Hébergement indigne - abus de vulnérabilité

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 4 décembre 2018

N° de pourvoi : 17-87420

ECLI:FR:CCASS:2018:CR02867

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Boullez, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. Roland X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 5-14, en date du 6 décembre 2017, qui, pour soumission de personnes à des conditions d’hébergement indignes, location d’un logement provenant d’une division d’immeuble prohibée, l’a condamné à 50 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 23 octobre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, Mme Dreifuss-Netter, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller BELLENGER, les observations de la société civile professionnelle BOULLEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général CABY ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’il est apparu, lors de plusieurs contrôles effectués les 16 et 23 avril 2014 et les 1er juillet 2014 et 13 octobre 2014, que M. Roland X..., propriétaire d’un appartement en copropriété de 78,51 m² sis à [...] (Essonne), hébergeait douze personnes, dont des enfants mineurs, dans ce logement divisé en quatre chambres dont trois d’entre elles mesuraient moins de 10 m² et la quatrième 14,57 m², avec comme parties communes, un séjour de 13,17 m², une cuisine de 10 m² humide et mal ventilée, et des toilettes en mauvais état ; que M. X... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, des chefs de soumission de personnes à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, habitation ou utilisation de mauvaise foi d’un immeuble insalubre ou dangereux en violation d’une interdiction administrative et location d’un logement provenant d’une division d’immeuble prohibée ; que les juges du premier degré l’ont renvoyé des fins de la poursuite du chef de mise en location d’un local d’habitation provenant d’une division interdite, et déclaré coupable pour le surplus ; que la partie civile, le prévenu et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 225-14 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, insuffisance et défaut de motifs, défaut de base légale ;

”qu’il est fait grief a l’arrêt attaqué d’avoir déclaré le prévenu coupable du délit de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes, dont au moins un mineur, à des conditions d’hébergement indignes ;

