Périmètre et conditions de l’infraction article 225-14 code pénal

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 9 mai 2019

N° de pourvoi : 18-81743

ECLI:FR:CCASS:2019:CR00675

Publié au bulletin

Rejet

M. Soulard, président

SCP Rousseau et Tapie, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° Y 18-81.743 FS-P+B+I

N° 675

VD1

9 MAI 2019

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

REJET des pourvois formés par M. M... A..., M. D... S..., parties civiles, contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 21 février 2018, qui, dans l’information suivie sur leur plainte, contre personnes non dénommées, des chefs d’abus d’autorité par voie de fait, outrage à subordonné, violences aggravées et conditions d’hébergement contraire à la dignité, a confirmé l’ordonnance de non-lieu prononcée par le juge d’instruction ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 13 mars 2019 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Moreau, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Castel, Mmes Drai, Durin-Karsenty, MM. de Larosière de Champfeu, Ricard, Parlos, Stephan, Bonnal, Guéry, Mme Ménotti, M. Maziau, conseillers de la chambre, Mme Carbonaro, M. Barbier, Mme de-Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Salomon ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller MOREAU, les observations de la société civile professionnelle ROUSSEAU et TAPIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général SALOMON ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 3, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 222-13, 225-1 et 225-14 du code pénal, L. 323-19 et L. 323-20 du code de justice militaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, violation de la loi :

”en ce que la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de non-lieu ;

