations du Premier ministre du 17 février 2020, dix groupes opérationnels pourraient être constitués sur les sujets suivants :
. - la fraude à la TVA,
. - la fraude via le e-commerce,
.- le travail illégal,
.- les sociétés éphémères frauduleuses,
.- la fraude à la résidence pour obtenir des aides ou se soustraire à l’impôt,
.- la fraude documentaire et à l’identité, notamment en matière de prestations sociales,
.- l’adaptation des moyens des enquêtes aux enjeux numériques,
.- la recherche d’un meilleur recouvrement des créances en matière de fraude aux finances publiques,
.- la contrefaçon,
.- le trafic de tabac.

Au niveau local, le décret confirme l’existence du comité opérationnel départemental anti-fraude (CODAF) dont les missions, de coordination notamment, et la composition ne sont pas modifiées ; mais, au titre de ses missions, l’article 7 du décret cite, en premier lieu des missions du CODAF, la lutte contre la fraude portant atteinte aux prélèvements obligatoires fiscaux et aux prélèvements sociaux ou à d’autres recettes des collectivités publiques ainsi qu’aux prestations sociales. La lutte contre le travail illégal n’est mentionnée qu’en second rang.

Commentaire
La nouvelle organisation institutionnelle de lutte contre la fraude mise en place par le décret du 15 juillet 2020 dégrade sensiblement, et pour la seconde fois consécutive, l’importance accordée à la lutte contre le travail illégal et le dumping social.
Ce positionnement de l’Etat a commencé en 2008 avec la suppression de la Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI) à laquelle a succédé la DNLF, créée par le décret du 18 avril 2008 (voir le décret) qui, lui-même, mentionnait à la marge la lutte contre le travail illégal.

.1) Le décret du 15 juillet 2020 remplace une délégation par une simple mission, revenant ainsi à l’organisation administrative existant avant le décret du 11 mars 1997 qui créa la DILTI (voir le décret) ; cette mission reste placée sous l’autorité du ministre du budget et ne relève pas ni directement de l’autorité du Premier ministre, ni du ministre chargé du travail et de l’emploi, comme l‘était la DILTI.
Cette confirmation de l’orientation politique de la lutte contre la fraude atteste que la lutte contre le travail illégal et le dumping social n’est plus en soi une préoccupation spécifique et majeure des pouvoirs publics, ce que ressort explicitement de l’article 1er du décret qui ne mentionne pas la lutte contre le travail illégal. A l’identique, l’article 7 du décret qui définit les missions du CODAF ne cite la lutte contre le travail illégal qu’en second rang.

.2) Les sept missions attribuées à la MICAF sont définies en termes très généraux, ce qui laisse à chacun des ministères intéressés, aux organismes de protection sociale et aux groupes opérationnels nationaux anti-fraude toute latitude pour agir à leur guise. Le décret ne fait pas état non plus d’une coopération avec l’Autorité européenne du travail (AET) qui a vocation à lutter contre la fraude au détachement transnational du salarié du fait des entreprises étrangères (voir la rubrique Actualités). Ce rôle peu valorisant confié à la MICAF sonne le glas du travail interministériel effectif et efficace.

.3) Le décret n’évoque ni les droits sociaux des salariés victimes du travail illégal, ni la participation des caisses de congés payés au dispositif institutionnel, ni la lutte contre les fraudes commises par les entreprises étrangères, en raison de leur activité sur le territoire français alors que les pouvoirs publics ne cessent d’en faire état comme politique prioritaire.

.4) Les groupes opérationnels nationaux anti–fraude ne seront pas opérationnels, au sens usuel de ce terme, et sont improprement désignés comme tels. En effet, selon l’article 3 du décret du 15 juillet 2020, ces structures, au statut indéfini, sont chargés de promouvoir les échanges opérationnels entre partenaires et de définir des stratégies communes d’action ; ils ne participent donc pas aux contrôles, enquêtes et investigations.
Confier par décret de façon explicite ces deux missions précises à des structures ad hoc montre que l’organisation institutionnelle qui devait être mise en place avec la création de la DNLF a failli.
Par ailleurs, appliquées à la lutte contre le travail illégal et le dumping social, ces deux missions relèvent déjà de l’activité des CODAF. Sauf à inclure dans ce périmètre des missions la confection d’outils interministériels d’aide au contrôle : refonte complète de guides de contrôle obsolètes depuis 15 ans, création d’une base de jurisprudence, création d’une base de suivi des demandes de retrait des certificats de détachement…
En tout état de cause, ces groupes opérationnels n’auront aucune autorité sur les administrations et organismes de protection sociale.

.5) Si l’objet des dix groupes opérationnels annoncés par le Premier ministre le 17 février 2020 reste inchangé, des recoupements de compétence et d’attribution vont très vite se manifester.
Ainsi le groupe qui s’occupera du travail illégal aura nécessairement à connaitre, sauf méconnaissance de la réalité de cette délinquance, de la fraude à la TVA, de la fraude via le e-commerce, des sociétés éphémères frauduleuses, de la fraude documentaire et à l’identité, de l’adaptation des moyens des enquêtes aux enjeux numériques, de la recherche d’un meilleur recouvrement des créances en matière de fraude aux finances publiques.
Par ailleurs la contrefaçon et le trafic de tabac peuvent être associés à des pratiques de travail illégal.

Au final, le décret du 15 juillet 2020 dissout un peu plus la lutte contre le travail illégal et le dumping social dans la lutte contre un ensemble de fraudes assez hétérogènes, dont le pilote n’est pas le ministre chargé du travail, mais celui chargé du budget et confiée à une simple mission aux compétences limitées.
Peu de personnes imaginaient que la lutte contre le travail illégal et le dumping social serait ravalée au même plan et intégrée dans la même organisation administrative que la lutte contre les trafics de cigarettes.
Par ailleurs, la répartition très simplificatrice et réductrice des attributions (à confirmer) entre les groupes opérationnels laisse craindre un résultat peu efficient par une approche tronquée de la lutte contre le travail illégal et le dumping social.
Enfin, le grand oublié de ce décret est, une fois encore, le salarié, en emploi direct ou détaché, victime du travail illégal et du dumping social.