”aux motifs qu’en premier lieu les faits de soumission à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine reprochés à M. X... sont établis par les constatations régulières des procès-verbaux et l’infraction est caractérisée en tous ses éléments ; que la vulnérabilité ou l’état de dépendance des hébergés étaient apparents ou connus du prévenu ; que s’agissant du “studio” ou chambre N° 4 d’une superficie de 17,47 m², louée le 21 avril 2011 à Mme Aïcha A... pour un montant de 650 euros mensuels, il est ainsi constant que cette dernière, n’était ni “étudiante” ni “stagiaire”, contrairement à ce que stipulait le “contrat de location pour chambre meublée “ la liant à son bailleur ; qu’il en allait de même pour son concubin, M. G... B... père de M... B... (mineure née le [...] ) contrairement à ce que stipulait le “contrat de location pour chambre meublée Avenant du 1er novembre 2012” et “élargissant” (sic) au bénéfice de ce dernier, la jouissance des lieux ; que la preneuse à bail étant mère de l’enfant C... D... (mineur né le [...] d’un précédent lit), ce sont donc deux adultes et deux enfants qui au moment de l’enquête occupaient ledit “studio” ; que cette dénomination est au demeurant abusive, ce local étant dépourvu de tout espace cuisine propre ; que lors de son audition par les services de police Mme A... confirmait que lors de la conclusion du bail, M.X... connaissait la précarité de sa situation et n’ignorait pas qu’elle était mère isolée ; que selon Mme A..., M. X..., qu’elle rencontrait lorsqu’il venait encaisser les loyers en numéraire notamment lorsque ses locataires éprouvaient des difficultés financières, profitait de sa situation ; que son concubin M. B... confirmait que M. X... n’ignorait pas qu’il se trouvait en situation irrégulière et lui “avait donné un dossier pour avoir une carte de séjour” ; que s’agissant de la chambre N°1 d’une superficie de 9,52 m² louée à Mme E... C..., suivant contrat conclu le 12 septembre 2011 pour un montant de 430 euros mensuels, il est également constant que ni cette dernière ni son époux, n’étaient “étudiant” ou “stagiaire” ; qu’elle se trouvait en situation de précarité ayant été chassée par son père du domicile familial ; qu’outre son époux, M. Ali H... F... , le local était occupé par J... F... (mineure née le [...] ) et K... F... (mineure née le [...] ) ; que Mme C... déplorant des conditions d’hébergement très dégradées considérait être dépendante de son bailleur qui ne l’avait “pas mise dehors” lorsqu’elle avait “des problèmes de loyer” ; que M. F... déclarait avoir été présent lors de la signature du bail et que M. X... n’ignorait pas “qu’il y avait trois personnes” ayant de surcroît participé à leur déménagement ; qu’il connaissait ses difficultés ayant fait preuve de mansuétude lorsqu’il ne pouvait s’acquitter du loyer ; que s’agissant de la chambre N° 2 d’une superficie de 9,46 m² louée à Mme L... B... suivant contrat conclu le 01 juin 2013 avec M. A... B... pour un montant de 430 euros mensuels, il est là encore constant que cette dernière n’était ni “étudiante” ni “stagiaire” ; que lors de son entrée dans les lieux Mme B... était enceinte ; qu’elle relatait qu’elle-même et son compagnon ayant été mis à la porte de leur domicile respectif avaient “supplié” M. X... de les héberger ; qu’il y avait finalement consenti, ses candidats locataires s’acquittant d’un dépôt de garantie de 900 euros en numéraire ; qu’après que le père de son enfant l’ait quittée, Mme B... occupait la chambre avec son fils Nordine A... (mineur né le [...] ) ; que M. X... qui d’emblée, plaçait ses locataires dans le cadre d’une location meublée avec espaces communs partagés, peut d’autant moins soutenir qu’il ignorait la “destination” que ses locataires entendaient donner aux lieux, qu’il s’y rendait fréquemment et ne pouvait que constater leur état de sur-occupation et la dégradation avancée des locaux ; qu’il ne s’est pas pour autant soucié d’y remédier ne justifiant pas avoir effectué quelque travaux que ce soit dans les locaux par lui donnés à bail ; que la circonstance qu’il n’ait pas augmenté les loyers ne saurait être raisonnablement invoquée en sa faveur au regard notamment, du montant extrêmement élevé du loyer exigé au m² habitable ; qu’enfin, il est pour le moins symptomatique que les locataires visés dans la prévention soient tous originaires des Comores ; que cette commune origine était manifestement destinée à faciliter l’usage commun par les occupants du séjour cuisine et des pièces humides, voire à rendre soutenable une sur-occupation pleinement assumée par le bailleur qui reconnaissait tant dans ses correspondances à l’administration que lors de ses auditions, que la sur-occupation était de son fait ; qu’en conséquence, la déclaration de culpabilité prononcée de ce chef par les premiers juges sera confirmée » ;

”1°) alors que l’insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; que le délit de soumission de personnes vulnérables ou en état de dépendance à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine implique l’obligation pour le juge du fond d’établir concrètement en quoi les conditions d’hébergement en cause étaient indignes ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui ne s’est attachée qu’à établir la condition préalable de vulnérabilité et de dépendance des locataires, s’est bornée à relever que « les faits de soumission à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine reprochés à M. X... sont établis par les constatations régulières des procès-verbaux » ; qu’en statuant ainsi, sans caractériser l’existence d’éléments de fait précis établissant que les conditions d’hébergement étaient incompatibles avec la dignité humaine, la cour a privé sa décision de motifs et a violé l’article 225-14 du code pénal ;

”2°) alors que le délit de soumission d’une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ne peut résulter que du comportement du bailleur ; que le délit n’est donc pas constitué lorsque l’état du logement résulte des dégradations commises par les occupants ; qu’en déclarant le prévenu coupable du délit de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes, dont au moins un mineur, à des conditions d’hébergement indignes, sans rechercher, si, comme il l’établissait, les lieux loués en bon état dès l’origine n’avaient subi des dégradations qu’en raison de leur sur-occupation ultérieure par les locataires, dont il n’était pas à l’organisateur puisqu’il ignorait, lors de la conclusion du bail, la destination des logements qu’entendaient en faire les locataires, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen” ;