”aux motifs que, par mémoire régulièrement déposé au greffe de la chambre de l’instruction, l’avocat des parties civiles MM. D... S... et M... A... demande à la cour d’infirmer l’ordonnance de non-lieu et d’ordonner un supplément d’information aux fins de mises en examen de l’adjudant E... C... des chefs de violences exercées sur un subordonné par militaire, outrage envers un subordonné par un militaire, et de l’adjudant E... C..., du colonel Y... T..., du lieutenant-colonel G... O... et du capitaine F... P... du chef de soumission à des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine ; que par mémoire régulièrement déposé au greffe de la chambre de l’instruction, l’avocat de M. E... C..., témoin assisté, demande de confirmer l’ordonnance de non-lieu en indiquant que notamment les auditions de légionnaires n’ont pas permis de confirmer les allégations des parties civiles ; qu’il résulte de l’article R. 4137-28 du code de la défense et de l’instruction du ministère de la défense relative aux sanctions disciplinaires n° 200690 du 30 mai 2006, applicable au moment des faits, que les militaires aux arrêts, hors période d’isolement prescrite, effectuent leur service dans les conditions normales, qu’en dehors du service, il leur est interdit de quitter la formation ou le lieu désigné par l’autorité militaire, qu’ils ont accès aux salles de restauration mais ne peuvent se rendre dans les foyer, clubs, bars et salles de distraction et qu’ils répondent à des appels particuliers ; que le lieu désigné par l’autorité militaire pour effectuer les arrêts n’était pas décrit jusqu’à l’instruction n° 230358 du 12 juin 2014 qui spécifie que les locaux d’arrêts désignés comme le lieu d’exécution, doivent être maintenus ouverts, satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre aux conditions minimales requises en matière de santé et d’hygiène ; que cette dernière instruction, qui a valeur normative, a précisé que le contrôleur général des lieux de privation de liberté est en mesure de contrôler, en toute circonstance, les locaux d’arrêts qui sont des lieux de privation de liberté ; qu’ainsi les locaux militaires d’arrêts, qui correspondent aux pouvoirs dévolus à l’armée, eu égard à ses missions et à son organisation au sein de l’Etat, d’apporter à titre disciplinaire des restrictions à la liberté, n’entrant pas dans les prévisions de l’article 225-14 du code pénal et les faits dénoncés relatifs aux conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité de la personne ne pouvant, dans cette circonstance, admettre aucune qualification pénale, il y a lieu de confirmer l’ordonnance de non-lieu concernant le délit prévu par ces dispositions légales ; que le délit d’atteinte à la liberté individuelle prévu par l’article 432-4 du code pénal, visé dans les constitutions de partie civile, dont le juge d’instruction a été saisi, et qui n’est pas soutenu dans le mémoire, n’apparaît pas être constitué dès lors qu’il résulte de la procédure et notamment du journal tenu par M. S... que les locaux d’arrêts étaient ouverts et que la limitation des sorties, qui est le propre des arrêts, résulte des contrôles et de l’auto-discipline du militaire ; que de même, si le délit de violences volontaires n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail commis en réunion prévu par l’article 222-13 du code pénal et le délit de violences sur un subordonné prévu par l’article L. 323-19 du code de justice militaire sont visés dans la plainte avec constitution de partie civile, ni M. S..., ni M. A..., n’y avaient fait état de violences physiques dont ils auraient été victimes, le juge d’instruction n’ayant en conséquence été saisi d’aucun fait à cet égard ; qu’en outre, si des scènes de violences ont été décrites par certains des légionnaires entendus, aucune indication n’a été donnée quant à leur auteur, l’adjudant E... C... étant même mis hors de cause par certains ou seulement mis en cause de façon indirecte par rumeur ; que si les fouilles d’armoires, telles qu’elles sont décrites, dépassent le cadre d’une revue de chambre, elles ne peuvent être assimilées, en l’absence de choc psychique établi, à des actes de violences au sens des articles susvisés, de même que les brimades invoquées consistant à multiplier les contrôles ; que la décision de non-lieu sera également confirmée pour ces délits ; que le délit d’outrage à un subordonné prévu par l’article 323-20 du code de justice militaire doit, pour être constitué, être commis par paroles, gestes, menaces ou écrits ; que si sa nature n’est pas définie par ce texte, l’outrage doit être de nature à porter atteinte à la dignité de la personne ou au respect de la fonction dont elle est investie, fut-elle subordonnée à celle de l’auteur ; que les éléments critiqués qui consistent, pour les légionnaires aux arrêts, à porter le chapeau de brousse de dotation plutôt que le béret vert et à ne pas porter les insignes de leur grade hiérarchique, n’apparaissent pas de nature à porter atteinte à leur dignité ou au respect de leur qualité de militaire, et sont en outre justifiés par une nécessité de différentiation avec les autres militaires dès lors qu’ils sont autorisés à circuler de façon restreinte dans l’enceinte du régiment, soit pour exécuter leur service habituel, soit pour se rendre dans les salles de restauration, alors que les locaux d’arrêt ne sont pas fermés ; que cette différentiation ne constitue pas non plus une discrimination au sens de l’article 225-1 du code pénal dont les cas sont limitativement énumérés ; que l’élément critiqué consistant à appeler le militaire aux arrêts par son nom précédé du mot puni, plutôt que de son grade, ne correspond qu’à la désignation d’un statut disciplinaire temporaire et n’a pas de nature outrageante, étant par ailleurs tenu un “registre des punis”, pas plus que la désignation de la personne inscrite dans un statut judiciaire par les mots de prévenu, d’accusé, de détenu ou de mis en examen n’est proscrite ; qu’en conséquence l’ordonnance de non-lieu sera également confirmée de ce chef et dès lors en toutes ses dispositions, aucune charge suffisante contre quiconque ne résultant de la procédure, qui apparaît être complète, d’avoir commis les délits d’atteinte à la liberté individuelle, d’outrage à subordonné par un militaire pendant le service, de violences volontaires n’ayant pas entraînée d’incapacité de travail en réunion et de soumission à des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité de la personne visés par les deux plaintes avec constitution de partie civile ;

”1°) alors que, si en adoptant les dispositions de l’article 225-14 du code pénal, le législateur a entendu protéger avant tout les travailleurs contre les conditions indignes de travail ou d’hébergement, la rédaction de ce texte ne permet pas d’exclure les cas d’hébergement forcés résultant de la décision d’une autorité légitime, sauf pour le juge à distinguer là où la loi ne le fait pas ; qu’il appartenait dans ces conditions à la chambre de l’instruction de vérifier si les éléments constitutifs de l’infraction dénoncée pouvait, en l’espèce, être réunis ; qu’en jugeant que les locaux militaires d’arrêt n’entraient pas dans les prévisions de ce texte, la chambre de l’instruction a violé le texte visé au moyen ;

”2°) alors qu’en relevant que le délit de violences volontaires n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail commis en réunion prévu par l’article 222-13 du code pénal et le délit de violences sur un subordonné prévu par l’article L. 323-19 du code de justice militaire étaient visés dans la plainte avec constitution de partie civile, tout en jugeant que le juge d’instruction n’a été saisi d’aucun fait à cet égard, la chambre de l’instruction s’est prononcée par des motifs contradictoires ;

”3°) alors que constituent des violences les humiliations et brimades dénoncées,