Partie civile oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 1 juin 2011

N° de pourvoi : 10-85652

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

SCP Boullez, SCP Laugier et Caston, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" Mme Aissata X...,

"-" M. Mamadou X...,

"-" Mapi Z..., partie civile,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 6-1, en date du 29 juin 2010, qui a condamné le première, pour détention frauduleuse de document administratif falsifié, soumission de mineure et de personne vulnérable à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine, à deux ans d’emprisonnement avec sursis, le second, pour soumission de mineure et de personne vulnérable à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine, à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Laugier-Caston pour les époux X..., pris de la violation des articles 441-1 alinéa 1, 441-3 alinéas 1 et 2 , 441-2, 441-10, 441-11 du code pénal, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale, 1382 du code civil, défaut de contradiction de motifs ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Mme X... coupable d’avoir détenu entre le 4 septembre 1997 et le 18 mai 2006 un document administratif délivré par les autorités maliennes qu’elle savait falsifié et a condamné celle-ci à une peine d’emprisonnement de vingt-quatre mois avec sursis, et sur l’action civile, à verser à Mapi Z... une somme de 63 000 euros au titre de son préjudice financier et une autre de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

”aux motifs adoptés du jugement entrepris que Mme X..., ayant reconnu qu’elle avait fait venir en France Mapi Z... avec un faux passeport sous la fausse identité d’Assa A..., elle sera aussi déclarée coupable des faits qualifiés de détention de faux administratifs ;

”alors que le faux n’est punissable qu’autant que le document administratif incriminé est de nature à constituer titre ; qu’il ne peut en être ainsi d’un document administratif qui, lors de sa découverte, était périmé depuis plus de trois ans ; que dès lors, la cour d’appel devait constater la prescription des faits du chef de détention de faux administratifs, dès lors qu’il résultait de ses propres constatations que le passeport malien, sous le couvert duquel Mapi Z... était venue en France en 1997, était périmé en fin d’année 2002, de sorte que les faits de détention d’un tel documents étaient nécessairement prescrits en 2006 ; qu’en s’en abstenant, l’arrêt attaqué a violé les textes visés au moyen” ;

Attendu que, si la prescription de l’action publique peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation, c’est à la condition que cette Cour trouve dans les constatations des juges du fond les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur ;

Qu’à défaut d etelles constatations, le moyen, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;

Sur le second moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Laugier-Caston pour les époux X..., pris de la violation des articles 225-14 du code pénal, article préliminaire et 593 du code de procédure pénale, 1382 du code civil et 6-2 de la Convention européenne des droits de l’homme, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. et Mme X... coupables de soumission d’un mineur à des conditions de travail indignes et de soumission d’une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail indignes, a condamné ceux-ci à une peine de vingt-quatre mois d’emprisonnement avec sursis, et sur l’action civile, a condamné les mêmes à payer une somme de 63 000 euros au titre de son préjudice financier et une autre de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