Attendu que pour déclarer le prévenu coupable de soumission de personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, l’arrêt énonce que la chambre n°1 de 9,52 m², louée 430 euros, qui présentait des traces de moisissures, est occupée par deux adultes en situation de précarité et deux enfants mineurs qui logeaient dans des conditions très dégradées, que la chambre n°2 de 9,46 m², louée 430 euros à un couple dont la femme était enceinte, n’était pas chauffée, humide, que la chambre n°4, louée 650 euros, présentant également des moisissures, était occupée par un coupe avec deux enfants mineurs, que la chambre 4 de 14,57 m² humide et sans chauffage, comprenant une salle de bains de 2,90 m², était occupée par un couple et deux enfants et qu’un avenant au bail avait été signé lorsque le compagnon de la locataire de la chambre était entré dans les lieux et que le second enfant était né ; que les juges en concluent que les faits sont établis par les constatations régulières des procès-verbaux, que l’état de dépendance des hébergés étaient apparents ou connus du prévenu, qui savait leur état de grande précarité, qui venait encaisser les loyers en numéraire lorsqu’ils avaient des difficultés financières, qui avait participé à un déménagement d’une chambre à l’autre et connaissait le nombre d’occupants lors de la conclusion des baux ou de l’établissement d’un avenant et que l’infraction est caractérisée en tous ses éléments ;

Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors qu’elle a souverainement apprécié que les conditions d’hébergement étaient contraires au respect de la dignité humaine et que l’état de dépendance ou de vulnérabilité des occupants était connu du prévenu, la cour d’appel justifié sa décision sans méconnaître les dispositions légales et conventionnelles invoquées ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, 111-6-1 du code de la construction et de l’habitation, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;

”qu’il est fait grief a l’arrêt attaqué d’avoir déclaré M. X... coupable du chef de la division d’immeuble en vue de mettre à leur disposition, les locaux à usage d’habitation occupés respectivement par E... C... et L... B... ;

”aux motifs que dans sa version en vigueur du 28 mars 2009 au 27 mars 2014, soit lors des faits, l’article L. 111-6-1 du code de la construction et de l’habitation prohibait les divisions susceptibles d’être opérées au sein d’immeubles bâtis ; qu’au nombre des différentes hypothèses de division envisagées par ce texte, son alinéa 2 interdit “toute division d’immeuble en vue de mettre à disposition des locaux à usage d’habitation d’une superficie et d’un volume habitables inférieurs respectivement à 14 m2 et à 33 m3 ou qui ne sont pas pourvus d’une installation d’alimentation en eau potable, d’une installation d’évacuation des eaux usées... ; qu’en l’espèce et contrairement à ce qu’affirment les premiers juges, l’appartement litigieux est bien un immeuble, d’ailleurs en copropriété, ayant fait l’objet d’une division dont il convient d’apprécier si elle est ou non conforme aux dispositions posées par ce texte, indépendamment des autres hypothèses visées sous l’article L. 111-6-1 du code de la construction et de l’habitation ; qu’il est constant que l’immeuble de M. X... était divisé en quatre logements dont les portes avaient toutes été équipées de verrous par M. X... ; qu’un seul desdits logements, la chambre n° 4, occupée par Mme Aïcha A..., disposait de toilettes et salle d’eau ; que sa superficie totale mesurée par l’ARS atteint 17,47 m² ; que ce local peut donc être considéré comme répondant aux dispositions du texte précité ; qu’en revanche, les occupants des trois autres chambres, d’une superficie inférieure à 10 m² ne disposaient pas d’installation propre en eau potable et évacuation des eaux usées, alors qu’ils étaient titulaires de baux distincts ; qu’en conséquence, la cour infirmant de ce chef le jugement entrepris, déclarera M. X... coupable dans les termes de la prévention du chef de la division d’immeuble en vue de mettre à leur disposition les locaux à usage d’habitation occupés respectivement, par E... C... et L... B... ; qu’en conséquence que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a déclaré M. X..., coupable des faits de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes dont au moins un mineur à des conditions d’hébergement indigne ; qu’il sera infirmé en ce qu’il l’a déclaré coupable des faits d’habitation ou utilisation de mauvaise foi d’un local malgré interdiction administrative ; qu’il sera partiellement infirmé en ce qu’il l’a relaxé des faits de mise à disposition en location de local destiné à l’habitation provenant d’une division interdite d’immeuble » ;