”aux motifs que la cour est bien en mesure, au terme de l’enquête de police, de l’instruction judiciaire mises en oeuvre à partir de la plainte déposée initialement par Mapi Z... et des débats, de juger des faits reprochés à chacun des prévenus, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à un complément d’information quant à la détermination de l’âge exact de celle-ci ; qu’est, en effet, suffisante pour cela la production aux débats d’un passeport délivré à Mapi Z... le 4 novembre 2006 par l’autorité compétente de la République du Mali, à savoir la direction générale de la police nationale, avec mention d’une naissance le 14 mars 1986 à Forokouna, Sikasso, Mali, sans qu’il ait pu être fait état d’aucun élément de contestation valable de ce document par la défense ; que, d’ailleurs, il doit être constaté que c’est sur la base des mêmes indications de date et lieu de naissance que les autorités françaises, par la préfecture de police de Paris, ont établi à Mapi Z... une carte de séjour temporaire le 2 avril 2010 ; qu’ainsi se trouve dénuée de pertinence la contestation en défense de la valeur d’une copie d’un extrait, établi le 29 juin 2005, d’un acte de naissance n° 45 au nom de Mapi Z..., née le 14 mars 1986 à Forokouna c/ Tominian, sur la base du résultat d’une recherche par le Préfet du « cercle » de Tominian, Mali, du registre ou « souche » dont il doit être issu, dès lors que la non-conformité affirmée est relative à une « souche » de l’arrondissement de Fangasso du « cercle » de Tominian, sans justificatif que Forokouna serait inclus pour en dépendre administrativement dans cet arrondissement ; qu’au surplus, il ne peut qu’être rappelé, pour mesurer le peu de crédibilité des contestations de ce chef de Mme X... et de M. X..., que l’arrivée en France de Mapi Z... en septembre 1997 s’est faite sous le couvert d’une fausse identité, celle d’Assa A..., que lors de ses premières déclarations Mme X... a affirmé qu’au Mali il n’y avait pas d’acte de naissance à l’époque et que chacun pouvait avoir deux noms et deux prénoms, et encore que l’âge vrai de Mapi Z... pouvait se vérifier par comparaison avec l’âge du frère cadet de deux ans de celle-ci, qui disposerait lui pourtant d’un état civil certain, sans que pour autant aucun acte d’état civil n’ait jamais été communiqué par Mme X... depuis sa mise en cause il y a aujourd’hui plus de quatre ans, en dépit de tout intérêt que pouvait avoir pour sa défense un tel document ; qu’il y a lieu alors, pour la cour, de rappeler quant à la prévention de soumission à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, au titre de laquelle sont ici en cause les conditions de travail faites à Mapi Z..., que cette infraction se trouve suffisamment caractérisée par la preuve d’une absence de rémunération de la victime à raison de tâches exécutées en permanence ; qu’il y a lieu aussi, de rappeler que l’état de minorité de la victime conduit de plein droit à considérer celle-ci comme vulnérable et dépendante ; qu’il y a lieu enfin, de rappeler que le fait de l’hébergement de Mapi Z... chez Mme et M. X..., dont elle partageait quotidiennement la vie et celle de leur famille, et ce durant tout le temps de la prévention, c’est à bon droit que les prévenus ont été poursuivis au titre de l’article 225-14 du code pénal, et non de son article 225-13 qui s’applique à une relation salariale ordinaire dans laquelle le salarié conserve une vie personnelle propre en dehors du temps de travail ; que dans ces conditions, il y a lieu de juger que c’est par des motifs précis et circonstanciés que les premiers juges ont retenu la culpabilité de chacun des prévenus, pour donc confirmer de ce chef le jugement déféré ; qu’en effet, de première part, la fausseté du passeport supportant la photo de Mapi Z... et établi au nom d’Assa A... a été reconnue par Mme X..., qui a aussi admis qu’elle en avait eu connaissance ; que de deuxième part, il résulte bien de l’analyse des déclarations de chacun des prévenus , et de leur comparaison avec celles de Mapi Z... comme les témoignages recueillis par les enquêteurs, et aussi les rapports et attestations des associations (mission locale de Bondy « Ensemble trouvons notre voie » association IRIS, le comité de lutte contre l’esclavagisme) ayant recueilli ses premières doléances à partir de juin 2005, à laquelle ont procédé les premiers juges, que la preuve a été suffisamment établie que Mapi Z... avait incontestablement effectué pour Mme X..., M. X... et leur famille un vrai travail, quotidiennement sept jours sur sept, avec des horaires très étendus, dans tout le temps de la prévention sans en recevoir de rémunération ; qu’il y a lieu en particulier pour la cour de relever que Mme X... s’est prévalue pour tenter s’expliquer la situation faite à Mapi Z..., qu’ « au Mali toute femme a une jeune fille pour l’aider » et que pour sa part M. X... a reconnu que Mapi Z... lui préparait ses repas quand il rentrait de son travail de chauffeur de taxi de nuit, lui lavait sa voiture, s’occupait de leurs quatre enfants, ou faisait le ménage ; qu’il y a lieu aussi de constater qu’aucune preuve de paiement n’a pu être présentée par les prévenus, Mme X..., notamment alléguant soit des envois d’argent en espèces par des tiers à la famille de Mapi Z..., ou expliquant ne pas tenir compte de l’argent donné, comme pour ses enfants ; qu’en tout état de cause, lors de sa plainte, Mapi Z..., qui était alors majeure en France depuis plus de deux ans, selon l’état civil vérifié ci-dessus, et même davantage s’il fallait en croire les prévenus, n’a pas été trouvée en possession de numéraires susceptibles de correspondre à un salaire, ni titulaire d’un compte bancaire ; qu’aucun élément du dossier n’est susceptible de confirmer que Mme X... et M. X... ont agi dans le but d’éduquer Mapi Z... comme leurs enfants et pour lui permettre en particulier de trouver un mari ; que pour apprécier exactement la consistance et donc la gravité des faits ainsi reprochés aux prévenus, il y a lieu de retenir, d’une part, que ces faits se sont produits sur une période de 8 ans et demi et pour les six premières années et demi pendant que Mapi Z... était mineure ; que d’autre part, il sera aussi retenu que ce ne sont pas les prévenus qui ont mis fin à cet état de fait ; que de troisième part, il doit être retenu que les prévenus ne sauraient se prévaloir d’avoir agi selon les usages du Mali, étant l’un comme l’autre pleinement intégrés au sein de la société française, notamment pour y avoir acquis la nationalité française, et ce dès l’époque de la prévention pour Mme X... et y exerçant l’un et l’autre une activité professionnelle régulière, déclarée et normalement rémunérée, conformément aux dispositions légales et réglementaires applicables ; que Mapi Z... n’a jamais été mise en mesure par Mme et par M. X... de choisir de rester chez eux dans ces conditions, à raison de son état de vulnérabilité et de dépendance autant réel que légalement présumé dans le temps de sa minorité, qu’ultérieurement pour se trouver non scolarisée ni socialisée en vue d’acquérir une indépendance personnelle et démunie de document personnel comme de moyens pécuniaires ; qu’en ce qui concerne M. X..., il y a lieu de prendre en compte qu’il a d’évidence connu les faits reprochés autant que Mme X..., vivant ensemble dans le temps de la prévention et pour y avoir personnellement participé, comme caractérisé ci-dessus, sans avoir démontré qu’il n’avait aucun moyen d’intervenir pour modifier la situation, la seule circonstance qu’il n’a pas été l’initiateur de la venue de Mapi Z... en France à leur domicile devant ainsi être sans conséquence à son profit ;