”1°) alors que la division d’un immeuble prohibée par l’article L. 111-6-1 du code de la construction et de l’habitation s’entend d’une division d’un bâtiment et non de la division matérielle d’un lot en différents espaces de vie, un lot n’étant qu’une fraction d’un immeuble ; qu’en l’espèce, le prévenu a réalisé des espaces de vie à l’intérieur d’un même lot, un appartement ; qu’en considérant néanmoins qu’il avait divisé un immeuble, alors que les divisions de lots ne tombent pas sous le coup des interdictions de diviser édictées par l’article L. 111-6-1 du CCH, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen ;

”2°)alors que, si par extraordinaire la séparation d’un lot en espaces de vie s’analysait en une division d’immeuble, il n’en resterait pas moins que, ainsi que le faisait valoir le prévenu dans ses conclusions régulièrement déposées et de ce chef délaissées, le texte applicable aux faits n’excluait pas les parties communes pour le calcul de la superficie et du volume des locaux mis à disposition ; qu’il a ainsi démontré qu’il avait mis à disposition des occupants la superficie des espaces de vie privés ainsi qu’une fraction (1/4) des espaces communs, cuisine, salle d’eau et toilettes, soit un peu plus de 17 m² pour deux des titulaires de baux qui bénéficiaient ainsi d’un accès à l’eau potable et aux évacuations des eaux usées ; que la cour d’appel s’est pourtant contentée, sans s’en expliquer et sans répondre aux moyens péremptoires soulevés par le prévenu, que « les occupants des trois autres chambres, d’une superficie inférieure à 10 m² ne disposaient pas d’installation propre en eau potable et évacuation des eaux usées » ; qu’en statuant ainsi, sans répondre aux moyens péremptoires de nature à influer sur la solution du litige, ne serait-ce que pour les écarter, la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de motifs, a violé l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et, par fausse application, l’article 111-6-1 du code de la construction et de l’habitation applicable à l’espèce ;

Attendu que pour déclarer le prévenu coupable de mise en location d’un local d’habitation provenant d’une division interdite d’immeuble, l’arrêt énonce qu’un appartement est un immeuble, que l’appartement litigieux a fait l’objet d’une division en quatre chambres sur lesquelles M. X... a apposé des verrous, qu’un seul des logements, la chambre n° 4, disposait de toilettes et salles d’eau, que les trois autres logements, d’une surface inférieure à 10 m², ne disposaient pas d’un accès à l’eau potable ni un système d’évacuation des eaux usées, alors que les locataires étaient titulaires de baux distincts ;

Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que, toute division d’un immeuble destiné à la location en vue de mettre à disposition des locaux à usage d’habitation d’une superficie et d’un volume habitables inférieurs respectivement à 14 m² et à 33 m3 était prohibée par l’article L.111-6-1, alinéa 2, du code de la construction et de l’habitation, applicable au moment des faits, et que les locaux communs étaient exclus du calcul des surfaces et volumes, l’article 91 de la loi 2014-366 du 24 mars 2014 n’ayant fait que préciser cette exclusion qui résultait également des dispositions de l’article R.111-2 du code de la construction et de l’habitation, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen ne peut qu’être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatre décembre deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 6 décembre 2017