”1°) alors que le principe de la présomption d’innocence selon lequel le doute profite au prévenu impose que la culpabilité de celuici soit démontrée ; qu’en se bornant à affirmer que le passeport de Mapi Z... délivré par l’autorité compétente de la République du Mali était suffisant à établir sa date de naissance le 14 mars 1986 et en écartant toute contestation à ce sujet et notamment l’argumentation de M. et Mme X... selon laquelle il existait un doute quant à l’authenticité de l’acte de naissance de Mapi Z... et partant de son âge véritable, sans constater avec certitude que celle-ci était née en 1986 qu’elle était donc mineure au moment des faits, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

”2°) alors que ne constitue pas un travail accompli dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, le fait de participer aux tâches ménagères et domestiques d’un foyer sans être rémunérée lorsque cela est la contrepartie d’un accueil permanent et d’une entière prise en charge au sein d’une famille dans le but d’échapper à une situation économique critique pouvant mettre en danger la vie de l’intéressé ; qu’en se bornant à affirmer, pour déclarer les prévenus coupables de l’infraction qui leur était reprochée, que Mapi Z... avait effectué un vrai travail dans la famille X... sans recevoir de rémunération pendant une période de huit ans et demi, sans rechercher si cela ne constituait pas la contrepartie d’un accueil permanent et d’une entière prise en charge des besoins et de la vie matérielle de Mapi Z... au sein de la famille de M. et Mme X... en vue de faire échapper celle-ci à une situation économique critique pouvant mettre sa vie en danger, la cour d’appel a, à nouveau, privé sa décision de base légale ;

”3°) alors que le délit de soumission de personnes vulnérables à des conditions de travail indignes est un délit intentionnel de sorte que les juges du fond sont tenus de caractériser une intention coupable ; qu’en se bornant à constater que les conditions de travail auxquelles était soumise Mapi Z... étaient incompatibles avec la dignité humaine, sans énoncer les motifs propres à caractériser l’élément intentionnel de l’infraction, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par la société civile professionnelle Boulez pour Mapi Z..., pris de la violation l’article 3 et 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 1382 du code civil, des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, de l’article 225-14 du code pénal, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a alloué à Mapi Babayogo des dommages et intérêts d’un montant de 63 000 euros en réparation de son préjudice financier, et de 30 000 euros, en réparation de son préjudice moral et a débouté la partie civile de ses plus amples demandes ;

”aux motifs, sur le préjudice financier invoqué dans la période du 4 septembre 1997 au 30 novembre 2002 pour lequel sont réclamés des dommages et intérêts ; que l’appréciation ne peut qu’en être globale, en dehors d’une référence purement théorique aux dispositions de la convention collective du personnel de maison ne permettant pas la prise en compte des spécificités de la situation de Mapi Z..., comme par exemple d’avoir été aussi logée, nourrie et habillée ; que l’appréciation des premiers juges à hauteur de 63 000 euros sur une durée de cinquante et un mois, à la charge solidaire de M. et Mme X..., apparaît justifiée et sera confirmée ;

”alors que, dans l’hypothèse visée à l’article 225-14 du code pénal qui sanctionne « le fait de soumettre une personne en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité de la personne humaine », le principe de la réparation intégrale du dommage ainsi que le respect de la dignité de la personne humaine imposent d’allouer à la victime, en réparation de son préjudice matériel, des dommages et intérêts d’un montant équivalent à la rémunération qu’elle aurait dû recevoir pour assurer ainsi qu’à sa famille un niveau de vie décent et qui soit en rapport avec l’importance du travail accompli ; qu’en retenant, pour évaluer à la somme de 63 000 euros, le montant des dommages et intérêts alloués à Mapi Z... en réparation de son préjudice matériel, que l’application de la convention collective des personnels de maison est étrangère aux spécificités de l’espèce, dès lors que Mapi Z... avait été logée, nourrie et habillée, sans expliquer en quoi une telle indemnité correspondait à la rémunération à laquelle elle aurait pu prétendre, compte tenu de l’importance du travail accompli, pour assurer ainsi qu’à sa famille un niveau de vie décent et pour garantir sa dignité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions précitées” ;

Attendu qu’en évaluant comme elle l’a fait le dommage découlant pour Melle Z... des infractions dont M. et Mme X... ont été déclarés coupables, la cour d’appel, qui n’avait pas à tenir compte des dispositions d’une convention collective étrangère à la caractérisation des délits, a justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

FIXE à 3 000 euros la somme globale que M. et Mme X... devront, solidairement, payer à Melle Mapi Z..., partie civile, au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Rognon conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Téplier ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 29 juin 2010